A Versailles, le 4 septembre 1749.
J’ay reçu dans son tems, Monsieur, avec la lettre que vous avez pris la peine de m’ecrire, le 3 du mois passé, l’état des parroisses de votre departement ou il se trouve des religionnaires, avec les noms des lieux ou ils tiennent leurs assemblées, et ceux des principaux predicants. Comme il pouvoit être dangereux de donner lieu à quelque affaire d’eclat, en faisant agir des troupes contre eux, je m’étois proposé de conferer sur le contenu de votre lettre avec M. le Chancelier, mais je n’ay pas pu jusqu’icy en trouver l’occasion. J’ay d’ailleurs cru pouvoir attendre sans inconvenient quel seroit l’événement du procès a l’extraordinaire dont vous avez commencé l’instruction en consequence de l’attribution qui vous a été donnée, ce procès, suivant ce que vous m’avez mandé, m’ayant parù en état d’être bientôt jugé. Enfin, Monsieur, je comptois aussi que vous pouriez m’aprendre que l’officier de la maréchaussée à qui vous avez donné l’ordre d’arrester un des predicants pouroit y réussir par adresse et sans le secours d’aucunes troupes reglées. N’ayant point reçu de nouvelles à ce sujet, je prends le party de communiquer votre lettre M. d’Argenson, afin qu’il puisse recevoir les ordres du Roy, et donner ensuite ceux qui seront jugés convenables pour faire agir les troupes dans les occasions suivant ce que vous proposez, et même envoyer un commandant dans la province si cela est jugé necessaire.
Je suis tres sincerement, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur.
Rouillé.
P. S. Je dois à cette occasion vous faire part d’une lettre que j’ay reçuë il y a dejà quelques tems de M. de Link ou de Liny dattée de même Linck ou Liny, par laquelle en me representant les inconvenients qui pouvoient resulter des assemblées que font les religionnaires en Poitou, il me mande qu’il y a à la Ville-Dieu d’Aunay un nommé Girault receveur des fermes qui est un religionnaire dangereux et qui meriteroit d’être puni ou du moins révoqué. Vous serez en état de connoitre par les eclaircissements que vous voudrez bien prendre si cet avis particulier à quelque fondement, ou si ce n’est pas plustot l’effet de l’animosité qu’on pouroit avoir contre cet employé parce qu’il feroit bien son devoir. R.
L’intendant à Rouillé
10 septembre 1740.
Monsieur, depuis la lettre que j’ai eu l’honneur de vous ecrire le 3 du mois dernier au sujet des assemblées des religionnaires dans cette province, je n’ay pas perdu de vuë un seul instant le projet de faire arrester un des predicans qui entretiennent ces assemblées ; je me suis même sous d’autres pretextes transporté au bas Poitou pour concerter, avec ceux que j’ay chargé de l’execution, les moyens les plus propres à faire reussir ce dessein. Les mesures qui ont été prises me font esperer que l’on poura y parvenir avec le seul secours des brigades de marechaussée de ce departement J’ay toujours été persuadé, comme j’ay eu l’honneur de vous le marquer, de l’inconvenient qu’il y auroit a donner lieu a quelque affaire d’éclat ; c’est même dans cette idée que loin de proposer de faire faire aucun mouvement extraordinaire aux troupes reglées qui sont dans la province, je me suis restraint à demander que l’officier de marechaussée qui est a la suite de cette affaire fust autorisé à se faire donner main forte dans le quartier de cavalerie le plus a portée, pour ne pas laisser echapper une occasion qu’il est quelquefois difficile de retrouver lorsqu’on a manqué a profiter du moment. En effet M. les prédicans qui peuvent soupçonner qu’on épie leur demarche, se tiennent sur leur garde, et changent a chaque instant de lieu et de demeure ; ce qui exige pour pouvoir s’en saisir la facilité de trouver des secours a portée des diffirerens ou ils ont coutume de se retirer, et les brigades de maréchaussée ne sont pas en assez grand nombre, n’y assez rapprochées les unes des autres pour qu’on puisse en tirer cet avantage.
Le régiment de Chabrillant vient de sortir de cette province, il doit être remplacé dans les mêmes quartier à la fin de ce mois par celuy d’Henrichemont ; on parviendra peut être avant son arrivée à arrester quelque prédicant ; en tous cas, Monsieur, il seroit uniquement question que M. le G. d’Argenson voulust bien me faire autoriser à en tirer les secours que j’ay pris la liberté de vous demander et dont, comme j’ai eu l’honneur de vous l’observer, il ne seroit fait usage que dans des circonstances indispensables. A l’égard de l’affaire dont la connoissance m’a été attribuée, il m’a paru essentiel d’en rallentir en quelque sorte dans le moment present l’instruction, par la crainte que l’eclat qui en résulteroit ne nuisit aux demarches qui se font pour la capture d’un des principaux predicans, cette capture étant le moyen le plus sur d’arretter le cours des assemblées. Je me mettray a portée de vous rendre compte de la conduite du nommé Giraud receveur des fermes à la Ville-Dieu d’Aunay.
Rouillé à l’intendant
A Fontainebleau, le 31 octobre 1749.
Vous m’avez mandé, Monsieur, le 27 du mois passé, que vous veniez de recevoir de M. D’Argenson les ordres que vous aviez demandez pour vous remettre en état de faire agir les troupes qui sont en Poitou, suivant que les circonstances l’exigeroient, pour parvenir à la capture de quelques uns des predicants qui entretiennent depuis longtems les assemblées des religionnaires en Poitou. J’ay lieu de presumer que ceux que vous avez chargé de l’execution n’ont encore pû réussir, puisque je n’ay point reçu de vos nouvelles a ce sujet. Cependant M. le procureur général a écrit récemment à M. le Chancelier pour luy faire part de ce qu’il a appris des assemblées des religionnaires de la paroisse de Pouzanges et de celle de Chavaigne et des prétendus mariages que le ministre Pradon y a faits ; il ajoute que le procureur fiscal d’Ansigny luy a marqué que le sieur Giraud receveur au bureau des traites au sujet duquel je vous ay deja écrit, et le sieur Bouchetierre, tous deux religionnaires, etoient à la teste de ces assemblées ; que d’ailleurs son substitut à Nyort luy a confirmé que le ministre Pradon réside toujours dans la province, qu’il y tient de frequentes assemblées, que l’on fait monter les mariages qu’il a faits a plus de deux mille cinq cent, et qu’il est associé avec le nommé Bessé ; M. le Chancelier, qui m’a fait part de cette lettre de M. le procureur général, ayant pensé que peut être les officiers de la maréchaussée que vous avez mis à la suite de ces prédicants agiraient avec plus de soin et de vivacité s’ils étaient porteurs d’ordres du Roy, je vous envoye ceux que j’ay fait expédier pour arrester les nommés Pradon et Bessé, et je vous prie de ne rien négliger pour que ces ordres soient mis à execution le plustot que faire se pourra.
Vous voudrez bien aussi me faire part des eclaircissements que vous avez dû prendre sur ce qui concerne le sieur Giraud, et de ceux que vous pouvez prendre par raport au sieur de Bouchetierre.
Je suis tres parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obeissant serviteur.
Rouillé.
L’intendant à Rouillé
A Saint-Meixent, le 4 novembre 1749.
Lorsque j’ay reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 31 du mois dernier, et les ordres qui étoient joints pour arrester les nommés Pradon et Bessé prédicants, je me disposois à vous rendre compte d’un événement qui, quoique l’issue n’en ayt point esté aussi heureuse qu’on avoit lieu de l’espérer, ne peut cependant que produire un tres bon effet et favoriser, par l’eclat qu’il vient de faire, les vues que l’on a de faire cesser les assemblées des religionnaires. J’avois ordonné a mes subdelegués et a toutes les brigades de marechaussée de veiller sur les moindres attroupements ; le subdelegué de Saint-Meixent fut averti qu’il estoit arrivé le 1er de ce mois dans une auberge, dont celuy qui la tient est de la religion et fort suspect, sept particuliers assez bien mis : on lui assura que, Bessé étoit du nombre. Il le crut d’autant plus facilement que, Bessé et Pradon ayant eu plusieurs demeslés ensemble, le bruit estoit qu’il devoit se tenir une assemblée de prétendus anciens pour régler leurs differens.
Mon subdelegué ne pouvoit agir sur des apparences plus fortes, et je l’aurois blasmé d’estre resté dans l’inaction sur de pareils indices ; il prit le parti de faire investir l’auberge par des cavaliers du regiment d’Henrichemont, dont une compagnie est en quartier dans cette ville, et les religionnaires qui y estoient furent arrestés au nombre de sept, sans la moindre violence, et conduits en prison. Mon subdelegué m’en donna avis à Nyort ou je venois d’arriver pour les opérations du département. Je pensoi qu’un affaire de cette importance seroit mieux discuttée en ma présence, je partis sur le champ et me rendis icy, je me transportai à la prison ou j’interrogeai les prisonniers. Bessé ne s’est pas trouvé parmi eux, comme on me le disoit, on avoit esté trompé par la ressemblance que le nommé Renard marchand de sel du lieu de Jarnac en Saintonge et l’un des prisonniers a avec le predicant. Il paroist certain que tous ces differens particuliers sont des commerçants de Jarnac ou des environs, ils sont tous de la religion pretendue reformée, et il n’est pas douteux qu’ils ne sont venus icy que pour assister a une assemblée, quoiqu’ils l’ayent nié par leurs interrogatoires en commençant, cependant que s’ils en avoient trouvé une sur leur chemin, ils y auroient assisté comptants ne point faire de mal ; je ne me détermineray a leur rendre la liberté que lorsque je seray pleinement instruit de la vérité des faits qu’ils ont déclarés : un pareil traitement les dégouttera peut-être de venir aux assemblées et produira un bon effet, en retenant par la crainte tous ceux qui les composent. Il se trouva le même jour deux autres particuliers logés chez le nommé Carry maître de la poste aux chevaux ; effrayés de ce qui se passoit, ils demanderent des chevaux de poste, quoiqu’ils fussent venus sur les leurs. Carry ou par foiblesse, ou par interest, ou peut-estre par amour de parti, car il est luy mesme protestant, leur en donna, le postillon les conduisit dans un village nommé Mougon à deux lieues de Niort ; ils le renvoyèrent, retinrent les chevaux de poste, et luy recommanderent de conduire les leurs à Saint-Leger de Melle sur la route de Bordeaux. Le postillon ne fut pas plustôt de retour a Saint-Meixent que Carry le renvoya en effet à Saint-Leger avec les deux chevaux, le postillon n’y trouva point les deux particuliers, on luy indiqua une assemblée qui se tenoit aux environs ou ils étoient allés sur les chevaux de poste et ou il leur rendit les leurs et reprit les siens ; la conduite du sieur Carry est tres reprehensible, je naurois pas hesité a le faire mettre en prison et a vous proposer, Monsieur, de le revoquer ; mais je feray suivre de pres la conduite de ce particulier qui est un des meilleurs habitans de Saint-Meixent et que j’ay intimidé de façon a me persuader qu’il communiquera la crainte à ceux qui sont de son parti, et d’ailleurs par le soin que j’ay eu de gagner les postillons, il est interessant pour le succès des mesures que j’ay prises qu’il conserve dans ce moment présent la poste aux chevaux.
Au reste, Monsieur, l’evenement dont j’ay l’honneur de vous informer a entierement deroutté l’assemblée qui devoit se tenir a une demie lieue de cette ville, le 2 de ce mois ; il ne s’y est trouvé presque personne, et point de predicant. Il me parut interessant de profiter de cette circonstance qui a fait de l’eclat, et a annoncer d’une manière non équivoque les intentions du Roy pour renouveller la publication d’une déclaration qui a esté déjà publiée pendant que M. le comte de Chabannes commandoit dans la province, et qui rapppelle les peines prononcées tant contre les predicans que contre les particuliers qui les retirent et assistent aux assemblées. Ces demarches desabuseront entierement ceux auxquels on s’estoit efforcé de persuader que le gouvernement usoit au moins de tollerance sur ce qui se passoit.
