La trinité

C) LE TÉMOIGNAGE DES APÔTRES

32. Que pensent les Apôtres de cette parole : « Je suis sorti de Dieu » ?

Selon l’ordre que nous avons adopté pour notre réplique, voici le moment le plus favorable pour aborder notre troisième point[36] : nous voudrions prouver à présent, que les Apôtres ont cru notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, non pas seulement de nom, mais par sa nature ; à leurs yeux, il ne s’agissait pas d’une filiation adoptive, mais d’une véritable naissance.

[36] Le premier point : 23-27 ; le deuxième : 28-31 ; le troisième : 32-45.

A vrai dire, nous avons laissé de côté bien des textes très importants où le Fils Unique de Dieu nous déclarait ce qu’il était. Ces textes affirment la vérité de sa génération divine sans donner la moindre prise à une imputation mensongère. Cependant nous ne voudrions pas accabler l’esprit de nos lecteurs par une accumulation massive de textes ; et puisque nous leur avons déjà présenté plusieurs passages soulignant le caractère spécifique de la naissance du Fils, nous nous réservons de citer tous les autres textes dans nos recherches postérieures. De fait, nous avons disposé notre livre de telle façon qu’après le témoignage du Père et l’aveu du Fils, nous soyons également instruits par la foi des Apôtres : pour eux, le Christ est-il vrai Fils de Dieu selon sa naissance ? Voyons donc à présent si la parole du Seigneur : « Je suis sorti de Dieu » laisse entendre aux Apôtres qu’il y a dans le Christ autre chose que la nature qu’il tient de sa naissance divine.

33. Ils reprennent pour leur compte : « Tu es sorti de Dieu »

Après toute cette brume des énigmes qui formaient le fond des paraboles, les Apôtres connaissent maintenant le Christ jadis annoncé par Moïse et les Prophètes. Nathanaël l’a proclamé Fils de Dieu et Roi d’Israël. Philippe qui s’enquiert et cherche à savoir où est le Père, se voit reprocher par Jésus de ne pas reconnaître à la puissance de ses œuvres miraculeuses, que le Père est en lui et qu’il est dans le Père. Jadis, le Christ leur avait souvent enseigné qu’il était envoyé du Père, et pourtant, lorsqu’ils l’entendent affirmer qu’il est « sorti de Dieu », voici quelle est leur réponse (qui, dans le contexte, suit immédiatement la parole du Christ citée plus haut) : « Enfin, tu parles clair et sans énigme. Maintenant nous voyons que tu sais tout et que tu n’as pas besoin qu’on t’interroge. A cela nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jean 16.29-30).

N’avons-nous pas là un merveilleux cri d’admiration, en cette phrase qui proclame le Christ : « sorti de Dieu » ? Hommes bienheureux et saints qui pour prix de votre foi, avez reçu les clés du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier, sur terre et dans le ciel, combien d’œuvres que Dieu seul était capable d’accomplir, avez-vous vu réaliser sous vos yeux par notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu ! Et maintenant, pour la première fois, vous affirmez hautement comprendre la vérité, lorsque le Christ vous dit être « sorti de Dieu » ! Et pourtant, vous aviez vu les eaux des noces devenir du vin, vous aviez vu une nature devenir une autre nature, par transformation, perfectionnement ou création. Vous aviez également rompu les cinq pains pour nourrir une foule énorme, et, lorsque tous furent rassasiés, les restes étaient si abondants que vous en avez rempli douze corbeilles. Vous l’aviez donc constaté : il avait suffi d’une petite quantité de matière pour dissiper la faim ; ce petit rien s’était multiplié, il y avait maintenant abondance, et c’était la même matière ! Vous aviez vu des mains desséchées reprendre leur vigueur, la langue des muets se délier dans leur bouche, les pieds des boiteux se mettre à courir, les yeux des aveugles découvrir la lumière, les morts revenir à la vie ! Lazare, qui sentait déjà, s’était dressé à la voix qui l’appelait hors de son tombeau ; le voilà dehors sur le champ, sans qu’il y eût le moindre intervalle entre l’appel du Seigneur et sa résurrection. Oui, c’est lui, bien vivant devant vous, tandis que l’air charrie encore dans vos narines l’odeur du cadavre !

