Sources. — M. Gœbel, Geschichte des christlichen Lebens, 2, — Tholuck, Das akademische Leben des 17. Jahrhunderts, 2, 226-239. — Herzog’s Realencyclopædie, II, 762. — Schweizer, Glaubenslehre der evangelischen protestantischen Kirche, 1844. — Gass, Geschichte der protestantischen Dogmatik, Berlin, 1857, II, 253. — Diestel, Jahrbücher für deutsche Theologie, 1865, 2 Bænde, X, 209. — Cocceii Opera, 8, Francfort, 1762.
Pendant là trop courte période de splendeur de la théologie réformée française, dont nous avons signalé les représentants les plus distingués, auxquels nous pouvons joindre Chamier et Du Plessis-Mornay, la Hollande fut le théâtre de plusieurs tentatives sérieuses contre le scolastique orthodoxe.
[Philippe de Mornay, seigneur Du Plessis-Marly, né à Buhy le 5 nov. 1549, converti à l’Évangile par sa mère Françoise Du Bec Crespin, fit ses études à Paris, et, après de nombreux voyages en Italie, en Allemagne, en Hongrie, se réfugia en Angleterre après la Saint-Barthélémy ; l’un des plus dévoués serviteurs de Henri IV, collabora à l’édit de Nantes, fut nommé gouverneur de Saumur, et mourut le 11 novembre 1623, abreuvé d’amertumes par Marie de Médicis. — Traité de l’Église, Londres, 1578 ; Traité de la vérité de la religion chrétienne, 1581 ; De l’institution de l’eucharistie, La Rochelle, 1598 ; Le mystère d’iniquité, Saumur, 1611 ; Mémoires, 1624.]
La plus célèbre, celle de Cock, ou Coccéius, présente des caractères profondément édifiants et scripturaires. Le chef de cette école florissante, Cock (Coccéius), était né à Brême en 1602, professa successivement à Brême, 1629, et à Franeker, 1636-1650, et mourut en 1669 à Leyde, où il occupait la chaire de dogmatique. Il avait fait ses études à Franeker sous l’orthodoxe Maccovius, le pieux puritain Amésius, et le savant orientaliste Amama. Ces deux derniers exercèrent une influence décisive sur l’âme tendre et pieuse de Cock, qui avait reçu dès son enfance les enseignements de l’école philippiste. Il consacra ses premiers travaux aux langues orientales, ainsi qu’à l’exégèse biblique, et étudia à Hambourg sous la direction d’un juif instruit ; les écrits de l’école rabbinique. Ces études ont exercé une grande influence sur son développement intellectuel et religieux. Elles ont imprimé à sa théologie un caractère éminemment biblique, et lui ont fait considérer la dogmatique bien moins comme un catalogue de formules arides, que comme un tableau des rapports vivants, établis par un Dieu d’amour entre lui et ses créatures. Il nous semble utile de retracer un tableau rapide de la dogmatique du dix-septième siècle, pour bien comprendre le caractère des tendances de Coccéius, et le rôle considérable qu’il joua, surtout en Hollande, dans l’évolution de la théologie réformée.
La théologie protestante, appelée à soutenir contre l’Église romaine et contre les sectes issues de son sein une lutte aussi sérieuse que décisive, devait travailler avant tout à donner à ses principes la netteté logique, l’enchaînement rigoureux des idées et la précision des formules. Il lui était indispensable d’opposer à ses nombreux adversaires le front serré et inexpugnable de ses raisonnements, et de ne laisser aucun vide, par lequel l’ennemi pût pénétrer dans la place. Cette marche lui était imposée et par la tradition scientifique du moyen âge, et par les crises extérieures du protestantisme. Cet état de transition ne devait cesser que du jour, où une philosophie nouvelle, fruit légitime et spontané du mouvement de la Réforme, viendrait se substituer à la vieille méthode scolastique. Ces considérations s’appliquent également aux deux confessions évangéliques, mais leur scolastique présente, toutefois, des nuances assez accentuées. Les deux théologies ne déploient que peu de spontanéité dans l’exposition dogmatique de l’essence divine, et se bornent à reproduire les vieilles formules. La dogmatique luthérienne s’attache de préférence aux bienfaits de Christ, et en particulier à la justification, qu’elle envisage comme le centre de l’enseignement scripturaire et retrace dans ses phases diverses, sans toutefois suivre constamment une marche bien logique, l’œuvre du salut individuel. La dogmatique réformée, par contre, prend pour point de départ les décrets divins, et envisage toute l’histoire de la rédemption au point de vue divin et objectif ; chez elle l’élément humain n’apparaît jamais dans son indépendance relative. La doctrine, dominante chez elle, de l’immutabilité de Dieu, à laquelle participent ses décrets, ne laisse aucune place pour les grandes divisions de l’histoire. Le péché originel lui-même ne sert point de base à une période spéciale et nouvelle, il n’est plus qu’un élément de l’action éternelle de Dieu, dont il réalise le plan. Ce n’est pas que Dieu pratique le mal ; il le fait agir et le transforme à ce point de vue en un élément utile et salutaire de l’ensemble des choses. Dieu demeure harmonique et un dans son essence, puisqu’au péché, éternel dans sa pensée immuable, il oppose de toute éternité Christ, agissant pour les seuls élus. Cette pensée immuable a enfin prédestiné de toute éternité, dans l’harmonique équilibre de son essence, les uns à manifester ses miséricordes et les autres à glorifier sa justice. Cette sombre théorie supralapsaire, dominante pendant de longues années en France et en Hollande, n’a pas cependant réussi à triompher des théories infralapsaires, mais, partout où elle a dominé, elle a fini (conséquence naturelle de sa systématisation rigoureuse) par ne plus envisager l’humanité que comme un immense ensemble sans personnalité, sans vie propre, sans histoire, et par ne plus affirmer qu’un ensemble inflexible de pensées divines immuables, qui ne permettent plus, grâce au dogme de la simplicité de Dieu, de distinguer sérieusement sa pensée et sa science de son action.