Je ne perds pas de vue les moyens d’arrester les predicants et surtout Pradon et Bessé, j’ay donné les ordres les plus precis a ce sujet, mais je vous supplie d’observer que deux hommes dans une province entière dont ils parcourent successivement toutes les parties, et auxquels presque chaque particulier sert d’espion ne sont arrestés qu’apres beaucoup de travail ; aussy il ne m’est pas possible de fixer le temps auquel la capture en sera faite ; il ne faut qu’un moment, mais le moment peut se faire attendre, il depend d’une infinité de circonstances, au surplus le principal objet est d’arrester le cours des assemblées, et de tacher d’y parvenir sans faire eprouver aucune violence au sujets du Roy qui ont le malheur d’estre engagés dans l’erreur, attendu qu’il est important de ne pas donner lieu a une désertion dans les pays estrangers qui serait la suite de l’effet infaillible d’une autorité peu mesurée. Dans la vue d’empêcher les assemblées de se former, j’ay composé des brigades de maréchaussée des cavalliers les plus intelligents et les moins nécessaires a leur residance, et je les ay placé dans les lieux les plus suspects ; j’en ay mis une a Pousange en bas Poitou, parce qu’après l’éclat qui vient d’estre fait icy, je ne doute pas que les predicants ne prennent cette route. On ne doit pas se flatter que les choses soient rétablies sitôt dans l’ordre ou elles devraient estre, c’est ce que jay marqué à M. le Chancelier, il y a quelques jours, sur le renvoy qu’il m’avoit fait d’une lettre de M. le procureur gênerai. Je vous supplie de croire que j’y donneray une attention continuelle, et que je ne négligeray rien pour y parvenir.
Si je ne vous ai point repondu plustôt, Monsieur, sur le compte que vous m’avés demandé de la conduitte du sieur Girault receveur des fermes a la "Ville-Dieu d’Aunay, c’est qu’il me parut interessant de m’assurer de la vérité des faits dont le vicaire de cette paroisse nous a informé par des personnes qui ne fussent susceptibles ni de partialité, ni de prevention. J’ay enfin verifié que le sieur Girault est un tres mauvais sujet, entesté pour la religion, ne respectant point l’autorité et servant d’entrepost entre la Saintonge et le Poitou : il seroit fort dangereux de le laisser dans l’employ qu’il exerce et mesme dans le lieu de la Ville-Dieu d’Aunay qui est comme le point de communication entre les deux provinces. Quant au sieur Bouchetière il est aussy de la religion et peut bien se trouver aux assemblées, mais ce n’est point un esprit remuant ni dangereux.
Je suy, Monsieur, avec un profond respect, etc.
L’intendant à Rouillé
26 novembre 1719.
Monsieur, depuis la lettre que j’ai eu l’honneur de vous ecrire le 4 de ce mois, je n’ai rien négligé pour procurer la promte exécution des ordres du Roy que vous m’avés adressés contre Pradon et Bessé.
L’éclat fait à Saint-Maixent par la capture de quelques religionnaires de la Saintonge et la publication et la déclaration du mois d’août 1747, tant contre les prédicans que contre ceux qui les retirent et assistent aux assemblées, paroissoient devoir en suspendre le cours. Je fus cependant instruit que Pradon n’avait point quitté le haut Poitou, qu’il avoit même indiqué par ses émissaire une assemblée pour le dimanche 23 de ce mois, où il devoit prêcher et faire des mariages.
