C’est ici le lieu d’indiquer les changements qui s’étaient accomplis, depuis les guerres de religion, soit dans la position et le caractère des réformés, soit dans leurs rapports avec les catholiques.
Bien qu’ils fussent encore nombreux au midi de la Loire, ils avaient perdu beaucoup de terrain. Paris appartenait désormais sans partage à l’Église romaine. La Picardie, l’Artois, la Normandie, l’Orléanais, la Champagne, tout le nord et une portion considérable du centre de la France ne comptaient plus que des troupeaux épars et craintifs. Les plus braves avaient péri ; les plus timides étaient rentrés dans la communion dominante : Une foule de ceux qui exerçaient des emplois publics, de gentilshommes et de riches bourgeois en avaient fait de même. Les femmes aussi, pour échapper aux brutales violences qu’on leur faisait subir, s’étaient réfugiées en grand nombre dans le catholicisme comme dans le dernier asile de leur pudeur.
Une autre différence également importante doit être signalée. Aux états généraux d’Orléans et au colloque de Poissy, les réformés pouvaient espérer d’attirer à eux les masses, les parlements, la royauté même ; en 1570, ils ne le pouvaient plus. Chacun avait pris nettement parti pour une Église ou pour une autre ; les opinions s’étaient tranchées et murées : la population flottante avait disparu.
Avant les guerres, le prosélytisme se faisait en grand, et embrassait des villes, des provinces entières ; il y suffisait de la paix et de la liberté ; après, il n’y eut plus que de rares prosélytes, conquis un à un, et avec peine. Tant de cadavres étaient là, entassés entre les deux communions ! tant d’amères inimitiés, tant de cruels souvenirs veillaient autour des deux camps pour en défendre l’approche !
La destinée des réformés de France fut vraiment étrange et déplorable. S’ils n’eussent pas pris les armes, ils auraient été probablement exterminés comme les Albigeois. En les prenant, ils allumèrent les haines les plus ardentes, et creusèrent un abîme qui ne permettait plus aux catholiques d’arriver jusqu’à eux.
Mais ces calamités même auraient pu devenir la source d’un bien pour l’une et l’autre communions. Les réformés avaient été instruits par le malheur. Ils comprenaient et proclamaient maintenant que deux religions peuvent exister dans le même Etat. Résignés à n’être qu’une minorité, ils citaient dans leurs nouveaux écrits les arrangements conclus en Allemagne entre les Églises rivales. Ils allaient jusqu’à invoquer la tolérance du pontife de Rome pour les Juifs, et des Turcs pour les chrétiens. Ils avaient renoncé à la prétention de régner ; ils ne demandaient que le droit de vivre, et le catholicisme aurait pu le leur accorder sans mettre en péril ses anciennes prérogatives.
Un respectable historien moderne dit à ce sujet : « L’expérience des édits de tolérance pendant la paix, et des efforts mutuels des deux partis pendant la guerre, avait détruit en eux (les réformés) beaucoup d’illusions sur leurs forces. Ils ne pouvaient plus croire qu’ils étaient les plus nombreux, et que la crainte seule contenait les masses dans une uniformité apparente avec l’Église romaine. Ils avaient pu se convaincre, au contraire, que des opinions progressives, des opinions qui exigeaient l’exercice de l’entendement et de la critique, ne pouvaient être dominantes que dans l’élite de la nation[a]. »
[a] Sismondi, Histoire des Français, t. XIX, p. 2.
C’est donc une grave erreur d’alléguer, pour justifier la Saint-Barthélemy, la nécessité religieuse ou la nécessité politique. Rome n’avait plus rien à craindre en France pour sa suprématie, ni la couronne pour le maintien de son pouvoir politique. C’est le fanatisme, c’est le ressentiment des luttes passées qui a fait écraser la minorité en 1572 ; ce n’est pas la raison d’Etat.
La piété et les mœurs des réformés avaient aussi beaucoup souffert du malheur des temps. Sans être descendus jusqu’à la hideuse corruption de la cour de Catherine, sans se livrer aux désordres qui souillaient le clergé catholique, ils avaient bien perdu de la foi naïve et fervente, de la conduite austère et sainte de leurs premières années. En se subordonnant à l’esprit de parti, la religion s’était abaissée : on tenait davantage peut-être à sa secte ; on appartenait moins au christianisme.
Certains huguenots, sans cesse en armes depuis huit ans, ne savaient plus se rasseoir paisiblement sous leur toit. Ils ne se sentaient vivre, ne respiraient à l’aise que dans le tumulte des camps et l’ivresse des batailles. Aussi Coligny voulait-il les employer à faire la guerre dans le Brabant. D’autres, qui n’avaient pris qu’en passant le métier de soldat, en avaient rapporté moins d’amour fraternel et plus de soif de vengeance. L’avarice et l’ambition étaient revenues avec le reste. « Les consciences de plusieurs, dit un contemporain, commençaient à se détraquer, et il y en avaient peu qui se montrassent bien affectionnés à la religion ; mais grands et petits songeaient déjà fort au monde, et bâtissaient beaucoup de châteaux en l’air[b]. »
[b] Recueil de choses mémorables, p. 417.
Les pasteurs s’appliquèrent à guérir ces plaies avec les hommes pieux de leurs consistoires et de leurs synodes ; malheureusement la Saint-Barthélemy et les nouvelles guerres qu’elle excita ne leur laissèrent que peu de loisir pour un si grand travail.
Nous n’avons fait aucune mention des synodes nationaux qui furent convoqués après celui de 1559, parce que leurs actes ne se rattachaient point aux affaires générales, et qu’on s’y occupait exclusivement de points de discipline ou de matières particulières qui seraient aujourd’hui sans intérêt. Le deuxième synode national fut tenu à Poitiers, en 1561 ; le troisième, à Orléans, en 1562, le quatrième, à Lyon, en 1563, le cinquième à Paris, en 1565 ; le sixième à Verteuil, en 1567. Ces assemblées se montraient justement sévères sur le maintien de la foi et du bon ordre dans les troupeaux.
Le septième synode national tenu à La Rochelle au mois d’avril 1571, sous la présidence de Théodore de Bèze, fut la première de ces grandes assemblées qui ait eu lieu avec le plein agrément du roi. Elle mérite d’être distinguée des autres par son importance et la solennité extraordinaire dont elle fut entourée. La reine de Navarre, les princes Henri de Béarn et Henri de Condé, l’amiral de Coligny, le comte Louis de Nassau y assistaient, et plusieurs de ces grands personnages prirent une part directe aux délibérations, en qualité de députés des Églises.
La confession de foi de 1559 y fut sanctionnée, et ramenée à un texte uniforme : « D’autant que notre confession de foi est imprimée de différentes manières, » dirent les membres de l’assemblée, « le synode déclare que celle-là est la véritable qui a été dressée au premier synode national. » On décida d’en faire trois copies authentiques sur parchemin, dont l’une serait gardée à La Rochelle, la seconde en Béarn, et la troisième à Genève, après avoir été signées par tous les membres ecclésiastiques et laïques du synode. Les deux exemplaires du Béarn et de La Rochelle se sont perdus pendant les guerres de religion.