La scolastique luthérienne, elle aussi, n’obtient pas pour résultat de ses études une histoire réelle et complète du plan du salut se développant au sein de l’humanité, et une division logique des diverses périodes d’une évolution quinze fois séculaire. Le résidu de son travail est l’histoire du salut de l’âme individuelle, et elle envisage ce salut à un point de vue, qui lui fait placer le point central de la rédemption, non pas sans doute dans le décret éternel de Dieu, mais dans la révélation de la doctrine orthodoxe, qui est la pure doctrine. Comme cette vérité, qui procède de l’essence immuable de la divinité, est la même pour tous les temps, elle en conclut que les hommes, qui ont vécu avant l’apparition de Jésus sur la terre, en particulier les patriarches et les prophètes de l’Ancien Testament, possédaient le salut aussi bien que ceux, qui ont vécu après lui, parce que Dieu n’a pas cessé de révéler sa vérité, et que toutes les générations humaines ont possédé le principe de la nouvelle naissance avec la vraie connaissance, qui était attachée à cette révélation. Cette théorie a le double défaut de transformer l’œuvre du salut individuel en une opération purement intellectuelle, et de reposer sur la conception confuse que se sont formée les réformateurs eux-mêmes des rapports, ou des différences, qui existent entre l’ancienne et la nouvelle alliance. En effet, si nous voyons Luther exprimer souvent avec une admirable netteté ce qui sépare l’Évangile de la loi, nous pouvons constater aussi, que dans ses commentaires sur l’Ancien Testament il ne sait pas nettement distinguer les deux phases successives de la même révélation divine.
Quelle que soit la justesse de cette affirmation de la Formule de concorde, « que l’Évangile se retrouve dans l’Ancien Testament, et la loi dans le Nouveau, » on devait, toutefois, en s’en tenant aux paroles du Maître (Matthieu 11.11-12), présenter cette synthèse des deux économies dans une formule, qui ne portât point atteinte à la nouveauté providentielle du christianisme. Quand elle professait l’union des deux économies, non pas comme les catholiques, qui introduisent la loi dans l’alliance de grâce, mais en élevant l’Ancien Testament à la hauteur du Nouveau par un procédé, qui renversait les bases essentielles de la loi du développement historique, la dogmatique luthérienne voulait assurer un appui solide à son hypothèse du Christ possédé et saisi par la foi des patriarches et des prophètes. Elle pensait démontrer ainsi la volonté active et immuable de Dieu, qui embrasse d’un même regard l’histoire de tous les siècles, et pour lequel l’avenir le plus reculé est déjà présent et actuel, ce qui justifie et explique l’efficace rétroactive du sacrifice du Calvaire. Cette conception fut surtout favorisée par la théorie officielle de l’inspiration des Écritures, qui voulait découvrir dans les écrits inspirés de l’Ancien Testament toutes les vérités professées dans le Nouveau, et qui y retrouvait la pensée fondamentale des David et des Esaïe, parce qu’elle assignait à Dieu seul la rédaction de tous les livres du canon, et qu’elle voulait relever aussi l’identité immuable de ses actes et de ses pensées dans tout le cours des révélations, depuis les premières pages jusqu’aux dernières. Cette méthode empêcha la dogmatique luthérienne, malgré la supériorité de sa conception sur plusieurs points, de tracer cette histoire réelle, vivante et synthétique de l’humanité régénérée, que n’avait pas pu accomplir la dogmatique réformée.
Celle-ci, du reste, fut plus incapable encore, si possible, que sa sœur luthérienne, de saisir la distinction des deux Testaments, et sa théorie de la prédestination et de la souveraineté absolue de Dieu, seul maître tout-puissant des âmes, inspira à sa théorie un caractère exceptionnel de légalité.
En se plaçant à ce point de vue et en saisissant avec netteté le courant dominant des idées des contemporains, nous comprendrons les mérites exceptionnels de Coccéius, et nous saurons lui rendre justice tout en signalant ses imperfections et ses lacunes.
Les principes de Coccéius sont bien au fond ceux de la théologie réformée ; comme elle, il a introduit beaucoup trop d’éléments chrétiens dans l’Ancien Testament. Il se distingue, toutefois, de la scolastique de son temps par sa piété profonde et scripturaire, et par les principes philologiques de son exégèse. Son principe fondamental n’est pas, comme on le répète communément, que les paroles ont tous les sens que comporte la grammaire, ce qui se rapprocherait de la théorie du triple et du quadruple sens, mais plutôt que l’on doit se régler en thèse générale d’après le contexte et d’après l’ensemble des révélations de Dieu dans sa Parole. Cette théorie lui permettait d’accorder une libre carrière à ses conceptions particulières et à son érudition profonde. Comme les dons accordés par Dieu sont divers, dit-il dans sa Somme théologique, les uns comprennent et saisissent un côté des Écritures, qui échappe aux autres. L’Écriture renferme ainsi des sens multiples qui ne sont pas, cependant en opposition avec la simplicité du sens littéral, puisqu’ils ne sont que les éléments d’une vérité supérieure. Cette méthode permettait sans doute, au point de vue de la forme, de constituer une théologie biblique, dont l’ensemble, systématique était emprunté aux livres saints eux-mêmes. Toutefois, on devait se demander quel était le point central, vers lequel venaient converger toutes les lignes ? Cette question nous amène à étudier les éléments constitutifs de sa théologie biblique qui devait, à ses yeux, prendre la place de la dogmatique.
