Le Réveil Américain

Chapitre XXIII

Les prières en faveur des enfants ne resteront pas sans réponse. — Pensées du révérend H. W. Smüller. — Les promesses de Dieu. — Visions de Saint Jean. — Expérience de Daniel. — Long retard. — Réunion de dames âgées. — M.me F. et son fils soldat. — Ayez foi en Dieu.

Dans la plus intéressante des réunions de prière auxquelles j’aie assisté, les prières des chrétiens avaient été sollicitées à plusieurs reprises en faveur des enfants. La réunion avait lieu à Jamaïque (Long-Island), pendant la session du synode de New-York. Les pasteurs et les membres des troupeaux de diverses dénominations s’y réunissaient, principalement le soir, dans la grande église. Une puissance inconnue semblait descendre du ciel sur cette foule entassée. Les enfants des écoles du dimanche avaient demandé plusieurs fois les prières toutes spéciales de l’assemblée. Un pasteur vénérable s’était levé et les avait également requises en faveur de ses enfants inconvertis. Tandis que chacun, à son tour, priait ou adressait quelques paroles d’exhortation, le rév.d Smüller se mit à développer une série de réflexions si encourageantes pour les parents qui se trouvaient avoir, dans leurs propres enfants, des sujets de prière et d’espérance, que je lui demandai de me communiquer ses remarques pour les joindre à ce volume.

Le côté le plus réjouissant de ce réveil, c’est bien certainement celui qui prouve que Dieu exauce la prière, et nous savons qu’il n’en est pas de plus fervente, de plus importune ni de plus tenace, que celle qui s’échappe du cœur de parents chrétiens.

« Voyez, disait M. Smüller, combien elles sont nombreuses, pendant ce temps de réveil, les demandes de prière présentées par des parents en faveur de leurs enfants : Une mère demande les prières pour sa fille unique, qui poursuit son éducation loin de la maison paternelle, afin qu’elle puisse être amenée à la connaissance du Sauveur. — Une veuve demande les prières en faveur de ses deux fils, qui résident dans un état de l’Ouest, pour que Dieu leur accorde la repentance qui conduit à la vie. — Un père demande les prières pour deux de ses enfants. Sur sept que le Seigneur lui a confiés dans sa miséricorde, Il lui en a déjà donné cinq en réponse à ses prières, et il désire ardemment que les deux qui restent soient aussi amenés à Jésus comme au Sauveur des âmes.

Ces désirs ne peuvent que réjouir grandement les pasteurs et les chrétiens qui ont été conduits eux-mêmes de bonne heure aux pieds de Jésus par leurs parents, et qui apprécient par expérience le précieux bienfait d’une jeunesse chrétienne.

Bon nombre d’entre nous qui sommes parvenus à l’âge de trente, quarante, cinquante ans, se souviennent avec bonheur des années écoulées, des prières, des conseils et de l’exemple d’une pieuse mère, peut-être aussi de la vie sainte et de la mort triomphante d’une tendre sœur, et nous devons avouer que tout le bien spirituel que nous avons reçu depuis, dans cette vie, nous est venu principalement par l’intermédiaire de ces humbles mais précieux ministères exercés dans le cercle étroit de la famille. Toutefois, nous craignons que, dans bien des cas, ces demandes de prière ne soient suivies de cruelles déceptions, non point que les promesses ne soient certaines, l’alliance inébranlable et surabondamment vaste pour embrasser tous les cas et satisfaire à toutes les demandes, mais uniquement parce que la foi et les espérances des parents reposent trop souvent sur les moyens et les instruments humains, et parce qu’ils perdent patience, pour retomber bientôt dans l’indifférence ou même dans le découragement, lorsque la réponse à leurs prières se fait attendre. Le danger consiste en ce que nous sommes tentés de compter bien plus sur les prières que sur les promesses et sur l’alliance de Dieu.

