Ce qui nous est monstré en l’Escriture, de l’essence de Dieu infinie et spirituelle, est dit non-seulement pour renverser les folles resveries du populaire : mais doit aussi valoir à mettre sous le pied toutes subtilitez des Philosophes profanes. L’un d’entre eux a bien cuidé avoir trouvé une sentence de bonne grâce, en disant, que Dieu est ce que nous voyons et ne voyons pas. Or en parlant ainsi, il imaginoit que la déité fust départie par tout le monde. Vray est que Dieu pour nous tenir en sobriété ne nous tient pas long propos de son essence : toutesfois, par les deux tiltres que nous avons récitez, il abat toutes ces lourdes resveries que les hommes conçoivent, et quant et quant réprime toute audace de l’esprit humain. Et de faict l’infinité de son essence nous doit espovanter, à ce que nous n’attentions point de le mesurer à nostre sens : et sa nature spirituelle nous doit retenir, pour ne rien spéculer de luy terrestre ou charnel. Et voilà pourquoy souvent il s’assigne son domicile au ciel. Car combien que selon qu’il est incompréhensible il remplisse aussi la terre. Toutesfois voyant que nos esprits, selon leur tardiveté, demeurent tousjours en bas, à bon droict pour resveiller nostre paresse et stupidité il nous eslève par-dessus le monde : en quoy l’erreur des Manichéens est abatu, lesquels en mettant deux Principes, establissoyent le diable à l’opposite de Dieu, comme s’il eust presque esté pareil. Car cela estoit dissiper et rompre l’unité de Dieu et restreindre son infinité. Et ce qu’ils ont bien osé abuser de quelque tesmoignage de l’Escriture, a esté d’aussi lourde ignorance comme l’erreur a esté une resverie exécrable. La secte appelée des Anthropomorphites, ont figuré Dieu corporel en leur sens, pource que l’Escriture luy assigne souvent bouche, aureilles, des pieds et des mains : mais leur sottise est si badine que sans longue dispute elle s’escoule. Car qui sera l’homme de si petit esprit, qui n’entende que Dieu bégaye, comme par manière de dire, avec nous à la façon des nourrices pour se conformer à leurs petis enfans ? Parquoy telles manières de parler n’expriment pas tant ric à ric quel est Dieu en soy, qu’elles nous en apportent une cognoissance propre à la rudesse de nos esprits : ce que l’Escriture ne peut faire qu’elle ne s’abaisse, et bien fort, au-dessous de la majesté de Dieu.
Mais encores nous trouverons là une autre marque spéciale, pour discerner Dieu d’avec les idoles. Car il se propose tellement pour un seul Dieu, qu’il s’offre pour estre contemplé distinct en trois personnes : lesquelles si nous ne regardons bien, il n’y aura qu’un nom vuide de Dieu, sans verlu ny effect, voltigeant en nos cerveaux. Or afin que nul ne songe un Dieu à trois testes, ou triple en son essence : ou bien qu’il ne pense que l’essence de Dieu, qui est du tout simple, soit partie et deschirée, il nous faudra ici chercher une briefve définition et facile, laquelle nous desveloppe de tout erreur. Au reste, pource qu’aucuns abbayent contre le mot de Personnes, comme s’il estoit inventé des hommes, voyons devant quelle raison ils ont de ce faire. Certes quand l’Apostre nomme Jésus-Christ Image vive de l’hypostase de son Père, il attribue à chacun d’eux quelque hypostase, en laquelle il diffère l’un d’avec l’autre. Or ce mot emporte subsistence qui réside en un seul Dieu. Ainsi de le prendre au lieu d’Essence, comme le font aucuns expositeurs, voulans dire que Jésus-Christ est comme une cire imprimée du seau de Dieu son Père, et par ce moyen représente sa substance : ce n’est pas seulement une sentence rude, mais du tout absurde. Car puis que l’essence de Dieu est simple, et ne reçoit aucun partage, celuy qui l’a en soy, et non point par défluxion ou portion, mais d’une perfection entière, seroit dit improprement charactère et image de ce qu’il est. Mais pource que le Père, entant qu’il est distingué en sa propriété, s’est du tout exprimé en son Fils, non sans bonne raison il est dit qu’il a rendu en luy son hypostase notoire. A quoy s’accorde très-bien ce qu’il adjouste tantost après, Qu’il est la splendeur de sa gloire. Parquoy nous tirons des mots de l’Apostre, qu’il y a une hypostase propre et appartenante au Père, laquelle toutesfois reluit en son Fils. Et de là aisément on peut recueillir quelle est l’hypostase du Fils, par laquelle il ressemble tellement à Dieu son Père, que ce n’est pas luy. Il y a une mesme raison au sainct Esprit : car nous aurons bien tost prouvé qu’il est Dieu, et toutesfois nous serons contraints de le tenir autre que le Père : laquelle distinction ne s’accorde pas à l’Essence, pource qu’on ne la peut faire variable, ne de plusieurs portions. Parquoy si nous adjoustons foy au dire de l’Apostre, il s’ensuivra qu’en un seul Dieu il y a trois hypostases. Et puis que les docteurs Latins ont voulu déclarer le mesme par le mot de Personnes, ce sera un chagrin, voire une opiniastreté trop excessive, de plaider d’une chose toute cognue et patente. J’ay desjà dit que le mot Grec emporte subsistence : et aucuns ont confondu le mot de Substance, comme si c’estoit tout un. Qui plus est, non-seulement les Latins ont eu ce mot de Personnes en usage, mais aussi les Grecs, pour mieux testifier leur accord, l’ont familièrement employé en leurs escrits. Quoy qu’il en soit, encores qu’il y eust scrupule au mot, ils ne veulent dire qu’une seule chose.
Maintenant, quoy que les hérétiques abbayent, et d’autres opiniastres murmurent, qu’on ne doit recevoir un mot forgé à l’appétit des hommes : puis qu’ils ne nous peuvent arracher que trois sont nommez, dont chacun est entièrement Dieu, et toutesfois qu’il n’y a point trois dieux, n’est-ce pas une grande malice de réprouver les mots, qui ne déclarent autre chose que ce qui est testifié en l’Escriture ? Ils allèguent qu’il vaudroit mieux non-seulement tenir nos sens enfermez entre les bornes de l’Escriture, mais aussi nos langues, que de publier mots estranges, qui soyent semences de noises et dissensions. Car il advient en telle manière, qu’on languit en combat de paroles, que la vérité en altercant est perdue, et la charité destruite. Mais s’ils nomment mots estranges tous ceux qui ne se peuvent trouver syllabe à syllabe en l’Escriture, ils nous imposent une dure condition : veu qu’en ce faisant ils condamnent toutes prédications qui ne sont composées mot à mot de l’Escriture. S’ils estiment mots estranges, ceux qui ont esté curieusement inventez, et se défendent superstitieusement, faisans plus à contention qu’à édification, lesquels ont usurpé sans nécessité et sans fruit, et dont il se suscite quelque offense entre les fidèles, ou bien qui nous pourroyent retirer de la simplicité de l’Escriture : j’approuve grandement leur sobriété. Car j’estime qu’il ne nous faut point parler de Dieu avec moindre révérence que penser de sa majesté : veu que tout ce que nous en pensons de nous-mesmes, n’est que folie : et tout ce que nous en pouvons parler est sans bonne saveur. Néantmoins il nous faut icy garder quelque moyen. Bien est vray qu’il nous faut prendre de l’Escriture la reigle tant de nos pensées que de nos paroles, à laquelle nous rapportions et toutes les cogitations de nostre esprit, et toutes les paroles de nostre bouche. Mais qui est-ce qui nous empeschera d’exposer par mots plus clairs les choses qui sont obscurément monstrées en l’Escriture, moyennant que ce que nous dirons serve à exprimer fidèlement la vérité de l’Escriture, et que cela se face sans trop grande licence, et pour bonne occasion ? Nous avons journellement exemples de cela. Et que sera-ce, quand il sera prouvé que l’Eglise a esté contrainte d’user de ces vocables de Trinité et de Personnes ? Si lors aucun les réprouve sous ombre de nouveauté, ne pourra-on pas juger qu’il ne peut porter la lumière de vérité ? asçavoir d’autant qu’il n’y a peu rien reprendre, sinon une plus claire explication de ce qui est comprins en l’Escriture ?
Or ceste nouveauté de mots (si ainsi se doit appeler) est lors principalement nécessaire, quand il faut maintenir la vérité contre les calomniateurs, qui la ren versent en tergiversant. Ce que nous n’expérimentons aujourd’huy que trop, ayans grande difficulté à convaincre les ennemis de la vérité : d’autant que se virans çà et là comme serpens, ils trouvent manière d’eschapper, sinon qu’on les presse de près, et quasi qu’on les tienne en serre. En ceste manière les Anciens estans inquiétez par divers combats de mauvaises doctrines, ont esté contrains d’expliquer facilement et familièrement ce qu’ils sentoyent : afin de ne laisser aucun subterfuge aux meschans, ausquels toute obscurité de paroles eust esté comme cachette pour couvrir leurs erreurs. Arrius confessoit Jésus-Christ estre Dieu et Fils de Dieu, pource qu’il ne pouvoit résister à tant de tesmoignages de l’Escriture : et comme s’estant acquitté, faisoit semblant de consentir avec les autres : mais ce pendant il ne laissoit pas de dire que Christ avoit esté créé, et qu’il avoit eu commencement comme les autres créatures. Les anciens Pères, pour retirer ceste cautèle malicieuse hors de ses ténèbres, ont passé outre, et ont déclaré Christ estre Fils éternel de Dieu, et d’une mesme substance avec son Père : lors est venue en avant l’impiété des Arriens, en ce qu’ils n’ont peu porter ceste doctrine, mais l’ont eue en exécration. Que si du commencement ils eussent confessé sans feintise Jésus-Christ estre Dieu, ils n’eussent point nié son essence divine. Qui sera celuy qui osera accuser les bons Pères, comme convoiteux de noises et dissensions : d’autant que pour un petit mot ils se sont tellement eschauffez en combat, jusques à troubler la tranquillité de l’Eglise ? Mais ce petit mot monstroit la différence entre les vrais Chrestiens et les hérétiques. Sabellius vint puis après en avant, lequel disoit ces vocables de Père, Fils et sainct Esprit, estre de nulle importance, et n’avoir nulle propriété ou signification, sinon celle qu’ont les autres tiltres de Dieu. Si on venoit à disputer, il recognoissoit le Père estre Dieu, le Fils pareillement et le S. Esprit : mais puis après il trouvoit une eschappatoire, qu’il n’avoit autre chose confessé que s’il eust appellé Dieu, Bon, Sage, Puissant, etc. Et ainsi retournoit à une autre chanson, que le Père estoit le Fils, et le Fils le S. Esprit, sans aucune distinction. Ceux qui avoyent en ce temps-là l’honneur de Dieu recommandé, pour abatre la malice de cest homme contredisoyent, remonstrans qu’il faut cognoistre (rois propriétez en un seul Dieu. Et pour se garnir de simple vérité et ouverte contre ses cavillations et son astuce oblique, affermoyent qu’il y a trois personnes résidentes en un Dieu : ou bien, qui vaut autant, Qu’en une seule essence divine, il y a Trinité de personnes.