Le lieu de cette assemblée devoit être un endroit appelé Les Pommerates qui se trouve à deux lieues de la ville de Melle et de Saint-Maixent, et dans une distance égale du bourg de la Mothe Sainte-Heraye. Je projettai de le faire arrêter dans l’assemblée même par des personnes, qui à la faveur de deguisement devoient se mêler parmi les religionnaires et s’assurer de sa personne. Les trois compagnies de cavalerie du régiment d’Henrichemont qui sont en quartier dans les endroits dont je viens d’avoir l’honneur de vous parler, et quelques brigades de marechaussée auraient suffi pour assurer l’exécution de ce projet sans la difficulté de tirer secours de la cavalerie dans un païs entièrement couvert de bois. Cette circonstance me determina à faire marcher les deux compagnies des grenadiers du régiment d’Eu qui sont en garnison dans cette ville avec cent hommes de détachement du même régiment ; je les fis partir le vendredi 21 sur une route pour Saintes dans la vue de cacher le véritable sujet de leur marche ; mais le seul deplacement de ces troupes a suffi pour donner de l’inquiétude au religionnaires. Pradon en a été averti par ceux qui lui sont affidés, et lorsque les troupes se sont portées le dimanche à l’endroit ou l’assemblée avoit été indiquée, elles n’ont trouvé que quelques habitons de la compagne effraiés et deconcertes par leur presence et qui étoient même dispersés dans les bois.
Le commandant s’est ensuite transporté dans deux ou trois hameaux qui servent de retraite aux predicans, et dont il a fort intimidé les habitans. Il y a lieu d’esperer qu’ils seront plus soumis aux ordres du Roy dont ces démarches réiterées ne leur laissent plus ignorer les volontés. La capture d’un prédicant dont je ne desespere point et la punition achéveront de les en convaincre. Je continuerai de suivre cette affaire avec toute l’attention et toute la vivacité qu’elle exige.
. . . . . . . . . . . . . . .
Rouillé à l’intendanta
a – Deux ans s’étaient écoulés : ni Pradon ni Dubesset n’avaient été pris. Cependant les assemblées continuaient, et il importait, croyait-on, pour les faire cesser de faire disparaître ceux qui en étaient les instigateurs. — Rouillé revint aussitôt à la charge, sans plus de succès, il est vrai.
A Versailles, le 12 janvier 1751.
Je suis informé, Monsieur, que les protestans continuent leurs assemblées en Poitou, et qu’ils prennent même assez peu de precautions, puisqu’on assure qu’il s’en est tenue depuis peu une de jour, et qu’il y avoit au rendez-vous plusieurs chaises de poste. Le meilleur remede pour deranger ces assemblées seroit de s’emparer des nommés Pradon et Bessé fameux prédicans, ou du moins de l’un d’eux, pour leur faire subir la peine portée par les édits et declarations du Roy parus à ce sujet. Il est certain que cette capture seroit icy fort approuvée et que ceux que vous pourriez employer pour y réussir pourroient compter, dans le cas de succez, sur une recompense proportionnée au service qu’ils rendroient dans cette occasion, et telle que vous la jugeriez convenable. J’ay crû devoir vous donner cet avis, et je ne puis que m’en remettre à vos soins pour l’exécution, persuadé que vous n’y negligerez rien de tout ce qui pourra dependre de vostre autorité.
Je suis très parfaitement, Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur.
Rouillé.
Rouillé à l’intendant
A Versailles, le 13 janvier 1751.
Je reçois, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire, le 6 de ce mois, au sujet de la continuation des assemblées que tiennent les protestants en Poitou, et conformement à ce que vous proposez, j’ay crû devoir ajouter à celle-ci une lettre ostensible pour ceux que vous jugerez à propos d’employer à la capture des nommés Pradon et Bessé, ou au moins de l’un de ces fameux predicants. Il est certain que ce seroit un des moyens les plus capables de deranger ces assemblées, mais il faut convenir que cela n’est pas aisé par toutes les ressources iju’ils ont pour estre instruits des demarches que l’on peut faire contre eux, et dont javois déjà connoissance, independament de ce que vous m’en marquez. Je suis cependant persuadé que vous donnerez tous vos soins pour la reussite.
