Le Réveil Américain

Chapitre XXIV

Le registre des demandes. — Ecrit avec larmes. — Désir. — Amour. — Conviction du péché. — Douleur. — Foi. — Conversations avec le tiroir. — Les rachetés rassemblés dans le Royaume.

Dans une chambre supérieure de la maison où se tiennent les réunions de Fulton Street, se trouve un grand livre in-folio, préparé pour recevoir toutes les demandes de prières qui viennent chaque jour. Quel mémorial que celui-là ! quel registre des expériences du cœur ! Là sont renfermées l’histoire de notre pays et celle, en quelque sorte, de tous les pays du monde. Ces demandes de prières sont venues s’y inscrire de toutes parts. Elles proviennent de notre patrie et de bien des contrées placées au-delà des mers ; elles proviennent de personnes appartenant à toutes les classes de la société. Croyants et incrédules, jeunes et vieux, mourants et gens qui veillent à leur chevet, tous en ont apporté leur part. Les noms de ceux qui ont fait les demandes manquent ; mais les demandes elles-mêmes ont leur éloquence, car elles sont pleines de cette tendre confiance, de cette sincérité, de cette angoisse et de cette foi qui saisissent le bras de l’Eternel et le contraignent à faire vertu.

Un désir plein d’anxiété, voilà l’un des caractères dominants de ces requêtes. Bien des personnes ont attendu pendant de longues années le résultat de leurs prières, et, ne voyant rien paraître, se sont senties découragées et prêtes à abandonner tout espoir. Néanmoins, elles ont persisté dans le désir d’amener à Jésus ceux pour lesquels elles avaient si longtemps combattu, et elles ont enfin recouru, dans ce but précieux, aux prières du peuple de Dieu, dans « la grande ville ». Maintenant, elles épient, elles observent dans une attente muette et anxieuse, pour voir comment le Seigneur répondra à leurs requêtes.

Il y a quelque chose de saisissant et de sublime dans cette attitude religieuse de l’âme. Cette impatience avec laquelle elle attend l’exaucement, cet empressement à appeler d’autres âmes à son secours, cette persévérance à regarder vers la montagne divine, de laquelle seule peuvent venir le secours et la délivrance, tout cela inspire une profonde admiration, et l’on sent que de telles prières doivent nécessairement l’emporter sur Dieu.

A côté de ce désir, toutes ces requêtes respirent l’amour le plus tendre, et c’est là peut-être leur caractère le plus général et le plus constant. C’est une femme affectionnée qui supplie l’Eternel, afin que son cher mari parvienne à aimer le Sauveur. Ailleurs, c’est un mari qui demande que sa femme bien-aimée puisse devenir un avec lui en Jésus. Et puis, que de parents qui prient pour que leurs enfants puissent être convertis ! Chaque page est pleine de semblables requêtes. Il en est qui, tout en exprimant le désir que le peuple de Dieu, réuni dans ce lieu, confonde ses prières avec les leurs, pour demander le salut de leur jeune famille, rappellent les promesses sur lesquelles ils ont fondé leurs espérances, et qui sont encore leur précieux et tout-puissant appui. On rencontre aussi des requêtes envoyées par des enfants, afin que Dieu convertisse leurs parents incrédules ; des frères et des sœurs y luttent les uns pour les autres ; des amis prient pour leurs amis, et tous engagent ce saint combat au nom de leur mutuelle affection, convaincus par la foi que l’amour de Dieu surpasse toutes les affections terrestres et les transformera bientôt en un avant-goût de l’amour qui unit ensemble les bienheureux dans l’éternité.

Un grand nombre de ces demandes de prière sont empreintes d’une profonde conviction de péché. Ce sont de pauvres pécheurs, les uns presque désespérés, les autres depuis longtemps occupés à chercher le Seigneur, et qui tous s’enhardissent à demander le secours des chrétiens, afin d’obtenir grâce aux yeux de Dieu. Parmi ces demandes, il en est qui sont tellement surchargées d’expressions indiquant le sentiment de la culpabilité et la crainte d’un juste châtiment, qu’on ne saurait les lire sans éprouver une sympathie pleine de commisération. Quelques-unes, surtout, contiennent des accents si plaintifs et partent d’un cœur si douloureusement meurtri et brisé, qu’elles rappellent involontairement la prière de David dans le psaume 51.