Si donc ces noms n’ont pas esté inventez témérairement, il nous faut garder d’estre rédarguez de témérité si nous les rejetions. Je voudroye qu’ils fussent ensevelis, moyennant que ceste foy fust en tout le monde : le Père, le Fils, et le S. Esprit estre un seul Dieu, et toutesfois que le Fils n’est point le Père, ne l’Esprit n’est point le Fils, mais qu’il y a distinction de propriété. Au reste, je ne suis pas si rude et extrême, de vouloir susciter de grands combats pour les simples mots : car j’apperçoy que les anciens Pères, combien qu’ils s’estudient de parler fort révéremment en cest endroit, ne convienent point ensemble par tout : et mesmes qu’aucuns d’eux ne parlent point tousjours en mesme manière. Car quelles sont les locutions et formes de parler des conciles, que sainct Hilaire excuse ? Quelle hardiesse de parler prend aucunesfois sainct Augustin ? Quelle différence y a-il entre les Grecs et les Latins ? Mais un exemple seul suffira, pour monstrer ceste variété. Les Latins pour interpréter le mot Grec, Homousios, ont dit que le Fils estoit consubstanciel au Père : signifians qu’il estoit d’une mesme substance : et ainsi ils ont pris Substance pour Essence. Pourtant sainct Hiérome, escrivant à l’Evesque de Rome Damasus, dit que c’est un sacrilège de mettre trois substances en Dieu. Or on trouvera plus de cent fois en sainct Hilaire ceste sentence, qu’il y a trois substances en Dieu. Touchant du mot Hypostase, quelle difficulté en fait sainct Hiérome ? Car il souspeçonne qu’il y a du venin caché quand on dit qu’il y a en Dieu trois Hypostases. Que si quelqu’un en use en bon sens et droit, si dit-il que c’est une forme de parler impropre : si toutesfois il parle sans feintise : et non plus tost pour la haine qu’il portoit aux Evesques d’Orient il tasche de propos délibéré de les charger de calomnie. Tant y a que ce n’est pas fait honnestement à luy d’affermer que le mot Usie en Grec n’est autre chose qu’Hypostase, ce qu’on peut rédarguer par l’usage commun. Sainct Augustin est bien plus modeste et humain[f], lequel en confessant que ce nom d’Hypostase en tel sens est nouveau entre les Latins, toutesfois non-seulement il laisse aux Grecs leur façon de parler, mais aussi il supporte les Latins qui les ont ensuivis. Et mesme Socrates historien Ecclésiastique, au livre sixième de l’histoire qu’on appelle Tripartite, estime que ç’ont esté gens ignorans, qui en ont usé les premiers en ceste signification. Et de faict, sainct Hilaire reproche pour un grand crime aux hérétiques, que par leur témérité il est contraint de submettre au péril de la parole humaine les choses qui se doyvent contenir dedans le cœur[g] : ne dissimulant point que cela est entreprendre choses illicites, présumer choses non concédées, exprimer choses inénarrables. Un peu après il s’excuse qu’il est contraint de mettre en avant nouveaux vocables. Car après qu’il a mis les noms naturels, le Père, le Fils et le sainct Esprit, il adjouste que tout ce qu’on peut chercher d’avantage est par-dessus toute éloquence, par-dessus l’intelligence de nostre sens, et la conception de nostre entendement. Et en un autre passage[h], il estime les Evesques de Gaule bien heureux, de ce qu’ils n’avoyent ne forgé ne receu, ne mesmes cognu autre confession que la première et la plus simple qui avoit esté baillée à toutes les Eglises, depuis le temps des Apostres. L’excuse que fait sainct Augustin est assez semblable, asçavoir que la nécessité a comme par force arraché ce mot pour la povreté et défaut du langage humain en chose si haute : non pas pour exprimer du tout ce qui est en Dieu, mais pour ne point taire comment le Père, le Fils et le sainct Esprit sont trois. Ceste modestie des saincts Pères nous doit esmouvoir à ce que nous ne soyons par trop rigoureux à condamner incontinent tous ceux qui ne se voudront arrester à nostre guise de parler, moyennant qu’ils ne le facent point ou par orgueil et insolence, ou par finesse et malice : mais plustost que de leur costé ils considèrent quelle nécessité nous contraint de parler ainsi, à ce qu’eux-mesmes s’accoustument petit à petit à ce qui est expédient. Aussi quand d’un costé il faut résister aux Arriens, de l’autre aux Sabelliens, ils sont marris qu’on coupe la broche à telles gens pour ne les point laisser tergiverser, qu’ils se donnent garde qu’on ne souspeçonne qu’ils leur favorisent et sont leurs disciples. Arrius a confessé que Christ estoit Dieu : mais il gergonnoit en cachette qu’il avoit esté fait, et avoit commencement : aussi confessant qu’il estoit un avec le Père, il souffloit en l’aureille de ses disciples, qu’il y estoit uni comme les autres fidèles combien que ce fust de privilège singulier. En nommant Christ consubstanciel, on oste la masque à ce trompeur qui se desguise : et toutesfois ce ne sera rien adjouster à l’Escriture. Sabellius nioit que les noms de Père, de Fils, et de sainct Esprit emportassent aucune distinction, et ne pouvoit souffrir qu’on dist que ce sont trois, qu’il ne calomniast qu’on faisoit trois dieux. Or en disant qu’il y a trinité de personnes en une essence, on ne dit rien qui ne soit comprins en l’Escriture, et réprime-on le babil de ce calomniateur. Or s’il y en a quelques-uns tant scrupuleux qui ne puissent recevoir ces noms : toutesfois nul d’eux en despit qu’il en ait ne pourra nier quand l’Escriture parle d’un Dieu, qu’il ne fale entendre unité de substance : quand elle dit que le Père, le Fils et le sainct Esprit sont trois, qu’elle ne dénote trois personnes en ceste Trinité. Quand cela sera confessé sans astuce, il ne nous doit chaloir des mots. Mais j’ay expérimenté de long temps et plusieurs fois, que ceux qui s’acharnent à débatre tant des mots, nourrissent quelque venin caché : tellement qu’il vaut mieux les piquer de propos délibéré, que parler obscurément en faveur d’eux.
[f] De Trinit., lib. V, cap. VIII et IX.
[g] De Trinit. lib. II
[h] Des Conciles.
Au reste, en laissant la dispute des mots, je commenceray à traitter de la chose. En premier lieu j’appelle Personne, une résidence, en l’essence de Dieu, laquelle estant rapportée aux autres, est distincte d’avec icelles d’une propriété incommunicable. Or ce mot de Résidence doit estre pris en autre sens que celuy d’Essence. Car si la Parole estoit simplement Dieu, et n’avoit point quelque chose propre, sainct Jean eust mal dit que tousjours elle a esté en Dieu Jean 1.1. Quand il adjouste puis après qu’elle est mesme Dieu, il entend cela de l’Essence unique. Mais puis qu’elle n’a peu estre en Dieu sinon résidente au Père, en cela se monstre la subsistence dont nous parlons : laquelle combien qu’elle soit conjointe d’un lien inséparable avec l’Essence, toutesfois elle a une marque spéciale pour en estre distinguée. J’ai dit aussi que chacune des trois résidences, ou subsistences, estant rapportée aux autres, est distincte de propriété. Or icy ce mot de Rapporter ou Comparer, est notamment exprimé, pource qu’en faisant mention simple de Dieu, et sans rien déterminer par spécial, ce nom ne convient pas moins au Fils, et au sainct Esprit, qu’au Père : mais quand on fait comparaison du Père avec le Fils, chacun est discerné par sa propriété. Tiercement j’ay adjouste, que ce qui est propre à un chacun n’est point communicable aux autres : pource que tout ce qui est attribué au Père pour marque de distinction, ne peut compéter au Fils, ne luy estre transféré. Au reste, la définition de Tertullien ne me desplaist pas, moyennant qu’elle soit prinse en bon sens, c’est qu’il nomme la trinité des personnes une disposition en Dieu, ou un ordre qui ne change rien de l’unité de l’essence[i].
[i] Lib. Contra Praxeam.
Toutesfois devant que passer outre, nous avons à prouver la déité du Fils et du sainct Esprit, puis après nous verrons comment ils diffèrent l’un d’avec l’autre. Quand l’Escriture fait mention de la Parole éternelle de Dieu, ce seroit une bestise trop lourde d’imaginer une voix qui s’escoule et s’esvanouisse, ou laquelle se jette en l’air, pour sortir hors de Dieu : comme les Prophéties et toutes les révélations qu’ont eues les anciens Pères. Mais plustost ce mot de Parole signifie une sagesse résidente en Dieu, dont toutes révélations et Prophéties sont procédées. Car tesmoin sainct Pierre, les anciens Prophètes n’ont pas moins parlé par l’Esprit de Christ que les Apostres 2Pi. 1.21, et ceux qui après ont porté la doctrine de salut. Or pource que Christ n’estoit pas encores manifesté, il est nécessaire d’entendre que ceste Parole a esté engendrée du Père devant tous siècles. Que si l’Esprit duquel les Prophètes ont esté organes a esté l’Esprit de la Parole, de là nous concluons infalliblement que la Parole est vray Dieu, ce qu’aussi Moyse monstre assez clairement en la création du monde Gen. 1.1, mettant tousjours la Parole en avant ; car à quel propos récite-il expressément que Dieu en créant chacune partie du monde a dit que cela ou cela soit fait, sinon afin que la gloire de Dieu, qui ne se peut sonder, nous reluise en son image ? Les gaudisseurs et babillars pourront bien en se jouant amener une eschappatoire, que la Parole est là prinse pour commandement : mais les Apostres nous sont bien meilleurs expositeurs, lesquels disent que le monde a esté créé par le Fils Héb. 1.2, et qu’il soustient toutes choses par sa Parole vertueuse : où nous voyons que la Parole signifie le commandement du Fils, lequel en autre sens s’appelle la Parole essencielle et éternelle du Père. Pareillement ce que dit Salomon n’est pas obscur à toutes gens de sain entendement et modeste : c’est que la sagesse a esté engendrée de Dieu devant les siècles, et qu’elle a présidé en la création de toutes choses Ecclésiastique 24.14. Car d’imaginer quelque commandement de Dieu temporel, cela seroit sot et frivole, veu que déslors Dieu a voulu monstrer son conseil arresté et perpétuel, et mesme quelque chose plus cachée. A quoy tend aussi le dire de nostre Seigneur Jésus, Mon Père et moy sommes tousjours en œuvre jusques-icy Jean 5.17. Car en affermant que dés le commencement du monde il a tousjours ouvré avec son Père, il déclaire plus à plein ce que Moyse avoit touché en brief. Nous voyons doncques que Dieu a tellement parlé en créant le monde, que la Parole a aussi besongné de sa part, et que par ce moyen l’ouvrage est commun. Mais ce que sainct Jehan en dit est encores plus clair, c’est que la Parole qui dés le commencement estoit en Dieu Jean 1.3, est la cause et origine de toutes choses, ensemble avec Dieu le Père : car par cela il attribue une essence permanente à la Parole, et luy assigne encores quelque chose de particulier, et monstre comment Dieu en parlant a esté créateur du monde. Parquoy combien que toutes révélations issues de Dieu soyent à bon droit intitulées sa Parole, si faut-il toutesfois mettre en degré souverain ceste Parole essencielle, qui est la source de toutes révélations, et tenir pour résolu qu’elle n’est sujette à nulle variété, et demeure tousjours une et immuable en Dieu, voire mesmes est Dieu.
Aucuns chiens grondent en cest endroit, et pource qu’ils n’osent ouvertement ravir à Jésus-Christ sa divinité, ils luy desrobent son éternité en cachete. Car ils disent que la Parole a commencé d’estre lors que Dieu a ouvert sa bouche sacrée en la création du monde. Mais c’est trop inconsidérément parlé, de mettre quelque nouveauté en la substance de Dieu. Vray est que les noms qui concernent l’ouvrage extérieur de Dieu, ont commencé de luy estre attribuez selon que l’œuvre a esté en estre, (comme quand il est appelé Créateur du ciel et de la terre) mais la foy ne recognoist et ne peut souffrir aucun nom, signifiant qu’il soit survenu à Dieu quelque chose en soy-mesme. Car si rien de nouveau luy estoit advenu comme d’ailleurs, ce que sainct Jaques dit seroit renversé, Tout don parfait vient d’en haut, descendant du Père de lumière, auquel n’y a point de changement, ny ombrage tournant Jacq. 1.17. Ce n’est pas doncques chose supportable de bastir par fantasie quelque commencement en la Parole, qui a tousjours esté Dieu, et depuis Créateur du monde. Ils pensent arguer subtilement, disans que Moyse en récitant que Dieu a parlé, signifie qu’au paravant il n’y avoit en luy nulle parole : mais il n’y a rien plus sot que cela. Car si quelque chose est manifestée en certain temps, ce n’est pas à dire que desjà elle ne fust. Je conclu bien d’une autre façon : c’est puis qu’en la mesme minute que Dieu a dit que la lumière soit faite, la vertu de la Parole est sortie et s’est monstrée, il faloit bien qu’elle fust auparavant Gen. 1.3. Si on demande le terme, on n’y trouvera nul commencement : car aussi Jésus-Christ ne limite pas certain temps en ceste sentence, Père glorifie ton Fils, de la gloire que j’ay possédée en toy devant que les fondemens du monde fussent assis Jean 17.5 ; et sainct Jehan n’a pas oublié de monstrer cela en l’ordre qu’il tient : car devant que venir à la création du monde, il dit que dés le commencement la Parole estoit en Dieu. Je conclu donc derechef, que la Parole estant conceue de Dieu devant tous temps, a tousjours résidé en luy : dont son éternité, sa vraye essence, et sa divinité s’approuve très bien.
Or combien que je ne touche point encores à la personne du Médiateur, pource que je diffère d’en traitter jusques au passage de la Rédemption : toutesfois pource que ce poinct doit estre sans contredit résolu entre tous, que Jésus-Christ est ceste mesme Parole revestue de chair, les tesmoignages qui conferment la divinité de Jésus-Christ conviendront bien à ce propos. Quand il est dit au Pseaume 45, Dieu ton throne est perpétuel et à jamais : les Juifs tergiversent, disant que le nom d’Elohim qui est là mis, convient aussi aux Anges et à toutes hautes dignitez ; mais je respon qu’il n’y a lieu semblable en l’Escriture, où le sainct Esprit dresse un throne éternel à quelque créature que ce soit : car celuy duquel il est parlé non-seulement est nommé Dieu, mais aussi dominateur à jamais. D’avantage ce mot d’Elohim n’est jamais attribué a nul sans queue, comme Moyse est bien appelé le Dieu de Pharaon Exode 7.1. Les autres exposent, Ton throne est de Dieu : ce qui est trop froid et contraint. Je confesse que tout ce qui est excellent se nomme divin : mais il appert par le fil du texte que cela seroit dur et forcé en ce passage : mesme qu’il n’y peut convenir. Mais encores que l’opiniastreté de telles gens ne se puisse vaincre, ce qu’Isaïe met en avant Jésus-Christ comme Dieu ayant souverain pouvoir, n’est pas obscur. Voicy, dit-il, le nom dont il sera appelé, Le Dieu fort, et Père du siècle advenir Esaïe 9.5, etc. Les Juifs répliquent encores icy, et renversent la lecture des mots, Voicy le nom duquel le Dieu fort et Père du siècle advenir l’appellera. Ainsi ils retranchent à Jésus-Christ tout ce qui est là dit de luy, en ne luy laissant que le tiltre de Prince de paix. Mais je vous prie, dequoy eust-il servi d’avoir entassé un si grand amas de tiltres en les attribuant au Père, veu qu’il n’est question que de l’office et des vertus de Jésus-Christ, et des biens qu’il nous a apportez ? Ainsi l’intention du Prophète n’est que de l’emparer des marques qui édifient nostre foy en luy. Il n’y a doncques nulle doute qu’il ne soit par mesme raison yci appelé le Dieu fort, qu’un peu au paravant Immanuel. Mais on ne sauroit rien chercher de plus clair que le passage de Jérémie, où il prononce que le germe de David sera appelé le Dieu de nostre justice Jér. 23.6. Car puis que les Juifs mesmes enseignent que les autres noms de Dieu sont comme tiltres, et que cestuy-cy dont use le Prophète, lequel ils tiennent ineffable, est substantif, exprimant seul son essence : de là je conclu que le Fils est le seul Dieu et éternel, qui afferme en l’autre passage qu’il ne donnera point sa gloire à autre Esaïe 42.8. Les Juifs cherchent aussi ici une eschappatoire : c’est que Moyse a imposé le mesme nom à l’autel qu’il avoit dressé, et Ezéchiel à la nouvelle Jérusalem. Mais qui est-ce qui ne voit que cest autel-là estoit dressé pour mémorial que Dieu avoit exalté Moyse ? et que Jérusalem n’est pour autre cause intitulée du nom de Dieu, sinon d’autant qu’il y réside ? car voilà comment parle le Prophète : Voici d’oresenavant le nom de la cité, Dieu est là Ezéch. 48.5. Les mots de Moyse n’emportent sinon qu’il a imposé nom à l’autel, l’Eternel est ma hautesse Ex. 17.15. Il y a plus grand débat d’un autre passage de Jérémie, où ce mesme tiltre est transporté à Jérusalem, Voici, dit-il, le nom dont on l’appellera, L’Eternel nostre justice Jér. 33.16. Mais tant s’en faut que ce tesmoignage obscurcisse la vérité, laquelle je défen ici, que plustost il ayde à la confermer. Car comme ainsi soit que Jérémie au paravant eust testifié que Jésus-Christ est le vray Dieu éternel, il adjouste que l’Eglise sentira tant au vif cela estre vray, qu’elle se pourra glorifier du nom mesme. Parquoy au premier passage la source et cause de la justice est mise en la personne de Jésus-Christ : ce qui ne peut compéter qu’à Dieu : au second l’effect est adjousté.
Si cela ne contente les Juifs, je ne voy point par quelles cavillations ils puissent effacer ce que tant souvent en l’Escriture le Dieu éternel est proposé en la personne d’un Ange. Il est dit qu’un Ange est apparu aux saincts Pères Juges 6.1 ; Juges 7.1. Cest Ange-là s’attribue le nom de Dieu éternel. Si quelqu’un réplique que c’est au regard de la charge qui luy a esté commise : ce n’est pas soudre la difficulté ; car un serviteur ne souffriroit jamais qu’on luy offrist sacrifice, pour ravir a Dieu l’honneur qui luy appartient. Or l’Ange après avoir refusé de manger du pain, commande d’offrir sacrifice à l’Eternel Juges 13.16 : et puis il prouve de faict que c’est luy-mesmes. Parquoy Manuah et sa femme cognoissent par ce signe, qu’ils n’ont pas seulement veu un Ange, mais Dieu : dont ils s’escrient, Nous mourrons : car nous avons veu Dieu. Et quand la femme respond, Si l’Eternel nous eust voulu mettre à mort, il n’eust pas receu l’offerte de nostre main Juges 13.22-23 : en cela certes elle confesse que celuy qui avoit esté nommé Ange est vray Dieu. Qui plus est, la response de l’Ange en oste toute question, Pourquoy m’interrogues-tu de mon nom, qui est admirable Juges 18.1 ? Et d’autant plus est détestable l’impiété de Servet, quand il a osé dire, que jamais Dieu ne s’est manifesté aux saincts Pères, mais qu’au lieu de luy ils ont adoré un Ange. Plustost suyvons ce que les saincts docteurs ont interprété, que cest Ange souverain estoit la Parole éternelle de Dieu, laquelle commencoit desjà de faire office de Médiateur. Car combien que le Fils de Dieu ne fust pas encore revestu de chair, toutesfois il est de tout temps descendu en terre pour approcher plus familièrement des fidèles. Ainsi telle communication luy a donné le nom d’Ange, et ce pendant il a retenu ce qui estoit sien, asçavoir d’estre le Dieu de gloire incompréhensible. Et c’est ce que signifie Osée, lequel après avoir raconté la lutte de Jacob avec l’Ange, dit, L’Eternel Dieu des armées, l’Eternel est son mémorial et son nom Osée 12.6. Servet abbaye yci, que c’est d’autant que Dieu avoit pris la personne d’un Ange ; voire, comme si le Prophète ne confermoit pas ce qui avoit desjà esté dit par Moyse, Pourquoy t’enquiers-tu de mon nom ? Et la confession du sainct Patriarche déclaire assez, que ce n’estoit pas un Ange créé, mais le Dieu auquel réside toute perfection de majesté souveraine, quand il dit, J’ai veu Dieu face à face Gen. 32.29-30. A quoy s’accorde le dire de sainct Paul, que le Christ a esté le conducteur du peuple au désert 1Cor. 10.4. Car combien que le temps auquel il se devoit abaisser et assujetir, ne fust encores venu : toutesfois il a déslors proposé quelque figure de l’office auquel il estoit destiné. D’avantage si on poise bien et sans contention ce qui est contenu au second chapitre de Zacharie, l’Ange qui envoye l’autre Ange est tantost après déclairé le Dieu des armées, et tout pouvoir souverain luy est attribué. Je laisse force tesmoignages ausquels nostre foy se peut seurement reposer, combien que les Juifs n’en soyent point esmeus ; car quand il est dit en Isaïe, Voici c’est cestuy-cy qui est nostre Dieu, c’est l’Eternel, nous espérerons en luy, et il nous sauvera Esaïe 25.9 : toutes gens de sens rassis voyent qu’il est notamment parlé du Rédempteur, lequel devoit sortir pour le salut de son peuple : et ce que par deux fois il est monstré comme au doigt ne se peut rapporter qu’à Christ. Il y a un passage en Malachie encores plus clair, quand il promet que le dominateur qu’on attendoit, viendra en son temple Malach. 3.1. Il est tout notoire que le temple de Jérusalem n’a jamais esté dédié qu’au seul et souverain Dieu : et toutesfois le Prophète en donne la maistrise et possession à Jésus-Christ ; dont il s’ensuit qu’il est le mesme Dieu qui a tousjours esté adoré en Judée.
Le nouveau Testament est plein de tesmoignages infinis : et pourtant il me faut plustost mettre peine d’eslire les plus propres, que de les assembler tous. Or combien que les Apostres ayent parlé de Jésus-Christ depuis qu’il est apparu en chair pour Médiateur : néantmoins tout ce que j’amèneray conviendra très bien à prouver sa Déité éternelle. Pour le premier, c’est un poinct bien à noter, que tout ce qui avoit esté prédit du Dieu éternel, les Apostres l’appliquent à Jésus-Christ, disans qu’il a esté accompli en luy, ou le sera. Comme quand Isaïe dit, que le Dieu des armées sera en pierre de scandale, et en rocher d’achoppement à la maison de Juda et d’Israël Esaïe 7.14 : sainct Paul déclaire que cela a esté accompli en Jésus-Christ ; enquoy il monstre quant et quant qu’il est le Dieu des armées Rom. 9.33. Pareillement en un autre passage ; Il nous faut, dit-il, tous comparoistre devant le siège judicial de Christ : car il est escrit, Tout genouil se ployera devant moy, et toute langue jurera en mon nom Rom. 14.10 ; Esaïe 14.23. Puis que Dieu parle ainsi de soy en Isaïe, et que Christ monstre, par effect que cela lui convient : il s’ensuit bien qu’il est ce Dieu mesme duquel la gloire ne peut estre donnée à autruy. Autant en est-il de ce qu’il allègue du Pseaume en l’Epistre aux Ephésiens, Dieu montant en haut a mené ses ennemis captifs Eph. 4.8 ; Ps. 68.18. Car il veut monstrer que ceste ascension avoit seulement esté figurée en ce que Dieu avoit desployé sa vertu pour donner victoire à David contre les Payens, et qu’elle s’est monstrée plus à plein en Jésus-Christ. Suyvant cela sainct Jehan tesmoigne que c’estoit la gloire du Fils de Dieu qui apparut à Isaïe : combien que le Prophète dit que c’estoit la majesté du Dieu vivant Jean 12.41 ; Esaïe 6.1-5. Outreplus, il n’y a nulle doute que les passages que cite l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux, n’appartienent qu’au seul Dieu : asçavoir, Seigneur, Tu as fondé dès le commencement le ciel et la terre. Item, adorez-le, vous tous ses Anges Héb. 1.10, 6. Combien que ces tiltres soyent pour honorer la majesté de Dieu : toutesfois de les appliquer à Jésus-Christ, ce n’est point en abuser : car c’est chose notoire que tout ce qui est là prédit a esté accompli en luy seul. C’est luy qui s’est mis en avant pour faire miséricorde à Sion. C’est luy qui a pris possession de tous peuples et de toutes régions du monde, en dilatant son Royaume partout. Et pourquoy sainct Jehan eust-il douté d’attribuer la majesté de Dieu à Jésus-Christ, ayant affermé au commencement de son Evangile, qu’il estoit Dieu éternel Jean 1.1, 14 ? Pourquoy eust craint sainct Paul de le colloquer au throne de Dieu, ayant si clairement auparavant parlé de sa Divinité, en disant qu’il est le Dieu bénit éternellement 2Cor. 5.10 ; Rom. 9.5 ? Et afin que nous voyons comment il persévère constamment en ce propos, en un autre lieu il dit qu’il est Dieu manifesté en chair. S’il est le Dieu bénit éternellement, c’est celuy auquel en un autre passage le mesme Apostre enseigne que toute gloire est deue 1Tim. 6.16. Ce que de faict il monstre ouvertement, escrivant que Jésus-Christ, entant qu’il avoit la gloire de Dieu, n’eust point estimé rapine de se faire égal à Dieu : mais qu’il s’est voulu anéantir Phil. 2.6. Et afin que les meschans ne murmurassent que ce fust quelque Dieu fait à haste, sainct Jehan passe outre, disant qu’il est le vray Dieu et la vie éternelle 1Jean 5.20. Combien toutesfois qu’il nous doit suffire, quand nous entendons qu’il est nommé Dieu : principalement par la bouche de sainct Paul, qui ouvertement dénonce qu’il n’y a point plusieurs dieux, mais un seul : Combien, dit-il, qu’on renomme plusieurs dieux au ciel et en la terre, nous n’avons toutesfois qu’un seul Dieu, duquel sont toutes choses 1Cor. 8.5. Quand nous oyons de luy-mesme que Dieu a esté manifesté en chair : que Dieu a acquis son Eglise par son sang 1Tim. 3.16 ; Actes 20.28 : pourquoy imaginerions-nous un second Dieu, lequel il ne recognoist point ? Finalement, c’est chose certaine que tous les fidèles ont eu ce mesme sentiment. Certes sainct Thomas confessant qu’il est son Dieu et son Seigneur, déclaire qu’il est le Dieu unique qu’il avoit toujours adoré Jean 20.28.