Le principe central des Écritures est pour Coccéius celui de l’alliance. Il ne se contente pas de placer le salut dans le décret éternel de Dieu et de ne tenir que peu de compte de son action historique sur le monde. Tout, au contraire, son principe de l’alliance repose éminemment sur le terrain de l’histoire et sur l’intervention active de Dieu, et peut revêtir dans le cours des âges les formes les plus multiples. La profondeur et la variété des enseignements scripturaires sont rendues bien plus accessibles à l’intelligence par cette conception historique, qui remplace avantageusement la notion abstraite des décrets insondables de Dieu. Bien qu’il n’ait pas su saisir encore avec netteté la loi de l’évolution des révélations divines, parce qu’il ne fait pas assez intervenir l’élément humain dans le développement de l’œuvre du salut, il n’en a pas moins brisé par sa conception de l’alliance l’immobile métaphysique des décrets divins, et son point de vue infralapsaire lui permet de concevoir un Dieu qui, dans, ses rapports avec l’humanité déchue, se détermine d’après les besoins multiples de ses créatures.
Des travaux récents ont établi, il est vrai, que longtemps avant Coccéius, Hypérius, Olivian, Raphaël Eglin (né à Zurich, en 1559, mort professeur à Marbourg en 1622), avaient exposé dans leurs écrits la théorie de l’alliance. Mais cette théorie ne pouvait s’appliquer chez les calvinistes rigides qu’aux rapports de Dieu avec l’homme, et la négation de la liberté leur interdisait d’admettre la réciprocité. Le péché lui-même n’apportait aucune perturbation dans cette attitude de Dieu vis-à-vis de l’humanité, puisqu’il n’était que la conséquence nécessaire de ses décrets éternels de salut du petit nombre et de la damnation de la masse. Eglin, il est vrai, prend plus au sérieux l’idée de la grâce, et s’efforce de lui imprimer un caractère universaliste, mais Coccéius est le premier, qui ait donné à ce principe tous les développements qu’il comporte et qu’il mérite.
La dogmatique se transforme pour lui en une histoire des relations entre l’homme et Dieu. Il n’en cherche pas la base dans la conscience croyante des chrétiens, mais dans l’Écriture, principe formel, dont l’esprit doit accepter les enseignements et se nourrir, pour parvenir à saisir dans leur ensemble et dans leur enchaînement les rapports de Dieu avec l’âme, et à reproduire cette histoire divine dans sa propre vie. C’est chez Coccéius que nous voyons apparaître pour la première fois dans l’histoire de l’alliance un élément d’évolution et de progrès. Les éléments de changement dans la pensée divine, qu’il a laissés se glisser dans l’exposition du péché originel, tendent également à reparaître sur plusieurs autres points.
Il est vrai que, comme nous l’avons déjà remarqué, il ne peut pas saisir la distinction, qui existe entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Toute la période postérieure à la chute constitue pour lui, comme pour toute son école, une seule période de grâce. Coccéius professe encore le principe, que le croyant doit rechercher dans l’Ancien Testament lui-même toutes les intentions miséricordieuses du Père de notre Seigneur, qui demeure immuable, et pour lequel il n’y a ni passé, ni avenir. Aussi pour lui toute l’histoire de l’ancienne alliance n’est-elle qu’une succession de types et de prophéties de l’histoire de Jésus. Il ne comprend pas le rôle providentiel de la loi dans le développement religieux de l’humanité, et ne saurait admettre des révélations progressives de Dieu dans les évolutions successives de l’ancienne alliance. Il ne sait pas comprendre que Dieu, du moment où le péché a rendu impossible le salut de l’homme par ses œuvres, peut vouloir autre chose que le salut de l’humanité dans toutes ses dispensations, même dans celle de la loi. A ses yeux la conception de la loi du sabbat, des institutions cérémonielles, et du Décalogue lui-même comme un service de l’homme et un commandement de Dieu, n’est pas autre chose que le fruit du peu de foi des Juifs, qui n’ont pas su y reconnaître l’alliance immuable de grâce, qui succédait à l’alliance des œuvres. Coccéius a, sans doute, subi sur ce point l’influence de l’opposition rigoureuse établie par les premiers réformateurs entre les œuvres et la grâce, la loi et l’Évangile. Nous la retrouvons, en effet, dans sa théorie de l’alliance de grâce, qui succède immédiatement au péché d’Adam, et qui, dit-il, anéantit et abroge l’alliance des œuvres, compromise sans doute par l’homme, sans que pourtant Dieu eut cessé pour cela d’exiger l’entier accomplissement de sa loi. L’histoire sainte tout entière, jusqu’à la venue de Jésus-Christ, a donc en vue d’amener insensiblement l’abolition normale de l’alliance des œuvres et l’affranchissement moral de l’homme, qui est devenu impuissant à en exécuter les engagements, et cette œuvre, ainsi préparée et mûrie, reçoit son parfait accomplissement dans le sacrifice expiatoire de Jésus-Christ et dans les scènes du jugement dernier. Le contre-poids de l’abolition progressive de l’alliance des œuvres se trouve dans l’épanouissement progressif de l’accomplissement de la loi de la justice, réalisée par Jésus-Christ et embrassée par la foi. Tous les éléments préparatoires de la venue de Jésus-Christ, renfermés dans l’ancienne alliance, se transforment en types prophétiques de sa personne, types acceptés par la foi, et auxquels Dieu a attaché par avance quelques-unes des grâces de l’économie chrétienne. En vertu de l’alliance contractée de toute éternité entre le Père et le Fils, celui-ci peut déjà, des siècles avant la réalisation historique du plan éternel de la rédemption, faire participer les croyants de l’ancienne alliance, sinon au pardon absolu et sans réserve de leurs péchés, du moins à la patience divine, fruit de cette expiation anticipée (Romains 3.25 ; Hébreux 10.18). Coccéius envisage la loi comme le type de la grâce divine, et les sacrifices cérémoniels comme autant de billets tirés par les Israélites sur la grâce future, billets, qui sont arrivés à échéance le jour, où Christ s’est écrié sur la croix : Tout est accompli.