Nos prières sont, en effet, si pauvres, si faibles, si remplies de misères et de péché, que, sans l’intercession de Jésus-Christ, elles ne seraient, en elles-mêmes qu’une offense de plus contre la suprême sainteté de l’Eternel. Ce qui leur donne une valeur, c’est que toutes les grâces qui peuvent intéresser la prospérité spirituelle et éternelle de l’homme ont été promises à quiconque prie : « Demandez, dit le Seigneur, et vous recevrez. » Voilà l’inscription qui se trouve sur l’autel.

S’il est une loi inviolable dans l’univers entier, s’il est une chose parfaitement certaine et digne d’être reçue dans ce monde, c’est bien celle-ci : que Dieu entend et exauce la prière qui s’appuie sur ses promesses et qui réclame les bienfaits attachés à son alliance. « Dieu garde son alliance et fait grâce jusqu’à mille générations. » Bien plus ! pour que la foi et la confiance de ses enfants puissent être parfaitement inébranlables, Il s’engage avec serment, Il engage sa propre gloire et sa toute-puissance dans la promesse de demeurer fidèle à tout ce qu’il a promis. « Je ne violerai point mon alliance, dit-il, et je ne changerai rien à la parole qui est sortie de ma bouche. J’ai une fois juré par ma Sainteté que je ne mentirais pas à David : sa semence demeurera à jamais, et son trône sera toujours, comme le soleil, en ma présence, et il y en aura dans les cieux un témoin certain. » (Psaumes 89.33-36)

Il y a dans les paroles de ce passage une majesté et une grandeur infinies, alliées à une condescendance et une miséricorde non moins infinies. C’est une chose admirable et qui confond notre pensée, que l’Eternel nous permette de nous appuyer, sur le fondement éternel de ses promesses, et qu’il nous commande même de nous en armer auprès de Lui. Cela seul devrait, ce semble, satisfaire tous les esprits douteurs et toutes les âmes chancelantes, surtout quand on considère que les promesses de Dieu ne sont, après tout, que l’expression de ses plans de miséricorde, de cette volonté et de cette bonté éternelles comme Lui-même, et dans lesquels le plus ancien des archanges n’a pas encore aperçu la moindre variation ; et plus encore, quand on voit ces promesses nous parvenir tout entourées des témoignages les plus irréfragables de la sincérité, de la compassion, de la sagesse et de la puissance divine ; revêtues de toutes les assurances et de tous les sceaux de l’Eternelle Sainteté ; accompagnées de toutes les grâces et de toutes les infinies richesses de l’Eternel Amour ! Nous n’en appelons pas seulement ici à la vérité des promesses, mais aussi aux expériences du passé. Cette charte de nos droits et de nos privilèges chrétiens est assez abondamment pourvue de toutes sortes de grâces et assez solidement basée, pour nous encourager à demander avec persévérance toutes les bénédictions de cette « piété qui est utile pour toutes choses et qui a les promesses de la vie présente, aussi bien que celles de la vie à venir. »

Mais nous possédons, outre tout cela, le serment de Dieu, serment qui est fondé sur sa Sainteté, qui repose sur l’ensemble de tous ses attributs glorieux, c’est-à-dire sur son essence même, comme s’il avait dit : Que je cesse d’être, si je n’accomplis pas toutes les promesses que j’ai faites à David, et qui se résument dans le don de Christ ! Combien nos pas sont donc assurés, et combien nos tentatives sont certaines du succès, lorsque, dans nos prières, nous réclamons les bienfaits du salut et les privilèges de la nouvelle vie ! bienfaits et privilèges qui nous sont tous garantis par l’alliance que Dieu a faite avec nous en Christ, et qui nous sont garantis encore par Christ lui-même, qui promet de les accorder à nos prières. Nous ne faisons, en les réclamant, que poser le pied sur les fondements de sa demeure éternelle, qui sont établis au-dessus des « eaux profondes », c’est-à-dire sur les insondables abîmes de sa nature éternelle et infinie, sur l’océan sans fond de son inscrutable Providence.