D’avantage, si nous estimons sa divinité par ses œuvres, lesquelles luy sont attribuées en l’Escriture : elle apparoistra encore plus clairement ; car en ce qu’il dit, que depuis le commencement jusques à ceste heure il a toujours ouvré avec son Père : les Juifs, combien qu’ils fussent autrement bien stupides, entendirent bien que par cela il s’attribuoit la puissance de Dieu. Et à ceste cause, comme dit sainct Jehan, cherchoyent plus que devant de le meurtrir : veu que non-seulement il violoit le Sabbat, mais se portoit pour Fils de Dieu, se faisant égal à Dieu Jean 5.17. Quelle sera donc nostre stupidité, si nous ne cognoissons que sa divinité est en ce passage plenement certifiée ? Et de vray, gouverner le monde par sa providence et vertu, tenir toutes choses à son commandement (ce que l’Apostre dit luy appartenir) ne convient qu’au seul Créateur Héb. 1.3. Et non seulement l’office de gouverner le monde luy compète communément avec le Père, mais tous autres offices qui ne peuvent estre transférez à créature aucune. Le Seigneur dénonce par le Prophète, Ce suis-je, ce suis-je, Israël, qui efface tes iniquitez à cause de moy Esaïe 43.25. En suyvant ceste sentence, les Juifs pensoyent que Jésus-Christ faisoit injure à Dieu, prenant l’authorité de remettre les péchez. Mais luy au contraire, non-seulement de paroles maintint ceste puissance à soy, ains l’approuva par miracle Matth. 9.6. Nous voyons donc que non-seulement le ministère de remettre les péchez est par devers Jésus-Christ, mais aussi la puissance, laquelle Dieu a une fois dénoncée devoir demeurer à soy éternellement. Quoy ? de savoir et entendre les secrètes pensées des cœurs des hommes, n’est-ce pas le propre d’un seul Dieu Matth. 9.4 ? Or est-il ainsi que cela a esté en Jésus-Christ : dont sa divinité est démontrée.
Quant aux miracles, elle y est approuvée quasi à l’œil. Car combien que les Prophètes et Apostres en ayent fait de semblables, toutesfois il y a grande différence en ce qu’ils ont esté seulement ministres des dons de Dieu : Jésus-Christ a eu en soy-mesme la vertu. Il a bien aucunes fois usé de prières pour référer la gloire à son Père : mais nous voyons que le plus souvent il a démonstré la puissance estre sienne. Et comment celuy ne seroit-il le vray autheur des miracles, qui de son authorité ottroye aux autres la faculté d’en faire ? Car l’Evangéliste récite qu’il a donné à ses Apostres la puissance de ressusciter les morts, guairir les ladres, chasser les diables Matth. 10.8 ; Marc. 1.40 ; 6.7, etc. Et les Apostres de leur part en ont tellement usé, qu’ils démonstroyent assez que la vertu ne procédoit point d’ailleurs que de Jésus-Christ. Au nom de Jésus-Christ, dit sainct Pierre au paralytique, lève-toy et chemine Actes 3.6 ; Jean 5.36 ; 10.37 ; 14.11. Parquoy ce n’est point de merveilles si Jésus-Christ a mis en avant ses miracles, pour convaincre l’incrédulité des Juifs : comme ainsi soit qu’estans faits de sa propre vertu, ils rendoyent ample tesmoignage de sa divinité. Outreplus, si hors de Dieu il n’y a nul salut, nulle justice, nulle vie : certes en contenant toutes ces choses en soy, il est démonstré estre Dieu. Et ne faut point que quelqu’un allègue, que ces choses luy ont esté concédées de Dieu : car il n’est pas dit qu’il ait receu le don de salut, mais que luy-mesme est le salut. Et s’il n’y a nul bon fors qu’un seul Dieu, comment pourroit estre l’homme, je ne dy pas bon et juste, mais la bonté et justice luy-mesme Matth. 19.17 ? Et que dirons-nous à ce qu’enseigne l’Evangéliste, que dès le commencement du monde la vie estoit en luy : et que luy estant la vie estoit aussi la lumière des hommes Jean 1.4 ? Pourtant ayans telles expériences de sa majesté divine, nous osons mettre nostre foy et espérance en luy : comme ainsi soit que nous sachions estre un blasphème, de mettre sa fiance en la créature : et ne faisons point cela témérairement, mais selon sa parole. Croyez-vous en Dieu ? dit-il, croyez aussi en moy Jean 14.1. Et en ceste manière sainct Paul expose deux passages d’Isaïe, Quiconque croit en luy, ne sera point confus. Item, Il sortira de la racine de Jessé un prince, pour régir les peuples : les gens espéreront en luy Esaïe 28.16 ; 11.10 ; Rom. 10.11 ; 15.12. Et quel mestier est-il d’en raconter beaucoup de tesmoignages, veu que ceste sentence est si souvent répétée, Quiconque croit en moy, il a la vie éternelle ? D’avantage, l’invocation qui dépend de la foy, luy est aussi deue : laquelle néantmoins est propre à la majesté de Dieu, si elle a quelque chose de propre. Car le Prophète dit, Quiconque invoquera le nom de Dieu sera sauvé Joël 2.32. Item, Salomon, Le nom de Dieu est une bonne forteresse : le juste y aura son refuge et sera sauvé Prov. 18.10. Or le nom de Christ est invoqué à salut : il s’ensuit donc qu’il est Dieu. Nous avons exemple de ceste invocation en sainct Estiene, quand il dit, Seigneur Jésus, reçoy mon esprit Actes 7.59 : puis après en toute l’Eglise Chrestienne, comme tesmoigne Ananias au mesme livre, Seigneur Jésus, dit-il, tu sais combien il a affligé tous les Saincts qui invoquent ton Nom Actes 9.13. Et afin qu’on entende que toute plénitude de Divinité habite corporellement en Jésus-Christ Col. 2.9, sainct Paul confesse qu’il n’a voulu savoir autre doctrine entre les Corinthiens, que la cognoissance de son Nom : et qu’il n’a presché autre chose que luy seul 1Cor. 2.2. Qu’est-ce là, de ne prescher autre chose que Jésus-Christ aux fidèles, ausquels Dieu défend de ne se glorifier en autre nom qu’au sien Jér. 9.23 ? Qui osera maintenant dire, que celuy est une simple créature, duquel la cognoissance est nostre gloire unique ? Cela aussi n’est point de petite importance que les Apostres, aux salutations qu’ils ont accoustumé de mettre au commencement de leurs Escrits, requièrent les mesmes bénéfices de Jésus-Christ, qu’ils font de Dieu son Père. En quoy ils démonstrent que non-seulement par son intercession et moyen nous obtenons les bénéfices de Dieu, mais que de luy-mesme nous les recevons. Ceste cognoissance qui gist en pratique et expérience, est beaucoup plus certaine que toutes spéculations oisives ; car l’âme fidèle recognoist indubitablement, et par manière de dire, touche à la main la présence de Dieu, là où elle se sent vivifiée, illuminée, sauvée, justifiée et sanctifiée.
Pourtant il faut user de mesme probation pour confermer la divinité du sainct Esprit. Le tesmoignage de Moyse en l’histoire de la création n’est pas obscur : c’est que l’Esprit de Dieu estoit espandu sur les abysmes, c’est à dire ceste masse confuse des élémens Gen. 1.1. Car il signifie que non-seulement la beauté du monde telle qu’on la voit maintenant ne se pourroit maintenir en estat sans la vertu de l’Esprit : mais qu’il a falu mesme qu’en ce gros amas sans forme ni ordre l’Esprit besongnast, à ce qu’elle ne fust point anéantie incontinent. Pareillement ce qui est dit en Isaïe n’est sujet à nulle cavillation. L’Eternel m’a envoyé et son Esprit Esaïe 48.16. Car par ces mots il a attribué au sainct Esprit l’authorité d’envoyer les Prophètes : ce qui est de l’empire souverain de Dieu. Mais la meilleure probation, comme j’ay dit, sera de nostre expérience familière. Car ce que l’Escriture luy attribue, et ce que nous expérimentons chacun de nous par effect, est bien eslongné des créatures : car c’est luy qui est espandu par tout, qui soustient et vivifie toutes choses au ciel et en la terre, et leur donne vigueur. Desjà, en ce qu’il n’est restreint en nul lieu ne limites, il est exempté du nombre des créatures : mais d’inspirer essence, vie et mouvement à toutes choses par sa vertu, c’est une chose notoirement divine. D’avantage si la régénération qui nous ameine à la vie incorruptible, surmonte en excellence l’estat de ceste vie, que devons-nous juger de celuy par lequel nous sommes régénérez ? Or que le sainct Esprit soit autheur de la nouvelle vie, et non pas d’une vigueur empruntée, mais qui luy est propre : l’Escriture le démonstre en plusieurs passages : mesmes que c’est par son opération que nous sommes conduits à la vie céleste. Brief, tous les offices qui compétent droictement à la Divinité luy sont attribuez comme au Fils. C’est luy qui sonde les profonds secrets de Dieu, lequel n’a point de conseiller entre les créatures 1Cor. 2.10, 16, qui donne sagesse et grâce de parler 1Cor. 12.10 : comme ainsi soit que Dieu prononce par Moyse, que c’est à luy seul de ce faire Ex. 4.11 : c’est par luy que nous participons avec Dieu pour sentir sa vertu, à ce qu’elle nous vivifie : nostre justification aussi est son ouvrage : c’est de luy que procède force, saincteté, vérité, grâce, et tout ce qu’on peut penser de bien ; car il n’y a qu’un seul Esprit, dont toute largesse et diversité des dons célestes descoulent sur nous. Car c’est bien une sentence notable, combien que les dons de Dieu soyent distinguez, et aussi qu’ils soyent départis à chacun selon sa mesure : que toutesfois c’est un mesme Esprit, qui non-seulement en est la source et le commencement, mais aussi l’autheur 1Cor. 12.11. Sainct Paul n’eust jamais ainsi parlé, s’il n’eust cognu la vraye divinité au sainct Esprit. Ce qu’il exprime encore tantost après, disant, Un seul et mesme Esprit distribue tous biens selon qu’il veut. Si ce n’estoit une subsistence qui résidast en Dieu, sainct Paul ne l’eust pas constitué juge pour disposer à sa volonté. Parquoy il n’y a doute qu’il ne l’eslève en authorité divine : et par ce moyen afferme que c’est une hypostase de l’essence de Dieu.
Mesme quand l’Escriture parle de luy, elle use bien du nom de Dieu, car sainct Paul conclud que nous sommes temples de Dieu, d’autant que son Esprit habite en nous 1Cor. 3.17 ; 6.19 ; 2Cor. 6.16 : ce qui ne se doit légèrement passer. Car comme ainsi soit que nostre Seigneur nous promet tant de fois qu’il nous eslira pour son temple et tabernacle, ceste promesse n’est pas autrement accomplie en nous, sinon d’autant que son Esprit y habite. Certes comme dit sainct Augustin, s’il nous estoit commandé d’édifier au sainct Esprit un temple matériel de pierre et de bois, ce seroit une claire approbation de sa divinité, entant que cest honneur n’est deu qu’à Dieu[j]. Or combien cest argument est-il plus clair, que non-seulement nous luy devons faire des temples, mais nous-mesmes nous luy sommes pour temples ? Et de faict l’Apostre en un mesme sens nous appelle maintenant temple de Dieu, maintenant temple de son Esprit. Et sainct Pierre reprenant Ananias de ce qu’il avoit menty au sainct Esprit, dit qu’il n’a point menty aux hommes, mais à Dieu Actes 5.3. Item où Isaïe introduit le Seigneur des armées parlant, sainct Paul dit que c’est le sainct Esprit qui parle Esaïe 6.9 ; Actes 28.25-26. Qui plus est, au lieu que les Prophètes protestent que ce qu’ils mettent en avant, est du souverain Dieu, Jésus-Christ et les Apostres rapportent le tout au sainct Esprit. Dont il s’ensuit qu’il est le Dieu éternel qui a gouverné les Prophètes. Et là où Dieu se complaind qu’il a esté provoqué à ire par l’obstination du peuple, Isaïe dit que l’Esprit de Dieu a esté contristé Esaïe 63.10 ; Matth. 12.31 ; Marc 3.29 ; Luc 12.6. Finalement si Dieu en pardonnant à ceux qui auront blasphémé contre son Fils, réserve le blasphème contre le sainct Esprit comme irrémissible : il faut bien que l’Esprit ait en soy majesté Divine, laquelle ne se peut amoindrir ny offenser sans commettre crime énorme. C’est de propos délibéré que je laisse plusieurs tesmoignages, desquels les Anciens ont usé. Il leur a semblé favorable d’alléguer du Pseaume, Les cieux ont esté establis par la parole de Dieu, et tout leur ornement par l’Esprit de sa bouche Ps. 33.6 : et ont cuidé gagner par ce moyen que le monde a esté créé par l’Esprit comme par le Fils : mais puis que c’est un style accoustumé aux Pseaumes, de répéter une chose deux fois, et qu’en Isaïe l’Esprit de la bouche vaut autant comme la parole, ceste raison est débile Esaïe 11.4. Pourtant j’ay voulu sobrement toucher ce qui pouvoit contenter nostre foy, et luy donner repos asseuré.
