Nouvelle face de la dernière pensée du paragraphe précédent. La position domestique et sociale de l’héritier mineur est comme celle de l’esclave (4.1-2) ; tels étaient d’abord les Juifs et les païens (4.3) ; mais l’époque de la minorité étant écoulée, Dieu-Père a envoyé son Fils pour nous adopter en lui (4.4-5) ; de sorte que par le fait ayant reçu l’esprit de filialité (6), nous ne sommes plus serviteurs sous la loi, mais fils, libres et héritiers par la foi (4.7). Nouvelle et identique conclusion générale.
1 Je dis donc : Aussi longtemps que l’héritier est enfant, il ne diffère en rien de l’esclave quoiqu’étant maître de tout,
Le mot héritier réveille dans l’esprit de Paul une nouvelle exposition de sa pensée ; ce qui nous empêche de séparer ce paragraphe du précédent ; le chapitre a été mal fixé. — κληρονόμος fils d’homme opulent qui doit succéder aux richesses paternelles. — νήπιός, impubère, non adulte, livré à des pédagogues et à des précepteurs (Matthieu 21.16 ; 1 Corinthiens 13.11). En général, enfant (1 Samuel 22.19 ; Psaumes 135.12 ; Ézéchiel 9.6) — ne diffère en rien de l’esclave ; il n’est pas plus que lui, quant au droit et au libre arbitre ; ils sont également l’un et l’autre sous l’empire des maîtres. « L’enfant qui n’était pas encore arrivé à l’âge de son droit, et qui ne jouissait pas de l’usage de l’hérédité paternelle à lui destinée, ne différait en rien de la condition d’esclave, puisque les esclaves n’étaient pas maîtres du pécule, ou du bien mobilier et immobilier qu’ils avaient acquis (Déz., lett. 10). » — κύριος πάντων ὤν ; quoiqu’il soit le maître futur et présentement virtuel de tous les biens paternels.
2 mais il est sous des gouverneurs et des économes jusqu’au temps déterminé par le père ;
επιτρόπους. « Celui à qui a été confié le pouvoir de soigner et de gouverner » (Philon., Quod omn. prob., lib. p. 870. Josephe, Antiq. 7, 14, 8). Appliqué au civil ce mot signifiait procurateur de province ; au domestique, procurateur des villas, des vignes et autres domaines, ou de la chose domestique (Luc 8.3 ; Matthieu 20.8 ; Jos., Ant. 18, 6, 6) ; enfin curateur des enfants, surtout des fils de seigneur, pendant la vie du père ou après sa mort (tuteur de pupille) ; maître des mœurs (Jos., Ant. 7, 1 c, 3. Xénophon, Mém. I, 2, 40. Plutarq., Vie de Dém., p. 847). Ainsi, en résumé, procurateur d’empire ou vice-roi (2 Maccabées 9.1 ; 13.2 ; 14.2) ; de province ; de domaine ; d’intérieur de maison ; de pupille. — L’éducation privée était d’usage dans les grandes maisons. Quand venait l’époque de commencer l’éducation proprement dite, on plaçait auprès de l’enfant des précepteurs et des pédagogues. Les premiers enseignaient les arts et les sciences ; les seconds étaient gouverneurs, inspectaient les actions et veillaient sur les mœurs de leurs élèves. La plupart du temps ces précepteurs presque tous étrangers étaient des esclaves ou des affranchis (Déz., lett. 57, ss.). Nous acceptons le sens de pédagogue, car celui de tuteur de pupille ou de gouverneur de province ne saurait trouver ici d’application. — οἰκον. On appelait de ce nom les maîtres des esclaves, ceux qui commandaient à toute la gent domestique (Genèse 15.2 ; Luc 12.42 ; 16.1. Septante 1 Rois 4.6. Plut, de l’éduc. des enf. Xénophon, Mém. 2, 10, 4) ; ils avaient soin non seulement des esclaves mais encore des fils. (Voyez l’exemple d’Eliézer, Genèse 24.2-3). C’est par la gestion de la chose pécuniaire que le fils dépendait de l’économe. — ἄχρι τῆς, etc., expression de barreau contenue une seule fois dans le Nouveau Testament, et très familière aux auteurs classiques, Démost., Joseph., Lucien, Philon, etc. « Jusqu’au temps défini, arrêté par le père ». Chez les Romains, la toge proprement dite ou la toge virile, qui donnait la virilité légale, c’est-à-dire, rendait un citoyen actif ou jouissant des privilèges des citoyens actifs (car les enfants étaient exempts des charges de la cité), se recevait à l’âge de 15, de 16, ou de 17 ans et quelquefois, à 20 seulement. C’est le père qui remettait cette toge à l’adolescent. La prise de la toge virile n’avait lieu qu’une fois par an, le 17 mars, à l’époque des liberalia ; aussi cette toge s’appelait encore libre.