Et je passe sous silence les autres œuvres de la merveilleuse et divine puissance du Christ. Serait-ce donc qu’à présent, pour la première fois, vous comprenez qui est cet envoyé du ciel, après avoir entendu cet aveu : « Je suis sorti du Père » ? Serait-ce la première fois qu’une telle affirmation vous aurait été énoncée « sans énigme » ? Pour la première fois, comprendriez-vous maintenant qu’il est vrai Dieu, celui qui est « sorti de Dieu », tandis qu’il regarde en silence les secrets de vos cœurs, tandis qu’il interroge quelques-uns d’entre vous, comme s’il ignorait quelque chose, lui qui connaît tout ?

En fait, ce sont toutes ces œuvres accomplies par lui, dans la puissance de sa nature divine, qui prouvent à notre foi qu’il est sorti de Dieu.

34. Eux qui connaissaient le Christ comme « envoyé de Dieu », le comprennent ensuite comme « sorti de Dieu »

Jusqu’ici les saints Apôtres n’avaient pas encore compris qu’être « sorti de Dieu » n’était pas la même chose qu’avoir été « envoyé par Dieu ». Car ils avaient souvent entendu le Christ affirmer dans ses discours antérieurs qu’il était envoyé par Dieu ; mais lorsqu’ils apprennent de sa bouche qu’il est sorti de Dieu, et lorsqu’ils perçoivent, en raison de ses œuvres, sa nature divine, ils reconnaissent alors qu’il possède la véritable nature divine du fait qu’il est sorti de Dieu, et ils lui disent : « Nous voyons maintenant que tu sais tout et que tu n’as pas besoin qu’on t’interroge. A cela nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jean 16.30). Ils croient en effet, que le Christ est sorti de Dieu, parce qu’il peut faire, et qu’il fait, les œuvres de Dieu. Car ce qui consacre en lui la nature de Dieu, ce n’est pas d’être venu, envoyé par le Père, mais d’être sorti de Dieu[37]. En somme, c’est l’audition d’une affirmation inattendue qui confirme leur foi. Car, lorsque le Seigneur leur disait ici : « Je suis sorti de Dieu » (Jn 16.27), et là : « Du Père, je suis venu en ce monde » (Jean 16.28), ils n’avaient pas lieu de s’étonner d’une expression déjà fréquemment entendue : « Du Père, je suis venu en ce monde ». Or leur répartie prouve qu’ils comprennent maintenant ces mots : « Je suis sorti de Dieu », et qu’ils y croient. Car ils se contentent de dire : « Nous croyons que tu es sorti de Dieu », et n’ajoutent pas : « Nous croyons que tu es venu du Fère, en ce monde ». L’une des affirmations du Christ attire leur adhésion, tandis que l’autre est passée sous silence. C’est qu’ils entendent quelque chose de nouveau qui détermine chez eux leur profession de foi ; ils comprennent une vérité qui les contraint de formuler leur foi en paroles. Certes, ils le savaient : le Christ, comme Dieu, pouvait tout ; mais ils n’avaient pas encore perçu le rapport entre cette toute-puissance et sa naissance divine. Eux qui connaissaient le Christ comme l’envoyé de Dieu, ignoraient pourtant qu’il était sorti de Dieu. Lorsque la puissance de sa parole leur fait comprendre cette naissance inénarrable et parfaite, ils proclament qu’à présent, le Christ s’entretient avec eux « sans énigme ».

[37] Donc la naissance éternelle ou la divinité partagée, et non l’Incarnation.

35. Ce terme : « sorti de Dieu », souligne la pureté de la naissance divine

En effet, ce n’est pas à la manière d’une naissance humaine que Dieu naît de Dieu ; il n’est pas mis au monde comme un être humain procède d’un autre être humain, par les organes qui nous servent à propager notre espèce. Sa naissance est pure, parfaite, sans aucune souillure, c’est plutôt une sortie de Dieu qu’un enfantement. Car le Fils est l’Un qui vient de l’Un. Il ne s’agit pas d’une séparation, d’une coupure en deux parts, d’une diminution, d’une émanation, d’une extension, d’un événement qui survient ; non, cette naissance est celle de la nature d’un Vivant qui procède d’un Vivant. Dieu sort de Dieu, ce n’est pas une créature privilégiée qui porte le nom de Dieu. Son existence ne commence pas à partir du néant, il sort de Celui qui demeure éternellement ; ce mot : « être sorti » signifie une naissance et non un commencement d’existence. Car ce n’est pas la même chose de dire qu’un être a commencé d’exister et de dire que Dieu est sorti de Dieu. Une claire connaissance de cette naissance, bien qu’elle ne puisse être traduite par des mots humains puisqu’elle est ineffable, mérite pourtant pleine créance, de par l’enseignement du Fils qui nous révèle qu’il est « sorti de Dieu ».

