Stromates

LIVRE PREMIER

CHAPITRE XXIX

Les Grecs ont été justement appelés des enfants par les Égyptiens, si on les compare aux Hébreux et à leurs institutions.

C’est pourquoi le prêtre égyptien de Platon a eu raison de s’écrier :

« Ô Solon ! Solon ! vous autres Grecs, vous êtes toujours des enfants. Aucune tradition antique n’a déposé quelque ancienne doctrine au fond de vos âmes ; il n’y a pas un vieillard parmi vous. »

Quels étaient les vieillards de ce prêtre ? ceux qui connaissaient les doctrines anciennes, c’est-à-dire les nôtres ; il entendait par jeunes ceux qui donnaient pour antiques et primitives les doctrines nouvelles professées par les Grées et nées de la veille. C’est pour cela qu’il ajoute :

« Et vous n’avez pas une doctrine blanchie par le temps ; »

car nous nous servons, à la manière des barbares, de figures simples et emblématiques : les hommes d’un sens et d’un cœur droits rejettent toujours les artifices du langage. Platon dit des Grecs, que leurs croyances diffèrent peu des fables. Or, il ne faut pas prêter l’oreille à des fables puériles, encore moins à des fables imaginées par des enfants. Platon nomme enfants les fables elles-mêmes, parce que ceux d’entre les Grecs qui se croient sages ont fort peu de clairvoyance. Par la doctrine que le temps a blanchie, il entend la vérité la plus ancienne, celle qui forme la tradition des peuples barbares. À ce mot doctrine blanchie par le temps, il oppose celui-ci, des fables-enfants, pour nous montrer que la science erronée des modernes, semblable au bégaiement de l’enfance, n’a pas l’ancienneté pour elle. La phrase dans son ensemble prouve que tout est puéril chez les Grecs, fables et discours. Elles sont donc divines les paroles que la vertu de Dieu adresse à Hermas par la voie de la révélation :

« Les visions et les révélations, dit-elle, sont nécessaires à cause des âmes hypocrites, qui se demandent en elles-mêmes si ces choses sont ou non. »

Semblablement aussi, par le surcroit de science qu’elles apportent, elles affermissent les preuves, servent d’appui et de fondement aux démonstrations, tant que les esprits, avec l’inconsistance de la jeunesse, flottent à tous les vents de doctrine. Le bon précepte donc est un flambeau, selon l’Écriture, la loi est une lumière, et la discipline montre les chemins de la vie.

La loi est la reine commune des mortels et des immortels, a dit Pindare. Or, j’entends par ces diverses dénominations le Dieu qui a fondé la loi, et j’accepte ces paroles d’Hésiode sur le Dieu de l’univers, bien que le poète les ait dites comme par conjecture, sans en comprendre la portée.

« Une loi a été prescrite aux hommes par le fils de Saturne ; il a décrété que les poissons, les bêtes féroces et les oiseaux de proie, se dévoreraient mutuellement, parce que la connaissance de la justice ne leur est point échue en partage ; mais il a donné aux hommes la justice, le plus beau de ses présents. »

Soit donc que le poète veuille parler de la loi que l’homme a reçue en naissant, soit qu’il veuille parler de la loi que dans la suite l’homme a reçue, mais de Dieu lui-même, toujours est-il que l’une et l’autre ne sont qu’une seule et même loi. C’est ainsi que Platon dit également dans le Politique, qu’il n’y a qu’un seul législateur; et dans ses Lois, que les principes de la musique ne seront jamais compris que par une seule intelligence ; enseignant de la sorte qu’il n’y a qu’un seul Verbe et qu’un seul Dieu. Moïse semble appeler le Seigneur alliance.

« C’est moi, dit Moïse, mon alliance sera avec toi. »

En effet, Dieu dit auparavant qu’il ne faut pas chercher l’alliance elle-même dans l’Écriture ; car l’alliance, c’est proprement ce qu’établit Dieu, l’auteur de toutes choses. Or, la racine du mot Dieu (Théos) est Thésis. qui signifie institution, et Dieu est ainsi nommé, parce qu’il règle et gouverne tout. Enfin, on trouve dans la prédication de Pierre, que cet apôtre appelle le Seigneur Loi et Verbe.

Mais terminons ici notre premier livre des Stromates, consacré aux recherches gnostiques conformément à la véritable philosophie.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant