Une année de prière. — Revue des réunions. — Anniversaire de l’ouverture de Fulton Street. — Réveil extraordinaire. — Un meurtre et un suicide évités. — Le pécheur sauvé.
Au moment de terminer cette courte et incomplète esquisse de l’histoire de nos réunions, il sera utile de jeter un coup d’œil sur tout le champ que nous avons parcouru, et d’admirer les merveilles opérées par la grâce et par l’amour du Rédempteur. Je sens tout ce que cette histoire a d’imparfait, surtout en ce qu’elle ne fait aucune mention spéciale d’un grand nombre d’autres réunions et de séries de réunions qui ont été tenues aussi bien dans cette ville que dans beaucoup d’autres, et dont j’eusse été très heureux de parler. L’année 1858 sera une année mémorable dans l’histoire de la cité de New-York, à cause de ces réunions mixtes de prière.
Au nombre des plus productives en bons fruits, se trouve celle qui fut tenue pendant plusieurs semaines dans l’église réformée hollandaise, située dans Ninth Street (D.r Van Zandt), et qui finit par être tenue, à tour de rôle, par plusieurs églises de diverses dénominations, dans la partie supérieure de la ville, à l’heure de midi. Un grand nombre de pasteurs s’y rendaient au milieu d’un immense concours de peuple. Les samedis, on y invitait tous les enfants que l’on supposait capables de comprendre la vérité, et l’on priait particulièrement pour eux, accompagnant ces prières d’exhortations et d’instructions aussi affectueuses que pressantes.
A l’une de ces réunions, tenue dans la première église presbytérienne (D.r Phillip), nous avons trouvé des pasteurs appartenant à presque toutes les dénominations évangéliques. Le D.r Gillette, de l’église baptiste, occupait la présidence, et le vaste auditoire qui remplissait à midi cette maison tout entière était animé de l’Esprit d’amour et de prière.
On tenait aussi beaucoup d’autres réunions à tour de rôle, tantôt dans une église, tantôt dans une autre, jusqu’au moment où les chaleurs de l’été obligèrent les familles à se réfugier, comme d’ordinaire, à la campagne.
Le rév.d D.r Peck, de l’église méthodiste, donna une série de services du soir, pendant six jours consécutifs, dans lesquels l’Evangile fut annoncé par six pasteurs appartenant chacun à une dénomination différente, tous remplis du même esprit et présentant avec un accord parfait la vérité évangélique et le salut par le Seigneur Jésus-Christ.
Cet esprit d’union s’est manifesté également dans tous les lieux. Dans certaines localités, le réveil a été plus prononcé que dans d’autres ; mais toutes y ont plus ou moins pris part. C’est ce qu’ont prouvé les rapports lus dans les conférences pastorales que nous avons rapportées plus haut. Il n’est aucune classe de la société qui n’ait subi l’influence de l’Esprit de Dieu. Le riche capitaliste de nos grandes villes et le cultivateur de nos campagnes, le commerçant et le marin, le maître et l’esclave, les pionniers de la civilisation sur les extrêmes frontières de l’Ouest et l’habitant de la Nouvelle-Angleterre, avec toutes ses institutions évangéliques si développées et si prospères, ont tous participé aux bénédictions et à la puissance de cette œuvre de la grâce. On peut dire qu’à vues humaines le Seigneur n’a pas eu égard à l’apparence des personnes en répandant son Esprit, mais qu’il a fait descendre, au contraire, sa pluie sur les bons et sur les méchants, sur les justes et sur les injustes, tirant ainsi sa gloire et sa louange, en tous lieux, de l’édification des saints et de la conversion des pécheurs.
Il convenait que le jour anniversaire de l’ouverture des réunions de prière de Fulton Street fût célébré comme une grande fête. On avait annoncé d’avance que ce jour-là (23 septembre 1858) l’église attenante aux salles de réunion serait ouverte à midi. La foule fut immense. Jamais nous n’avions vu une séance aussi émouvante ni une assemblée aussi attentive. Ce qu’il y avait de plus frappant, c’était la cordiale union et l’affection que se témoignaient, en cette occasion solennelle, tous les assistants, pasteurs et laïques, quoiqu’ils appartinssent à bien des dénominations différentes. Cette rencontre fut un moment de sainte et céleste joie, qu’aucun des assistants n’oubliera de sa vie. Le rév.d D.r de Witt, doyen des pasteurs des églises hollandaises (Collegiate Dutch churches), occupa le fauteuil de la présidence. Il ouvrit le service par une brève allocution, dans laquelle il rappela les origines et les développements de la réunion journalière de prière tenue dans les salles de lecture de l’église. Après cela, la congrégation chanta le psaume :
J’aime ton règne, Seigneur ;
J’aime le lieu de ta demeure.
