Les épîtres de Paul

2.
Contenu de l’épître

Nous trouvons ici pour la première fois le cadre bien arrêté des lettres de Paul :

L’adresse

Presque toutes les adresses des lettres de Paul présentent déjà certains traits particuliers qui sont en rapport direct avec le contenu de l’écrit qui suivra. Il en est ainsi au plus haut degré dans l’adresse de cette épître.

En premier lieu, Paul insiste sur la nature de son apostolat, qui n’a point une origine humaine (pluriel τῶν ἀνθρώπων), et qui ne lui a été transmis par l’intermédiaire d’aucun homme (singulier ἀνθρωπου) ; l’auteur de sa mission c’est Dieu lui-même, et l’intermédiaire par lequel cette mission lui est parvenue, c’est Jésus-Christ, non pendant son séjour sur la terre, comme lorsqu’il appela les Douze, mais après que Dieu le Père l’eut ressuscité des morts. L’allusion à l’apparition de Christ glorifié sur le chemin de Damas est évidente. La suite montrera pourquoi, dès le début, Paul insiste sur ce point. – Un second trait caractéristique de cette adresse se trouve au v. 2, où saint Paul s’adjoint comme auteurs co-responsables de l’épître « tous les frères qui sont avec lui. » Comme il est impossible de leur attribuer à tous la fonction de secrétaires, il doit y avoir dans ce rôle qui leur est attribué une intention très particulière. Ils l’entourent, ces fidèles compagnons d’œuvre, Timothée, Aquilas et sans doute d’autres encore ; et sans aucune exception (tous) ils confirment les faits que Paul va rapporter. Comme il s’agira dans cette lettre de plusieurs questions personnelles et en même temps de communications très pénibles pour les lecteurs, il importe à Paul de faire comprendre aux Galates qu’il ne se livre point, en leur écrivant comme il va le faire, à des idées propres ou à des mouvements personnels, mais qu’il est entouré de frères sérieux et respectables qui approuvent et prennent sous leur responsabilité ce qu’il va leur dire. Pour comprendre ce procédé de la part de l’apôtre, il faut se rappeler les sentiments de défiance dont on avait rempli à son égard le cœur des Galates. — Le troisième point à remarquer est ce qui est dit au v. 4 de la rupture radicale que l’acceptation du sacrifice de Christ doit opérer entre le fidèle et tout ce qui appartient au présent siècle, par où Paul entend le train de vie de l’humanité en dehors de Christ. On comprend sans peine l’application de cette pensée à la rechute, qui menace les Galates, dans une forme de vie religieuse maintenant dépassée. — Remarquons enfin l’expression : aux églises de Galatie, qui fait penser à une pluralité d’églises fondées dans les centres autour desquels se groupaient les tribus galates.

Le corps de l’écrit

Il comprend trois parties : l’une essentiellement apologétique et personnelle (ch. 1 et 2) ; la seconde, dogmatique (ch. 3 et 4) ; la troisième, morale (ch. 5 à 6.10).

Ch. 1 et 2. — L’origine de l’enseignement de Paul.

Paul traite dans ces chapitres la question de l’origine et de la valeur de son enseignement. Il veut évidemment répondre à des bruits fâcheux que les adversaires de sa prédication avaient répandus en Galatie. Nous devons supposer en effet, d’après ce qui suit dans ces deux chapitres, qu’on l’avait représenté comme un simple évangéliste, instruit du christianisme par les apôtres et qui maintenant se retournait contre ses maîtres et prétendait s’affranchir de leur autorité. Paul répond à ces inculpations par trois faits qui mettent en plein jour sa vraie position et ses rapports avec les apôtres.

Le premier est l’origine divine de son enseignement chrétien (1.11-24) ; le second, les conférences qui ont été tenues à Jérusalem (2.1-10) ; le troisième, le conflit, qui s’est produit à Antioche entre lui, d’une part, et Pierre et Barnabas, de l’autre (2.11-21). Il est probable que ses adversaires avaient plus ou moins exploité ces faits, en les travestissant.

Premier fait : 1.6-24.

a) 1.6-10. Point d’action de grâces, comme dans les épîtres aux Thessaloniciens, mais une brusque exclamation de surprise et même d’indignation au sujet du changement qui s’est si rapidement opéré chez ses lecteurs (v. 6) ; puis une foudroyante menace de malédiction contre ceux qui sont les auteurs de cette défection (v. 7-9) ; non sans rappeler que déjà dans son dernier séjour au milieu d’eux il avait protesté d’une manière solennelle contre l’enseignement nouveau qui les a maintenant séduits. Cette brusque entrée en matière se termine par une parole d’un caractère d’abord ironique, puis douloureusement sérieuse (v. 10). On lui avait certainement reproché une disposition obséquieuse, une tendance à s’accommoder aux goûts et aux pensées de ceux avec qui il avait à faire. Que les Galates jugent, par la manière dont il leur parle en ce moment même, de la vérité de ce reproche ! Non ; si c’était la gloire ou l’approbation humaine qu’il recherchait, il ne se serait pas fait serviteur d’un crucifié, pour être partout honni, partout persécuté comme lui. Le chemin des honneurs lui était ouvert parmi son peuple. Pourquoi donc y a-t-il renoncé et a-t-il choisi celui de l’opprobre ? Ces derniers mots (v. 10) sont une parenthèse. Dès le v. 11, il revient à son sujet.

Dans le morceau 1.6-10, il faut remarquer les mots οὕτως ταχέως, si promptement (v. 6). Le sens naturel de ces mots est celui-ci : « si peu de temps après que je vous ai quittés raffermis, comme je le croyais ! » Comparez l’expression Actes 18.23 : « Affermissant les fidèles. » Ce passage, ainsi que les mots : « Comme je vous l’ai dit auparavant » (v. 9), prouvent que Paul avait déjà eu. l’occasion de les avertir sérieusement dans le second séjour qu’il venait de faire chez eux. Ce passage soulève en même temps la question de savoir quels étaient ces faux docteurs sur lesquels l’apôtre prononçait l’anathème, οἱ ταράσσοντες ? Baur a prétendu que c’étaient des émissaires venus de Jérusalem et qui avaient apporté en Galatie l’authentique enseignement des Douze, l’obligation de la circoncision et des observances légales. Il ressort bien, en effet, du passage 5.7-12 que les perturbateurs étaient venus du dehors ; et, quoi qu’en dise Weiss, il est assez naturel de penser que, comme ces faux frères qui avaient troublé l’église d’Antioche quelque temps auparavant, ils venaient de Jérusalem. Mais cela ne veut pas dire : de la part et avec l’autorisation des apôtres. Ceux-ci venaient de donner à Paul la main d’association pour l’œuvre commune (Galates 2.9) ; comment auraient-ils immédiatement après intrigué contre lui dans ses propres églises ? Nous savons qu’il y avait à Jérusalem un parti opposé aux apôtres eux-mêmes, qui avait eu le dessous dans les conférences, mais qui ne se tenait pas pour battu : c’étaient ceux qui inculpaient Pierre pour son séjour chez Corneille (Actes ch. 11), ceux que Luc appelle οἱ ἑκ περιτομῆς, ceux de la circoncision (Actes 11.2) ou « quelques-uns de la secte des pharisiens qui avaient cru » (Actes 15.5). Ils étaient sans doute du nombre « de ces sacrificateurs qui avaient obéi à la foi » (6.9). Ils visaient à enlever aux apôtres ignorants et pauvres la direction de la res christiana pour la faire servir à leur fin, la propagation du mosaïsme, uni à la croix, dans le monde entier. C’était cette ligne de conduite, dans laquelle le christianisme n’était plus qu’un moyen pour fonder le règne universel du judaïsme, que Paul caractérisait en appelant ces hommes des faux frères (Galates 2.4). Et nous avons vu, en étudiant le passage relatif aux conférences de Jérusalem, qu’il les distingue absolument des apôtres. Crier anathème ! aux envoyés des apôtres, c’eût été maudire les apôtres eux-mêmes. Ou bien donc ces perturbateurs venaient de Jérusalem, mais d’un parti opposé aux apôtres, ou bien ils venaient de plus près encore, d’Antioche, par exemple. Rien ne nous autorise à trancher la question. Et elle importe peu. Il n’est pas difficile de comprendre par quels arguments ils étaient parvenus à ébranler les Galates. Le Christ a été promis à Israël ; pour avoir part à son salut, il faut donc se faire israélite ; on ne devient israélite que par la circoncision ; donc… Voilà quel était sans doute le squelette de l’argumentation. Les pauvres Galates n’avaient su que répondre.

Constatons enfin que l’anathème prononcé par l’apôtre, non seulement sur les faux docteurs judaïsants, mais encore hypothétiquement sur un ange du ciel et sur lui-même, n’aurait aucun sens s’il avait la conscience que son enseignement n’était que le résultat, et même un résultat tout récent, de ses propres réflexions ! Quelle que soit l’idée que l’on se fait de l’apôtre, on ne peut raisonnablement lui prêter un procédé aussi absurde.

Quant à l’accusation à laquelle Paul fait allusion dans le v. 10, elle s’expliquera par la suite ; comparez 5.11 et 6.12. — Après la protestation, la démonstration.

b) 5.11-24. Il fait connaître aux Galates ce qu’ils paraissent avoir oublié, c’est que son évangile ne provient d’aucun enseignement humain, pas même de celui d’un apôtre, mais de la révélation de Jésus-Christ (v. 11-12). En effet, avant sa conversion, son judaïsme ardent et obstiné ne permet pas de croire qu’il se soit mis à l’école des disciples de Jésus (v. 13 et 14). Et après que Dieu l’eut appelé, comme il l’a fait dans sa grâce, à la connaissance de son Fils, que fit-il ? Se rendit-il à Jérusalem pour se mettre aux pieds des apôtres et se faire leur catéchumène ? Au contraire ; de Damas, il se rendit en Arabie, où il prêcha pendant des années l’Évangile tel qu’il l’avait reçu du Seigneur ; puis il revint à Damas, où il continua cette œuvre de prédication. Et ce ne fut qu’après ces trois ans de travaux qu’il retourna à Jérusalem et vit Pierre pour la première fois, demeurant quinze jours sous son toit et ne voyant d’autre personnage apostolique que Jacques, le frère du Seigneur. En terminant ce rapport, il déclare, en présence de Dieu, que les choses se sont bien passées ainsi (v. 15-20). Il résulte de là qu’il n’a pu être instruit par les apôtres, ni avant ni après sa conversion, et que son enseignement chrétien est bien indépendant du leur et le produit de la révélation du Seigneur lui-même. Puis il ajoute qu’après cette courte visite il quitta immédiatement la Judée pour se rendre dans les contrées septentrionales de la Syrie et de la Cilicie. Voilà quel a été tout son contact avec l’église apostolique palestinienne ; et ce contact avait si peu un caractère hostile qu’au contraire, d’après ce que rapportaient de lui ceux qui l’avaient vu à Jérusalem, les églises se félicitaient de ce que l’ancien persécuteur était devenu le prédicateur de la foi (v. 21-24). Ce dernier détail par lequel Paul conclut l’exposé du premier fait, est en même temps la transition au second.

Avant de continuer, arrêtons-nous encore à quelques contradictions que l’on a trouvées entre ce récit de Paul et celui des Actes.

Les Actes mentionnent une prédication de Paul dans les synagogues de Damas, immédiatement après sa conversion (Actes 9.19-22), et Paul n’en parle pas. Il est vrai, mais dans le contexte des Galates cette omission est naturelle. Cette première activité à Damas ne dura que peu de temps, et Paul se hâte de passer à son voyage d’Arabie qui est la preuve de son éloignement prolongé de Jérusalem à cette époque ; Luc n’avait pas la même raison d’insister si fortement sur cet alibi. En échange, il omet le séjour en Arabie ; c’est ou parce qu’il l’ignorait ou parce qu’il n’en connaissait point les détails ou parce qu’il n’avait pas de raison particulière d’en parler. Ce fait était compris dans l’expression : « lorsque furent accomplis des jours en grand nombre » (ἡμέραι ἱκαναί), 9.23h.

h – Sur l’expression de Luc : auprès des apôtres, tandis que Paul ne parle que de Pierre et de Jacques.