Toutefois les théologiens d’une orthodoxie rigide, tels que Spanheim et Marésius, ne purent envisager qu’avec répugnance ces faibles distinctions, établies entre les deux économies, et auxquelles Coccéius avait cru devoir donner quelques développements. Ils lui reprochèrent son exégèse allégorique et typique, l’accusèrent d’obscurcir la majesté de l’Ancien Testament, de transformer en des degrés distincts et progressifs de l’assimilation du salut ce qui n’est que la manifestation, diverse seulement quant au temps, mais identique, d’un seul décret divin, immuable comme l’essence même de Dieu, à laquelle, ajoutaient-ils, Coccéius portait l’atteinte la plus grave. On doit reconnaître la justesse de cette observation, en ce qui touche aussi la distinction profonde établie par lui entre l’alliance des œuvres et l’alliance de la grâce, mais on doit lui en faire un mérite, vis-à-vis de ses adversaires orthodoxes, tout en faisant certaines réserves. Ces réserves sont motivées, car, à première vue, le système de Coccéius semble établir deux voies du salut, conduisant toutes deux au même but, bien que l’une d’elles possède seule Christ, ce qui ébranle la base même de l’unité du plan divin. Coccéius lui-même a reconnu avec raison que l’alliance des œuvres, qui embrasse la loi morale naturelle et la condition primitive de l’humanité, renfermait encore quelques imperfections, et son système aurait été mieux pondéré si (en s’éloignant, il est vrai, davantage, des formules orthodoxes) il avait su ramener ces deux alliances au point de vue unique d’une révélation religieuse progressive, s’il avait su, à l’exemple des apôtres, saisir dans la loi naturelle et dans le premier Adam des affinités intérieures avec le second Adam, dont l’obéissance réalise l’accomplissement parfait de la loi.
L’école coccéienne, qui s’affirma avec énergie jusqu’au dix-huitième siècle contre Spanheim, Voétius, Marésius, Pierre de Maestricht et autres, dans une pléiade d’hommes très distingués, tels que : Heidan, Burmann, Momma, Van der Wagen, Braun, Guertler, Campésius Vitringa, Herrmann Wilsius, Sal. Van Til, développa les principes exposés par son chef, tout en les dégageant de leurs nombreuses superfétations subtiles et fantaisistes.
[Fr. Burmanni Synopsis theologiæ et speciatim œconomiæ fœderum Dei. Ab initio sæculorum usque ad consummationem, 1651, in-4°, 21., 1681. Momma, De varia conditione et statu ecclesiæ Dei sub triplici œconomia patriarcharum ac Testamenti Veteris ac denique Novi, 1673, 21. Ab. Heidani Corpus theologiæ christianæ in XV locos distributum, 2 v., 1688. Herrmann Witsius, De œconomia fœderum libri IV, 1677. Ses Exercitationes sacræ in symbolum quod apostolicum dicitur, 1681. Miscellanea sacra, 2 t., 1695. Sal. van Til. Isagoge ad scripta propheticæ, 1704, trad. 1699 ; Vitringa, Typus doctrinæ propheticæ, 1708. Commentarium in libros prophetæ Iesaiæ, 2 t. in-f., 1714, constituent une école prophétique sérieuse. Witsius, Van der Wagen et les trois derniers théologiens cherchèrent à se rapprocher de l’orthodoxie, dont ils abandonnèrent la méthode scolastique, et qui, elle aussi, montra, après des luttes violentes, des dispositions plus pacifiques à l’égard de la théologie des alliances. Leydecker chercha à faire découler les trois économies des trois personnes de la Trinité.]
François Burmann est incontestablement le représentant le plus distingué de l’école coccéienne, aux principes de laquelle il a su donner une forme définitive. Dans sa tractation des deux économies, il laisse subsister à leur base la grâce et la foi. Selon lui, la loi et les cérémonies rituelles datent de Moïse, et ont eu pour but de préparer l’avènement définitif du christianisme. L’évolution progressive de l’alliance de grâce dans son développement historique, embrasse les trois périodes, que parcourt le royaume de Dieu jusqu’à Jésus-Christ, la période de la sainte famille, la période théocratique, et la période qui constitue une Église de tous les peuples de la terre sous la bannière commune d’une même foi. L’Église a reçu de Dieu pendant ces trois périodes des révélations spéciales et des sacrements particuliers. L’alliance de grâce embrasse donc en réalité trois périodes, qui ont part toutes les trois à la promesse : la période des patriarches, la période de l’économie mosaïque, et la période chrétienne. L’école de Coccéius a su reconnaître la valeur historique de l’économie mosaïque, constater les progrès accomplis par l’humanité depuis la chute jusqu’à Jésus-Christ, et asseoir sur une base solide la distinction, qu’elle a établie la première entre les deux périodes de l’activité de Jésus-Christ, gage, puis dispensateur du salut. Il n’en est pas moins vrai que l’Évangile n’occupe qu’une place secondaire dans l’alliance éternelle de grâce. Burmann a su donner de l’alliance de la nature, ou des œuvres, une définition qui, tout en admettant la conscience innée, que l’humanité possède de Dieu, n’en établit pas moins la nécessité d’une révélation positive. Cartésien en philosophie, il a cherché à concilier la théorie supralapsaire avec la théologie des alliances.