[j] August., Ad Maximinum, ép. LXVI.
Or selon que Dieu à l’advénement de son Fils unique s’est plus clairement manifesté, aussi les trois personnes ont esté alors mieux cognues : combien qu’un seul tesmoignage choisy d’entre plusieurs nous suffira. Sainct Paul conjoint tellement ces trois, Dieu, la Foy, et le Baptesme Eph. 4.5, qu’il tire argument de l’un à l’autre : concluant puisqu’il n’y a qu’une foy, qu’il n’y a qu’un seul Dieu : et puis qu’il n’y a qu’un Baptesme, qu’il n’y a aussi qu’une foy. Si doncques par le Baptesme nous sommes introduits en la foy d’un seul Dieu, pour l’honorer, il nous faut tenir pour vray Dieu celuy au nom duquel nous sommes baptisez. Et n’y a doute que nostre Seigneur Jésus commandant de baptizer au nom du Père et du Fils et du sainct Esprit, n’ait voulu déclairer que ceste clarté de cognoistre trois personnes devoit luire en plus grande perfection qu’au paravant Matth. 28.19. Car cela vaut autant à dire que baptizer au nom d’un seul Dieu, lequel est maintenant évidemment apparu, au Père, au Fils et au sainct Esprit. Dont il s’ensuit qu’il y a trois personnes résidentes en l’essence de Dieu, esquelles Dieu est cognu. Et de faict, puis que la foy ne doit point regarder çà et là, ne faire plusieurs discours, mais s’addresser à Dieu seul, s’y tenir et arrester du tout : delà il est facile à recueillir, que s’il y avoit plusieurs espèces de foy, il faudroit qu’il y eust plusieurs dieux. Et qu’est-ce là autre chose que tesmoigner clairement les trois estre un seul. Dieu ? Or si cela doit estre résolu entre nous, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, nous concluons que le Fils et le sainct Esprit sont la propre essence divine. Pourtant les Arriens estoyent fort esgarez en leur sens, lesquels en concédant à Jésus-Christ le tiltre de Dieu, luy ostoyent la substance divine. Les Macédoniens aussi estoyent transportez de semblable rage, lesquels ne vouloyent entendre par le sainct Esprit, que les dons de grâce que Dieu distribue aux hommes. Car comme sagesse, intelligence, prudence, force et autres vertus procèdent de luy : aussi d’autre part il est seul l’Esprit de prudence, sagesse, force et toutes autres vertus : et n’est pas divisé selon la distribution diverse des grâces, mais demeure tousjours en son entier : combien que les grâces se distribuent diversement, comme dit l’Apostre 1Cor. 12.11.
D’autre part, l’Escriture nous démonstre quelque distinction entre le Père et sa Parole, entre la Parole et le sainct Esprit, laquelle toutesfois nous devons considérer avec grande révérence et sobriété, comme la grandeur du mystère nous admonneste. Pourtant la sentence de Grégoire Nazienzène me plaist fort, Je n’en puis, dit-il concevoir un, que trois ne reluysent à l’entour de moy : et n’en puis discerner trois, qu’incontinent je ne soye réduit à un seul[k]. Il nous faut doncques garder d’imaginer une trinité de personnes en Dieu, laquelle détiene nostre intelligence, ne la réduisant point à ceste unité. Certes ces vocables du Père, et du Fils et de l’Esprit, nous dénotent une vraye distinction : afin qu’aucun ne pense que ce sont divers tiltres qui s’attribuent à Dieu pour le signifier simplement en plusieurs manières : mais nous avons à observer que c’est une distinction, et non pas une division. Les passages que nous avons alléguez monstrent assez que le Fils a sa propriété distincte du Père : car il n’eust pas esté Parole en Dieu, sinon qu’il fust autre que le Père : et n’eust point eu sa gloire avec le Père, sinon qu’il fust distingué d’avec luy. Derechef, le Fils se distingue du Père, quand il dit qu’il y en a un autre duquel il a tesmoignage Jean 5.32 ; 8.16. Et ainsi se doit prendre ce qui est dit ailleurs, que le Père a créé toutes choses par sa Parole : ce qui ne se pouvoit faire qu’il n’y eust quelque différence entre le Père et le Fils. D’avantage le Père n’est pas descendu en terre, mais celuy qui estoit sorty de luy : il n’est pas mort ne ressuscité, mais celuy qui avoit esté par luy envoyé. Et ne faut pas dire que ceste distinction a eu son origine depuis que le Fils a pris chair, veu qu’il est notoire qu’auparavant le Fils unique a esté au sein du Père Jean 1.18. Car qui osera dire qu’il y soit lors entré quand il est descendu du ciel pour prendre nostre humanité ? Il y estoit doncques dés le commencement, régnant en gloire. La distinction du sainct Esprit d’avec le Père nous est signifiée, quand il est dit qu’il procède du Père : d’avec le Fils, quand il est nommé autre : comme quand Jésus-Christ dénonce qu’il y viendra un autre Consolateur, et en plusieurs autres passages Jean 15.6 ; 15.26 ; 14.16.
[k] in Sermone de sacro baptismo.
Or pour exprimer la nature de ceste distinction, je ne say s’il est expédient d’emprunter similitudes des choses humaines. Les Anciens le font bien aucunesfois : mais semblablement ils confessent que tout ce qu’ils en peuvent dire n’approche pas beaucoup. Pourtant je crains d’entreprendre rien en cest endroit de peur que si je disoye quelque chose qui ne vinst pas bien à propos, je donnasse occasion de mesdire aux meschans, ou aux ignorans de s’abuser. Néantmoins il ne convient pas dissimuler la distinction laquelle est exprimée en l’Escriture : c’est, qu’au Père le commencement de toute action, et la source et origine de toutes choses est attribuée : au Fils, la sagesse, le conseil et l’ordre de tout disposer : au sainct Esprit, la vertu et efficace de toute action. Outreplus, combien que l’éternité du Père soit aussi l’éternité du Fils et de son Esprit, d’autant que Dieu n’a jamais peu estre sans sa sapience et vertu, et qu’en l’éternité il ne faut chercher premier ne second : toutesfois cest ordre qu’on observe entre le Père, le Fils et le sainct Esprit n’est pas superflu, que le Père soit nommé le premier : après le Fils, comme venant de luy : puis le Sainct Esprit, comme procédant des deux. Car mesme l’entendement d’un chacun encline là naturellement, de considérer premièrement Dieu, en après sa sapience, finalement sa vertu, par laquelle il met en exécution ce qu’il a déterminé. Pour laquelle cause le Fils est dit estre produit du Père seulement, l’Esprit de l’un et de l’autre : ce qui est souventes fois répété en l’Escriture, mais plus clairement au huitième des Romains qu’en nul autre passage : où le sainct Esprit est indifféremment appelé maintenant l’Esprit de Christ, maintenant de celuy qui a ressuscité Christ des morts : et ce à bon droit. Car sainct Pierre aussi tesmoigne que c’a esté l’Esprit de Christ par lequel ont parlé les Prophètes, comme ainsi soit que l’Escriture souvent enseigne que c’a esté l’Esprit du Père 2Pierre 1.21.
Or tant s’en faut que ceste distinction contreviene à l’unité de Dieu, que plustost on peut prouver le Fils estre un mesme Dieu avec le Père, d’autant qu’ils ont un mesme Esprit : et que l’Esprit n’est point une diverse substance du Père et du Fils, d’autant qu’il est leur Esprit. Car en chacune personne toute la nature divine doit estre entendue, avec la propriété qui leur compète. Le Père est totalement au Fils, et le Fils est totalement au Père, comme luy-mesme l’afferme, disant, Je suis en mon Père, et mon Père en moy Jean 14.10. Pourtant tous les Docteurs Ecclésiastiques n’admettent aucune différence, quant à l’essence, entre les personnes. Par ces mots, dit sainct Augustin, dénotans distinction, est signifiée la correspondance que les personnes ont l’une à l’autre, non pas la substance, laquelle est une en toutes les trois. Selon lequel sens il faut accorder les sentences des Anciens, lesquelles sembleroyent autrement contredire. Car aucunesfois ils appellent le Père commencement du Fils, aucunesfois ils enseignent que le Fils a son essence et divinité de soy-mesme, voire et qu’il est un mesme commencement avec le Père. Sainct Augustin monstre en un autre passage bien et facilement la cause de ceste diversité, parlant ainsi, Christ est appelé Dieu, au regard de soy : au regard du Père, il est appelé Fils. Derechef, Le Père quant à soy est nommé Dieu : au regard du Fils, il est nommé Père. Entant qu’il est nommé Père au regard du Fils, il n’est point Fils : et le Fils semblablement, au regard du Père, n’est point Père. Mais entant que le Père, au regard de soy est nommé Dieu, et le Fils semblablement : c’est un mesme Dieu. Pourtant quand nous parlons du Fils simplement sans regarder le Père, ce n’est point mal parlé ny improprement, de dire qu’il a son estre de soy-mesme : et pour ceste cause qu’il est le seul commencement. Quant nous touchons la correspondance qu’il a avec le Père, nous disons que le Père est son commencement. Tout le cinquième livre de sainct Augustin de la Trinité ne tend qu’à expliquer cest article, et le plus seur est de s’arrester à la correspondance, selon qu’il la déduit, qu’en se fourrant par subtilité plus profond en ce haut secret, s’esgarer en plusieurs vaines spéculations[a].
[a] Vide August., Homil. de temp., XXXVIII ; De Trinit. et columb., ad Passent., ep. CLXXIV — Cyrillus, De Trinit., lib. VII ; Idem, lib. III. Dial. August. in Psalm. CIX ; et Tract, in Joann., XXXIX ; August., in Psalm. LXVIII.
Parquoy ceux qui aiment sobriété et se contentent de la mesure de foy, auront ici en brief ce qui leur est utile d’entendre : asçavoir, quand nous protestons de croire en un Dieu, que sous ce nom est entendue une simple essence, sous laquelle nous comprenons trois personnes ou hypostases : et ainsi toutesfois et quantes que le nom de Dieu est prins absolument et sans rien déterminer, le Fils et le sainct Esprit y sont aussi bien comprins que le Père : mais quand le Fils est conjoinct avec le Père, lors la correspondance de l’un à l’autre doit avoir lieu, qui ameine avec soy la distinction des personnes. Or pource que les propriétez emportent quelque ordre : comme que le commencement et origine soit au Père : à ceste raison quand il est parlé du Père et du Fils ou de l’Esprit ensemble, le nom de Dieu est spécialement attribué au Père. En ceste manière l’unité de l’essence est gardée, et l’ordre est retenu, lequel toutesfois ne diminue rien de la déité du Fils et de l’Esprit. Et de faict, puis que desjà nous avons veu que les Apostres enseignent Jésus-Christ estre le mesme Dieu éternel lequel Moyse et les Prophètes ont presché, il faut tousjours revenir à ceste unité d’essence : et par conséquent ce nous est un sacrilège détestable de nommer le Fils un autre Dieu que le Père, pource que le nom simple de Dieu ne reçoit nulle comparaison, et qu’on ne peut dire que Dieu quant à soy ait quelque diversité pour estre ceci et cela. Or que le nom de Dieu éternel prins absolument appartiene à Jésus-Christ, il appert encores par les mots de sainct Paul, J’ay prié trois fois le Seigneur : car après avoir récité la response de Dieu, Ma grâce te suffit, il adjouste tantost après, Afin que la vertu de Christ habite en moy 2Cor. 12.9. Car il est certain que ce nom de Seigneur est là mis pour Dieu éternel : par ainsi de le restreindre à la personne du Médiateur, ce seroit une cavillation frivole et puérile, veu que la sentence est pure et simple, et ne compare pas le Père avec le Fils. Et nous sçavons que les Apostres, suyvans la translation Grecque, ont tousjours mis ce nom de Seigneur au lieu du nom Hébraïque Jéhova, qu’on appelle Ineffable. Et pour ne chercher exemple plus loin, ce passage convient du tout avec celuy de Joël qui est allégué par sainct Pierre, Quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé Joël 2.32 ; Actes 2.16-21. Quand ce mesme nom est attribué en particulier au Fils, nous verrons en son lieu que la raison est diverse. C’est assez pour ceste heure de sçavoir que sainct Paul ayant prié Dieu absolument en sa majesté, adjouste incontinent le nom de Christ. Et de faict, Dieu en son entier est appelé Esprit par Christ : car rien n’empesche que toute l’essence de Dieu ne soit spirituelle, en laquelle soyent comprins le Père, le Fils et le sainct Esprit : qui est assez patent et facile par l’Escriture. Car comme Dieu est là nommé Esprit, aussi d’autre part le sainct Esprit, entant qu’il est hypostase en toute l’essence, est appelé l’Esprit de Dieu et procédant de luy.