Remarquons ici quelques coïncidences intéressantes entre Paul et Luc. Ils racontent, on le voit par ces différences, indépendamment l’un de l’autre. Luc dit Actes 9.20 : « Il prêchait que ce Jésus est le Fils de Dieu ; » Paul, en racontant sa conversion, dit (Galates 1.16) : « Quand il plut à Dieu de révéler en moi son Fils. » — Luc raconte 9.24-25 la fuite de Damas au moyen d’une corbeille dans laquelle on le descendit du haut de la muraille ; Paul n’en parle pas dans les Galates ; mais dans la 2e aux Corinthiens, 11.31-33, il raconte ce fait de la même manière que Luc. — Celui-ci mentionne (9.29-30) les tentatives d’évangélisation que fit Paul auprès de ses anciens coreligionnaires, les hellénistes, et l’animosité qu’il excita par là, ce qui engagea les apôtres à le renvoyer sans tarder dans sa patrie. Le récit de Paul ne mentionne point ces circonstances ; il parle sommairement de quinze jours passés à Jérusalem. Mais, outre que ces faits se placent, sans peine dans cet espace de temps, nous trouvons dans le discours de Paul au peuple, Actes 22.17 et suiv., un récit qui complète à la fois celui de Luc (Actes ch. 9) et celui de Paul (Galates ch. 1). Paul raconte une vision qu’il eut dans le temple pendant ce séjour, dans laquelle le Seigneur lui déclara que son témoignage ne serait point reçu à Jérusalem et qu’il devait aller le porter au loin, chez les païens. Ce récit est parfaitement conforme à l’attitude hostile des hellénistes dont parle Luc, et il explique comment il se fit que Paul céda sans résistance à l’inquiétude des apôtres et au conseil de s’éloigner qu’ils lui donnèrent.

Deuxième fait : 2.1-10.

Paul a prouvé que son enseignement évangélique était absolument indépendant de toute instruction reçue des apôtres. Mais d’autant plus sérieusement s’élève ta question de savoir si cet enseignement qui lui est propre est d’accord avec le leur, puisque de cet accord dépend sa valeur aux yeux de l’Église. C’est sur ce point si important qu’un autre fait doit éclairer les Galates. J’ai exposé plus haut, dans l’esquisse de la vie de Paul, ma pensée sur les conférences de Jérusalem. Je me borne ici à suivre pas à pas l’exposé de Paul.

2.1-2 : Les circonstances qui ont amené cet événement décisif. — Les quatorze ans, dont parle Paul, doivent-ils être comptés depuis la dernière date indiquée plus haut, v. 18, la première visite de Paul à Jérusalem après sa conversion ? Ceux qui pensent que, dans le récit suivant, Paul continue l’argumentation précédente au sujet de l’indépendance de son enseignement, sont naturellement disposés à rattacher cette date à celle du v. 18. Mais ceux qui, comme nous, reconnaissent que Paul a terminé avec le ch. 1 ce qui concerne ce premier point et qu’il en aborde maintenant un nouveau, l’approbation accordée à son enseignement par les apôtres eux-mêmes, admettront sans peine que Paul remonte ici au point de départ général, au fait principal raconté dans ce qui précède, celui de sa conversion. Il veut dire : trois ans seulement après ma conversion, première rencontre avec Pierre, et quatorze ans après le même fait (ma conversion), reconnaissance solennelle de mon ministère et de ma prédication apostolique par les représentants de l’apostolat primitifi.

i – Sur le διά et le πάλιν de 2.1, voir note séjour à Antioche.

Si donc la conversion a eu lieu en 36 ou 37, ce voyage doit se placer en 50 ou 51. C’est ce que l’on admet en général aujourd’hui, même lorsqu’on fixe la date du commencement des quatorze ans autrement que nous.

Il est impossible d’identifier ce voyage raconté par Paul avec un autre que celui dont parle Luc Actes ch. 15. Calvin, Guericke, Keit le font coïncider avec le voyage précédemment mentionné par Luc, Actes 11.30 et 12.25. Mais celui-ci eut lieu plus tôt, en 44 déjà. Il précéda la première mission de Paul et de Barnabas, qui est évidemment supposée par la parole Galates 2.2, et il avait un but particulier, tout différent de celui que se proposaient Paul et Barnabas dans celui dont parle Galates ch. 2. D’autre part, il n’est pas possible non plus d’identifier ce voyage de Galates ch. 2 avec celui qui est mentionné Actes 18.23, comme le veulent Wieseler et Volkmar. Ce séjour ne fut qu’une courte visite à laquelle il est impossible, d’après les Actes, d’assigner une destination aussi grave. D’ailleurs, comment comprendre qu’après une décision solennelle comme celle qui est rapportée Actes ch. 15, la question de la circoncision de Tite eût encore pu être soulevée, comme le rapporte Galates ch. 2 ? Il faut ou recourir aux explications les plus forcées, comme le fait Wieseler, ou faire du récit d’Actes ch. 15 un roman, comme Volkmar. Il est plus simple de reconnaître avec nous l’identité des deux voyages Galates ch. 2 et Actes ch. 15.