Le rév.d D.r Leland, de la Caroline du Sud, lut ensuite le ch. 62 d’Esaïe. Le rév,d M. Carrell, pasteur presbytérien de Newburgh (N. Y.), prononça la prière. Le rév.d D.r Krebs, de l’église presbytérienne, compara l’état religieux et l’aspect actuel de notre ville, ainsi que la situation et l’avenir des Eglises, avec ce qu’ils étaient trente ans auparavant, lorsqu’il arriva à New-York et qu’il entra pour la première fois, en un jour de dimanche, dans cette même église, où il entendit une prédication du rév.d D.r de Witt.
« Il y a peu d’années, dit-il, que cette partie de la ville semblait être dans un état tellement désespéré, qu’on songeait presque à l’abandonner à Mammon, tant l’esprit de mondanité avait pénétré profondément dans les congrégations qui l’habitaient. Mais, en présence des résultats produits dans le courant de l’année dernière en présence de ces foules qui se sont rassemblées pour prier, tous les jours de l’année, à l’heure des plus grandes occupations et des affaires de tout genre ; en présence de tant d’âmes converties et de tant de cœurs vivifiés et réjouis, nous sommes tous obligés de nous écrier : Oh ! Quelle œuvre le Seigneur a faite ! »
Le vénérable D.r Bangs, de l’église méthodiste épiscopale, fit observer que c’était ici la première tentative d’union chrétienne qui eût jamais réussi. Il avait employé, disait-il, de longues années de son ministère à guerroyer contre les autres dénominations ; mais, dernièrement, il s’était mis à prêcher sur le ton de la charité, et il se proposait d’insister toujours davantage sur ce thème, jusqu’au moment où le Seigneur l’appellerait à se reposer auprès de lui de ses labeurs. Ces paroles, prononcées avec l’accent de l’affection la plus vive pour tous ceux qui aiment Jésus-Christ, et venant d’un vétéran dans le ministère qui n’avait plus que peu de temps à vivre, produisirent une impression profonde.
Après une prière de l’orateur précédent, le rév.d D.r Gillette prit la parole. Il sut faire vibrer bien des cœurs et produisit de bien douces émotions. Il rappela les triomphes remportés pendant le cours de l’année précédente par le peuple de Dieu, et, après avoir donné une appréciation générale des résultats obtenus, il transporta ses auditeurs ravis dans ces demeures resplendissantes où les saints et les anges expriment par les accords de leurs harpes éternelles leur joyeuse sympathie pour les âmes rachetées, et célèbrent dans leurs cantiques les miséricordes infinies de l’Eternel envers les pécheurs.
Le rév.d D.r Vermilic, de l’église réformée hollandaise, intercala quelques observations, et le D.r Asa Smith, de l’église presbytérienne, fit la prière. Après cela, le D.r Adams, de la même église, raconta quelques-unes des grâces les plus signalées dont le Seigneur avait enrichi notre patrie au moyen de ce grand réveil. Il parla du grand nombre d’âmes sauvées, des fidèles dont le cœur avait été réjoui et fortifié, des familles qui avaient été bénies, des cultes domestiques qui en étaient résultés, de l’accroissement survenu soit dans le nombre des pasteurs, soit dans celui des candidats au saint ministère, et de l’augmentation extraordinaire de la puissance des églises. Il parla aussi des pays étrangers dans lesquels cette influence précieuse s’était fait sentir ; il donna des détails sur le mouvement qui commençait à s’opérer dans l’église épiscopale d’Angleterre, et sur les efforts qu’elle faisait déjà pour faire parvenir l’Evangile aux classes ouvrières et pauvres. Il dit, entr’autres choses, qu’il venait de recevoir une lettre d’un serviteur de Christ demeurant à Genève (Suisse), qui lui demandait des détails sur ce réveil ; preuve que dans l’ancien monde on était sous l’empire des mêmes préoccupations que dans le nouveau, alors même qu’on ne leur donnait pas encore le même nom.
Un étranger se leva alors, pour relater certains incidents qui prouvent la réalité et la profondeur de cette grande œuvre, et il termina en exhortant les chrétiens à « jeter avec persévérance leur pain à la surface des eaux », et à s’en remettre, dans un esprit de prière, à Celui qui peut seul féconder leurs efforts.