Il ne m’étoit pas encore revenu que ces assemblée se fussent tenues le jour, comme cela est arrivé le jour de Noël ; la quantité de chaises de poste qui, suivant ce que vous me marquez, étoient au rendez vous, semble indiquer qu’il y a des personnes de consideration qui se trouvent à ces assemblées, et rendre encore plus pressante la necessité d’user de moins de menagement que vous n’avez fait jusqu’icy pour les faire cesser. Je laisse cependant à vostre prudence à determiner le temps où vous croirez devoir agir plus ouvertement, soit en prenant des mesures pour faire arrester quelques-uns des principaux assistants, soit en faisant publier, si vous le croyez convenable, une ordonnance pour deffendre de nouveau ces assemblées, soit enfin en faisant marcher des troupes dans les endroits où elles se tiennent pour les dissiper. Je vous ay déjà mandé, par ma lettre du 26 octobre dernier, que c’estoit à M. D’Argenson que vous deviez vous adresser pour luy demander un ordre au commandant des troupes qui sont en Poitou pour prester main forte aux cavaliers de marechaussée, et agir par detachement, suivant que vous le jugeriez convenable. Je luy en ecriray mesme dans le temps sur vostre premier avis, et je ne puis au surplus que me remettre à ce que je vous ay expliqué par cette même lettre du 26 octobre sur la conduite que vous avez à tenir par raport aux religionnaires et à leurs assemblées.
Je suis très sincerement, Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur.
Rouillé.
Rouillé à l’intendant
A Versailles, le 20 février 1751.
J’ay vu, Monsieur, par la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire tout ce qui s’est passé à l’occasion de l’assemblée des religionnaires qui devoit se tenir le 1er de ce mois auprès de Molle, en bas Poitou, où Pradon devoit prescher ; il y a lieu de penser que, par les mesures que vous aviez prises de concert avec le prevost de la maréchaussée, on auroit pu parvenir à la capture de ce prédicant, s’il fut venu à cette assemblée où il étoit attendu. Il est certain que le plus sur moyen de faire cesser ces assemblées est de tacher de prendre un prédicant pour le punir suivant toute la rigueur des ordonnances, et c’est à quoi vous devez principalement donner vos soins. Vous pouvez mesme promettre des recompenses jusqu’à concurrence de la somme que vous croirez convenable à ceux qui vous en faciliteroient les moyens par les avis qu’ils seraient en etat de vous donner sur les demarches de Pradon ; je suis bien persuadé que vous n’userez de cette permission qu’avec menagement. A l’egard, du nommé Trouillet qui a été arresté et constitué prisonnier à Melle, je pense comme vous, par les raisons detaillées dans votre lettre et dans celles de M. Boissemont qui y étoit jointe, que le meilleur party est de le faire transferrer à la Rochelle ; la seule attention doit estre qu’il y soit conduit avec sureté, et j’ay écrit à M. D’Argenson pour le prier de vous envoyer au plustot les ordres necessaires pour que vous puissiez, si vous le jugez à propos, faire accompagner ce prisonnier par des détachemens de troupes, et les faire agir d’ailleurs dans les occasions où vous croirez en avoir besoin. Moyennant cet arrangement, vous ne serez plus exposé à aucune difficulté de la part des commandants des troupes qui sont en garnison dans votre Generalité. Les listes que vous avez rassemblées de ceux des religionnaires qui tiennent les rolles des contributions que l’on paye aux predicants, de ceux qui sont mariés depuis quelques mois aux presches, de ceux qui se meslent d’enseigner aux enfants, et enfin des endroits où se tiennent communement les assemblées, ne peuvent que contribuer à vous mettre à portée de faire des exemples capables d’en imposer et de les faire tomber sur les plus coupables, ou plustot sur ceux qui sont les plus accrédités dans le party ; mais je ne puis adopter le projet d’en faire enlever quelques-uns d’autorité pour les faire passer aux isles ; l’intention du Roy est qu’il n’y soit envoyé personne