3 et nous aussi lorsque nous étions enfants nous étions assujettis aux éléments du monde ;
Paul applique sa comparaison. — ἡμεῖς, nous, chrétiens, issus de Juifs ou de païens v. 8 ; lorsque nous étions enfants, opposé à hommes parfaits (Éphésiens 4.14). Cela s’entend manifestement d’un faible degré de développement religieux et moral, d’un état d’impuissance à recevoir une science des choses divines plus exacte et plus profonde ; comme a dit Théophylacte « enfants dans la connaissance de Dieu ». — τὰ στοιχεῖα, etc. Les interprétations sont assez diverses. Dans l’antiquité les uns expliquaient ces mots, des éléments matériels, de la terre, de l’air, de l’eau ; les païens en adoraient la plupart ; d’autres, des astres, du soleil, de la lune qui étaient aussi des objets de culte des, idolâtres ; d’autres, des anges qui président aux quatre éléments du monde ; d’autres enfin de la loi et des prophètes qui étaient comme l’alphabet et les premiers éléments de la religion chrétienne. Ces divers sentiments sont rapportés par saint Jérome qui s’arrête à ce dernier avec la plupart des interprètes (Chrysost., Théod., Théophyl., Œcum., Érasme, Grotius, etc.). Don Calmet pense aussi que c’est le vrai sens. Paul les appelle éléments du monde, dit-il, parce que les cérémonies extérieures des sacrifices, des fêtes, étaient assez semblables à celles des peuples païens ; elles n’en différaient souvent que par l’objet et la détermination. On voyait chez les païens comme chez les Hébreux, des temples, des autels, des sacrifices, des cérémonies. Ou bien les éléments du monde pourraient marquer des cérémonies et des observances sensibles, grossières, matérielles. — Winer : rudiments, premiers éléments d’institution ; commencements des arts et des sciences qu’on communique de coutume aux νήπιοις (Colossiens 2.8) ; ici, « discipline sacrée telle qu’elle fut avant Christ, chez les Juifs et les païens (à cause du mot monde), mais imparfaite, grossière, accommodée à des novices v. 9 (Hébreux 9.10, ss.) » — Schott : Le mot assujetti indique les hommes tels qu’ils étaient avant qu’ils fussent délivrés de la loi mosaïque v. 5. On voit par la manière de sentir et de penser des pagano-chrétiens qui comme les judéo-chrétiens voulaient revenir aux pauvres rudiments v. 8-9, qu’il s’agit de préceptes rituels non prescrits aux chrétiens ; dès lors ces rudiments sont « des préceptes et des statuts mosaïques et traditionnels » sans exclusion des choses analogues qui étaient en vigueur dans le culte des païens. Schott regarde comme parallèle Colossiens 2.8, 20. Il entend par le mot philosophie du v. 8 les décrets de la théologie judaïque de ce temps, accommodée à la tradition humaine et non pas à Christ, théologie selon les éléments du monde. Comme exemple de ces éléments, Paul cite v. 20-21, les préceptes et les enseignements des hommes, et au v. 22, l’abstinence, le choix de la nourriture, et en général tout dur traitement du corps. Selon Ustéri ce motif signifie la loi mosaïque et son analogue dans le monde des gentils, ou l’ascétique païenne et en général la religion enfantine de l’antiquité. Il y a deux périodes capitales pour l’humanité en masse et pour les individus en particulier, aussitôt que ceux-ci sont passés de la vie immédiate de la nature sensible et de la sensation, à la distinction entre connaître et faire. La première est historiquement représentée par le judaïsme et caractérisée par le conflit de la nature pécheresse et de la loi spirituelle, comme aussi par l’esclavage de l’homme sous le péché par la loi. Dieu voulait par là donner à l’homme une pleine conscience de sa culpabilité, de sa misère, et