Mais les droits infinis et éternels de la sainteté et de tous les autres attributs de l’Etre divin se trouvent conciliés et glorifiés ensemble dans l’expiation de son Fils bien-aimé, qui est un avec le Père, éternel comme Lui et avec Lui, qui est l’Emmanuel, Dieu manifesté en chair, le Pacificateur de la justice de Dieu, le Révélateur de son amour et de sa miséricorde par la rémission des péchés ; — Celui qui, par la valeur de ses mérites et de son obéissance ainsi que par les souffrances qu’il a subies à notre place, a été exalté à la droite de la majesté et du pouvoir suprêmes ; — Celui que nous avons le privilège de contempler par la foi comme l’Agneau qui a été immolé sur le trône de Dieu et comme le Souverain Sacrificateur assis sur ce même trône ; — Celui qui est à la fois Roi, Sacrificateur et Victime ; — Qui, tout en étant assis sur le trône, est encore notre avocat et notre intercesseur ; — Qui présente nos faibles prières au Père, en les revêtant de ses mérites précieux et de son intercession miséricordieuse et seule efficace. — Comment, avec cela, nos prières ne seraient-elles pas toujours victorieuses ? Comment son intercession ne le serait-elle pas ? On comprend pourquoi le Seigneur, cet intercesseur tout-puissant, a pu dire avec tant de confiance, de joie et de certitude, à ses disciples découragés et affligés : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié par le Fils. Si vous demandez quoi que ce soit en mon nom, je le ferai. » Et l’on comprend aussi avec quelle joyeuse confiance notre foi peut se saisir de semblables promesses, surtout alors que nous prions pour la régénération et le salut des enfants nés sous cette alliance de grâce.

Ah ! dira tel père angoissé, tout cela est vrai et je le crois sans restriction, et cependant mon enfant est inconverti !

Ame angoissée, qui pleures d’amères larmes, la promesse faite à Abraham, c’est qu’en sa semence, savoir : Christ, toutes les familles de la terre seront bénies. Cette promesse fait partie, aujourd’hui encore, du glorieux héritage de l’Eglise. Il faut qu’elle s’accomplisse, et elle s’accomplira infailliblement.

Mais, alors, que sont devenues toutes les prières qui ont été adressées à Dieu pour le salut du monde ? que sont-elles devenues ?

Toutes celles qui ont été prononcées avec foi sont parvenues jusqu’au ciel, et ont été acceptées au nom du Grand Intercesseur. Les unes ont déjà reçu leur réponse ; les autres attendent encore l’arrivée des temps dont Dieu s’est réservé la direction dans sa toute-puissance ; mais aucune ne s’est perdue, aucune ne demeurera sans réponse. Les prières d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; celles de Moïse, d’Elie et de David ; celles des Prophètes, des Apôtres, des Martyrs et de tous les saints hommes de tous les temps ; toute cette vaste nuée de supplications qui se sont élevées de la terre vers les cieux, pendant que le peuple de Dieu traversait d’âge en âge les circuits divers du sentier qui lui était tracé, et cela, depuis le premier sacrifice accepté de Dieu dans le jardin d’Eden jusqu’à nos jours ; toutes ces prières, nous le répétons, ont été reçues et auront tôt ou tard leur réponse, si elles ne l’ont pas déjà eue. Les prières des anciens Huguenots, vos pieux et fidèles ancêtres ; celles des Réformés hollandais et irlandais, ainsi que celles des Puritains écossais qui se sont réfugiés sur cette terre libre ; celles des pionniers de l’Eglise américaine, ces supplications et ces larmes qu’ils répandaient devant Dieu pour leurs descendants et pour leur patrie, sont toutes inscrites dans le ciel et seront toutes suivies d’une réponse, si cette réponse n’est déjà venue. — Tes propres prières, ô enfant de Dieu ! ne sont pas encore toutes exaucées, mais elles sont acceptées, si tu les as faites dans la foi, au Nom du Fils de Dieu et pour des biens inclus dans les promesses de l’Alliance ; elles sont reçues et elles auront certainement une réponse. Les unes seront exaucées pendant que tu es encore sur la terre des vivants ; les autres plus tard, alors que tu seras entré dans la vie éternelle ; mais aucune ne sera oubliée ni rejetée.