Un grand nombre de théologiens, et parmi eux plusieurs coccéiens, purent adopter la philosophie cartésienne, grâce à leur conception de l’alliance des œuvres, qui fut aussi appelée l’alliance naturelle. Il est vrai que cette première alliance fut, à l’origine, assignée à la seule intervention surnaturelle de Dieu, qui communiquait à l’homme, par sa grâce toute-puissante, la faculté de le connaître et pouvoir d’accomplir le bien ; il est vrai aussi que l’on enseigna les graves atteintes, que le péché lui avait infligées. Toutefois, on ne put s’empêcher d’affirmer l’identité de l’être spirituel, avant comme après la chute. Cette affirmation s’appliqua surtout à l’élément intellectuel de la nature humaine, et permit à plus d’un coccéien de se rattacher aux principes de Descartes. N’enseignaient-ils pas, en effet, que la loi de la conscience, qui était un des éléments constitutifs de la nature pure et primitive de l’homme, était restée debout après la chute ? que la loi mosaïque n’avait fait que transformer en un code objectif et obligatoire un sentiment instinctif à l’origine ? N’y a-t-il pas, enfin, une grande analogie entre la conception de la connaissance innée de Dieu, et la théorie cartésienne des idées innées ? Les coccéiens enseignent aussi que l’âme, en tant que puissance pensante, a été créée directement par Dieu, auquel elle est rattachée par une union d’essence. Elle est donc distincte aussi, par essence, de la substance étendue, qui est la matière, et il en résulte que la corruption, fruit du péché, qui se propage de génération en génération par l’organisme matériel, ne saurait pénétrer réellement la substance spirituelle de l’âme. Heidan s’aperçoit combien cette théorie ébranle et compromet le dogme du péché originel, et cherche à obvier au danger en montrant que l’âme est bien personnellement unie au corps dès l’origine, et en affirmant que la théorie, qui admet que l’âme d’Adam n’a pas été, dès le début, unie étroitement à Dieu dans les domaines de la connaissance, et surtout de la volonté, aboutit nécessairement au pélagianisme et à la puissance accordée à l’homme de se sauver lui-même par ses œuvres. Malgré ces réserves, comme l’âme humaine, à moins de cesser d’exister et de perdre son identité, devait conserver, après la chute, la communion dont elle jouissait dès l’origine avec Dieu, la théologie naturelle put revendiquer une large place à côté de la théologie révélée. Sal. Van Til publia, dans ce sens, un manuel de théologie naturelle et de théologie révélée (1704), dans lequel il subordonnait toutefois la première à la seconde. Quelques théologiens poussèrent plus loin que lui les conséquences de ce premier principe. Nous aurons à revenir bientôt sur l’influence décisive exercée par le cartésianisme sur le principe formel de la théologie réformée, et sur les rapports établis par elle entre les lumières naturelles de la raison et les saintes Écritures. Par contre, son influence sur le principe matériel n’a été que fort restreinte.
L’école coccéienne a miné profondément les bases du dogme calviniste de la prédestination. Elle ne laisse, en effet, aucune place pour la conception dualiste d’un double décret d’élection et de réprobation. De plus, l’alliance primitive qu’elle établit entre l’humanité et Dieu présente un caractère manifeste d’universalité. Elle dépasse même de beaucoup le point de vue infralapsaire, si elle obéit aux lois de la logique, puisqu’elle croit possible la conciliation entre la volonté immuable de Dieu et les formes si multiples et si variées, que revêt son alliance dans les diverses phases de son développement historique. Car comment expliquer les diverses attitudes de Dieu à l’égard de l’homme autrement que par son désir paternel de tenir compte de leur développement et de leurs besoins ? S’il est vrai que Dieu se laisse dominer tellement par ce désir, qu’il transforme sans cesse, dans ce but, les plans de sa providence, la théologie des alliances doit nécessairement aussi être amenée à subordonner ses décrets à la liberté humaine, qui, assurément, ne porte pas plus atteinte à l’immutabilité de ses desseins que les diverses alliances qu’il contracte lui-même successivement avec l’humanité. Pierre Poiret a introduit ce nouveau point de vue dans son exposition du système des alliances. Dans sa réaction contre saint Augustin, il maintient l’universalisme de la grâce, même après la chute, et ne voit, dans la multiplicité des alliances de la part de Dieu, que son désir paternel de provoquer sans cesse, par de nouvelles dispensations, l’homme au repentir. La théologie n’entend attaquer que l’immutabilité et l’absoluité des décrets divins et continue à enseigner l’action particulière de l’élection.
Remarquons toutefois que l’immutabilité de l’essence divine ne s’oppose plus à l’action universelle de la grâce dans cette théorie, qui sape aussi à la base, par sa notion de l’alliance universelle des œuvres, l’idée d’une révélation exclusive de la justice et de la grâce divines. La théorie coccéienne choque donc bien plus encore que le prédestinatianisme le plus grossier, car, comment ne pas protester contre la notion d’un Dieu qui, sans être contraint par la loi de son être et en dépit de l’élasticité et de la succession rapide de ses nombreuses alliances, ne laisse, par un pur acte d’arbitraire et de caprice, participer que le plus petit nombre à la grâce offerte à tous, et qui repousse tous les autres humains, sans qu’ils soient pour cela plus coupables, en les associant à l’alliance de culpabilité de toute la race, solidaire de la faute du premier homme, sans les faire participer par la foi à l’alliance de grâce, qui découle du second Adam jusqu’en vie éternelle ? Samuel Pufendorff[a] a compris le côté faible de cette théorie, et a démontré qu’une alliance qui ne tient aucun compte de la liberté humaine, et ne lui accorde, en réalité, aucune place, mais fait, en dernière analyse, dépendre le salut de l’homme de la nécessité fatale et inflexible du décret d’élection, n’est, en fait, qu’un mot vide de sens. Coccéius et son école, tout en ne concédant pas ce dernier point, repoussent formellement le décret de réprobation. Sans combattre directement et de face les canons de Dordrecht, Coccéius réussit à éviter les angles aigus et les aspérités du dogme prédestinatien, s’appuie sur une conception plus vivante de l’histoire sainte, et donne naissance à une tendance, qui saura insensiblement oublier et repousser même les théories supralapsaires. Il a rendu ainsi à l’Église un service sérieux et durable.