le rendre capable d’entrer dans la seconde période, ou dans l’ordre supérieur de l’amour et de la grâce, et d’arriver à l’état où l’on devient un en esprit avec la loi (identité de l’objet et du sujet). En regard de cette seconde période qui est le règne de l’Évangile, tous les moyens éducateurs de la première sont appelés rudiments du monde ; et comme les pères de l’Église depuis Justin Martyr établissaient constamment parallèle entre les Sages hellènes et Moïse et les prophètes, nous pouvons avec droit mettre au nombre de ces rudiments, la philosophie morale en tant qu’elle ne renferme que la connaissance objective du bien moral comme loi. La tradition des hommes (Galates 4.9 ; Colossiens 2.8, 20) fait partie de ces rudiments ; distincte de la loi divine de l’Écriture et de la conscience, elle indique des règles posées et suivies par les hommes arbitrairement, par exemple, les purifications ascétiques. L’humanité dirigée par tous ces rudiments, et cependant restant inculte et mauvaise s’appelle monde, Juifs et Gentils, τὰ πάντα. — Néander attaque ceux qui par ces mots entendent les commencements de la connaissance religieuse parmi les hommes. Voici ses raisons : Paul s’adressant (Galates 4.8) à ceux qui avaient été païens, suppose qu’eux aussi avant leur conversion étaient assujettis à ces éléments. Il faudrait donc admettre d’après l’explication ordinaire que Paul par ces commencements de connaissance religieuse voulait désigner une idée générale également applicable dans un certain degré au paganisme et au judaïsme. Mais comment concilier cette opinion avec les idées de Paul qui voyait dans le judaïsme un état religieux, subordonné et préparateur il est vrai, mais fondé cependant par révélation de Dieu ; et qui au contraire regardait le paganisme, c’est-à-dire, l’idolâtrie dont, il parle ici comme un état religieux complètement étranger à l’essence de la religion, comme une oppression du sentiment religieux primitif, issue du péché ? L’attribut impuissant du v. 9 ne s’accorde pas très bien non plus avec l’idée de « commencements de la religion ». Si l’on admet mon explication, ajoute Néander, toutes ces difficultés s’aplanissent. L’enchaînement de la religion à des formes sensibles et par conséquent l’asservissement, aux éléments du monde, voilà ce que le judaïsme et le paganisme ont de commun. Tout culte idolâtre peut être considéré comme un acte propre d’assujettissement aux choses sensibles ; or cette idée peut être appliquée aux Juifs ordinaires et aux judaïstes qui cherchaient le divin, la justification et la sanctification, dans le monde sensible ; c’était une espèce d’idolâtrie. On voit maintenant comment Paul pouvait dire aux chrétiens galates auparavant païens et présentement enlacés par les judaïsants : comment pouvez-vous, vous qui avez été conduits par la miséricorde de Dieu à sa connaissance et à sa communion, vous tourner de nouveau vers ces éléments impuissants auxquels vous voulez vous assujettir encore ? (vous vous précipitez volontairement dans votre ancienne idolâtrie.) Je crains d’avoir travaillé en vain à vous conduire de l’idolâtrie à l’adoration du Dieu vivant (Galates 4.8). Ainsi d’après cet écrivain, l’un des traits de l’esclavage dans le judaïsme se trouve dans l’enchaînement de la religion à une foule de formes sensibles qui ne pouvaient que préfigurer l’élément divin futur. La vie religieuse intime dépendait de l’extérieur. Ces deux parties de la loi, la morale et la matérielle, devaient servir à brider la grossièreté physique, à exciter le sens religieux et à le pousser par le sentiment de son esclavage à la recherche de la liberté et de la force.