Jetez un instant les yeux sur les visions du disciple bien-aimé, dans l’île appelée Patmos (Apocalypse 5.8) : Et quand l’ange eut pris le livre, les quatre animaux et les vingt-quatre anciens se prosternèrent devant l’Agneau, ayant chacun des harpes et des fioles d’or pleines des parfums qui sont les prières des saints.Les prières des saints sont donc si précieuses qu’elles sont comme le parfum du ciel. Les commentateurs vous diront que le mot que l’on a traduit par celui d’animaux signifie des vivants, et que ces derniers symbolisent le gouvernement de la Providence divine. Les images du lion, du bœuf, de l’homme et de l’aigle, réveilleront dans votre pensée les notions de puissance, de stabilité, d’intelligence et de célérité qui s’appliquent à cette Providence. Voilà le gouvernement céleste à la garde duquel vos prières sont confiées. La Providence suprême dépose dans des encensoirs d’or les prières qui ne sont pas encore exaucées, mais qui n’en sont pas moins agréées ; en sorte que nous pouvons bien laisser avec joie et confiance nos requêtes entre si bonnes mains.

Mais là ne se bornent pas les visions de l’Apôtre en ce qui concerne les prières des saints. Considérez les paroles que nous trouvons dans Apocalypse 8.3-5 : Et un autre ange vint, et se tint devant l’autel, ayant un encensoir d’or, et plusieurs parfums lui furent donnés pour les offrir, avec les prières de tous les saints, sur l’autel d’or qui est devant le trône. Et la fumée des parfums, avec les prières des saints, monta de la main de l’ange devant Dieu. Puis, l’ange prit l’encensoir, et l’ayant rempli du feu de l’autel, il le jeta sur la terre ; et il se fit des tonnerres, des voix, des éclairs et un tremblement de terre. — Ici, l’on voit que le parfum ne vient pas des prières elles-mêmes, mais qu’il est donné à l’ange pour qu’il l’ajoute aux prières de tous les saints. Ce parfum sacré et divin, ce sont les mérites de Celui qui est le Souverain Sacrificateur et l’Avocat. L’ange n’est point l’intercesseur suprême, mais seulement le divin messager qui nous apporte la réponse faite à nos prières.

L’histoire du prophète Daniel achève de nous révéler les secrets de ce saint mystère (Daniel 9.23) : La parole est sortie dès le commencement de tes supplications, et je (Gabriel) suis venu pour te le déclarer. — Le Seigneur n’a pas besoin d’attendre que Daniel ait achevé sa prière pour en connaître parfaitement toute la nature et toute l’étendue. Au contraire ; c’est dès le commencement de la supplication que la parole se fait entendre. Vos prières sont entendues et agréées ; le commandement est donné pour l’exaucement à l’instant même où vous commencez à prier ; et, néanmoins, un temps plus ou moins long peut s’écouler avant que vous receviez la réponse.