Une révélation semblable à celles que Paul avait reçues dans plusieurs moments décisifs de son apostolat (à Jérusalem, voir le discours Actes 22.17-18 ; à Corinthe, 18.9 ; à Jérusalem, 23.11 ; dans le naufrage, 27.23) vint calmer ses inquiétudes et résoudre ses doutes.

Dès qu’il fut arrivé, Paul exposa son enseignement évangélique ; à qui ? Le αὐτοῖς, à eux (v. 2), est très général : à ceux de Jérusalem. Mais il est déterminé par la proposition explicative suivante : « et cela privément à ceux qui sont envisagés comme les autorités ». Il s’agit donc d’une confabulation intime qu’il eut avec les apôtres ou du moins avec ceux qui représentaient en ce moment le collège apostolique à Jérusalem, Jacques, Pierre et Jean (v. 9). C’est ainsi une tout autre réunion que celle à laquelle fut convoquée toute l’église et où Paul et Barnabas racontèrent leur premier voyage de mission (Actes 15.4), et même que celle, presque aussi générale, qui fut la conséquence de celle-là (v. 6-21). Un exposé, comme celui que désigne le mot ἀνεθέμην, est quelque chose de tout différent soit de la narration d’une mission, soit d’une discussion publique. — Les derniers mots : « de peur que je ne courusse (à l’avenir) ou n’eusse couru en vain, » ne signifient pas que Paul ait remis alors aux apôtres le droit de décider de la vérité ou de la fausseté de l’évangile qu’il leur exposait ; il savait de qui il le tenait. Mais il le leur exposa dans le but d’obtenir leur assentiment à sa manière de prêcher, comprenant bien que, s’ils la désapprouvaient, toute son œuvre, ne pouvant plus s’appuyer sur le fondement posé à Jérusalem par le Seigneur lui-même, resterait comme suspendue en l’air et finirait par crouler.

2.3-5 Paul s’interrompt ici à l’occasion de cette supposition : courir ou avoir couru en vain. Mais, ajoute-t-il, cette crainte ne dura pas longtemps ; elle s’évanouit bien vite par le fait qu’un païen, comme Tite, put participer au culte, aux agapes, sans avoir été soumis à la circoncision. Ce fait remarquable fut l’application immédiate de la décision prise dans la grande assemblée à l’instigation de Pierre et de Jacques (Actes 15.6 et suiv.). Voir sur ce passage Galates 2.3-5.

2.6-10. Au v. 6 Paul reprend le récit de la conférence privée avec les apôtres, commencé v. 2. Par cette forme adversative : « ἀπὸ δὲ δοκούντων, mais de la part de ceux qui font autorité, il oppose la conduite des apôtres aux exigences qui s’étaient produites dans l’assemblée de l’église, et il renoue avec le v. 2 ; c’est ce qu’indique d’ailleurs clairement le retour de l’expression οἱ δοκοῦτες et l’emploi du terme προσανατίθεσθαι, qui fait évidemment allusion à celui de ἀνεθέμην (v. 2). Avant de dire la réponse qu’il reçut des apôtres, auxquels il avait exposé sa conception évangélique, Paul fait observer (v. 6) que sa déférence envers eux n’allait pas jusqu’à compromettre sa propre indépendance. Ce n’était pas d’eux qu’il tenait son évangile et son mandat ; ce n’étaient pas eux qui pouvaient, quant à lui (μοί, ἐμοί), décider de la valeur de l’un ou de l’autre, et cela sous prétexte de certaines circonstances extérieures (τὸ πρόσωπον, le visage), comme l’avantage d’avoir connu personnellement Jésus pendant son séjour sur la terre ou celui de s’appeler frère du Seigneur. — Non, dans le monde nouveau où vit Paul, ce sont là des choses passées (« quels ils ont été autrefois »). Néanmoins il constate que, quant à lui et à son enseignement personnel, les hommes qui font autorité dans l’Église n’ont ajouté quoi que ce soit à l’exposé qu’il leur avait fait de sa conception évangélique. On a objecté les conditions imposées, d’après Actes ch. 15, aux églises des Gentils, sur la proposition de Jacques. Nous avons montré que cette objection est sans fondement. Il semble même que, par la position accentuée du ἐμοί, à moi (v. 6), Paul veuille dire : Tandis qu’on réclamait des églises ce que chacun sait, de moi, et quant à ma prédication évangélique, on n’a rien réclamé du tout. Bien au contraire, continue-t-il, au lieu de trouver dans sa prédication quelque chose de défectueux, ils l’admirent en plein pour le monde des Gentils comme domaine divinement assigné à Paul, tout en maintenant le mode de prédication de Pierre pour le peuple juif, son domaine aussi divinement marqué ; et en témoignage de cette reconnaissance mutuelle, ils se serrèrent solennellement la main comme des frères qui travaillent à la même œuvre, mais dans deux champs différents et d’après deux méthodes de culture appropriées chacune à l’un de ces champs. Il est clair que l’exemption de la circoncision et des observances mosaïques pour les païens ôtait à ces rites toute valeur méritoire pour le salut et qu’ils étaient réduits virtuellement par là au rang de simples usages nationaux, maintenus uniquement par respect pour leur institution divine. Il ne restait plus qu’à tirer de là la conséquence que Paul en tirait déjà et dès le commencement.