Un grand nombre de ces requêtes proviennent de personnes plongées dans l’affliction. On y lit ces mots ou d’autres semblables : « L’affligé s’approche du Trône de grâce. — Un père demande les prières du peuple de Dieu pour son enfant prodigue. — Des parents implorent la miséricorde du Seigneur sur leur fille, qui s’est égarée du droit chemin. » — Des âmes désolées demandent à Dieu de sanctifier leur affliction ; des malades demandent d’être préparés à la mort. Quel volume de douleurs n’écrirait-on pas si l’on pouvait relater toutes les vies dont ces courtes demandes ne sont que le bref sommaire ! Il est de ces requêtes qui semblent distiller du sang, tant est profonde la tristesse qu’elles expriment, tant sont douloureuses les blessures qu’elles révèlent. On y trouve des familles qui ont caché soigneusement pendant des mois ou des années le cruel chagrin qui les dévorait, et qui, tandis que les cœurs étaient rongés en secret, présentaient au monde un sourire trompeur ; mais, aujourd’hui, n’y tenant plus, elles s’adressent à la réunion de prière pour demander au Seigneur d’avoir compassion de leur détresse et de les secourir au milieu de leur désespoir. Toutes ces requêtes sont écrites avec larmes : larmes de l’amour paternel et maternel, larmes de l’amour conjugal, larmes de l’amour fraternel ; larmes que peut seule faire jaillir la perdition imminente d’un être chéri. Ah ! ces prières sont bien celles de la foi !

Un jour, pendant que nous parcourions les pages du volume, une personne, qui les suivait des yeux, murmura : « Oh ! oui, ces prières sont de celles qui obtiennent une réponse ! » Elles émanent, en effet, de cœurs remplis de ferveur, d’amour et de foi, et, quand on les lit, elles ne peuvent nous révéler que très imparfaitement les émotions sous l’empire desquelles elles ont été écrites. Mais celui qui se sent poussé à interjeter une requête semblable ne peut le faire que par un mouvement de foi et d’intense désir, et c’est pour cela que sa demande est entendue dans le ciel et que l’exaucement se manifeste. Il redouble alors et de foi et de sainte hardiesse ; il prie encore davantage, et cet esprit, qui était celui de la syro-phénicienne, cet esprit qui insiste et qui obsède, cet esprit de fidèle importunité remporte la victoire auprès de Dieu.

— La table de cette chambre haute a un tiroir où l’on conserve les enveloppes dans lesquelles toutes ces demandes de prière ont été envoyées à Fulton Street. Les pensées se pressent dans mon esprit chaque fois que j’ouvre ce tiroir. Il y a quelques jours, j’étais monté dans cette chambre haute, je m’étais assis à côté de la table à laquelle ce tiroir appartient, et je l’avais ouvert pour examiner une à une ces enveloppes, ainsi que leur précieux contenu. En peu d’instants, je me trouvai occupé à converser avec ces feuilles écrites.

Chaque enveloppe semblait se présenter à moi pour me raconter sa douloureuse histoire, et me dire ce qu’elle avait vu et entendu au moment où une main inconnue retraçait au loin les lignes, qu’elle avait renfermées. Les unes me parlaient des larmes amères qu’elles avaient vu couler ; les autres, des prières ferventes qu’elle avaient entendu prononcer ; d’autres, des espérances inébranlables qu’elles avaient entendu exprimer ; d’autres encore, des frayeurs et des découragements dont elles avaient été témoins. Oh ! que de drames douloureux elles révélaient parfois à mon esprit attristé, et qu’il m’était souvent difficile de contenir mes propres larmes !

Je m’envolais par la pensée vers les lieux où elles avaient été écrites ; j’entrais tantôt dans une chambre, tantôt dans un salon ; tantôt dans l’humble chaumière, tantôt dans la demeure splendide du riche ; je parcourais les grands chemins, les carrefours, les lieux de tout genre, pour retrouver les acteurs de ces scènes. Parfois aussi, j’étais appelé à me rendre au cimetière et à arrêter quelques instants mes regards sur les petits tertres qui se présentaient sous mes pas. Là, ma pensée allait chercher celui ou celle qui dormait paisiblement sous ce gazon fraîchement remué. « Est-il possible, me disais-je, que depuis un an environ que ces réunions sont commencées, plusieurs de ceux-ci se soient endormis ? »

— Oui, répondaient les petits papiers, plusieurs se sont endormis de ce sommeil dont on ne se réveille plus dans ce monde.

— Et comment endormis ? demandais-je.

— Il en est, répondaient-ils, qui se sont endormis en Jésus.

Et alors ils me demandaient si je ne me souvenais pas d’une douce et gracieuse jeune fille qui avait envoyé une requête, ou dont le père avait demandé les prières pour elle ? Cette jeune fille avait tout reçu de Dieu et de la nature : douce, gracieuse, aimable, maladive alors, il ne lui manquait absolument que la « seule chose nécessaire ». On avait prié pour elle ici, et elle s’était donnée à Jésus, l’ami des pécheurs. Elle avait humblement mis en Lui toute sa confiance et l’avait reçu dans son cœur avec joie. Cette grâce d’En Haut avait relevé plus que jamais toutes ses précieuses qualités, et jamais elle n’avait brillé d’un éclat si pur. L’irrésistible et affectueux attrait par lequel elle s’attachait tous ceux qui l’entouraient, n’avait jamais été aussi affectueux ni aussi irrésistible qu’alors. Sa famille l’avait emmenée à la campagne, pour y passer l’été ; mais là, le mal l’avait atteinte d’une manière définitive. Elle déclina rapidement. On fit tout au monde pour la sauver, mais tout fut inutile. Le Ciel voulait s’enrichir de sa présence. Il manquait une voix sans doute dans l’éternel concert. Elle s’endormit ; oui, juste trois mois après la date de la requête envoyée en sa faveur à la réunion de Fulton Street, elle s’endormit en Jésus !