Dans le chapitre 9 du même prophète, nous trouvons le récit d’un deuil et d’un jeûne accompagnés de prières que Daniel prolongea pendant plus de trois semaines ; et ce n’est qu’après le vingt et unième jour de son humiliation et de ses requêtes que voici, une main le toucha, le fit mettre à genoux et même sur la paume de ses mains, et une voix lui dit : O Daniel ! homme aimé de Dieu, comprends les paroles que je t’apporte et tiens-toi debout, car je suis envoyé vers toi. Et quand il m’eut dit cela, je me tins debout, tout tremblant. Alors il reprit : Ne crains point, Daniel, car depuis le premier jour où tu as appliqué ton cœur à comprendre ces choses et où tu as commencé à t’humilier devant l’Eternel, ton Dieu, tes paroles ont été entendues, et c’est pour cela que j’ai été envoyé vers toi. L’ange du royaume de Perse m’a résisté pendant vingt et un jours ; mais, voici, Michaël, l’un des principaux archanges, est venu à mon aide, et je suis resté tout ce temps auprès du roi de Perse. — Cette scène se passe donc entre le ciel et la terre, dans cet espace sans cesse traversé par nos prières, d’une part, et par les réponses du Seigneur, de l’autre. Qui dira les conflits invisibles dont ce mystérieux champ de bataille est témoin ? les luttes que les anges, porteurs de tant de précieux messages en réponse à nos prières, ont à soutenir contre les esprits déchus, qui haïssent Dieu et s’opposent à notre sainteté et à l’avancement du règne de Christ ?

Dans le cas qui nous est présenté par le récit de Daniel, le démon qui protégeait le royaume de Perse avait résisté à l’ange de Dieu pendant vingt et un jours, et il eût continué à résister indéfiniment, par haine pour Dieu et pour son peuple, si le Seigneur n’avait ordonné à l’archange Michaël d’aller secourir le fidèle messager. S’il l’avait fallu, tandis que Daniel continuait à prier, non seulement Michaël, mais même les armées des cieux, qui n’attendent qu’un signe du Tout-Puissant pour voler où ses ordres les appellent, se seraient élancées toutes brillantes de gloire pour combattre en faveur de ce saint homme en prière. Oh ! qu’il est consolant de savoir que toutes les lumineuses, bienveillantes et saintes légions qui entourent le Trône dans les lieux très hauts sont employées au service des enfants de Dieu qui combattent sur la terre ! Ne sont-ils pas tous des esprits destinés à servir en faveur de ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut ?

Mais si, dans le cas de Daniel, il fallut un délai de vingt et un jours, il peut en falloir un aussi pour l’exaucement des prières que nous présentons pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour le monde. Ainsi le peuvent exiger les nécessités du Royaume de Dieu ; et tandis que, dans le cas du prophète, ce délai était de vingt et un jours, il pourrait être de vingt et un ans ou de vingt et un siècles, suivant l’objet dont il s’agit. Mais cela n’empêche pas que la prière de la foi, présentée au nom du tout-puissant Avocat et faite en vue d’obtenir des bénédictions comprises dans les promesses de l’Alliance, est entendue et agréée, et que l’ordre est aussitôt donné pour son exaucement. La foi de celui qui prie et les efforts de l’ange porteur de la réponse, attendent la saison et l’heure dont le Père s’est réservé la détermination. Pendant ce temps, les prières des saints sont conservées comme de suaves parfums dans des fioles d’or et dans les encensoirs des anges du ciel ; et, au moment fixé par le Souverain Ordonnateur de toutes choses, le feu de sa divine fidélité et de son amour descendra de l’autel éternel sur elles ; l’ange alors les jettera sur la terre en une pluie de bénédictions. Ainsi s’allumeront dans le monde ces grands réveils et s’opéreront ces transformations morales et spirituelles si bien décrites sous l’image de ces voix, de ces tonnerres, de ces éclairs et de ces tremblements de terre.

Que sont nos réveils d’aujourd’hui, sinon l’effet produit par la chute de quelques-unes de ces gouttes odoriférantes tombées des cieux ? A mesure que l’Eglise approche de la période culminante de cette dispensation, le temps vient où Dieu hâtera l’accomplissement de son œuvre et où les milliers et les millions de la terre se tourneront vers la Croix, en réponse aux prières des croyants, pour former bientôt cette Eglise purifiée et glorieuse qui régnera éternellement. Mais, pour le moment, nous répétons encore ce cri : Seigneur, jusques à quand ?