Le D.r de Witt dit avoir reçu des lettres de deux pasteurs de l’église épiscopale de New-York, dans lesquelles ils lui expriment leurs regrets de n’avoir pu se rendre à cette assemblée, à cause de leurs occupations.
Le rév.d D.r Spring termina par une courte allocution. Le rév.d D.r Cuyler fit une prière, et le rév.d D.r Bangs donna la bénédiction.
— Pendant le cours de cette réjouissante assemblée, au milieu des louanges et des actions de grâces, nul, dans cette foule immense, ne se doutait des émotions terribles qu’éprouvait un pauvre pécheur. Tandis qu’on bénissait Dieu pour tous les miracles d’amour qu’il avait accomplis, l’Esprit agissait avec sa toute-puissance sur un malheureux qui roulait de sinistres pensées, et il l’amenait à se repentir et à renoncer à son péché. En passant dans la rue, cet homme avait vu la foule se porter dans l’église, et, poussé par la curiosité, il l’y avait suivie, le cœur en proie à de ténébreux projets. Il parvint à entrer, non sans difficulté, et son attention fut bientôt fixée par les paroles qui frappèrent son oreille. En ce moment même, il préméditait un meurtre ; mais la Parole de Dieu, qui est plus aiguë qu’une épée à deux tranchants, pénétra jusqu’à son cœur et le bouleversa.
Ceci se passait le 23 septembre. Le 2 octobre, c’est-à-dire neuf jours plus tard, un homme arriva tout essoufflé dans la salle supérieure de Fulton Street, disant qu’il voulait écrire une demande de prières. J’étais assis en ce moment près d’une table, occupé à rédiger le rapport de la séance précédente. Je lui donnai aussitôt une plume et du papier, lui disant de s’asseoir et d’écrire ce dont il avait besoin. Il me rendit le papier, en me priant de le présenter à la réunion, qui allait commencer dans dix ou douze minutes. Voici ce qu’il avait écrit :
« Les prières de cette assemblée sont humblement demandées en faveur de G. B…, qui a passé sa vie dans de coupables désordres, et qui encore, la semaine passée, préméditait de commettre un meurtre et d’en finir aussitôt avec son désespoir en se suicidant. — G. B… »
Il avait signé cette demande de son nom véritable, écrit en toutes lettres. Je me mis à le regarder avec stupeur, ayant peine à croire à sa sincérité.
— « Mais, lui dis-je, ce n’est pas possible ! Vous vouliez commettre un meurtre et un suicide ?…
— Oui, c’était mon intention bien arrêtée, répondit-il sans hésiter et d’un air résolu. J’en avais réellement l’intention, et je l’aurais fait, sans cette réunion de prière dans l’église. »
Je ne pouvais encore prêter foi à ses paroles, tant ma surprise était extrême. Je me levai, et, m’étant approché de lui, je fixai mes yeux sur les siens pendant une ou deux minutes, cherchant, à force de calme et de ferme volonté, à connaître le fond de sa pensée ; mais je ne trouvais point de meurtre dans son regard.
— « Ce n’est pas possible ! lui répliquai-je.
— C’est parfaitement possible, dit-il ; c’est vrai ! Sans cette réunion de prière dans l’église, je vous répète qu’il est une personne qui serait avec moi, en ce moment même, dans l’éternité, et cela depuis plusieurs jours. »
Il avait articulé ces paroles avec tant de naturel et de fermeté, que je commençai à le croire.
— « Et qui vouliez-vous donc tuer ?
— Une femme.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle m’avait traité outrageusement.
— Avez-vous encore des pensées de meurtre dans le cœur ?
— Oh ! non.
— Avez-vous jamais commis de crime ? lui dis-je, jetant alors les yeux sur la requête et pensant que certaines expressions pouvaient bien faire allusion à des forfaits commis dans le courant de sa vie.
— Jamais ! dit-il du même ton décidé.
— Avez-vous été en prison ?
— Jamais ! pas une seule fois en ma vie.
— De quel pays êtes-vous ?
— Je suis anglais, mais j’habite en Amérique depuis plusieurs années.
— Votre mère était-elle pieuse ? D’abondantes larmes remplirent ses yeux jusqu’à l’aveugler.
— Oh ! oui, Monsieur, ma mère était une femme de prière, et je crois sincèrement que ce sont ses prières qui ont retenu ma main ce jour-là.