4 mais lorsqu’à été consommée la plénitude du temps fixé, Dieu a délégué son Fils né de femme, soumis à la loi,
πλήρωμα etc., plérome du temps (Éphésiens 1.10) ; ce qui remplit une chose ou ce qui est relatif à la consommation de quelque chose (1 Corinthiens 10.26 ; Marc 8.20). Dans l’Ancien et le Nouveau Testament, les mots (συμπληροῦν, πληροῦν et celui-ci, sont usités pour indiquer la fin d’un temps prédéterminé (Actes 2.2 ; Éphésiens 1.10 Plutarq., In Lucullo, p. 516. Septante Ézéchiel 5.2 ; Daniel 10.3 ; Genèse 25.24 ; 29.21 ; Jean 7.8). Ce plérome est rendu par d’autres locutions ; les jours propres (Tite 1.3) ; le temps (Romains 5.6) ; le dernier des jours (Hébreux 1.1 ; Actes 2.17). Ainsi : achèvement du temps préfixé par Dieu pour l’envoi de son Fils. — ἐξαπέστειλεν. Envoyer quelqu’un d’avec soi, pour qu’il aille remplir un ordre ailleurs (Actes 7.12 ; 11.22). Ambassadeur muni d’une autorité divine (Exode 3.10, 13 ; 1 Samuel 2.5 ; Actes 22.21). — Son Fils γενόμενον exister, naître (Romains 1.3 ; Septante Genèse 4.25). Ce sens était connu des profanes, de Théoph., d’Ælien, de Diod. de Sic., de Josephe, de Plut., etc. Les mots « de femme » ne sont pas pris dans un sens particulier pour caractériser la femme, mais dans un sens général pour indiquer l’apparition humaine de Jésus, né de femme, selon la fragilité commune à la nature humaine (Job 14.1 ; 15.14 ; 25.14). Il me semble que cet attribut caractéristique de la venue de Christ cache deux idées : 1° l’humanisation du logos et la nécessité de cette incarnation pour qu’il opérât son œuvre ; 2° la ressemblance humaine parfaite du Christ avec les hommes (excepté dans le péché). Quelques mots à ce sujet. Pour s’adapter à la nature humaine, une œuvre réelle de régénération et d’association dans la génération doit être posée et assise dans le sein de l’humanité par un être réel, individuel, ayant notre forme, notre mode d’être et de paraître, par une personne qui soit la manifestation substantielle et concrète de la vie nouvelle qu’il s’agit d’inoculer. Les sociétés neuves, les institutions réformatrices ne naissent pas d’abstractions pures, d’idéaux, de systèmes métaphysiques, d’illuminations fantastiques ou de rêveries sentimentales ; il n’y a là ni fond ni puissance. Pour qu’une force nouvelle se polarise positivement et s’organise, pour qu’elle se fasse histoire, réalité humaine, nation, il ne lui suffit pas de se donner à connaître sous forme de conception et d’idée ; ce n’est là que son ombre, son reflet ; il faut surtout qu’elle se pose et se propose elle-même dans sa réalité dynamique, dans sa substantielle énergie ; il faut qu’elle revête un corps, des yeux pour la rayonner, des lèvres pour la distiller, des pieds pour la répandre, des mains pour la souder concrète et vivante, à la vie humaine ; il faut qu’elle s’établisse visible et voyante, tangible et parlante ; qu’on la sente à l’œuvre, en action, en circulation, et qu’on puisse dire d’elle qu’elle a passé en faisant du bien ; il faut qu’elle batte monnaie à son effigie et se multiplie personnellement et socialement. Telle était l’œuvre de Christ, une inoculation d’une sève divine, pure, sainte, de l’amour rédempteur ; aussi fallait-il qu’elle se versât dans le monde, non pas en idée et en image, mais en substance et en personne. J. C. était né de femme. — Quant à la seconde pensée, pour que cette œuvre allât à ceux à qui elle était destinée, il était nécessaire que J. C. leur ressemblât, à l’exception de la misère morale qui occasionnait leur pauvreté et leur besoin de richesses spirituelle ; pour pouvoir appliquer le remède qu’il apportait, Christ devait connaître les maux qu’il venait guérir, se soumettre à notre condition, à notre fragilité, se vêtir de nos haillons, ressentir en lui toutes nos douleurs ; être constitué d’une manière si pleinement humaine, qu’il y eût en lui une fibre pour toutes nos souffrances ; que nos tentations et nos crucifixions intérieures trouvassent un écho dans son âme ; ou plutôt il fallait qu’il fût la sainteté aux prises, d’une façon humaine, avec les séductions de notre existence, en lutte colossale, avec le protée du mal pour nous enseigner par ses triomphes constants comment on brise des aiguillons et comment on roule devant soi le fardeau sacré de la vie, au milieu des heurtements sauvages et des contre-coups du péché ; Christ a été semblable à nous en toutes choses excepté dans le péché ; il naquit de femme. — Soumis à la loi. Cette soumission de Christ doit s’entendre sans nul doute de la loi en général, et en particulier de celle qui était propre surtout à développer le péché, de la loi mosaïque tant rituelle que morale. Jésus en effet fut circoncis, baptisé, présenté au temple, etc. Dans la filiation des idées de Paul, la loi était la puissance du péché, de la condamnation ; cependant elle était bonne, pure, sainte ; pour ces deux motifs, le Libérateur devait lui être soumis. D’abord, pour nous racheter des maux qu’entraîne la loi, n’est-il pas évident qu’il ne convenait pas de se placer en dehors d’elle et de fuir ainsi son joug, mais au contraire de se mettre en plein sous son empire, et là, de la réaliser en conservant la paix avec elle, en s’identifiant avec son esprit et ses préceptes par une fidélité constante et complète, et de la vaincre ainsi dans son propre sein ! Alors seulement Jésus pouvait s’offrir comme Libérateur aux âmes labourées par la loi, pour leur communiquer sa force victorieuse, sa vertu consommatrice, sa transcendance sur les commandements et son inaltérable paix. En second lieu il n’y avait rien dans la nature de la loi qui dût être évité ; elle était sainte ; sa violation seule était coupable. J. C. qui venait être la chaîne des temps anciens aux temps futurs, et donner un sens à la discipline morale de l’antiquité ne pouvait que conserver la loi. Le plan éducateur de Dieu ne peut souffrir des solutions de continuité, il est un et continu comme son auteur ; voilà pourquoi dans la loi il y a déjà le germe de l’Evangile. L’essence de la loi ne saurait être abrogée sous l’économie de la grâce ; elle s’y est renouvelée, transfigurée dans sa forme. Jésus devait donc lui être soumis.
5 pour racheter les esclaves de la loi et nous donner la filialité ;
Afin que, etc. Le premier but de la venue de Christ était de racheter les hommes qui étaient sous la loi ; de leur donner la loi de l’amour, pour accomplir l’amour de la loi. C’est ce qu’annonce le second : Afin que. — ἀπολάωμεν. Ceux qui reçoivent les choses qui leur sont destinées et gardées à part (Colossiens 3.24 ; 2 Jean 8). ἀπὸ et παρὰ avec le verbe recevoir donnent un sens différent ; exemple (Colossiens 3.24) : Vous recevrez ἀπὸ du Seigneur, (médiatement) la récompense de l’héritage, c’est-à-dire, elle procédera du Seigneur ; παρὰ du Seigneur, c’est-à-dire, le Seigneur vous la donnera directement ; (Jean 10.18) Christ dit à juste titre : J’ai reçu ce commandement παρὰ et non ἀπὸ de mon Père immédiatement. Avec ἀπὸ ce verbe signifie donc : celui qui donne comme étant possesseur dépositaire, canal médiateur, et avec παρὰ, le donateur même, direct, de son propre fonds. Appliquée à notre verset cette distinction s’accorde bien avec l’idée de Paul selon laquelle c’est le Père, par son Fils, qui nous