Mon village natal, longtemps avant que je ne vinsse au monde, avait été l’objet des prières de certains chrétiens suisses et écossais ; mais, pendant ma première enfance, il n’y avait encore, en fait de personnes adonnées à la prière, qu’une petite société composée de quelques dames pieuses, presque toutes veuves. Ma bonne mère me prenait volontiers par la main et me conduisait dans ce lieu de culte, où l’on utilisait souvent mes jeunes yeux pour la lecture de la Sainte Bible. Je me souviens encore de l’ardente sollicitude avec laquelle toutes ces mères chrétiennes priaient pour leurs enfants, demandant leur conversion avec angoisse et ferveur. Oh ! comme ces chères femmes étaient attristées et en deuil pendant les saisons de fête, en voyant les passions, le mépris du jour du Seigneur, l’ivrognerie, l’impudicité engendrer des querelles qui troublaient les jours et les nuits ! — Que deviendra la gloire de Dieu ! s’écriaient-elles. Que deviendront nos enfants !

Je me souviens qu’un jour, dans une circonstance de cette nature, la bonne dame F…, chrétienne fort intelligente et très pieuse, chez laquelle se tenaient ces réunions de prière, était enfouie dans les coussins de son vieux fauteuil, où la retenait presque sans cesse un asthme opiniâtre ; ses sœurs en Christ, rangées autour d’elle, donnaient cours à leurs lamentations ; tout-à-coup, la pauvre malade tourna vers nous son visage baigné de larmes, mais illuminé d’une sainte joie, et dit : « Mes chères amies, Dieu n’est pas mort ! son alliance n’est point rompue ! Je ne serais pas surprise si, dans moins de cinq ans, le Seigneur vivifiait son œuvre parmi nous, à tel point que la place nous manquât et que nous fussions obligées de nous donner rendez-vous dans la forêt de M. S… Je ne serai peut-être pas de ce monde pour le voir : je suis un pauvre roseau, à demi brisé ; mais vous, peut-être, oui, vous le verrez. » — Elle vécut cependant, et elle le vit. Avant l’expiration des cinq années, Dieu répandit son Esprit avec force sur cette localité ; beaucoup de personnes furent converties, et, à mesure que la nouvelle s’en répandait dans les contrées d’alentour, des étrangers venaient sur les lieux pour être témoins de ce mouvement extraordinaire. L’église du village devint beaucoup trop petite pour contenir la foule ; aussi, pendant les beaux jours d’été, nous dûmes souvent nous réunir dans les bois de M. S…, où nous avions formé une plate-forme et dressé une chaire, autour de laquelle des multitudes se pressaient pour entendre la précieuse Parole du salut. L’œuvre de Dieu avait pris parmi nous des proportions vraiment considérables.

Un dimanche matin, par un soleil radieux, je revis la pieuse dame F…, assise au pied de l’un des plus beaux arbres de la forêt. Ses mains étaient jointes, ses yeux étaient fermés et ses larmes coulaient encore, mais c’étaient des larmes de joie. Je n’oublierai jamais le saint ravissement que respirait le visage de l’heureuse malade. Les rayons qui perçaient le feuillage éclairaient ses traits amaigris et semblaient couronner son front vénérable d’une auréole glorieuse, tandis qu’un sourire céleste errait sur ses lèvres décolorées, et révélait la joie immense dont son cœur était inondé sous les feux vivifiants du Soleil de justice.

De tout cela qu’est-il résulté ? La très grande majorité des enfants et des personnes de divers âges pour lesquels ces saintes femmes avaient prié pendant de longues et douloureuses années d’aridité spirituelle, ont été amenés au Sauveur. La plupart des pères et des mères sont entrés dans leur repos, et ceux qui n’étaient alors que de jeunes enfants sont devenus aujourd’hui des hommes influents par leur position et leur fortune. La localité a été complètement transformée. Certainement, c’est là une œuvre glorieuse ; mais, que les mères qui prient pour leurs enfants y fassent attention : cette œuvre ne s’est pas consommée en un jour, ni en une semaine, ni en une année. Il a fallu, pour l’accomplir, les prières persévérantes de bien des années.

Courage donc ! que votre foi ne défaille point. Cette foi peut être appelée à traverser plus d’une épreuve rude et cuisante pendant qu’elle lutte au pied du Trône des miséricordes, en attendant l’heure que le Père a marquée pour son exaucement. Il se peut même que vous soyez appelés à quitter cette terre avant que cette fille au cœur léger, que ce fils à la conduite mondaine et déréglée, que vous avez cependant consacrés au Seigneur dès leur enfance, reçoivent l’appel efficace de la Souveraine Grâce et soient réellement sauvés. Mais, au moment même de votre mort, saisissez les cornes de l’autel, et que votre âme s’appuie sur les promesses de l’Alliance et sur le serment de votre Dieu. Les prières que vous avez faites avec foi sont dans l’encensoir, entre les mains de l’ange ; et lorsque vous serez parvenus dans les sphères éternelles, vous verrez peut-être votre enfant s’arrêter pensif devant le tertre qui recouvrira votre dépouille corruptible ; vous verrez des pensées meilleures surgir dans son cœur et combattre contre les passions qui l’avaient égaré jusqu’alors ; vous verrez peut-être, enfin, une gouttelette du précieux et suave encens descendre sur lui des cieux et le transformer aussitôt en une nouvelle créature ! Et que savez-vous si vous ne serez pas vous-même cet ange envoyé de Dieu et chargé de porter sur la terre la réponse à vos propres prières pour le salut de votre enfant ? Ayez foi en Dieu !

Qui sait ? Il se peut, au contraire, que votre enfant égaré vous devance dans la sombre vallée de la mort, sans que vous ayez la consolation de savoir qu’il appartient au Seigneur. Que faire alors ? Rien, sinon mettre encore, et quand même, votre confiance dans le Dieu vivant.

M.me F…, la femme d’un juge célèbre de New-York (Ouest), était membre de l’église dans laquelle j’ai commencé mon ministère. C’était une femme douée d’une intelligence exceptionnelle, possédant une rare simplicité de caractère et animée d’une profonde piété alliée à la foi la plus inébranlable dans les promesses de Dieu. Elle avait consacré tous ses enfants au Seigneur dès leurs premières années, et tous, à l’exception d’un seul, s’étaient convertis en arrivant à l’âge de maturité. Willy, celui qui n’avait pas suivi cette marche, était mon camarade d’école. D’un naturel franc, ouvert et généreux, fermement attaché aux Saintes Ecritures, dans lesquelles on l’avait instruit avec grand soin, il vénérait sa pieuse mère ; mais il était si pétulant et si espiègle qu’il ne pouvait donner une seule pensée sérieuse à ses intérêts spirituels. Avant de songer à devenir chrétien, il devait jeter « son feu ». Willy alla donc au Canada, en qualité de maître dans une école, et, pendant « la guerre patriotique » qui s’alluma bientôt, il ne manqua pas, en effet, de jeter son feu. L’occasion n’était malheureusement que trop propice pour cela ! Il persistait cependant à conserver son caractère franc, généreux, plein de gaîté et de sentiments moraux. Le Texas lui offrait un champ nouveau ; il en profita. Willy s’y rendit aussitôt et y tenta fortune. Il eut à traverser des scènes terribles pendant les guerres qui préludèrent à la naissance de ce nouvel Etat ; mais, dans sa correspondance avec sa mère et avec moi, nous retrouvions toujours le même Willy, gai, ouvert, généreux, sans aucun indice d’affaiblissement dans ses principes de moralité. Sa pieuse mère n’en continuait pas moins à prier pour son cher enfant. Pendant l’expédition de Santa-Fé, elle m’écrivit pour me demander si j’avais des nouvelles de Willy. J’en avais cherché moi-même pendant longtemps, et je venais justement de retrouver sa piste. Il s’était enrôlé dans la compagnie B… pour cette malheureuse échauffourée, et y avait été fait prisonnier avec beaucoup d’autres, qu’on avait renvoyés ensuite à Mexico, à travers mille fatigues, et expédiés enfin pour le Texas, ou il était arrivé sain et sauf. Sa correspondance, quoique d’un ton plus calme, présentait toujours les mêmes caractères de franchise, d’élévation et de générosité.

