La trinité

B) LE TÉMOIGNAGE DU FILS

28. Le Fils rend témoignage de sa divinité en assurant qu’il connaît Dieu

Et tout aussi bien, le Fils nous fait à son sujet une déclaration non moins claire : il est Fils en ce sens tout particulier que nous signalait la voix du Père. Car l’affirmation du Père : « Celui-ci est mon fils » nous révélait la nature du Fils, et la parole suivante : « Ecoutez-le » veut dire que l’écoute de l’enseignement qui requiert notre foi, est la raison pour laquelle le Fils est descendu du ciel, puisque nous sommes invités à l’écouter nous enseigner la doctrine propre à nous assurer le salut et à laquelle nous devons donner notre adhésion de foi. De même, le Fils nous apprend la vérité de sa naissance et la raison de sa venue sur terre en ces termes : « Vous ne me connaissez pas et vous ne savez pas d’où je suis[33]. Car ce n’est pas de moi-même que je suis venu, mais il est vrai celui qui m’a envoyé, celui que vous ignorez. Mais moi, je le connais, parce que je suis d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé » (Jean 7.28-29). Personne ne connaît le Père ; le Fils nous en donne fréquemment l’assurance.

[33] Hilaire ne traduit pas littéralement. Il suit la même traduction que Tertullien dans Adversus Praxean, 22.

Or s’il nous dit que lui seul connaît le Père, c’est qu’il vient de lui.

Je me demande si, en disant qu’il vient « de lui », le Fils a voulu souligner l’œuvre de sa création ou bien la nature qu’il reçoit en sa génération. S’il s’agit de l’œuvre de sa création, toutes les autres créatures viennent également de Dieu. Comment alors toutes les choses créées ne connaîtraient-elles pas le Père, puisque le Fils qui vient de lui le connaît ? Si le Fils est créé, et non pas né du Père, on voit bien qu’il vient de Dieu puisque toutes les créatures viennent de Dieu ; mais alors, pourquoi connaît-il le Père, alors que toutes les autres créatures qui viennent de Dieu ne le connaissent pas ? Or si lui qui vient du Père, le connaît d’une manière toute spéciale, comment sa manière de venir du Père ne serait-elle pas, elle aussi, toute spéciale ? Nous n’avons plus à douter qu’il soit le vrai Fils de Dieu par essence : puisque lui seul a connu Dieu, c’est qu’il est seul à venir de lui.

Tu remarques donc chez lui une connaissance toute spéciale du Père résultant d’une génération toute spéciale. Il est du Père, non par un acte de la puissance créatrice, car tout vient de Dieu sous l’action de sa puissance créatrice, mais il en procède par la vérité de sa naissance. Par là, il est seul à connaître le Père, tandis que toutes les autres créatures qui viennent de lui, l’ignorent.

29. Il est né, et il est envoyé

Toutefois, pour que l’hérésie ne rapporte pas le fait qu’il vient de Dieu au temps de sa venue sur terre, le Christ ajoute aussitôt : « Parce que je suis d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé » (Jean 7.29).

En se disant né et envoyé, le Christ conserve l’ordre du mystère révélé dans l’Evangile ; ainsi, comme dans la phrase précédente, il nous fait connaître qui il est et d’où il vient. Car ce n’est pas la même chose de dire : « Je suis d’auprès de lui », et : « C’est lui qui m’a envoyé », tout comme il y a une nuance entre : « Vous ne me connaissez pas » et : « Vous ne savez pas d’où je suis ». Selon le simple bon sens, tout homme, bien qu’il soit né dans la chair, ne vient-il pas de Dieu ? Comment le Christ peut-il affirmer que les Juifs ignorent qui il est et d’où il est, si ce n’est parcs qu’il rapporte son origine à l’auteur de sa nature ? Si on ne le connaît pas, c’est parce qu’on ignore qu’il est Fils de Dieu.

Chicane, ô sottise affligeante, sur le sens de cette phrase : « Vous ne me connaissez pas et vous ne savez d’où je suis ». Aie donc l’audace d’avancer cette imposture : absolument tout vient du néant, du pur néant, au point que même Dieu, le Fils Unique sort du néant !

S’il en est ainsi, pourquoi donc les Juifs impies ne connaissaient-ils pas le Christ et ne savaient-ils pas d’où il est ? Car ignorer d’où il est, montre assez qu’il est de nature divine, puisqu’on ne sait pas d’où il est ; on ne saurait ignorer, en effet, ce qui sort du néant : puisque cela vient du néant, on sait d’où cela vient ! Or le Christ, celui qui vient, ne vient pas de lui-même, mais Celui qui l’a envoyé est vrai[34], lui que les Juifs impies ne connaissent pas. Voilà donc maintenant méconnu, et l’envoi du Fils, et Celui qui l’a envoyé. Or Celui qui est envoyé vient de Celui qui l’a envoyé. Et, bien qu’envoyé, on ne sait pas d’où il vient ! Et c’est justement pour cela qu’on ne le connaît pas, puisqu’on ignore d’où il procède. Il ne connaît pas le Christ, celui qui ne sait pas d’où vient le Christ. Il ne reconnaît pas le Fils, celui qui met en doute sa naissance. Et il ne comprend rien à sa naissance, celui qui s’imagine qu’il vient du néant. Mais il est loin de sortir du néant, puisque les impies ignorent d’où il est !

[34] Cf. Jean 8.26.

30. Unique parmi tous les fils

Oui, ils sont dans une parfaite ignorance, ils n’y connaissent rien, ceux qui séparent la nature divine du nom divin, ceux qui ne sachant rien, ne cherchent pas à savoir. Qu’ils écoutent donc le Fils de Dieu reprocher aux Juifs impies d’ignorer la science divine, lorsque ceux-ci prétendent que Dieu est leur Père. Il leur répond en effet : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez aussi, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je suis venu ; je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé » (Jean 8.42).

Le Christ ne condamne pas ceux qui s’appliquent, en toute bonne foi, le nom de fils de Dieu, ceux qui appellent Dieu leur Père, tout en reconnaissant le Fils de Dieu. Il reproche aux Juifs de s’approprier à la légère ce nom et de s’imaginer avoir Dieu pour Père, alors qu’ils ne l’aiment pas, lui. « Si Dieu était votre Père, leur dit-il, vous m’aimeriez aussi, car je suis sorti de Dieu ». Ceux qui croient que Dieu est leur Père, le reconnaissent Père par cette même foi qui reconnaît Jésus-Christ Fils de Dieu. Or reconnaître ce nom de Fils dans le sens général où tous les justes sont fils, est-ce là cette foi qui nous fait dire : « Il est unique parmi tous les fils » ? Tous les autres ne sont-ils pas fils, dans leur misère de créatures ? Où serait donc la grandeur de notre foi qui proclame Jésus-Christ : Fils de Dieu, si comme les autres fils, il n’était fils que de nom, sans l’être par sa nature ? Une telle incrédulité ne serait pas amour du Christ, une affirmation aussi étrangère à la foi ne saurait s’arroger Dieu pour Père, car si Dieu était le Père de ceux qui la soutiennent, ils aimeraient le Fils comme étant sorti de Dieu !

Il est sorti de Dieu

Je me demande : qu’est-ce à dire : il est sorti de Dieu ? Il n’est certainement pas possible de prétendre qu’être sorti de Dieu est la même chose qu’être venu dans le monde, car ces deux aspects sont mentionnés dans le même passage : « Je suis sorti de Dieu et je suis venu ». Et pour préciser qu’il y a d’un côté : « Je suis sorti de Dieu », et d’un autre côté : « Je suis venu », le Christ ajoute aussitôt : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé ». Par cette parole : « Je ne suis pas venu de moi-même », il nous apprend qu’il n’est pas lui-même sa propre origine, et ici encore, il atteste qu’il est sorti de Dieu et qu’il a été envoyé par lui. Mais puisqu’il nous dit que ceux qui ont Dieu pour Père doivent l’aimer parce qu’il est sorti du Père, il nous montre que sa naissance du Père a pour conséquence l’amour qu’on a pour lui. Le mot : « sortir » est en effet, employé ici pour indiquer une naissance incorporelle ; et de fait, une croyance qui reconnaît la paternité de Dieu, est tenue à l’amour de celui qui est engendré du Père : le Christ. Car lorsque celui-ci nous dit : « Celui qui me hait, hait mon Père » (Jean 15.23), ce mot : « Mon » qui souligne que ce Père lui appartient en propre, exclut la participation de tous à la relation particulière impliquée dans ce nom de Père.

Au reste, chez ceux qui déclarent avoir Dieu pour Père et n’aiment pas le Christ, celui-ci condamne cette prétention d’avoir Dieu pour Père ; car celui qui le hait, hait le Père ; il n’a pas des sentiments de piété filiale envers Dieu, le Père, celui qui n’aime pas son Fils, car si l’on aime le Fils, c’est en tant que né de Dieu. C’est donc par sa naissance et non par sa venue, que le Fils est « de Dieu », et tout amour envers le Père se doit de croire que son Fils est « de lui ».

31. Cette sertie de Dieu souligne la naissance du Fils, tandis que sa venue a trait à l’économie de notre salut

De cela, le Seigneur s’en porte garant en ces termes : « Je ne dis point que je prierai le Père pour vous, car le Père lui-même vous aime, puisque vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu et que je suis venu du Père dans le monde » (Jean 16.26-28).

Une foi parfaite au Fils se passe du besoin de son intervention nécessaire auprès du Père, car cette foi parfaite croit que le Fils est sorti de Dieu, et elle l’aime ; et de ce fait, elle mérite maintenant d’être écoutée et aimée, parce qu’elle proclame le Fils, né de Dieu et envoyé par lui. La naissance et la venue du Fils sont précisées pour nous permettre de distinguer avec la plus parfaite vérité, le sens particulier que revêtent ces mots. « Je suis sorti de Dieu », nous dit le Christ, pour que nous n’allions pas supposer en lui autre chose que la nature qui lui vient de sa naissance, puisque « sortir de Dieu », c’est exister par une naissance divine ; et qui d’autre que Dieu le pouvait ? Puis il ajoute : « Et du Père, je suis venu en ce monde ». Se déclarer « être venu du Père dans le monde » fait ressortir que cette « sortie de Dieu » a bien trait à sa naissance. La première expression regarde l’économie, la seconde appartient à la nature[35]. La « sortie du Père » ne saurait être confondue avec la « venue », puisqu’après avoir parlé de sa « sortie de Dieu », le Christ nous rappelle sa « venue du Père, dans le monde ». Venir du Père, dans le monde, et sortir de Dieu, ne sont donc pas synonymes ; il y a autant de distance entre ces expressions qu’il y a de différence entre « naître » et « être présent » puisque sortir de Dieu dans la nature attachée à la naissance divine, est tout autre chose que venir du Père dans le monde pour accomplir le mystère de notre salut.

[35] La première expression « être venu du Père dans le monde » regarde l’Incarnation du Fils ; la seconde « être sorti de Dieu » se réfère à sa naissance éternelle.

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