36. Pierre proclame : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » !

Croire que le Fils de Dieu est fils par le nom, et non par nature, n’est pas une foi conforme à l’Evangile et aux écrits des Apôtres. En effet, s’il ne s’agissait que d’un nom reflétant l’adoption, et si le Christ n’était pas Fils, parce que sorti de Dieu, je me demande bien pourquoi le bienheureux Simon, fils de Jean, aurait pu reconnaître : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » (Matthieu 16.16). Serait-ce parce que celui-ci aurait eu, comme tout le monde, la faculté de naître, fils de Dieu, par le sacrement qui nous régénère ? Si le Christ était seulement appelé fils de Dieu, je pose cette question : qu’est-ce donc qui a été révélé à Pierre, non par la chair et le sang, mais par le Père qui est dans les deux ? Une croyance partagée par tous a-t-elle à être soulignée ? La belle affaire de révéler une chose dont tout le monde a conscience ! Si le Christ était fils par adoption, pourquoi la confession de Pierre lui mériterait-elle le qualificatif de « bienheureux », lui qui n’aurait reconnu au Fils qu’un titre commun à tous les saints ?

Non, la foi de l’Apôtre se hisse bien au-delà des limites de l’intelligence humaine ! Il avait souvent entendu cette parole : « Celui qui vous reçoit, me reçoit, et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé » (Matthieu 10.40). Il n’ignorait donc pas la mission du Christ, il n’ignorait pas qu’il était envoyé, lui qu’il avait entendu affirmer : « Tout m’a été donné par mon Père. Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils » (Matthieu 11.27). Que révèle donc le Père à présent à Pierre, pour que cela lui mérite la gloire de voir sa confession qualifiée de « bienheureuse » ? Pierre aurait-il ignoré le nom du Père et du Fils ? Il les avait entendus fréquemment ! Mais il avance ici une parole qui n’avait pas encore été prononcée par une voix humaine : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Il reconnaît ainsi la divinité du Christ

Car bien que le Christ, demeurant dans la chair, eût confessé qu’il était Fils de Dieu, c’est ici la première fois que l’Apôtre reconnaît en lui la nature divine. Et le Christ félicite Pierre, non seulement pour lui avoir rendu honneur par cet aveu, mais pour avoir percé son mystère ; car l’Apôtre ne s’est pas contenté de reconnaître le Christ, il l’a proclamé Fils de Dieu. Pour honorer le Christ, il eût suffit de certifier : « Tu es le Christ ». Mais c’eût été bien inutile de l’appeler Christ, sans le proclamer Fils de Dieu. En affirmant : « Tu es », Pierre témoigne clairement de ce qu’il y a de merveilleux et d’unique dans la vraie nature du Fils. Et le Père, en disant : « Celui-ci est mon Fils » (Matthieu 17.5), révélait à Pierre qu’il devait proclamer : « Tu es le Fils de Dieu ». Car l’expression : « Celui-ci » est le signe donné par Celui qui révèle, et la réponse : « Tu es » montre que ce signe a été reconnu par celui qui affirme sa foi.

L’Eglise est bâtie sur la pierre de cette confession. Mais un esprit de chair et de sang ne saurait comprendre cette profession de foi. Appeler le Christ : Fils de Dieu, et le croire tel, est un mystère caché qui ne peut être révélé que par Dieu. Serait-ce le nom divin, plutôt que la nature divine qui aurait été révélée à Pierre ? S’il ne s’était agi que du nom, Pierre avait souvent entendu le Seigneur se proclamer Fils de Dieu. D’où lui vient donc cette révélation ? C’est qu’elle vise la nature et non pas un nom qui déjà, avait été affirmé à plusieurs reprises.

37. La foi de Pierre est le fondement de l’Eglise

Oui, cette foi proclamée par Pierre, est le fondement de l’Eglise. Par cette foi, les portes de l’enfer sont impuissantes contre elle. Cette foi possède les clefs du Royaume céleste. Par cette foi, ce qui aura été délié ou lié sur la terre, sera lié ou délié dans les cieux (Matthieu 16.18-19). Cette foi est le don de la révélation du Père, elle ne se fourvoie pas en affirmant le Christ créé du néant, mais elle le proclame Fils de Dieu, selon la nature qu’il possède en propre.