Il est remarquable que dans le récit de cette délibération Paul place Jacques avant Pierre et Jean. C’est évidemment comme chef du troupeau de Jérusalem, comme représentant attitré de l’église mère, qu’il lui donne cette première place. Ainsi que l’observe Sieffert, s’il eût été mentionné comme apôtre, il n’eût pas été placé avant Pierre. Nous trouvons encore ici une coïncidence remarquable entre le récit de Paul et celui des Actes. Dans ce dernier, en effet, c’est également Jacques qui joue le principal rôle dans l’assemblée de l’église et dont l’avis fait pencher la balance.

A mesure que le partage de l’Eglise en deux domaines distincts venait d’être franchement reconnu, on sentit le besoin de sceller aussi le lien de profonde union spirituelle qui ne cesserait point d’exister entre les églises de la gentilité et l’église mère, judéo-chrétienne, et il fut convenu que Paul et Barnabas continueraient, comme ils l’avaient déjà fait (Actes 11.30 et 12.25), à entretenir dans leurs églises le sentiment de la reconnaissance et de l’amour pour celle qui leur avait donné naissance. Ainsi s’explique l’engagement que prirent Paul et Barnabas au v. 10 et qui fut la clôture de cette importante négociation. Pfleiderer et d’autres présentent ces collectes faites chez les Gentils comme une espèce de tribut par lequel les églises païennes se seraient mises dans un rapport de vassalité vis-à-vis des églises d’origine juive. Elles auraient accepté par là une position semblable à celle des prosélytes, demi-juifs, qui payaient un tribut régulier au temple. Nous pouvons dire avec certitude que jamais Paul n’eût accepté pour ses églises une position semblable. Il n’y a pas trace d’un pareil sentiment dans les passages dans lesquels il les invite à contribuer à la grande collecte finale (1 Corinthiens 16.1-2 ; 2 Corinthiens ch. 8 et 9) ; et ce qu’il dit sur ce sujet aux Romains (15.27) de la reconnaissance que doivent les païens à ceux de qui leur sont venus les biens spirituels, n’a rien de commun avec un sentiment de basse vassalité. En citant l’exemple des prosélytes, il ne faudrait pas oublier que, d’après le récit de Josèphe (Antiq. XVIII, 9, 1), les communautés juives elles-mêmes en faisaient tout autant et envoyaient annuellement de fortes sommes à Jérusalem.

On s’est achoppé à ces mots : « Ce qu’aussi je me suis efforcé de faire, » qui ne peuvent faire allusion ni à la collecte Actes 11.30, fait dès longtemps passé au moment où Paul écrivait, ni à celle de 1 Corinthiens ch. 16, dont il n’était pas encore question à ce moment. Ni le récit des Actes, ni les épîtres ne nous donnent le moyen de citer les faits auxquels l’apôtre fait ici allusion. Mais c’est trop se presser que de tirer de là, comme le fait, Steck, une preuve contre l’authenticité de notre lettre. Il est fort possible qu’à son retour de sa mission en Grèce, dans son rapide voyage à Jérusalem, Actes 18.23, Paul ait tenu la promesse faite par lui aux apôtres.

Troisième fait : 2.11-21.