Or pource que Satan dés le commencement, afin de renverser du tout nostre foy, a esmeu de grands combats et troubles, tant sur l’essence divine du Fils et du sainct Esprit que de la distinction personnelle : et qu’en tous aages il a esmeu et poussé des esprits malins qui ont fasché et molesté les bons docteurs, aussi de nostre temps il s’efforce de remuer des vieilles estincelles pour allumer nouveau feu : il est besoin de venir au-devant de telles resveries. Jusques yci j’ay lasché à mener par la main ceux qui se rendoyent dociles, non point de batailler contre les opiniastres : maintenant il faut maintenir contre la malice des endurcis la vérité qui a esté paisiblement monstrée. Combien que j’appliqueray ma principale estude à asseurer les fidèles qui se rendront faciles à recevoir la Parole de Dieu, afin qu’ils ayent un arrest infallible. Retenons bien, que si en tous les hauts secrets de l’Escriture il nous convient estre sobres et modestes, cestuy-ci n’est pas le dernier : et qu’il nous faut bien estre sur nos gardes, que nos pensées ou nos langues ne s’avancent point plus loin que les limites de la Parole de Dieu ne s’estendent. Car comment l’esprit humain restreindra-il à sa petite capacité l’essence infinie de Dieu, veu qu’il n’a peu encores déterminer pour certain quel est le corps du Soleil, lequel néantmoins on voit journellement ? mesmes comme parviendroit-il de sa propre conduite à sonder l’essence de Dieu, veu qu’il ne cognoist point la siene propre ? Parquoy laissons à Dieu le privilège de se cognoistre : car c’est luy seul, comme dit sainct Hilaire, qui est tesmoin idoine de soy, et lequel ne se cognoist que par soy[b]. Or nous luy laisserons ce qui luy appartient, si nous le comprenons tel qu’il se déclaire, et ne nous enquestons point de luy que par sa Parole. Il y a cinq sermons de Chrysostome traitans de cest argument, lesquels n’ont peu réprimer l’audace des Sophistes, qu’ils ne se soyent desbordez à babiller sans raison ne mesure : car ils ne se sont point yci portez plus rassis qu’en tout le reste : et d’autant que Dieu a maudit leur témérité, nous devons estre advertis par leur exemple, pour bien estre résolus de ceste question, d’apporter plustost docilité que subtilité : et ne mettons point en nostre cerveau de chercher Dieu, sinon en sa Parole, de penser de luy sinon estans guidez par icelle, et n’en rien dire qui n’en soit tiré et puisé. Que si la distinction des personnes selon qu’elle est difficile à comprendre, tourmente quelquesuns de scrupules : qu’il leur souviene que si nos pensées se laschent la bride à faire des discours de curiosité, elles entrent en un labyrinthe : et combien qu’ils ne comprenent pas la hautesse de ce mystère, qu’ils souffrent d’estre gouvernez par la saincte Escriture.
[b] De Trinitat. lib. I.
De faire un long dénombrement des erreurs dunt la pureté de nostre foy a esté jadis assaillie en cest article, il seroit trop long et fascheux sans proufit. Plusieurs des premiers hérétiques se sont jettez aux champs pour anéantir la gloire de Dieu par des resveries si énormes, que ce leur estoit assez d’esbranler et troubler les povres idiots. D’un petit nombre d’abuseurs sont sorties plusieurs sectes, comme un menu fretin : lesquelles en partie ont tendu à dissiper l’essence de Dieu, en partie à mesler et confondre la distinction des personnes. Or si nous tenons pour bien conclu d ce que nous avons cy dessus monstré par l’Escriture, asçavoir que Dieu est d’une simple essence, et laquelle ne se peut diviser, combien qu’elle appartiene au Père et au Fils et au sainct Esprit : et derechef que le Père diffère par quelque propriété d’avec le Fils, et le Fils d’avec le sainct Esprit : la porte sera fermée non-seulement aux Arriens et Sabelliens, mais aussi à tous les fantastiques qui les ont précédez. Mais pource que de nostre temps quelques phrénétiques se sont aussi levez, comme Servet et ses semblables, lesquels ont tasché de tout envelopper par leurs illusions : il sera expédient de descouvrir en brief leurs fallaces. Le nom de Trinité a esté tant odieux à Servet, voire détestable, qu’il appelle gens sans Dieu tous ceux ausquels il avoit imposé le nom de Trinitaires. Je laisse beaucoup de mots vileins, comme injures de harengères, dont ses livres sont farcis. La somme de ses resveries a esté, qu’on faisoit un Dieu de trois pièces, en disant qu’il y a trois personnes résidentes en Dieu : et que ceste trinité est imaginaire, d’autant qu’elle contrarie à l’unité de Dieu. Ce pendant il vouloit que les personnes fussent comme idées ou quelques images extérieures : et non pas résidentes en l’essence de Dieu, mais pour le nous figurer en une sorte ou en l’autre. Il adjouste, qu’au commencement il n’y avoit rien distinct en Dieu, pource que la Parole estoit aussi l’Esprit : mais depuis que Jésus-Christ est apparu, Dieu de Dieu, que de luy est descoulé un autre Dieu, asçavoir le sainct Esprit. Or combien qu’il farde quelque fois ses mensonges par allégories, comme en disant que la Parole éternelle de Dieu a esté l’esprit de Christ en Dieu, et reluisance de son idée : item, que l’Esprit a esté une ombre de la Déité : toutesfois puis après il abolit la Déité tant du Fils que du sainct Esprit, disant que selon la mesure que Dieu dispense, il y a en l’un et en l’autre quelque portion de Dieu : comme le mesme Esprit estant substanciellement en nous, est aussi une portion de Dieu, mesmes au bois et aux pierres. Quant à ce qu’il gergonne de la personne du Médiateur, nous le verrons en son lieu. Ce pendant ceste resverie si monstrueuse, que ce mot de Personne n’emporte sinon un regard visible de la gloire de Dieu, n’a jà besoin de longue réfutation. Car puis que sainct Jehan afferme que devant que le monde fust créé, desjà la Parole estoit Dieu, il la sépare bien loin de toutes idées ou visions Jean 1.1 : car si lors et de toute éternité ceste Parole estoit Dieu, et avoit sa propre gloire et clairté avec le Père Jean 17.5, elle ne pouvoit estre quelque lueur se monstrant seulement par dehors, ou figurative : mais il s’ensuit nécessairement que c’estoit une vraye hypostase résidente en Dieu. Or combien qu’il ne soit fait nulle mention de l’Esprit, sinon en la création du monde : toutesfois il est là introduit non pas comme une ombre, mais comme vertu essencielle de Dieu, quand Moyse récite que la masse confuse dont les élémens ont esté formez, estoit dès lors maintenue par luy en son estat Gen. 1.2. Il est doncques alors apparu que l’Esprit avoit esté éternel en Dieu, d’autant qu’il a végété et conservé ceste matière confuse dont le ciel et la terre devoyent estre formez : voire devant que cest ordre tant beau et excellent y fust. Certes pour lors il ne pouvoit estre image ou représentation de Dieu, selon la resverie de Servet. En un autre lieu il est contraint de descouvrir plus à plein son impiété, c’est que Dieu en sa raison éternelle décrétant d’avoir un fils visible, s’est monstré visible par ce moyen. Car si cela est vray, on ne laissera autre divinité à Jésus-Christ, sinon d’autant que Dieu l’a ordonné pour Fils par son décret éternel. Il y a plus, c’est que les fantosmes qu’il suppose au lieu des personnes, sont tellement transformez par luy, qu’il ne fait nul scrupule de mettre des accidens nouveaux en Dieu. Sur tout il y a un blasphème exécrable, qu’il mesle indifféremment tant le Fils de Dieu que l’Esprit parmi les créatures : car il afferme à pur et à plat, qu’il y a des parties et des partages en Dieu, et que chacune portion est Dieu mesmes : que les âmes des fidèles sont coéternelles et consubstancielles à Dieu : combien qu’ailleurs il attribue déité substancielle non-seulement à nos âmes, mais à toutes choses créées.
De ce bourbier est sorty un autre monstre assez semblable : c’est que des brouillons, pour éviter la haine et déshonneur que l’impiété de Servet tire avec soy, ont bien confessé trois personnes : mais en adjoustant la raison, que le Père estant proprement seul vray Dieu s’est formé son Fils et son Esprit : et ainsi a fait descouler sa divinité en eux. Mesmes ils usent hardiment d’une faconde parler espovantable, c’est que le Père est distingué par ceste marque d’avec le Fils et le saint t Esprit, d’autant que luy seul est essenciateur. Voici la couleur qu’ils prétendent en premier lieu : c’est que Christ est souvent nommé Fils de Dieu, dont ils concluent qu’il n’y a point d’autre Dieu que le Père. Or ils ne considèrent pas, combien que le nom de Dieu soit aussi bien commun au Fils, qu’il est quelque fois attribué au Père par excellence, pource qu’il est la source et principe de déité : et que cela se fait pour noter la simple unité et indivisible qui est en l’essence divine. Ils répliquent, que si Jésus-Christ est vrayement Fils de Dieu, ce seroit chose absurde de le tenir Fils d’une personne. Je respon que tous les deux sont vrais, asçavoir qu’il est Fils de Dieu d’autant qu’il est la Parole engendrée du Père devant tous siècles : (car nous ne parlons pas encores de luy entant qu’il est Médiateur) et toutesfois pour mieux déclairer le sens de ces mots, qu’il faut avoir esgard à la personne : tellement que le nom de Dieu ne se prene pas simplement, mais pour le Père. Car si nous ne recognoissons autre Dieu que le Père, le Fils sera manifestement débouté de ce degré. Parquoy toutesfois et quantes qu’il est fait mention de la Déité, on ne doit nullement admettre que le Fils soit opposé au Père, comme si le nom de vray Dieu convenoit au Père seulement. Car le Dieu qui est apparu à Isaïe estoit le vray Dieu et unique Esaïe 6.1 ; Jean 12.41 ; Esaïe 8.14 ; Rom. 9.33 : et toutesfois sainct Jehan afferme que c’estoit Jésus-Christ. Celuy qui a menacé par le mesme Prophète les Juifs de leur estre pierre de scandale, estoit le seul vray Dieu : or sainct Paul prononce, que c’est Jésus-Christ. Celuy qui derechef parle haut et clair, disant que tout genouil sera ployé devant luy, est le seul Dieu vivant : or sainct Paul l’interprète de Jésus-Christ Esaïe 45.23 ; Rom. 14.11. Adjoustans les tesmoignages que l’Apostre ameine, Toy Dieu as fondé le ciel, et la terre est ouvrage de tes mains. Item, Tous les Anges de Dieu l’adorent : nous ne pouvons dire que tout cela ne compète à un seul vray Dieu. Et toutesfois l’Apostre dit que ce sont les propres tiltres de Jésus-Christ Héb. 1.10, 6 ; Ps. 102.25-26 ; 97.6. De dire que ce qui est propre à Dieu soit communiqué à Jésus-Christ, pource qu’il est la splendeur de sa gloire : c’est une cavillation qui n’est nullement à recevoir. Car puis que le nom de l’Eternel est mis par tout, il s’ensuit qu’il a son estre de soy-mesme au regard de sa déité : car puis qu’il est l’Eternel, on ne peut nier qu’il ne soit le Dieu qui dit ailleurs en Isaïe, Ce suis-je moy qui suis, et n’y a autre Dieu que moy Esaïe 44.6. Aussi ceste sentence de Jérémie mérite bien d’estre notée : Que les dieux, dit-il, qui n’ont point fait le ciel et la terre, soyent exterminez de la terre qui est sous le ciel Jér. 10.11 ; car il est nécessaire de conclurre à l’opposite, que le Fils de Dieu est celuy duquel Isaïe prouve souvent la divinité par la création du monde. Or comment le Créateur qui donne estre à toutes choses ne sera-il de soy-mesme, mais empruntera son essence d’ailleurs ? car quiconque dit que le Fils soit essencié du Père (puis que tels abuseurs forgent des noms contre nature) il nie qu’il ait estre propre de soy. Or le sainct Esprit contredit à tels blasphèmes, le nommant Jéhova, qui vaut autant à dire comme celuy qui est de soy et de sa propre vertu. Or si nous accordons que toute essence soit au seul Père, ou elle sera divisible, ou elle sera du tout ostée au Fils : et par ce moyen estant despouillé de son essence, il sera seulement un Dieu titulaire. Si on veut croire ces bavars, l’essence de Dieu ne conviendra qu’au Père seul, d’autant que luy seul a estre, et qu’il est essenciateur de son Fils : par ainsi l’essence du Fils ne seroit qu’un extrait je ne say quel, tiré comme par un alambic de l’essence de Dieu, ou bien une partie descoulante du total. D’avantage, ils sont contraints par leur principe de confesser que l’Esprit est du Père seul : car si c’est un ruisseau descoulant de la première essence, laquelle selon eux n’est propre qu’au Père, il ne pourra estre tenu ne réputé Esprit du Fils : ce qui est toutesfois rembarré par le tesmoignage de sainct Paul, quand il le fait commun tant au Fils qu’au Père. Outreplus, si on efface de la trinité la personne du Père, en quoy sera-il discerné du Fils et de l’Esprit, sinon entant qu’il sera seul Dieu ? Ces fantastiques confessent que Christ est Dieu, et néantmoins qu’il diffère d’avec le Père. Or yci il faut avoir quelque marque de discrétion, en sorte que le Père ne soit point le Fils. Ceux-cy la mettant en l’essence anéantissent notoirement la vraye déité de Jésus- Christ : laquelle ne peut estre sans l’essence, voire toute entière. Certes le Père ne différera point d’avec son Fils, sinon qu’il ait quelque chose de propre en soy, et qui ne soit point commune au Fils. Que trouveront-ils maintenant en quoy ils le puissent distinguer ? Si la discrétion est en l’essence, qu’ils me respondent asçavoir s’il ne l’a point communiquée à son Fils. Or cela ne s’est point fait en partie, d’autant que ce seroit abomination de forger un dieu à demy. Il y a aussi une autre absurdité : c’est qu’ils deschirent vileinement l’essence de Dieu, entant qu’en eux est. Il faut doncques conclurre qu’elle est commune au Fils et à l’Esprit en son entier. Or si cela est vray, on ne pourra pas au regard d’icelle distinguer le Père d’avec le Fils, veu que ce n’est qu’un. S’ils répliquent que le Père en essenciant son Fils est néantmoins demeuré seul vray Dieu, ayant l’essence en soy : Christ donc ne sera qu’un Dieu figuratif, et seulement d’apparence et de nom, sans avoir l’effect ou vérité : veu qu’il n’y a rien de plus propre à Dieu, que d’estre : selon la sentence de Moyse, Celuy qui est, m’a envoyé à vous Ex. 3.14.
Ce qu’ils prenent pour une maxime est faux, asçavoir que toutesfois et quantes que le nom de Dieu se trouve sans queue (comme l’on dit) il se rapporte au Père seul ; mesmes aux passages qu’ils ameinent, ils descouvrent trop lourdement leur ignorance, pource que là le nom du Fils est mis à l’opposite : dont, il appert qu’il y a comparaison de l’un à l’autre, et que pour ceste cause le nom de Dieu est particulièrement donné au Père. Ils répliquent. Si le Père n’estoit seul vray Dieu, il seroit son Père à ce conte. Je respon qu’il n’y a nul inconvénient, à cause du degré et ordre que nous avons dit, que le Père soit nommé Dieu spécialement, pource que non-seulement il a engendré de soy sa sagesse, mais aussi est le Dieu de Jésus-Christ selon qu’il est Médiateur : de quoy il sera ailleurs traité plus au long. Car depuis que Jésus-Christ est manifesté en chair, il est appelé Fils de Dieu, non-seulement pource que devant tout temps il a esté engendré du Père comme sa Parole, éternelle, mais aussi que pour nous conjoindre à luy il a pris la personne du Médiateur. Et puis que si hardiment ils déboutent Jésus-Christ de la dignité divine, je voudroye bien sçavoir quand il prononce qu’il n’y a nul bon qu’un seul Dieu Matth. 19.17, s’il se prive de sa bonté, ou non. Je ne parle point de sa nature humaine, afin qu’ils ne prétendent point que le bien qui est en elle procède de don gratuit : je demande si la Parole éternelle de Dieu est bonne, ou non. S’ils le nient, leur impiété sera desjà assez convaincue : en le confessant ils se couperont la gorge. Or ce qu’il semble de prime face que Jésus-Christ rejette loin de soy le nom de Bon, conforme encores mieux nostre sentence : car pource que c’est un tiltre singulier appartenant à un seul Dieu, d’autant qu’il avoit esté nommé bon à la façon accoustumée : en remettant cest honneur frivole il admonneste que la bonté qui est en luy est divine. Je demande aussi, quand sainct Paul enseigne que Dieu seul est immortel, sage et véritable 1Tim. 1.17, si par ces mots il renvoye Jésus-Christ au nombre des créatures humaines, où il n’y a que fragilité, folie et vanité : car par ce moyen celuy qui a esté la vie dés le commencement, voire pour donner immortalité aux Anges, ne seroit pas luy-mesme immortel : celuy qui est la sagesse de Dieu, ne seroit point sage : celuy qui est la vérité, ne seroit point véritable. Et combien cela est-il détestable ? Je demande outreplus, s’ils estiment qu’on doive adorer Jésus-Christ, ou non : car si cest honneur luy appartient de droit, que tout genouil se ploye devant luy Phil. 2.10, il s’ensuit qu’il est le Dieu qui a défendu en la Loy qu’on n’adorast point autre que luy. S’ils veulent que ce qui est dit en Isaïe, C’est moy qui suis, et n’y a nul que moy Esaïe 64.6, se rapporte au Père seul : je dy qu’il est propre à confondre leur erreur, veu que l’Apostre en l’alléguant de Christ, luy attribue tout ce qui est de Dieu. S’ils allèguent que Jésus-Christ a esté ainsi exalté en sa chair, en laquelle il avoit esté abaissé, et que c’est au regard de la chair que tout empire luy est donné au ciel et en la terre : ceste cavillation ne leur sert de rien ; car combien que la majesté de Juge et de Roy s’estende à toute la personne du Médiateur : toutesfois s’il n’estoit Dieu manifesté en chair, il ne pourroit estre eslevé en telle hautesse, que Dieu ne fust contraire à soy. Et sainct Paul décide très-bien ce différent, quand il dit qu’il estoit égal à Dieu, devant que s’anéantir sous la forme de serviteur. Or comment ceste équalité pourroit-elle convenir, sinon qu’il fust le Dieu duquel le nom est souverain et éternel, lequel chevauche sur les Chérubins, et qui est Roy de toute la terre, voire Roy permanent ? Quoy qu’ils grondent, ce qu’Isaïe dit en l’autre passage ne peut estre ravi à Christ : asçavoir, C’est-cy, c’est-cy nostre Dieu, nous l’avons attendu Esaïe 25.9. Car là il est notamment parlé de la venue du Rédempteur, qui devoit non-seulement délivrer le peuple de la captivité de Babylone, mais aussi remettre plenement son Eglise au-dessus. C’est aussi en vain qu’ils tergiversent, que Jésus-Christ a esté Dieu en son Père ; car combien que nous confessons qu’au regard de l’ordre et degré, la source de divinité soit au Père : toutesfois nous disons que c’est une illusion détestable, que l’essence soit réservée à luy seul à part, comme s’il avoit déifié son Fils : car par ce moyen il y auroit essence diverse et deschiquetée en pièces, ou Jésus-Christ seroit appelé Dieu à fausses enseignes, et par imagination. S’ils accordent que le Fils soit Dieu, mais second après le Père : il s’ensuyvra que l’essence laquelle est au Père sans génération ne forme, aura esté engendrée et formée en Jésus-Christ. Je say que beaucoup de gaudisseurs se mocquent, quand nous tirons la distinction des personnes du passage de Moyse, Faisons l’homme à nostre image Gen. 1.26 : et toutesfois quiconque, sera de sens rassis voit bien que telle forme de deviser seroit froide et inepte, s’il n’y avoit plusieurs personnes en Dieu. Or il est certain que ceux ausquels le Père s’addresse n’ont point esté créez. De chercher rien qui n’ait esté créé, c’est un abus : excepté Dieu, voire luy seul. Maintenant s’ils n’accordent que la puissance de créer et droict de commander a esté commun au Fils et au sainct Esprit aussi bien qu’au Père, il s’ensuyvra que Dieu n’a point lors parlé en soy, mais qu’il aura addressé son propos à des ouvriers forains ; brief un seul passage nous despeschera de leurs deux objections ; car quand Jésus-Christ dit que Dieu est Esprit Jean 4.24, de restreindre cela au Père, il n’y auroit ordre, comme si la Parole n’estoit point de nature spirituelle. Or si le nom d’Esprit convient au Fils, je conclu qu’il est aussi bien comprins sous le nom de Dieu. Tantost après il est adjousté, que le Père n’approuve point autre service que celuy qui luy est fait en esprit et vérité ; dont il s’ensuit que Jésus-Christ en exerçant l’office de Docteur sous le souverain chef, attribue au Père le nom de Dieu : non pas pour abolir sa déité de luy, mais pour nous eslever à icelle comme par degrez.
Mais voicy en quoy ils s’abusent, asçavoir d’en imaginer trois, desquels chacun ait une partie de l’essence divine. Or nous enseignons selon l’Escriture, qu’il n’y a qu’un seul Dieu essenciellement : et que l’essence du Fils n’est engendrée non plus que celle du Père : mais d’autant que le Père est premier en ordre, et qu’il a engendré de soy sa sagesse, c’est à bon droict qu’il est tenu pour principe et source de toute divinité, comme il a esté dit. Ainsi Dieu absoluement n’est point engendré : et le Père aussi au regard de sa personne n’est point engendré. Ils se trompent aussi en une autre illusion, c’est qu’il leur semble que nous establissons une quaternité : mais ils nous imposent faussement ce qu’ils ont forgé en leur cerveau, comme si nous disions que trois personnes descoulassent d’une essence comme trois ruisseaux. Or au contraire il appert par toute nostre doctrine, que nous ne tirons pas les personnes de l’essence pour en estre séparées : mais en disant qu’elles y résident, nous mettons distinction de l’une à l’autre. Si les personnes estoyent séparées de l’essence, leur raison auroit quelque couleur : mais en ce faisant il y auroit une trinité de dieux, non point de personnes, lesquelles nous disons qu’un seul Dieu comprend en soi : et ainsi la question frivole qu’ils esmeuvent est solue : asçavoir quand ils demandent si l’essence n’entrevient point à faire la Trinité : comme si nous estions si bestes de penser que trois dieux descendissent d’icelle. Or nous disons que Dieu estant entier en soy, a seulement ses propriétez distinc tes. En ce qu’ils répliquent que la Trinité sera doncques sans Dieu, ils se montrent tousjours aussi lourds et hébétez. Car combien qu’elle n’entreviene point à distinguer les personnes comme une partie ou portion, toutesfois les personnes ne sont pas sans icelle, ne hors d’icelle veu que le Père sans estre Dieu ne pouvoit estre Père : et le Fils ne pouvoit autrement estre Fils sinon estant Dieu. Pourquoy nous disons absoluement que la Déité est de soy : et voylà pourquoy nous confessons que le Fils entant qu’il est Dieu, sans avoir esgard à la personne a son estre de soy-mesme : entant qu’il est Fils, nous disons qu’il est du Père : par ce moyen son essence est sans commencement, et le commencement de sa personne est Dieu. Et de faict tous les anciens docteurs de l’Eglise, en parlant de la Trinité ont rapporté seulement ce nom aux personnes : pource que ce seroit un erreur trop énorme, voire mesmes une impiété trop brutale, de mettre l’essence en la distinction. Car ceux qui se forgent une concurrence de l’essence et du Fils et de l’Esprit, comme si l’essence estoit au lieu de la personne du Père, anéantissent ouvertement l’essence du Fils et de l’Esprit. Car le Fils a quelque estre, ou il n’en a point. S’il en a, voylà deux essences pour jouster l’une contre l’autre : s’il n’en a point, ce ne seroit qu’une ombre. Brief si ces deux noms, Père et Dieu, valoyent autant l’un comme l’autre, et que le second n’appartinst point au Fils, le Père seroit tellement déifiant, qu’il ne resteroit au Fils qu’un ombrage de fantosme : et la Trinité ne seroit autre chose qu’une conjonction d’un seul Dieu avec deux choses créées.
Quant à ce qu’ils objectent, que si Christ est vrayement Dieu il seroit mal nommé Fils de Dieu : desjà j’ay respondu, puisque lors il se fait comparaison d’une personne à l’autre, que le nom de Dieu n’est point pris absoluement : mais qu’il est spécifié du Père entant qu’il est le commencement de Déité : non pas en donnant essence à son Fils et à son Esprit, comme ces fantastiques babillent, mais au regard de l’ordre que nous avons déclairé. En ce sens se doit prendre le propos du Seigneur Jésus-Christ, C’est la vie éternelle de croire que tu es le seul Dieu, et Jésus-Christ que tu as envoyé Jean 17.3. Car d’autant qu’il parle en la personne du Médiateur, il tient un degré moyen entre Dieu et les hommes : et toutesfois par cela sa majesté n’est pas amoindrie. Car combien qu’il se soit anéanty, toutesfois il n’a point perdu envers son Père sa gloire, qui a esté cachée au monde. En ceste manière l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux, ayant confessé que Jésus-Christ pour un petit de temps a esté abaissé par-dessous tous les Anges, ne laisse pas cependant d’affermer qu’il est le Dieu éternel, qui a fondé la terre Héb. 2.1. Tenons doncques cela pour conclud, toutesfois et qualités que Jésus-Christ en la personne du Médiateur s’addresse à son Père, que sous ce nom de Dieu il comprend aussi sa Divinité : comme en disant à ses Apostres, il vous est expédient que je m’en aille au Père, d’autant qu’il est plus grand que moy Jean 16.7 : il ne se réserve pas seulement quelque divinité seconde, pour estre inférieur au Père quant à son essence divine : mais pour ce qu’estant parvenu à la gloire céleste, il accompagne les fidèles avec soy, il met le Père en degré supérieur : asçavoir d’autant que la perfection de sa majesté qui apparoist au ciel, diffère de la mesure de gloire, laquelle a esté manifestée en luy quand il a vestu nostre nature. Par une même raison sainct Paul aussi dit que Jésus-Christ rendra finalement l’empire à Dieu son Père, afin que Dieu soit tout en toutes choses 1Cor. 15.24. Il n’y a rien plus hors de raison, que de vouloir oster à Jésus-Christ l’estat permanent de sa Déité. Or s’il ne doit jamais cesser d’estre Fils de Dieu, mais demeurer a tousjours tel comme il a esté dés le commencement : il s’ensuit que sous ce nom de Dieu l’essence unique est comprinse, laquelle est commune tant au Père qu’au Fils. Et de faict, c’est pourquoy Jésus-Christ est descendu à nous, afin qu’en nous eslevant à son Père, il nous eslevast aussi bien à soy, d’autant qu’il est un avec le Père. Ainsi de restreindre au Père exclusivement le nom de Dieu pour le ravir au Fils, il n’y a ne raison ne propos. Mesmes notamment pour ceste cause sainct Jehan le nomme vray Dieu 1Jean 5.20, afin qu’on ne pense qu’il soit en degré second ou inférieur de déité au-dessous du Père. Parquoy je m’esmerveille que veulent dire ces forgerons de nouveaux dieux, quand après avoir confessé que Jésus-Christ est vray Dieu, ils l’excluent de la déité du Père, comme s’il y pouvoit avoir vray Dieu sinon qu’il soit un et seul : ou bien qu’une Déité inspirée d’ailleurs fust autre chose qu’une imagination.
Quant à ce qu’ils amassent plusieurs passages de sainct Irénée, où il dit que le Père de nostre Seigneur Jésus-Christ est le vray Dieu d’Israël : c’est une vileine ignorance, ou une grande malice. Il faloit noter que ce sainct Martyr avoit combat et dispute contre des phrénétiques, lesquels nioyent que le Dieu d’Israël qui avoit parlé par Moyse et les Prophètes, fust Père de Jésus- Christ : disans que c’estoit un fantosme produit de la corruption du monde. Parquoy sainct Irénée insiste du tout là-dessus, de monstrer que l’Escriture ne nous enseigne point d’autre Dieu que le Père de Jésus-Christ, et que d’en concevoir autre c’est abus et resvetrie. Il ne se faut doncques esbahir, si tant de fois il conclud qu’il n’y a jamais eu d’autre Dieu d’Israël, que celuy que Jésus-Christ et ses Apostres ont presché : comme maintenant pour résister à l’opposite à cest erreur dont nous traitions nous pourrons vrayment dire que le Dieu qui est jadis apparu aux Pères n’estoit autre que Christ. Si on réplique que c’estoit le Père : la response est aisée, qu’en maintenant la déité du Fils, nous ne rejettons point celle du Père. Si on regarde à ce but et à l’intention d’Irénée, toute contention sera mise bas : mesmes il décide assez toute ceste dispute au 6e chapitre du 3e livre : où il tient fort et ferme que quand l’Escriture parle absoluement de Dieu, et sans queue (comme l’on dit) elle entend celuy qui vrayement est seul Dieu : et là-dessus il adjouste que Jésus-Christ est ainsi nommé. Qu’il nous souviene que tout le différent qu’avoit ce bon docteur, (comme il appert par toute la procédure qu’il tient, et sur tout par le quarante-sixième chapitre du second livre) gist en cela : asçavoir que l’Escriture ne parle point du Père par énigme ou parabole, mais qu’elle désigne le vray Dieu[c]. En un autre passage il déduit que tant le Fils que le Père sont conjointement nommez un seul Dieu par les Prophètes et Apostres[d] : puis il déclaire comment Jésus-Christ, qui est Seigneur de tous, et Roy, et Dieu et Juge, a receu l’Empire de celuy qui est Dieu de tous : et respond que c’est au regard de la sujétion en laquelle il a esté humilié jusques à la mort de la croix. Ce pendant un peu après il afferme que le Fils est créateur du ciel et de la terre, lequel a ordonné la Loy par la main de Moyse, et est anciennement apparu aux Pères[e]. Si quelqu’un gergonne, que néantmoins Irénée reconnoit le seul Père pour Dieu d’Israël : je respon qu’aussi bien il afferme haut et clair que Jésus-Christ est le mesme : comme aussi il applique à sa personne le passage d’Abacuc, Dieu viendra du costé de Midy. A quoy aussi convient ce qu’il dit au chapitre neuvième du livre quatrième, Christ est avec le Père, le Dieu des vivans : et au mesme livre, chapitre douzième, il expose qu’Abraham a creu à Dieu, d’autant que Christ est créateur du ciel et de la terre, et seul Dieu.
[c] Au 3e livre, chap. IX.
[d] Au chap. XII du mesme livre.
[e] Au chap. XVI du mesme livre ; aux chap. XVIII et XXIII du mesme livre.
C’est aussi bien à fausses enseignes qu’ils prenent Tertullien pour leur advocat : car combien qu’il soit dur et enveloppé en son langage, toutesfois sans difficulté aucune il enseigne la mesme doctrine, pour laquelle maintenant je comba : asçavoir combien qu’il n’y ait qu’un seul Dieu, que toutesfois par certaine disposition il est avec sa Parole : ainsi qu’il y a un seul Dieu en unité de substance, et toutesfois que ceste unité par une dispensation secrette est distincte en trinité : et qu’il y en a trois, non pas en essence mais en degré : non pas en substance, mais en forme : non pas en puissance, mais en ordre. Il maintient bien le Fils estre second au Père : mais cela ne est que pour distinguer les personnes. Il nomme quelque partie Fils, visible, mais après avoir disputé d’une part et d’autre, il résoud qu’il est invisible entant qu’il est la Parole du Père. Finalement en disant que le Père est marqué et désigné par sa personne, il monstre assez qu’il est du tout contraire à ceste resverie, contre laquelle je dispute : car par cela il monstre qu’en l’essence il n’y a nulle diversité. Et combien qu’il ne recognoisse autre Dieu que le Père, toutesfois en la procédure tantost après il déclaire et monstre qu’il ne parle point exclusivement au regard du Fils, en disant qu’il n’est point autre Dieu que le Père : et pourtant que le seul empire ou monarchie de Dieu n’est point violée par la distinction des personnes. Brief par l’argument qu’il traitte, et par le but auquel il tend, il est aisé de recueillir le sens des paroles. Il débat contre un hérétique nommé Praxéa, combien que Dieu soit distingué en trois personnes, toutesfois qu’on ne fait point plusieurs dieux : et qu. l’unité par cela n’est point deschirée. Et pource que selon l’erreur de Praxéa Jésus-Christ ne pouvoit estre Dieu qu’il ne fust Père : voylà pourquoy Tertullien s’arreste tant sur la distinction. Quant à ce qu’il dit que la Parole et l’Esprit sont une portion du total : combien que ce soit une façon de parler dure et rude, toutesfois elle se peut excuser, d’autant qu’elle ne se rapporte point à la substance, mais seulement à ceste disposition qu’il exprime, laquelle il proteste ne convenir sinon aux personnes. A quoy aussi s’accorde ce qu’il adjouste, Combien penses-tu, homme pervers Praxéa, qu’il y ait de personnes, sinon autant qu’il y a de noms ? et un peu après, Il faut croire au Père et au Fils et au sainct Esprit, en chacun selon son nom et sa personne. Je croy que par ces raisons l’impudence de ceux qui font bouclier de l’authorité de Tertullien pour tromperies simples, est assez rembarrée.
Et de faict quiconque s’appliquera songneusement à conférer les escrits des Anciens l’un avec l’autre, ne trouvera rien en sainct Irénée, sinon ce qu’ont enseigné ceux qui sont survenus depuis, Justin martyr est l’un des plus anciens, lequel s’accorde avec nous en tout et par tout. Que ces brouillons qui aujourd’huy troublent l’Eglise allèguent tant qu’ils voudront, que Justin et les autres appellent le Père de Jésus-Christ, seul Dieu. Je confesse mesmes que sainct Hilaire dit le mesme, voire parle plus rudement, asçavoir que l’éternité est au Père : mais est-ce pour ravir au Fils l’essence de Dieu ? Au contraire ses livres monstrent qu’il n’a autre estude que de maintenir la doctrine laquelle nous ensuyvons, et toutesfois ces escervelez n’ont point de honte d’extraire quelques mots rompus et mutilez, pour faire accroire que sainct Hilaire maintient leur party. Quant à ce qu’ils font aussi couverture de sainct Ignace, s’ils veulent que cela leur serve, qu’ils prouvent en premier lieu que les Apostres ont estably le Quaresme et beaucoup de menus fatras et abus ; brief il n’y a rien plus sot que ces bagages qu’on a ramassé sous le nom de ce sainct Martyr : et d’autant moins est supportable l’impudence de ceux qui se couvrent de telles masques pour décevoir les ignorans. On peut aussi manifestement veoir le consentement de toute l’ancienneté : d’autant qu’au concile de Nice Arrius n’osa jamais farder son hérésie par l’authorité d’un seul docteur approuvé : ce qu’il n’eust point oublié, s’il eust eu de quoy : et aussi que nul des Pères tant Grecs que Latins qui estoyent là assemblés contre luy, ne mit jamais peine à excuser qu’ils eussent aucun discord avec leurs prédécesseurs. Il n’est jà besoin de réciter combien sainct Augustin, lequel ces brouillons tienent pour ennemy mortel, a esté diligent à feuilleter les escrits des Anciens, et avec quelle révérence il les a leus et receus. Car s’il y a le moindre scrupule du monde, il monstre pourquoy il est contraint d’avoir son opinion à part, mesmes en cest argument : s’il a leu és autres docteurs quelque propos douteux ou obscur, il ne le dissimule pas. Or ce pendant il prend pour chose résolue, que la doctrine contre laquelle ces esventez bataillent, a esté receue sans contredit de toute ancienneté : et toutesfois il appert assez d’un seul mot, que ce que les autres avoyent enseigné ne luy estoit pas incognu : asçavoir quand il dit que l’unité gist au Père. Ces brouillons diront ils qu’il s’estoit alors oublié ? mais il se purge bien ailleurs de ceste calomnie, en appelant le Père source ou principe de toute déité[f], pource qu’il ne procède point d’un autre : considérant prudemment que le nom de Dieu est attribué au Père par espécial, pource que si nous ne commençons à luy, nous ne pourrons concevoir une simple unité en Dieu. J’espère que parce que j’ay traitté toutes gens craignans Dieu cognoistront que toutes les fausses gloses et astuces de Satan, par lesquelles il s’est efforcé de pervertir et obscurcir la pureté de nostre foy, sont suffisamment abatues. Finalement je me confie que toute ceste matière se trouvera yci fidèlement expliquée, moyennant que les lecteurs tienent la bride à toute curiosité, et ne convoitent point plus qu’il ne seroit expédient, d’attirer des disputes fascheuses et perplexes : car d’appaiser ou contenter ceux qui prenent plaisir à spéculer sans mesure, je n’ay garde d’en prendre la charge. Tant y a que je n’ay rien obmis par finesse, ne laissé derrière de tout ce que je pensoye pouvoir m’estre contraire. Mais d’autant que je m’estudie à édifier l’Eglise, il m’a semblé meilleur de ne point toucher à beaucoup de questions, lesquelles n’eussent guères proufité, et eussent chargé et ennuyé les lecteurs sans raison. Car de quoy servira-il de disputer si le Père engendre tousjours, veu que quand ce point est conclud, qu’il y a eu de toute éternité trois personnes résidentes en Dieu, cest acte continuel d’engendrer n’est qu’une fantasie superflue et frivole ?
[f] Au 1er livre de la Doctrine chrestienne.