O délire impie d’une misérable sottise ! Elle ne comprend rien au témoignage rendu par la foi d’un vieillard proclamé bienheureux ; elle ne comprend rien au témoignage de Pierre, au témoignage d’un homme pour qui le Christ avait prié, demandant au Père que sa foi ne défaille pas, au témoignage d’un homme qui avoue son amour pour Dieu, lorsque celui-ci lui demande à plusieurs reprises s’il l’aime, et qui s’afflige comme d’une épreuve, de se voir encore interrogé une troisième fois et pris pour quelqu’un qui hésite et qui doute ! Mais le voici purifié après cette troisième épreuve[38], aussi mérite-t-il d’entendre trois fois de la bouche du Seigneur : « Pais mes brebis » (Jean 21.17). Non, elle ne comprend rien au témoignage d’un homme qui, alors que tous les Apôtres gardent le silence, reconnaît le Fils de Dieu par la révélation du Père, et qui mérite par là, en raison de l’affirmation de sa foi qualifiée de bienheureuse, une gloire suréminente qui dépasse tout ce que peut rêver la finitude humaine !

[38] Allusion au triple reniement. Marc 14.72.

Et maintenant, quelle conclusion tirer de notre explication de cette parole de Pierre ? Celui-ci a proclamé le Christ : Fils de Dieu ; et toi, religion de mensonge qui te substitues à l’enseignement des Apôtres, tu viens aujourd’hui me raconter : le Christ est une créature qui vient du néant ! Est-ce là toute la portée que tu donnes à ces paroles si riches de sens ? Pierre a confessé le Fils de Dieu, et pour cela, le voici proclamé bienheureux ! Cette confession du Fils de Dieu, c’est la révélation du Père, c’est le fondement de l’Eglise, c’est l’assurance d’une vie éternelle ! Par là, Pierre a mérité de posséder les clefs du ciel, par cette confession, les sentences qu’il porte sur la terre sont ratifiées dans le ciel ! L’Apôtre apprend par révélation le mystère caché depuis le commencement des siècles ; il laisse parler sa foi, il publie la nature divine, il confesse le Fils de Dieu. Celui qui nie ce mystère et préfère soutenir que le Fils est une créature, doit commencer par rejeter la dignité d’Apôtre de Pierre, sa foi, la déclaration de sa béatitude, son sacerdoce, son témoignage. Ensuite, il lui restera à comprendre qu’il n’appartient plus au Christ, puisque c’est en confessant le Fils de Dieu que Pierre a mérité tout cela du Christ.

38. Le Père n’aurait-il pas fait connaître à Pierre toute la vérité ?

Dis-moi, hérétique que je trouve aujourd’hui bien misérable, penses-tu que Pierre aurait été proclamé bienheureux s’il avait dit : « Tu es le Christ, créature parfaite de Dieu, tu es une œuvre qui dépasse toutes les autres œuvres divines, tu as eu ton commencement d’existence à partir du néant, tu as mérité le nom adoptif de fils, par pure bonté du Dieu qui seul est bon, et tu n’es pas né de Dieu » ? Oui, s’il avait fait une telle déclaration, je te le demande, quelle réponse aurait-il reçu, lui qui, à l’annonce de la Passion, s’écria : « A Dieu ne plaise, Seigneur, non, cela ne t’arrivera pas », et s’attira cette réplique : « Passe derrière moi, Satan, tu es pour moi occasion de chute ! » (Matthieu 16.22-23) ? Et pourtant, ce n’est pas l’ignorance de Pierre qui lui est reprochée, car le Père ne lui avait pas encore révélé tout le mystère de la Passion. Mais c’est son peu de foi qui reçoit ici sa sentence de condamnation.

Mais pourquoi donc le Père n’a-t-il pas révélé à Pierre cette confession de foi qui est la vôtre : la création du Fils et son adoption ? Eh bien, je le suppose, c’est que Dieu a fait connaître la vérité à Pierre avec parcimonie ; il l’a mise de côté pour un âge postérieur, cette révélation parfaite, et vous l’a réservée, à vous ses nouveaux prédicateurs, pour que vous nous l’annonciez maintenant !

Eh bien, changez la foi, si les clefs du Royaume des deux sont changées ! Changez la foi, si l’Eglise est changée, cette Eglise contre laquelle les portes de l’Enfer ne prévaudront pas ! Changez la foi, si la mission des Apôtres est changée, cette mission par laquelle est lié et délié dans le ciel, ce qui a été lié et délié sur la terre ! Changez la foi, si le Christ est changé, s’il nous faut annoncer un autre Christ, Fils de Dieu, différent de celui qui a été présenté jusqu’ici ! Mais si, au contraire, c’est cette foi dans le Christ, Fils de Dieu, qui, à elle seule, a mérité à Pierre une gloire qui le comble de tous les bonheurs, nous voilà forcés d’admettre que ces rêveries qui déclarent le Christ : créature produite du néant, ne reçoivent pas les clefs du Royaume des cieux, et qu’elles sont étrangères à la foi et à la puissance des Apôtres ! Ce n’est pas la foi de l’Eglise, ni la foi au Christ.

39, Jean nous parle du « Fils Unique ».

Mettons donc en lumière toutes les déclarations des Apôtres, où ils nous montrent leur foi dans le Fils de Dieu, en lui attribuant, non pas un nom adoptif, mais la propre nature de Dieu ; sans lui prêter l’indigence de la créature, ils reconnaissent en lui la gloire de la naissance divine.

Laissons la parole à Jean, lui que l’on pense être toujours sur terre, jusqu’à la venue du Seigneur, laissé ici-bas par une mystérieuse volonté de Dieu, puisque l’Ecriture nous dit qu’il ne mourra pas, mais restera en vie[39]. Laissons-le donc parler selon sa façon coutumière : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, si ce n’est le Fils Unique de Dieu qui est dans le sein du Père » (Jean 1.18). Le nom de Fils ne lui paraît pas suffisant pour rendre compte de sa foi en la nature divine, s’il ne donne pas en outre, à ce mot de Fils, la force qui lui est propre, en signifiant qu’il ne peut s’appliquer qu’à lui seul. Car au terme : Fils, il joint l’épithète « Unique », pour éviter toute interprétation de ce mot dans le sens d’une adoption, puisque la nature divine est là pour témoigner de la vérité de ce mot : « unique ».

[39] Cf. Jean 21.22-23.

40. Ce Fils Unique, donné au monde, nous prouve la tendresse du Père.

Je ne recherche pas ici le sens de l’expression : « qui est dans le sein du Père » ; cette explication viendra en son temps[40]. Mon intention est d’examiner ce que signifie le terme : « unique ». Voyons donc si la définition que tu donnes du Fils : « créature parfaite de Dieu », est exacte ; dans ce cas, le mot : « parfait » serait l’équivalent de « unique », et le terme : « créature » se rapporterait à « Fils ». Mais Jean nous dit que le Fils Unique est Dieu, et non créature parfaite. Il n’ignorait pas ces dénominations futures des blasphémateurs, lui qui précise : « Celui qui est dans le sein du Père », et qui a entendu de son Seigneur : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils Unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16).

[40] Hilaire oubliera de le traiter.

Oui, Dieu qui aime le monde, lui offre cette preuve de son amour : il lui donne son Fils Unique ! Si ce gage de son amour n’avait consisté qu’à offrir une créature aux créatures, à donner au monde quelqu’un du monde, un être tiré du néant pour racheter les êtres tirés du néant, un si pauvre cadeau n’aurait pas grand poids pour éveiller la foi. Mais ce sont les dons précieux qui donnent son prix à l’amour, et la grandeur des gens est estimée d’après la grandeur de leur générosité. Dieu qui aime le monde ne lui a pas donné un fils adoptif, mais son propre Fils, son Fils Unique. Chez celui-ci, il y a qualité propre de Fils, naissance et vérité, et non pas création, adoption et mystification ! La preuve de la tendresse du Père et de son amour, c’est d’avoir donné pour le salut du monde un Fils qui est son Fils et son Fils Unique !

41. Jean affirme la divinité de ce Fils.

Je passe sous silence les autres noms donnés au Fils. On ne peut être accusé de dissimuler, là où il y a possibilité de choisir. Le développement d’un raisonnement part toujours de ses prémisses, et toute œuvre manifeste la raison qui l’a fait entreprendre. En écrivant son Evangile, l’Evangéliste a dû nous donner le motif de sa rédaction. Voyons ce qu’il nous indique ; il précise : « Tous ces faits ont été relatés, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu » (Jean 20.31). Il ne nous donne pas d’autre motif pour lequel il aurait écrit son Evangile ; il l’a fait pour que tous croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. S’il avait suffi pour être sauvé de croire que Jésus est le Christ, pourquoi a-t-il ajouté : « Fils de Dieu » ? Mais si la vraie foi consiste à croire que le Christ est non seulement Christ, mais qu’il est Christ, Fils de Dieu, c’est que le nom de Fils n’est pas à donner au Christ, Fils Unique de Dieu, selon la manière ordinaire de parler lorsqu’on désigne un fils adoptif, car il est essentiel de croire à ce nom pour être sauvé. Si donc le salut réside dans la confession de ce nom, je voudrais bien savoir pourquoi ce nom n’exprimerait pas la vraie nature divine ! Et si ce nom exprime la vérité de la nature divine du Fils, de quel droit l’appelle-t-on créature, puisque ce n’est pas la confession d’une créature, mais la confession du Fils qui nous assure le salut ?

42. Nous ne pouvons aimer le Père qu’en croyant à son Fils

Le véritable salut, la valeur d’une foi parfaite, c’est donc de croire en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Car nous ne pouvons aimer Dieu le Père qu’en croyant à son Fils. Ecoutons Jean nous l’assurer dans son épître : « Quiconque aime le Père, aime celui qui est né de lui » (1 Jean 5.1). Je t’interroge : que veut donc dire « naître de lui » ? Cette expression aurait-elle le même sens que : « être créé par lui » ? Pourquoi l’Evangéliste nous induit-il en erreur en prétendant qu’il est né de Dieu, ce Christ que l’hérétique, d’un ton doctrinal, nous apprend avoir été créé par Dieu ? Mais écoutons tous qui est ce beau docteur ! Car on nous assure : « Le voici l’Antéchrist, celui qui nie le Père et le Fils » (1 Jean 2.22). Qu’en penses-tu, champion de la créature et modeleur frais émoulu d’un Christ tiré du néant ? Ecoute le titre qui te revient, si tu persistes dans ta doctrine ! Lorsque tu nous présentes le Père et le Fils comme Créateur et créature, penses-tu que, par une ingénieuse ambiguïté de mots, tu puisses éviter d’être pris pour l’Antéchrist ? Si, dans ta profession de foi, le Père est Père par sa nature, si le Fils est Fils par sa nature, alors je suis un infâme, en te déshonorant par un nom que tu n’as pas mérité. Mais si chez toi, tout n’est que simulation, si les attributs que tu prêtes au Fils ne sent pas les siens propres, mais si tu ne les lui reconnais que de nom, apprends alors de l’Apôtre le qualificatif que mérite ta foi, écoute quelle est cette autre foi qui reconnaît le Fils. Car le texte ajoute : « Quiconque nie le Fils, n’a pas non plus le Père. Qui confesse le Fils, possède le Fils et le Père » (1 Jean 2.23). Qui nie le Fils, n’a pas le Père ; celui qui confesse le Fils et le possède, possède aussi le Père. Je me demande où se trouvent en ce texte les noms concernant l’adoption. Tous ces mots ne nous parlent-ils pas de la nature divine ?

Et maintenant, apprends ce qu’est cette nature.

43. Toi qui t’opposes à la foi de Jean, de qui tiens-tu ta doctrine ?

Jean nous dit en effet : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu », qu’il a pris pour nous, notre chair, qu’il a souffert, et que, ressuscité des morts, il nous emporte avec lui ; « et il nous a donné l’intelligence parfaite pour connaître le Véritable, et nous sommes dans le Véritable, le Fils, Jésus-Christ. C’est lui qui est le Véritable, la Vie éternelle » et notre résurrection (1 Jean 5.20).

O triste sagesse, privée de l’Esprit de Dieu, te voilà sur la bonne voie pour acquérir l’esprit et le nom de l’Antéchrist ! Tu ignores la venue du Fils de Dieu pour accomplir le mystère de notre salut, et par suite, indigne de percevoir la lumière de cette connaissance parfaite, tu proclames que Jésus-Christ est une créature qui porte le nom divin par adoption, plutôt que le vrai Fils de Dieu !