donne filialité. — υἱοθεσία, filialité, de υἳον Θεσθαι, adopter un fils ; passage de l’état servile des enfants à la condition de fils qui donne l’usage complet des droits. Rapport d’un enfant à son père ; condition de grâce avec Dieu telle qu’elle ne renferme que des biens. Cette expression suppose un état opposé à celui qu’elle énonce ; d’où il est évident qu’elle n’a aucun rapport à l’existence physique par suite de laquelle tous les hommes naturels sont enfants de Dieu, mais seulement à la vie intérieure (Romains 8.15, 23 ; Éphésiens 1.5). Ustéri trouve deux choses dans ce mot : 1° le lien intérieur de l’amour mutuel (Romains 5.5) ; Dieu aime ses enfants (Éphésiens 5.1), et les chrétiens sont les aimés de Dieu (Romains 1.7). La plus grande ressemblance règne entre le Fils et le Père ; même sentiment, même volonté, même esprit. Le fils n’a plus besoin d’aucune loi qui le pousse à l’accomplissement de la volonté paternelle par des motifs sensibles, comme, la crainte de la punition (Romains 8.15) ; il n’y a plus d’inimitié cachée dans son âme (Romains 8.7), mais l’amour, allumé par Dieu en lui, a transformé ses sentiments, et sa vie filiale découle de l’harmonie intérieurement parfaite de son cœur, et de son amour pour Dieu comme Père. Ainsi sous ce rapport la filialité est un état de φιλία ou d’amour de Dieu opposée à la haine envers Dieu ou à la crainte, et de liberté opposé à l’esclavage. 2° Le second point de vue est que le fils devenu majeur et qui auparavant était regardé comme égal à un esclave, entre dans les droits d’héritier, dans la maison du Père. Ainsi par la filialité l’homme sort de l’enfance ou de l’esclavage pour entrer dans la possession de la liberté et de l’héritage ; aussi Paul rattache-t-il à « filialité » le mot « héritage », dans les deux endroits où il en parle (Romains 8.1 ; Galates 4.7) ! En résumé la première idée exprime le rapport de l’homme à Dieu relativement à ses sentiments, à sa confiance ; c’est le moment positif de la justification devant Dieu ; la seconde se rapporte à l’espérance qu’à le Fils que le Père le fera participant de ses biens qui sont la vie, la paix et la gloire (Romains 8.6, 17). — Néander considère ce mot sous une face plus complète encore. Dans la filialité, dit-il, il y a une triple application ascendante :
- Paul s’attachant aux attributs donnés au peuple théocratique de l’Ancien Testament, regarde ce peuple auquel furent faites les promesses d’hériter du royaume de Dieu, comme destiné à la filialité. Ceux à qui la loi et les promesses ont été données, sont il est vrai, enfants et héritiers, mais ils ne sont pas encore arrivés à la possession réelle du rapport filial et ne jouissent pas de l’exercice positif des droits attachés à ce rapport. Comme ils se trouvent dans l’âge de tutelle, sous la discipline de la loi, ils n’ont pas encore fait la volonté du Père avec conscience et liberté ; d’où il résulte que leur rapport ne peut être que celui de la dépendance extérieure et de la servitude. C’est la filialité de promesse, de foi, d’expectative.
- Par la foi en Christ et par la communion avec Lui comme Fils de Dieu, ces hommes sont délivrés de cette dépendance et ils arrivent à la filialité sentie, consciente d’elle-même, majeure, présente.
- Mais ce rapport filial dans toute son étendue renferme en lui-même tout ce qu’il y a dans l’idée de Christ Fils de Dieu, c’est-à-dire la communion parfaite de sa sainteté, de sa félicité, de sa gloire ; de là découle un développement progressif de la filialité, un perfectionnement continu de ce rapport jusqu’à ce que la réalité répondra parfaitement à l’idée d’enfant de Dieu.