Non seulement Paul a reçu son évangile et son apostolat indépendamment des apôtres ; non seulement les apôtres ont reconnu l’autorité de son enseignement comme aussi divine que celle du leur, et l’église apostolique a reconnu comme ses sœurs légitimes les églises fondées par Paul et composées de Gentils incirconcis. Mais il s’est passé un troisième fait plus significatif encore. Ce fait, on l’avait raconté, sans doute, mais en le dénaturant, et Paul va le remettre dans son vrai jour. Un cas s’est présenté où il a dû faire sentir à Pierre lui-même la supériorité de sa connaissance chrétienne et travailler à ramener cet apôtre au droit chemin (2.11-21).

2.11-13. C’était à Antioche, où Pierre s’était rendu pour visiter cette jeune église si florissante. A quelle époque ? En tout cas après la conférence de Jérusalem. Selon plusieurs, immédiatement après, et avant le départ de Paul pour sa seconde mission. Cette opinion me paraît peu vraisemblable. L’église de Jérusalem avait formellement délégué deux de ses membres, Silas et Barsabas (Actes 15.22), pour porter, avec Paul et Barnabas, sa réponse officielle à l’église d’Antioche. Pourquoi Pierre s’y serait-il rendu dans ce moment-là ? Puis, qu’auraient eu à faire là des envoyés de Jacques (Galates 2.12) ? Jacques aurait-il délégué une députation en son propre nom à côté de celle de l’église ? Enfin, il n’est guère vraisemblable qu’après le conflit que va raconter l’apôtre, celui-ci eût proposé immédiatement à Barnabas de recommencer ensemble une nouvelle mission (Actes 15.36). Je pense donc qu’il vaut mieux placer cette visite de Pierre à Antioche et son conflit avec Paul après le second voyage de mission, durant le séjour mentionné brièvement par Luc Actes 18.23, en ces mots : « et y ayant passé un certain temps. » Le souvenir des conférences de Jérusalem était déjà un peu effacé ; à cette distance, le conflit se comprend plus aisément.

Se livrant à un joyeux abandon au milieu de cette jeune église et se souvenant peut-être des jours semblables qu’il avait passés chez Corneille, Pierre, en arrivant, crut pouvoir mettre de côté pour un temps les observances légales relatives à l’alimentation journalière, aux jours de jeûne, aux fêtes juives et à toutes ces conditions de pureté corporelle, dont le compromis de Jérusalem avait dispensé les chrétiens païens, mais nullement les chrétiens d’origine juive. Or, voici qu’arrivèrent des délégués de Jacques, qui avaient sans doute pour mission de veiller à l’exécution du contrat bilatéral conclu à Jérusalem. Et remarquant aussitôt la déviation que se permettaient Pierre et, à son exemple, les autres judéo-chrétiens sous l’empire d’un doux sentiment de fraternité chrétienne, ils les rappelèrent à l’ordre. Strictement parlant, cette remontrance était fondée. Pierre céda ; Barnabas lui-même aussi. Ils rompirent brusquement les relations journalières qu’ils avaient, entretenues avec leurs frères incirconcis, reniant, ainsi la conviction meilleure qui avait dicté leur première conduite. Par là ils mettaient les chrétiens d’origine païenne dans la nécessité ou de marcher sans eux et de former ainsi un autre troupeau que celui du chef des apôtres, ou d’accepter le joug du mosaïsme dont le contrat de Jérusalem les avait formellement affranchis.

Dans une assemblée de l’église et en face de tous, Paul releva sévèrement cette inconséquence, qui était à ses yeux une lâcheté, et déploya toute la décision et la supériorité de sa connaissance chrétienne. Il est évident que l’exposé que Paul donne dans sa lettre du discours qu’il prononça, n’en est qu’un sommaire très concentré. Si nous ne possédions pas l’épître aux Romains, je doute qu’il nous fût possible d’en pénétrer complètement le sens. Car, même avec ce commentaire, ce passage est, encore l’objet de bien des interprétations différentes. L’apôtre traite manifestement ces deux sujets : Pierre et sa conduite (v. 14-18) ; Paul et sa conduite (v. 19-21).