— Ne vous en souvient-il pas ? Je m’en souvenais !

Ici, au contraire, c’est un enfant prodigue et dissolu, qui dissipait le bien de son père dans une vie coupable ; un enfant unique. On a prié pour lui. Il s’est converti, — a été reçu membre dans l’une de nos églises, — a pris la cène une fois, — est parti pour le Sud, — a été tué par accident, — a été rapporté ici, — se trouve aussi sous l’un de ces petits tertres. — Il dort en Jésus.

— Ne vous en souvient-il pas ? Je m’en souvenais aussi !

Le contenu du tiroir me parlait ainsi des morts et me retraçait leur histoire ; mais il me parlait aussi des vivants.

« Regarde encore ! » me disaient ces enveloppes ; et comme je regardais, j’en vis une qui se dressait comme pour dire :

« Je viens de la ville de Marietta (Ohio). Ce n’est qu’hier que je vous ai délivré le message dont j’étais porteur. C’était la requête d’une pauvre veuve pour la conversion de ses enfants. »

J’inclinais mon oreille sur le tiroir, et il semblait me dire :

« Lis ce papier ! »

« Vos prières sont demandées en faveur de la veuve et des orphelins. Le père de famille, après avoir formé une église dans les contrées de l’Ouest, et y avoir prêché près de vingt ans, s’est couché, un jour, pour se livrer au repos. Mais son corps était épuisé. Il fit donc venir auprès de lui ses enfants et sa femme. Après leur avoir dit un affectueux et tendre adieu, et les avoir recommandés à la sainte garde de Celui qui est l’Ami des délaissés, il croisa ses deux mains amaigries sur sa poitrine, et, en entrant dans son repos, il jeta un cri de triomphe, à la vue du ciel qui s’ouvrait devant lui… L’un de ses enfants est très souffrant en ce moment. Amis chrétiens, ne prierez-vous pas pour demander au Dieu qui a fait alliance avec nous de se souvenir de ses promesses et d’amener ces chers petits agneaux dans son bercail, afin qu’en ce jour de grâce la pauvre veuve puisse être encouragée et fortifiée dans sa foi ? »

Oh ! une pareille foi serait-elle jamais confondue ? Faudrait-il qu’elle en vînt à douter du Bon Berger ? Ne prendra-t-Il pas soin des petits agneaux et ne les portera-t-Il pas sur son sein ? Des chrétiens lui ont ardemment demandé de le faire : Il le fera !

Le tiroir me parla encore et me fit souvenir de prier, le 5 novembre, en faveur de la ville de G… (dans Saint-L… Co., N. Y.), afin que le peuple de Dieu puisse obtenir un temps de rafraîchissement par la présence du Seigneur. — Nous nous en sommes souvenus, pour cette localité et pour bien d’autres encore, les unes dans un Etat, les autres dans un autre, à l’Est, à l’Ouest, au Nord et au Sud.

Le tiroir parle de nouveau : « Mon mari, quoique souvent très pensif, n’est pas encore chrétien. J’ai prié pour sa conversion tous les jours, depuis notre mariage…, pendant neuf ans. Me sera-t-il permis de vous demander une place dans vos prières, afin que le Seigneur lui fasse la grâce de chercher maintenant une place auprès de son Sauveur, et afin que nous devenions tous deux des chrétiens dévoués, fervents et fidèles à la Parole de Dieu ? »

Que d’épouses qui prient et qui présentent à peu près la même requête à la réunion de Fulton Street ! Puisse la bénédiction du Seigneur reposer sur elles toutes !

Mais, quelle est cette voix qui sort du tiroir ? Ecoutons : « Les prières de la réunion de Fulton Street sont ardemment sollicitées en faveur d’une classe biblique tenue par vingt et une jeunes personnes, qui se rattachent à l’une des églises hollandaises réformées des environs, et dont plusieurs paraissent sérieusement préoccupées de leur salut. »

Que d’intérêts sont compris dans ce simple appel ! que de destinées en dépendent et que de cœurs se réjouiront lorsqu’elles seront toutes converties !

Mais nous ne voulons pas prolonger davantage cette conversation. Ce livre de requêtes et ce tiroir, où sont conservées toutes ces enveloppes, demeureront des témoignages de la foi et de la ferveur des chrétiens. Un mémoire des réponses obtenues sera également écrit à la louange de la grâce infinie du Seigneur.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant