Aberdeen, 1637
Cher et révérend frère,
Je ne suis qu’une faible créature ; si l’on savait le peu que je suis, on ne penserait à moi qu’avec compassion. Je ne suis qu’un enfant sous la direction d’un maître sévère. Je voudrais avoir au delà de ce qu’Il m’accorde, et, toutefois, il est bon que ce ne soit pas la pauvre raison d’un enfant qui règle les voies du Seigneur. Qu’Il accorde ce qu’Il voudra, ce sera toujours au delà de nos mérites.
Je voudrais vivre, empruntant chaque jour à Christ ce dont j’ai besoin pour ma subsistance journalière. Qu’y aurait-il de mieux que de s’en reposer sur cet amour sans borne dont les anges eux-mêmes n’aperçoivent pas la profondeur ? Il sait que je ne possède rien, que c’est en Lui que j’attends, que j’espère ; mes désirs fussent-ils grands, et ils le sont, Christ pourra les remplir en toutes saisons d’infinies douceurs découlant de Lui. Si mes vases étaient en bon état, je les remplirais ; mais quand je viens puiser à la source des eaux vives, il se trouve qu’ils sont fêlés, et je ne puis avoir que peu d’eau à la fois. Contentons-nous donc du flux et du reflux de la mer. Hélas ! j’ai bien plus perdu de grâces que je n’en ai conservées. Voyez combien est petite la goutte d’eau qu’un enfant peut tenir dans sa main ; moi de même, je me contiens pas davantage de cet amour sans borne qui est en Jésus-Christ. Je crains parfois de n’être pas entré par la porte étroite, et de ne pas être devenu riche en Christ. Semblable à un enfant, j’ai tout détruit ; j’ai mis en jeu cette perle sans prix, ce céleste joyau, présent inestimable du Père ! Oh ! s’il daignait prendre ce qui m’appartient, inscrire son nom sur mes chaînes, user de la part qui m’est faite et en rendre compte comme de
son propre talent ! Oh ! s’il se mettait à ma place, dirigeant toutes choses selon son bon plaisir, tandis que moi, son humble serviteur, j’exécuterais ses ordres ! Seigneur Jésus, agis dans ce sens, reçois les actions de ton pupille, de ton héritier. Quel ne serait pas mon bonheur, si l’œuvre de mon salut était remise à Christ et qu’Il fût forcé de répondre pour moi ? Dépendre de Lui serait ma route la plus sûre. Il n’y a pas besoin de science pour se laisser guider par la grâce, mais un simple effet de la libre volonté. Si Christ ne portait pas une partie de mon fardeau, il n’y aurait plus de ciel pour moi. Je n’ai fait, pour ma part, que prêter mon nom à cette douce alliance : Christ qui est avant, pendant, après, toujours, en tout temps, affermit tout en Lui. Veuille mon Sauveur m’imputer les mérites et l’excellence de ce Frère qui nous a rachetés. Il n’a nul besoin que je proclame ce qu’Il est, et, cependant, si je pouvais le faire si, pendant quelques années encore, je pouvais annoncer au monde la gloire de Celui qui est et sera à toujours notre rançon ! Oh ! oui, je désire le faire, alors même que je serais condamné à retomber dans mon inutilité actuelle.
Mais pourquoi ces murmures, pourquoi m’affliger dans ces vains désirs, au lieu de croire simplement ce qui est, savoir, que Christ a pris à son service un malheureux proscrit ? S’Il le juge bon, ne peut-Il pas m’employer de quelque autre manière ? N’est-il plus d’âmes en ces lieux auxquelles il me fût possible de parler de Celui qui est leur vie ? Vous vous plaignez de ne pouvoir pas mettre en pratique votre foi, et vous osez à peine souffrir quelque peu pour Lui. En premier lieu, cher frère, croyez à votre propre misère. Regardez à Christ, Il n’a jamais repoussé le soupir ni le gémissement d’aucun enfant. Croyez-le, plus vous comprendrez la profondeur de votre souillure, plus vous ferez de progrès dans la connaissance de Christ. Moi-même, je l’ai trop faible encore cette connaissance pour surmonter la douleur de mes misères. Quand je suis entré dans la milice de Christ, je n’avais pas la force de porter une arme, comment n’a-t-Il pas refusé un tel soldat ? Je ne vaux pas mieux aujourd’hui, mais combattant sous ses ordres, je me sens soutenu par la foi en mon divin Capitaine. Il est riche, Il paie pour tous, usons de sa libéralité sans ménagement.
Vous désirez que je ne cache pas le visage de Christ, c’est un bon avis dont je vous rends grâce. Mais, hélas ! voilé ou à face découverte, je ne le vois pas toujours tel qu’Il est. Il arrive même que, lorsqu’Il est à découvert, c’est alors que je le vois le moins bien. C’est quand Il m’enlace de ses caresses que je suis semblable à un enfant qui possède un beau livre et s’amuse des dorures de la couverture au lieu d’en lire le contenu.
Sans doute, si mes désirs étaient comblés, j’appellerais le monde au combat, ainsi que le diable et les tentations, mais je suis trop faible encore pour me tenir debout devant mon bien-aimé, je me cache sous le boisseau.
Souvenez-vous de mes liens. Le Seigneur Jésus soit avec votre esprit.