Par quel oracle secret as-tu appris ces mystères cachés ? Quel est donc, à présent, le nouveau maître de qui tu tiens cette science ? Le Seigneur te l’aurait-il révélée à toi tout seul, lorsque la familiarité que permet l’amour, te portait à reposer sur sa poitrine[41] ? Es-tu le seul qui ait suivi le Seigneur au pied de la croix ? Celui-ci t’aurait-il confié cette doctrine, comme témoignage spécial de tendresse, tout en te recommandant de prendre Marie pour mère[42] ? Peut-être est-ce au tombeau que tu as découvert ce savoir, lorsque, courant avec Pierre, tu y es arrivé le premier[43] ? Serait-ce alors dans l’assemblée des Anges, en ouvrant les livres scellés dont personne ne peut briser les liens, au milieu des puissances angéliques aux multiples visages, traçant des signes dans les cieux, et parmi les hymnes éternels aux mélodies impossibles à traduire[44] ? Oui, seul l’Agneau a pu être ton guide pour te révéler une doctrine aussi relevée où le Père n’est pas Père, où le Fils n’est pas Fils, où la nature n’est pas nature, où la vérité n’est pas vérité ! Car chez toi, tout est altéré, tout devient mensonge. L’Apôtre nous parle du Véritable, du Fils de Dieu, de par l’intelligence parfaite qui lui a été accordée. Toi, tu affirmes la création, tu proclames l’adoption, tu nies la naissance. Et puisque pour nous, le Christ est le Véritable Fils de Dieu, Vie éternelle et Résurrection, il n’est ni vie éternelle, ni résurrection, pour ceux qui ne le reçoivent pas comme Véritable. Tel est l’enseignement que nous donne Jean, le disciple bien-aimé du Seigneur.

[41] Cf. Jean 13.23.

[42] Jean 19.26-27.

[43] Jean 20.24.

[44] Cf. Apocalypse 5.1-14.

44. Quant à Paul, il ne nous annonce pas autre chose.

Le persécuteur, devenu Apôtre et « instrument de choix » (Actes 9.15), ne nous annonce pas une autre doctrine. Est-il, en effet, un texte de lui où il ne proclame sa foi au Fils de Dieu ? Quelle épître ne commence par une formule où cette vérité est affirmée ? Où trouve-t-on ce nom de Fils employé en un sens qui n’est pas celui du caractère spécifique, propre au Fils Unique ? En effet, lorsqu’il nous dit : « Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » (Romains 5.10), et plus loin : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché » (Romains 8.3), et ailleurs : Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelés à la communion de son Fils » (1 Corinthiens 1.9), laisse-t-il un endroit où l’hérétique puisse se glisser en secret ? Il s’agit de « son Fils », et non pas de son adopté ou de sa créature ! Le nom indique la nature, la qualité propre de Fils exprime la vérité, la proclamation de ce nom prouve la foi. Je ne vois pas bien ce qu’on pourrait ajouter à la nature du Fils, puisque la nature du Fils, c’est d’être le Fils de celui que nous croyons être le Père !

Car celui qui est « instrument de choix » (Actes 9.15) ne nous a pas parlé d’une manière hésitante ou d’une voix mal assurée. Le « docteur des païens » (2 Timothée 1.11), l’« Apôtre du Christ » (1 Corinthiens 1.1), ne laisse aucune ambiguïté, aucune erreur dans l’expression de sa doctrine. Il sait fort bien quels sont les fils adoptifs, quels sont ceux qui ont mérité de l’être par la foi, car il nous dit : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu, en effet, un esprit de servitude pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un Esprit de fils adoptifs qui nous fait crier : Abba ! Père ! » (Romains 8.14-15). Tel est bien le nom que reçoit notre foi par le sacrement qui nous régénère, et la confession de notre foi nous mérite l’adoption. Car les œuvres que nous accomplissons dans l’Esprit de Dieu nous permettent d’être appelés fils de Dieu ; et si nous crions : « Abba ! Père ! », ce n’est pas que réside en nous de par notre nature, le caractère propre de Fils de Dieu[45]. Car l’exercice de notre voix n’est pas ce qui caractérise notre nature, et autre chose est de parler, autre chose est d’être !

[45] Il existe une différence de nature entre la filiation divine du Verbe et cette adoption des chrétiens.