— Comment ?
— J’avais caché dans ma poitrine le couteau fatal, et je portais dans ma poche le poison. J’espérais rencontrer ma victime dans la rue, et je voulais la tuer sur la place même. Après cela, je devais mettre fin à ma malheureuse vie, en avalant le poison. Mais je crois que les prières de ma mère ont été exaucées, et que c’est ce qui a fait échouer mon projet.
— Désirez-vous sincèrement devenir chrétien ?
— Oui, Monsieur.
— Eprouvez-vous une véritable horreur des crimes que vous méditiez ?
— Oh ! oui, Monsieur, je m’en repens. Je suis un grand pécheur.
— Le Seigneur Jésus est un grand Sauveur. Il a prié pour ses propres bourreaux en mourant, et Il peut vous pardonner. »
Le chant venait de commencer dans la salle au-dessous : nous y descendîmes ensemble. Je le fis avancer de mon mieux et je parvins à lui procurer une place dans la foule compacte qui se pressait de toutes parts. Après cela, je fis parvenir la demande. Elle passa de main en main jusqu’à ce qu’elle fût arrivée sur le pupitre du président. J’aperçus son extrême surprise à mesure qu’il la parcourait. Dès que l’occasion s’en présenta, il se leva et la lut à l’assemblée.
De ferventes prières s’élevèrent aussitôt. Malgré l’énormité de ces crimes, il y avait dans les prières quelque chose qui semblait dire : « Nous croyons que les péchés de cet homme lui seront pardonnés. Le plus grand des pécheurs peut être absous. »
L’angoisse de ce malheureux ne faisait qu’augmenter de jour en jour. Quelques chrétiens, touchés jusqu’au fond de l’âme de ses tortures morales, allaient souvent s’enfermer avec lui dans une chambre haute, et là ils conversaient et priaient de longues heures ensemble, s’efforçant d’ouvrir son cœur à l’espérance du salut ; mais c’était en vain. Leur charité était impuissante à soulager tant de désespoir. Parfois, on le questionnait, pour découvrir s’il ne recelait point encore dans les replis de son âme quelque idée de suicide : à cette seule pensée, on le voyait frissonner, et bientôt il éclatait en sanglots. La perversité de son cœur et l’énormité de son péché lui apparaissaient alors dans toute leur horreur, et le malheureux tombait dans un état de prostration physique et morale effrayant à voir.
Cependant, il reparaissait chaque jour aux réunions de midi et du soir. Un sentiment secret le poussait à rechercher sans cesse la compagnie des chrétiens qui se réunissaient pour prier ; il sentait confusément qu’en ce lieu seul il pouvait trouver cette paix qui le fuyait toujours. Son cœur ne s’ouvrait point encore à l’espérance, mais évidemment la grâce le guidait pas à pas vers le port du salut.
Un soir, pendant que l’assemblée chantait l’hymne :
Rocher des siècles, qui t’entr’ouvris pour moi,
Que je puisse me cacher en toi !
on entendit tout-à-coup la voix du pauvre pécheur s’élever du milieu de la salle. Il était à genoux sur son banc et demandait grâce à haute voix : « Oh ! que dois-je faire ! disait-il. Que dois-je faire pour être sauvé ! » et par des phrases entrecoupées il continuait à implorer le pardon de Jésus-Christ. Néanmoins, le chant continua jusqu’à la fin, sans que l’on parût avoir fait attention à cette interruption ; mais, aussitôt après, on se mit en prière expressément pour lui. A peine la prière avait-elle commencé, que sa voix cessa de se faire entendre. Tous les cœurs s’étaient réunis pour pousser un même cri vers Dieu, afin de lui demander la grâce de ce pauvre pécheur. Les prières se succédèrent ainsi pendant l’heure entière et se concentrèrent jusqu’au dernier moment sur lui seul. L’assemblée évacua la salle, mais l’infortuné fut le dernier à la quitter, tant il désirait prier encore.
Le lendemain soir, il s’y trouva de nouveau. Mais quel changement dans ses traits ! ce n’était plus le même homme. Un sourire calme et plein d’une douce sérénité avait remplacé cette expression de tristesse immense qui lui était habituelle. Sa douleur avait disparu, et disparu pour jamais. Il se réjouissait d’une joie infinie en Christ son Sauveur. Depuis lors, il se fortifie chaque jour davantage, et sa vie tout entière prouve qu’il est désormais une nouvelle créature en Jésus.