On trouve encore, ce nous semble, dans beaucoup d’esprits une manière étroite de considérer le christianisme que nous voulons combattre ici en peu de mots. On se représente trop exclusivement la religion chrétienne comme uniquement occupée d’une autre vie, comme ne renfermant que des promesses de récompense et des espérances de salut pour une autre existence au-delà de la tombe. La juger ainsi, c’est la méconnaître. Elle embrasse toute la vie de l’homme se déroulant dans son unité profonde par des phases successives à travers le temps et l’éternité. Elle est pour l’homme sur cette terre comme pour l’homme dans le ciel ; elle est pleine de terrestre actualité. Elle jette ici-bas dans l’âme du chrétien les bases de l’immortalité, de l’incorruptibilité ; le règne de Dieu commence pour lui dans ce monde. C’est sur cette terre qu’il reçoit le don de l’Esprit, les richesses et la vertu divinisante de la filialité ; que Dieu et J. C. commencent à habiter dans son cœur et son cœur dans le ciel. Sans doute il n’arrive pas à son plein développement, à sa maturité filiale, et c’est là la source de cette énergie de progrès, de cette verve d’élancement que la foi chrétienne développe ; c’est là le côté prophétique supra-terrestre et supra-sensible du christianisme ; mais l’Evangile lui-même ne nous dit-il pas qu’on moissonnera ce qu’on aura semé ? C’est donc ici le temps et le lieu de labourer, de planter, d’arroser ; l’autre monde ne peut appartenir qu’à l’homme qui sait se rendre maître de celui-ci. Qu’on cesse donc de reléguer la foi chrétienne dans la sphère des consolations pour cette vie et des espérances pour l’autre, d’une façon ironique et mondaine. A elle toutes les vivantes réalités du cœur, de l’intelligence, de la volonté ! à elle la vertu civilisatrice excellemment et doublement sociale ! à elle les joies de la liberté, les jouissances de l’ordre, les satisfactions de la justice, les voluptés pures de la charité, les enivrements de l’espérance ! à elle les profondes visions de l’esprit, les ravissements de la méditation féconde, les extases du sentiment divin ! à elle les puissants leviers qui ébranlent, la foi invincible, l’audace intrépide des grandes luttes, des grands travaux, des grands succès, les triomphes de la vertu, les ardeurs du dévouement, les flammes du sacrifice ! à elle enfin la multiplication croissante, autant que le permet la nature des choses, des richesses spirituelles et temporelles, individuelles et sociales. — Nous trouvons encore dans ce paragraphe des considérations sur la philosophie religieuse de l’histoire que nous avons à cœur de faire brièvement ressortir. Paul divise l’histoire de l’humanité en deux époques : temps antérieurs au Christ et temps postérieurs ; le Calvaire est tout à la fois le centre de cette histoire, la fin et le commencement de l’une et de l’autre époque. Cette division est non seulement la moins arbitraire, mais elle est encore absolument fondée ; Paul en effet ne l’appuie pas sur des raisons extérieures, accidentelles, mais sur le développement de la vie religieuse et morale de notre espèce, sur notre biographie psychologique et intime. L’histoire est à ses yeux l’expression des deux- situations uniques de l’âme humaine. La première est un obscurcissement plus ou moins complet mais toujours réel de la conscience religieuse, une marche de tâtonnements infructueux de la raison, un affaissement de la force morale, une rotation d’engourdissements, d’efforts et finalement de constante impuissance qui constituent une vie hors de Dieu. C’est l’humanité avant l’Évangile, divisée en deux parties la juive et la païenne, différant par la forme ici naturelle, là révélée de la loi, mais non par le fond. Le but de cette loi écrite dans les cœurs et sur des pierres était unique pour les deux fractions sociales de l’antiquité, car elle moralisait par une discipline extérieure ou poignante, et déchirait les âmes par l’aiguillon du péché et de ses misères, afin de les faire converger vers le Grand Libérateur, vers la croix du Golgotha ; elle avait forclos les hommes sous le joug du péché et les y avait préparés pour le grand jour de la révélation de la foi, de l’amour affranchissant et de la filialité. (Sous ce rapport le régime de la loi était un progrès.) Alors avec l’apparition du Christ commence une ère nouvelle et la seconde situation d’une âme ; alors de ce nouveau pivot du monde autour duquel tournaient les races antiques avec ou sans conscience, se déroule une chaîne d’œuvres magnifiques ; on voit s’établir un rebroussement progressif des hommes vers Dieu, une ascension continue vers la lumière éternelle ; une gravitation irrésistible autour du Soleil d’en Haut ; une rentrée de l’homme dans le sein du Père par la repentance, l’humilité, la foi, l’espérance et l’amour. La terre se transforme en un immense Thabor où doit s’opérer successivement la transfiguration glorieuse de l’humanité. C’est l’époque chrétienne, le règne envahissant de l’Église, la vie en Dieu.