de force, et beaucoup moins que d’autres les religionnaires que l’on hepeut en gênerai regarder comme pouvant estre dangereux, tout mal instruits que vous les suposiez dans leur religion. Le party le plus convenable est, comme je vous l’ay precedemment marqué par ma lettre du 26 octobre dernier, d’en faire arrester quelques-uns des plus hupés et qui cherchent à se distinguer par des contraventions marquées, et-de les faire mettre en prison ou de les exiler loin de chez eux, afin de les punir par la depense qu’ils seront obligés de faire et d’interrompre en même tems la suite de leurs menées et de leurs intrigues, et à l’egard de ceux qui par leurs facultés ne seroient pas en etat de subvenir à pareille depense, les faire mettre en prison aux frais du Roy pour un tems convenable et proportionné à leurs contraventions, en observant, dans le cas où vous pouriez acquerir contre les uns et les autres ou quelques-uns d’entre eux des preuves suffisantes, de me proposer de vous donner un arrest d’attribution pour instruire leur procès et les faire condamner aux peines du bannissement ou des galeres, suivant les circonstances plus ou moins graves. Je dois à cette occasion vous envoyer la lettre cyjointe que je viens de recevoir du curé d’Exoudun, pres la Mothe Sainte-Heraye, qui se plaint de l’insolence avec laquelle les religionnaires agissent dans ce canton, où il me semble (marque ce curé) qu’ils ont levé l’étendart de la revolte, et surtout au village de Bagnault où il observe que Pradon et les autres predicans font en quelque maniere leur résidence. Vous voudrez bien faire sçavoir à ce curé que je vous ay écrit, afin qu’il puisse vous donner les esclaircissemens qui pourront dependre de luy et vous proposer les moyens qu’il croira capables de remedier au desordre dont il se plaint. Je vous prie de me faire part de ce qui vous en reviendra, et de votre avis sur la proposition qu’il fait de faire mettre au couvent la nommée Jeanne Proux.
Je suis très parfaitement, Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur.
Rouillé.
Rouillé à l’intendant
A Versailles le 28 septembre 1751.
J’ay reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’ecrire, le 19 de ce mois, au sujet des frais déjà faits par raport aux religionnaires, et de ceux que vous prevoyez avoir à faire pour empescher leurs assemblées qui voudroit recommencer. Sur le compte que j’en ay rendu au Roy, Sa Majesté m’a ordonné d’expedier une ordonnance de 4000 fr. sur le trésor royal qui sera employée à payer les avances faites et les nouvelles depenses que vous aurez occasion de faire. Cette ordonnance que j’ay expédiée, est au nom du sieur Chevalier, commis à la recette générale de Poitiers qui se remboursera des 1200 fr. dont il a fait l’avance ; elle ne peut être presentée à la signature du Roy que dimanche prochain 3 octobre, et je ne pourray conséquement vous l’envoyer pour le plustot que par le courier du mardy 5. S’il estoit plus convenable par raport à vos arrangements avec le comtois à là recette generale, de faire remettre cette ordonnance au receveur gênerai des finances en exercice, vous pouriez me le demander promptement, et je crois que par cette raison je puis sans inconvenient différer à en disposer jusqu’à ce que j’ay reçu votre reponse. Au surplus, Monsieur, quoyque je vous aye mandé que Sa Majesté aprouvoit que vous eussiez la liberté d’employer annuellement à ces dépenses jusqu’à la concurrence d’une somme de 6000 fr., elle desire que vous en usiez sur cela avec le plus d’économie qu’il sera possible, et je vous prie de vouloir bien m’informer successivement de ce qui se passera a ce sujet, afin que je puisse luy en rendre compte.
Je laisse à votre prudence de retenir autant de temps que vous le jugerez à propos les trois protestants qui sont actuellement en prison à Poitiers, et qui ont jusqu’icy refusé constament de rehabilitter leurs mariages faits au presche.
Je suis très parfaitement, Monsieur, vostre très humble et très obeissant serviteur.
Rouillé.