[a] Samuel Pufendorff, Jus feciale dirinum, sive de consensu et dissensu protestantium, 1695, p. 243 sq.
La théologie des alliances a porté un coup décisif au prestige d’Aristote, et lui a substitué le goût des études orientales et bibliques. Elle a imprimé par là un vif élan à la science religieuse et a favorisé l’étude des livres du canon, tout en leur donnant un caractère fâcheux d’arbitraire individuel. Elle se borne à exposer dans sa liaison intérieure et profonde le développement harmonieux et progressif de l’œuvre du salut, et, pas plus que la scolastique protestante, ne sait découvrir le lien intime et vivant qui relie les vérités objectives et historiques des Écritures, aux sentiments et aux aspirations de l’âme individuelle. Nous sommes aussi éloignés que jamais du principe vivant de l’âge héroïque de la Réforme, et il ne s’agit plus que de la simple foi historique, qui accepte le témoignage d’une autorité extérieure sans point de contact avec l’âme du fidèle. Nous pouvons y joindre l’absence de rigueur systématique et de définitions précises, qui voilent l’inconséquence de l’ensemble, et la répétition du même axiome, qui rend à la longue la théologie des alliances aussi monotone que la scolastique elle-même. Il n’y a là ni mouvement, ni vie. L’école orthodoxe des Voétius, des Marésius, des Spanheim, des Hoornbeck, eut, dans une certaine mesure, raison de lutter contre les prétentions croissantes de la tendance coccéienne. Elle poussa toutefois la réaction à l’extrême et en vint à persécuter ses adversaires, dont l’influence n’avait fait que grandir, de 1650 à 1670.
L’Église réformée de Hollande semblait menacée d’un nouveau schisme, plus sérieux et plus redoutable que le premier. L’intervention des Églises rhénanes contribua puissamment au maintien de la paix. La réconciliation fut rendue plus facile par les travaux d’une génération nouvelle, qui chercha à fondre dans une synthèse supérieure les principes de Coccéius et de Spanheim. Il fut d’usage, dans les universités hollandaises, de donner à un coccéien la chaire d’exégèse, et à un disciple de Voétius la chaire de dogmatique, et on leur adjoignit bientôt, pour celle de théologie pratique, un disciple de Lampe[b], et cette tradition s’est maintenue jusqu’en 1820. Mais ce qui contribua surtout à rapprocher les deux tendances rivales, fut l’apparition de l’école cartésienne, qui se substitua rapidement à l’école de Ramus, tombée bientôt dans l’oubli. Cette nouvelle philosophie, bien qu’elle combattit à outrance la scolastique, insistait, comme la vieille orthodoxie, sur la netteté et la rigueur des formules. Elle cherchait aussi, comme l’école coccéienne, à renverser de son piédestal la théologie autoritaire, moins encore par les procédés d’une spéculation abstraite que grâce à l’assimilation individuelle des vérités religieuses par la méthode philosophique.
[b] Lampe, disciple de Vitringa, partisan du piétisme, né à Detmold, a joué un grand rôle dans les premières années du dix-huitième siècle.
Descartes exerça en Hollande une influence sérieuse dès le milieu du dix-septième siècle. La libre république avait été, pour le philosophe français né au sein de l’Église romaine, une véritable patrie d’adoption. Ses premiers disciples furent Heidan de Leyde, et le gendre de celui-ci, Burmann, professeur dans l’université orthodoxe d’Utrecht, auxquels se joignit bientôt toute une école, Wittich, Braun, Allinga et autres. L’orthodoxie calviniste rigide réussit cependant à exclure le cartésianisme des chaires de la Hollande, de Berne, de Harbourg et d’Herborn.
[Seule l’université de Duisbourg put s’approprier librement les principes de la philosophie cartésienne. Elle compta au nombre de ses professeurs le cartésien Clauberg, pour lequel le grand Leibnitz éprouvait une rive sympathie.]
Le principe cartésien de la nécessité du doute pour parvenir à la connaissance de la vérité provoquait surtout son antipathie et ses colères. Descartes ne voulait pas transformer le doute en un but définitif de la pensée, comme le fit Bayle plus tard. Ce doute devait être pour l’âme un cordial énergique, destiné à lui assurer la possession plus profonde et plus personnelle de la vérité, mais il ne pouvait que déplaire à la méthode scolastique. Le doute, transformé en une puissance de l’âme et en un élément constitutif de la science, pouvait faire naître l’athéisme et l’incrédulité ; il pouvait également amener l’âme à s’en tenir simplement à l’autorité extérieure, et devenir un argument plus agréable au catholicisme qu’au principe protestant. Descartes, du reste, ne se proposait nullement de ramener les âmes indécises dans le giron de l’Église catholique, en leur enlevant tout autre appui. Ce qu’il voulait surtout, c’était de conduire le doute à la science rationnelle par le moyen des idées innées. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’il ait donné au sein de l’Église réformée une impulsion puissante aux études et aux travaux de la théologie naturelle. La théorie des idées innées, qui dépassait de beaucoup le travail formel de la raison, pouvait fournir des arguments à la critique de la révélation historique et aboutir à une fin de non-recevoir à son égard.