6 et vous êtes fils puisque Dieu a versé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie Abba, Ô Père,
Borger traduit ainsi ce ὃτι : Que vous êtes fils de Dieu, c’est manifeste, car, etc ; de sorte que la filialité succède à l’envoi de l’esprit. Rückert a aussi soutenu que cette particule n’est pas usitée au commencement de la première partie d’une période avec le sens de puisque ; il traduit comme Borger. D’autres l’ont rendue par puisque, de cette façon : Puisque vous êtes enfants, Dieu a envoyé, etc., voyant dans ces paroles une affirmation simple de la connexité intime qu’il y a entre fils et esprit. Le premier sens paraît moins naturel dans la construction mais plus vrai, à moins qu’on ne regarde la filialité comme un premier degré et comme une disposition préliminaire qui doivent précéder la réception de l’esprit filial divin, ce qui ne nous paraît pas possible. — καρδίας, le siège des sentiments et des affections en général (Jean 14.1 ; Romains 9.2 ; 5.2) ; des pensées, de la conscience morale (Romains 2.25 ; 10.6 ; 16.18 ; 1 Corinthiens 7.37). La foi étant affaire de l’âme, s’enracine dans le cœur (Romains 10.9-10 ; 6.17 ; 2 Corinthiens 4.6 ; Éphésiens 3.17), qui est le réceptacle de l’esprit (2 Corinthiens 1.22 ; 3.3 ; Romains 5.5). Le cœur est donc la base générale et la condition de la foi et de l’admission del’esprit. — (Voyez 3.2 Sur l’esprit du Fils de Dieu.) — κράζον, prier ardemment, crier Jacques 5.4 ; Romains 8.15). C’est l’expression de la conscience filiale ; « la clameur, dit Calvin, est l’indice de la sécurité et d’une parfaite confiance. » C’est le cri de l’âme possédée par cet esprit et entraînée vers son objet par verve de foi et d’ardente sympathie. — L’esclave ose à peine parler, il tremble ; le juif craint Dieu comme surveillant sévère et vengeur de la loi ; le libre, le fils crie, il est confiant ; il prie son Dieu comme un père propice. — ἀββᾶ (Marc 14.36 ; Romains 8.15), substantif chaldaïque en lettres grecques. La cause du choix de ce mot est peut-être dans une allusion aux formules habituelles des prières juives qui commençaient ainsi, ou dans sa forme enfantine. Abba, comme Papa, dit Olshausen, est de plus facile prononciation pour l’enfant qui bégaie et caractérise fort bien par là les sentiments filiaux dan toute leur native pureté. (Voyez Éphésiens 1.13-14 ; Galates 3.26). ὁ πάτερ qui vient après, comme traduction de l’idiome hébreu, est le vocatif.
7 de sorte que tu n’es plus esclave mais fils, et si fils, donc aussi héritier de Dieu par Christ.
Conclusion générale. De sorte que tu n’es plus esclave marchant par la crainte, mais fils marchant par l’amour ; or étant fils, tu es aussi héritier car le fils participe aux biens paternels, et ces biens sont tous renfermés dans la félicité éternelle elle-même, appelée l’héritage (Galates 3.18 ; Éphésiens 1.14 ; Colossiens 3.24 ; Actes 26.18 ; Colossiens 3.24). — Changement du pluriel au singulier et vice versa, fréquent dans Paul (Romains 12.19, ss. 1 Corinthiens 4.6-7). — Ici nous retrouvons cette pensée constante qui traverse toutes les épîtres de Paul : Dieu Père, auteur, source, fin de tout, et Christ, son moyen, son Verbe.