Sa mère continuait à prier pour sa conversion, évoquant chaque jour les promesses et l’alliance de Dieu. Elle commençait à désespérer de revoir son enfant dans ce monde ; mais, franchissant les temps et les espaces sur les ailes de sa foi, elle s’élançait par la pensée dans le monde à venir, et persévérait néanmoins à lutter avec Dieu pour le salut de cet être aimé.

Arriva la guerre du Mexique. Notre pauvre Willy se trouva tellement engagé dans les mouvements militaires du Texas, qu’il ne put pas se libérer de son service. Il dut prendre part à la guerre dans la cavalerie du Texas. Un jour, en s’exerçant au tir du pistolet avec sa compagnie, son arme partit par accident pendant qu’il détournait son cheval, et la balle le tua. Le pauvre Willy fut enseveli par ses compagnons d’armes sur la terre étrangère, au Mexique. Je fus le premier à en recevoir la nouvelle, et je me rendis aussitôt auprès de la pieuse et fervente femme. Pauvre mère ! comment lui annoncer une aussi cruelle douleur ? Au moment où je l’abordai, elle aperçut dans mes mains le papier, et demanda :

— Avez-vous des nouvelles de mon pauvre Willy ?

— Oui, ma chère dame, et des nouvelles bien tristes… Que le Seigneur, en qui vous avez mis votre confiance, vous donne la force de les lire !

Et là-dessus je lui tendis la lettre.

J’observais son visage pendant qu’elle lisait. Un tremblement s’empara de tous ses membres, de grosses larmes tombaient de ses yeux. Un soupir, un seul, mais un soupir qui sortait des profondeurs de son être, s’exhala de son cœur brisé. Elle releva ses yeux baignés de pleurs vers moi, en disant :

— Et l’Alliance ? Que devient l’Alliance ?

— L’Alliance, lui répondis-je, l’Alliance demeure ! Elle ne saurait être violée, chère dame.

— Oui, dit-elle, pensive ; l’Alliance ne saurait être violée !… Qu’est devenu mon enfant ? je n’en sais rien ! Ce que l’Esprit Saint a bien voulu faire pour le salut de son âme, je l’ignore ! Mais je sais une chose, c’est que j’ai bien fait de le consacrer au Seigneur selon son Alliance ; j’ai bien fait de prier pour son salut. J’ai le droit de croire que ces prières ont été entendues et acceptées par les mérites du Sauveur, et qu’elles seront exaucées, de façon ou d’autre, selon la sagesse et la fidélité de Dieu. Comment ? c’est ce que je ne sais pas. Mais, puisque je l’ignore, je veux posséder mon âme par la patience, et attendre avec foi le jour où notre bon Père m’expliquera toutes choses, et où je serai rendue capable de comprendre une pareille explication.

Quelle foi ! quel glorieux triomphe ! Pieuse et sainte femme, par quelles douleurs n’as-tu pas été éprouvée ? Mais aussi, quelle victoire merveilleuse que celle que tu as remportée !

Ayez foi en Dieu ! Alors même qu’il est impossible de sonder les voies du Père des lumières, il demeure certain qu’il n’y a point de peut-être dans son Alliance, car toutes ses promesses sont oui et amen en Christ, a la gloire de Dieu le Père. »

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