Toutes ces conséquences furent développées plus rapidement, grâce aux conceptions particulières des théologiens, qui se rattachèrent à la philosophie de Descartes. Wittich, Braun et Burmann, d’accord avec Descartes, plaçaient l’essence de l’esprit dans la pensée et transformaient ainsi la christologie tout entière. Si la pensée constitue l’essence divine, il en résulte que c’est par la pensée seule que peut s’accomplir l’union de Dieu avec l’humanité. Cette union se réalise, par le fait que les deux substances dans leurs actes et dans leurs souffrances forment une personne composée, qui constitue en elle-même l’unité supérieure[c]. Voici comment cette union se réalise : la substance divine et la substance humaine se révèlent mutuellement leurs pensées, se déterminent et s’accordent, pour constituer une unité vivante. Marésius et Pierre de Maestricht écrivirent contre ces opinions nouvelles. L’application du dualisme établi par Descartes entre la substance spirituelle et la substance matérielle au dogme des esprits et des démons fit plus de bruit encore. S’il est vrai, en effet, que l’esprit, en vertu de sa substance même, ne peut avoir aucun rapport avec la matière, on ne saurait admettre la possibilité d’une action de l’esprit sur la matière et de la matière sur l’esprit. Cette théorie attaquait indirectement le dogme du péché originel ; Balthasar Bekker[d] y puisa ses principaux arguments contre la théorie orthodoxe des possessions démoniaques rapportées par le Nouveau Testament. Les démoniaques n’étaient à ses yeux que des fous religieux. La Bible n’enseigne jamais d’une manière positive l’existence du diable, elle ne fait que s’accommoder aux opinions reçues, car elle se propose bien moins de nous faire des cours de médecine et d’histoire naturelle, que de nous révéler la gloire de Dieu et la source de notre bonheur. Nous ne voyons pas encore apparaître dans la théologie de cette période quelques-uns des axiomes de Descartes, qui préparent le spinosisme, tels que ceux-ci : Dieu est en réalité la seule substance véritable ; en dehors de lui tout est périssable et passager. — Il n’y a que des causes agissantes, et non des causes providentielles. Le monde matériel n’est qu’une grande machine inusable et sans cesse en mouvement, dont Dieu n’est que le premier moteur — ce qui exclut toute idée de miracle, puisque l’automate, une fois remonté, doit marcher toujours.
[c] Voir mon histoire de la christologie, II, 899-901.
[d] Né dans la Westfrise, 1634, mort en 1692. Voir son Mundus fascinatus en trois volumes, traduit par Schwager, avec des notes de Semler, 1781-82.
Il est surtout dans l’apparition de la philosophie cartésienne un point particulier, qui a exercé une influence décisive sur tout le mouvement ultérieur de la théologie, nous voulons parler de l’attitude de ses partisans vis-à-vis de la révélation extérieure et de toute autorité objective. En effet, le dualisme établi par les cartésiens entre l’esprit et la matière, supprime la possibilité de toute influence du monde sensible sur l’esprit, et cette conséquence extrême est développée dans la théorie des causes occasionnelles de Geulinx. Il en résulte que les éléments extérieurs des saintes Écritures, des sacrements, de la personne de Christ, perdent eux aussi toute efficace. L’Esprit de Dieu ne peut plus agir sur l’esprit de l’homme que d’une manière indirecte et incidente. Le système des causes occasionnelles ne fait en réalité que fournir la formule philosophique du dualisme, vers lequel les théologiens protestants inclinent sur plus d’un point. Le cartésianisme cherche et peut trouver une prise sur la théologie réformée, en rattachant les axiomes éternels, même ceux de la logique et des mathématiques, à la liberté absolue et toute puissante de Dieu. Burmann adopte ce principe, sans s’attirer toutefois les reproches des orthodoxes, et dit que Dieu aurait pu faire, en vertu de sa toute-puissance, que deux fois trois ne fissent pas six.
[L’arminien Limborch attaque vivement cette théorie. A ses yeux les vérités logiques et mathématiques sont immuables. Il n’en est pas moins vrai que les arminiens appliquent ce même principe aux vérités morales. C’est ce que nous avons déjà démontré. Cette théorie de Descartes nous prouve combien, en dépit de ses principes anticatholiques, il subit encore l’influence de son éducation première et des conceptions de la scolastique du moyen âge sur la Divinité. Nous croyons être dans le vrai, en retrouvant aussi, bien qu’à un autre point de vue, dans le système prédestinatien absolu, un reflet des théories du moyen âge sur Dieu et sur sa toute-puissance. Par contre, on ne doit pas admettre l’accord apparent, qui semble exister entre la prédestination calviniste et le déterminisme de Spinosa. La théologie réformée, en accentuant le principe de la nécessité, n’entend nullement lui assujettir Dieu, mais ne veut que soumettre simplement l’homme, en tant que créature, à la puissance libre et absolue de son créateur. Aussi les orthodoxes calvinistes ont-ils avec raison repoussé avec énergie ce reproche, que leur adressaient leurs adversaires arminiens.]
Il n’en résulta pas, cependant, une transformation sensible de la théorie réformée sur ce point, mais il n’en fut pas de même pour la théorie des rapports entre la raison et la révélation. La raison, rendue orgueilleuse par les travaux de Descartes et de Spinosa, jugea indigne d’elle la soumission absolue à l’autorité extérieure de l’Écriture et de l’Église, que l’orthodoxie exigeait de tous les disciples de Jésus. Sa protestation fut d’autant plus énergique, qu’on ne lui avait, en réalité, assigné aucune place dans le domaine théologique.
La foi, pour les théologiens du dix-septième siècle, n’était plus ce qu’elle avait été pour les pères de la Réforme, la détermination chrétienne de là raison. Il ne s’agissait plus pour eux d’opposer la raison chrétienne à la forme inférieure de la raison naturelle, obscurcie par le péché. La raison était en dehors de la foi, on la considérait généralement comme une puissance étrangère, même hostile, appelée à être tout ou rien. Alexandre Roël entre le premier résolument dans cette voie. La raison, dit-il, est en elle-même infaillible, comme Dieu, elle constitue en chaque homme une parole de Dieu innée, avec laquelle doit s’accorder la révélation écrite. Cette dernière prête à plusieurs interprétations, et ses affirmations ne font pas naître une certitude absolue dans l’âme, tandis que la raison renferme en elle-même la certitude des vérités qu’elle perçoit. Aussi ne doit-elle pas se borner à expliquer les saintes Écritures ; il faut encore qu’elle établisse la vérité de la parole de Dieu, qui y est renfermée.
[Toutefois il demande que l’on surveille la raison, pour qu’il ne s’y introduise pas des éléments étrangers. Bien que comme Descartes il n’envisage pas la raison comme la simple faculté de penser, mais comme une puissance tout armée d’idées innées, il n’en vient pas moins à admettre un enchaînement de la raison dans la réalité, enchaînement, qui aurait dû lui inspirer des doutes sérieux sur la valeur des données de la raison pratique. Voir Scholten, De leer d. hervomde Kark in hare Grondbeginselen, 2 th., 1850,1, 267.]
Louis Meyer donne à ce principe une portée plus grande encore. A ses yeux la raison est l’analogie même de la foi, qui est appelée à ramener les saintes Écritures à son principe, même au prix de l’interprétation allégorique.
[Philosophia Scripturæ interpres, 1666. Wolzogen, De Scripturarum interprete. Wolzogen présuppose l’origine divine et la vérité des saintes Écritures. Mais ce que la raison nous révèle clairement, constitue la vérité, et ne saurait contredire l’enseignement scripturaire. Aussi toute contradiction apparente repose-t-elle sur une fausse exégèse. Par contre, dans l’exposition des mystères de la Trinité et de la personne de Christ, il est contraint d’invoquer la seule autorité des Écritures ; la soumission implicite de la raison est rendue plus facile par l’argument de la probabilité. Il substitue ainsi au témoignage du Saint-Esprit un mélange confus de raison et de foi d’autorité. Meyer procède de même.]
Henri Hulsius, de Duisbourg (1684-1723), fils de l’adversaire de Descartes, Antoine Hulsius, de Leyde, développe au point de vue rationaliste la théologie des alliances, et demande dans ses Principes de la foi, 1688, que l’on substitue au témoignage du Saint-Esprit les arguments rationnels comme base unique de la foi. En fait il identifie la raison naturelle avec la raison pure ; sa théorie des idées innées ne tient que peu de compte des ravages du péché, et admet tout au plus un développement dans l’âme de la conscience des trésors de vérité qu’elle possède, c’est-à-dire à l’origine la simple ignorance d’une enfance plus ou moins prolongée. Roël refusait aussi d’admettre l’imputation du péché d’Adam. Aussi Tucker s’abusait-il lui-même, en cherchant à démontrer par des arguments rationnels l’autorité des saintes Écritures à la raison. Le traité théologico-politique de Spinosa exerça dans le même sens une influence décisive[e].
[e] Tholuck, Das kirchliche Leben des 17. Jahrhunderts, 2, 31.
Nous devons pourtant reconnaître, que les vrais principes de la Réformation trouvèrent encore plus d’un défenseur. Le juriste Huber refuse d’appuyer sur la raison l’autorité de l’Église aussi bien que la vérité des saintes Écritures, et ne veut faire procéder la certitude que de la seule lumière, que le Saint-Esprit répand dans l’âme du fidèle.
[De même la faculté de Bâle (Jean Buxtorff, J. Wettstein et Gernler) déclare dans le Syllabus controversarium, 1662, que : la foi a un actus directus, qui fait naître la certitudo objectiva, mais elle possède aussi un radius reflexus in se ipsum, importans subjectivam certitudinem in ipso credente.]
Jean Melchioris, professeur à Herborn en 1676, s’exprime plus heureusement encore. Il montre que l’Église réformée prend pour principe fondamental bien moins la foi dans la divinité de la Bible, que dans la vérité des enseignements qu’elle renferme, enseignements qui servent de point de départ aux arguments en faveur de l’autorité des Écritures elles-mêmes. Christ, qui est le centre de toutes les révélations, se communique et se donne à la conscience, qui accepte avec lui l’enseignement scripturaire, qui le renferme. La foi repose sur le sens, sur le tact de la conscience, qui lui permet de trouver une base solide pour la théologie rationnelle, qu’il réclame. Dans les questions qui intéressent notre salut éternel, nous devons nous laisser guider par la vérité intrinsèque des enseignements eux-mêmes. Le Saint-Esprit ne fait pas naître sans doute dans l’âme une puissance nouvelle d’aperception, mais il la purifie pour lui permettre de se prononcer bien moins en vertu de sa conviction instinctive que de l’action vivante de la conscience. Melchioris cherche à distinguer nettement cette certitude de la foi de la lumière intérieure des fanatiques et des enthousiastes. Seule la vérité calme et rassasie l’âme, développe dans le fidèle l’activité sérieuse de la raison, et s’affirme elle-même à la conscience, qui est prédestinée à la comprendre et à la recevoir. Le fait capital que Christ est notre salut suffit à la foi, mais l’Église doit exiger de ses membres une confession plus développée.