45. Paul appelle le Christ, le « propre Fils » de Dieu

Mais essayons de préciser quelle est la foi de l’Apôtre au sujet du Fils de Dieu. Tous les passages où il expose la doctrine de l’Eglise, ne mentionnent jamais le Père sans affirmer le Fils. Cependant, pour nous montrer, dans la mesure où le langage humain peut l’exprimer, la véritable signification de ce nom, il s’écrie : « Que dire après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous » (Romains 8.31-32). Serait-il question d’un fils adoptif en ce texte où le terme qui indique l’appartenance est si clairement exprimé ? L’Apôtre veut nous montrer l’amour de Dieu pour nous. Désirant nous faire comprendre la grandeur de la tendresse divine par une analogie, il nous enseigne que Dieu n’a pas épargné son propre Fils. Non, ce n’est pas un fils adoptif qu’il a livré pour ses fils adoptifs, une créature pour des créatures, mais ce qui est à lui pour des étrangers, son propre Fils pour ceux qu’il devait appeler à porter ce nom de fils.

Réfléchis sur la force de ce passage pour comprendre la grandeur de cet amour. Pèse le sens de ce mot : « propre » pour éviter de passer à côté de la vérité. Car ici, l’Apôtre précise : « son propre Fils », tandis qu’en bien des endroits, il s’était contenté de dire : « son Fils ». Certes, plusieurs manuscrits, par suite des copistes qui ne cherchent pas à compliquer les choses, portent : « son Fils », et non pas : « son propre Fils » ; cependant le grec, la langue dans laquelle l’Apôtre s’est exprimé, emploie l’expression : « son propre Fils », plutôt que « son Fils ». A vrai dire, une lecture superficielle ne fait pas grande différence entre : « son propre Fils » et : « son Fils » ; cependant l’Apôtre, qui en d’autres passages, appelle le Christ : « son Fils », en grec : « τόν αυτού υίόυ », nous montre clairement en ce passage qui porte : « ος τοΰ ίδίου υίοΰ ούκ έφίσατο » : « qui n’a pas épargné son propre Fils », la vraie nature du Fils. Après nous avoir déclaré plus haut qu’il y a plusieurs fils selon l’esprit d’adoption, il nous montre ici celui qui possède le caractère propre de Fils Unique de Dieu.

46. Nous pouvons conclure : l’hérétique n’est pas un ignorant, il hait le Christ

La fausse route où s’engage l’hérétique n’est pas le fruit d’une erreur humaine, et nier le Fils n’est pas dû à l’ignorance, car on ne peut ignorer ce que l’on nie. Il prétend : le Fils de Dieu est une créature existant à partir du néant. Si le Père n’a pas parlé de cela, si le Fils ne l’a pas attesté, si l’Apôtre ne l’a pas prêché, oser avancer une telle affirmation n’est pas seulement ignorer le Christ, c’est le haïr. Car le Père nous dit de son Fils : « Celui-ci est mon Fils » (Matthieu 3.17). Le Fils affirme à son sujet : « Celui qui te parle, c’est lui » (Jean 9.37), Pierre reconnaît : « Tu l’es » (Matthieu 16.16), Jean rend témoignage : « Il est le Véritable » (1 Jean 5.20), et Paul ne cesse de parler du « propre Fils » de Dieu (Romains 8.32). Là où l’erreur due à l’ignorance, ne peut être alléguée pour excuser cette faute, je ne vois pas d’autre mobile que la haine.

Celui qui parle ainsi, celui qui parle sans détour par les prophètes et les précurseurs de son avènement, c’est celui qui, plus tard, nous parlera par la bouche de l’Antéchrist[46]. Par ces nouveaux artifices, il tend à jeter le trouble dans les convictions de foi qu’il nous faut avoir pour parvenir au salut ; de la sorte, il commence par arracher de nos cœurs la croyance au Christ, Fils de Dieu selon la nature ; il lui sera ensuite facile de repousser le nom même de Fils, qui ne sera plus qu’un titre d’adoption. Car pour ceux qui soutiennent que le Christ est une créature, celui-ci devient nécessairement l’Antéchrist, puisqu’une créature ne peut être le propre Fils de Dieu, et le Christ n’est qu’un menteur lorsqu’il se dit Fils de Dieu. De ce fait, ceux qui nient le Fils de Dieu, tiennent le Christ pour l’Antéchrist.

[46] Ici Satan.

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