2.14-18. Paul part de la conduite première de Pierre et des convictions qu’elle supposait, pour juger sa manière d’agir actuelle. Il a commencé par vivre à la manière des païens, mettant de côté sans scrupule le code du Lévitique ; et tout à coup il se renferme dans ces ordonnances, qu’il semblait avoir envisagées comme abrogées, et force ainsi moralement ses frères païens à judaïser comme lui, s’ils veulent continuer à vivre en communion avec lui (v. 14). Mais cette conduite, contradictoire en elle-même, est condamnée par les convictions chrétiennes de Pierre lui-même et des autres judéo-chrétiens (v. 15). Nous Juifs, lors même que nous ne nous sommes jamais livrés aux débordements des païens, nous avons pourtant reconnu que notre obéissance légale était incapable de nous justifier devant Dieu, et dans cette conviction nous avons cherché par la foi notre justice dans le Christ. Jésus, conformément à la déclaration de l’Écriture (Psaumes 143.2) : « Nul homme ne sera justifié devant toi par les œuvres de la loi. » Supposez qu’en agissant de la sorte, nous ne soyons pas parvenus au but, et qu’après avoir ainsi recouru à Christ, il nous faille revenir encore aux œuvres de la loi pour n’être pas trouvés pécheurs, alors Christ nous aurait entraînés à un abandon coupable de la loi et fait, commettre un nouveau péché à ajouter à nos péchés d’autrefois, dont nous espérions obtenir par lui le pardon ! Car enfin, si, après avoir abattu une barrière et franchi la limite qu’elle me posait, je la relève derrière moi, je me déclare moi-même par là transgresseur, puisque je n’ai pu légitimement passer outre que dans la supposition que de droit la barrière n’existait plus.

Voilà l’inconséquence dans laquelle tombent Pierre et ceux qui le suivent. Ce n’est pas ainsi qu’agit Paul, comme il le montre dans la seconde partie de son allocution.

2.19-21. La loi, en le condamnant impitoyablement aussi longtemps qu’il recherchait la justice comme résultat de ses propres œuvres, l’a sans retour détaché d’elle-même ; entre lui et elle est intervenue une rupture semblable à celle qu’opère la mort entre le monde et nous ; non que cette rupture ait été pour lui une rupture avec Dieu. C’est le contraire ; elle est devenue pour lui le commencement et le moyen de la vraie union avec Dieu, d’une vie nouvelle consacrée à Dieu. En le condamnant, la loi l’a poussé à recevoir comme sa justice Christ crucifié et condamné pour lui. Et par cette union, Paul est mort à lui-même ; Christ a pris dans son cœur la place de son moi, comme il l’avait prise sur la croix ; et ce que Paul vit encore ici-bas, c’est pour Dieu qu’il le vit, dans la foi à son Fils qui l’a aimé jusqu’à se donner lui-même pour lui. Ainsi, dit Paul, je ne porte pas atteinte, comme vous, à l’excellence de la grâce, en prétendant compléter le salut qu’elle m’apporte par des moyens empruntés à la loi ; car s’il faut encore des moyens légaux pour me donner la justice, la mort de Christ n’a pas atteint son but. C’est en vain que le sang du Fils de Dieu a coulé, s’il n’a pas réussi à nous justifier.

L’apôtre ne raconte pas l’effet produit sur Pierre et sur l’assemblée par cette foudroyante argumentation ; mais il ne l’exposerait pas ainsi victorieusement aux Galates, si elle n’avait pas atteint son but. Les écrivains de l’école de Tubingue prétendent que la conduite de Paul, en cette circonstance, envenima toute la situation et que l’église judéo-chrétienne, indignée de la rupture du compromis par Paul, s’envisagea dès ce moment comme déliée et organisa, avec Jacques à sa tête, cette contre-mission qui poursuivit dès lors l’œuvre de Paul d’église en église. Il est certain que les hérétiques judaïsants du second siècle ne pardonnèrent point à Paul cette scène humiliante pour l’apôtre dont ils faisaient leur patron. On le voit dans les Homélies clémentines, où Paul est directement pris à partie pour ce motif (XVII, 18)a. Mais les faits prouvent que cette manière de voir a été exclusivement celle de l’hérésie judéo-chrétienne. La manière dont Paul s’exprime à l’égard de Pierre et de ses adhérents dans la 1re aux Corinthiens, ch. 1 à 4, en les opposant à ce ceux de Christ, » ses vrais adversaires ; le rang que, dans la même épître, Paul attribue aux Douze en tête des ministères divinement institués dans l’Église (12.28-29), ainsi que la manière dont il parle d’eux, 4.9 ; 15.9-11, et l’accueil qu’il reçoit de Jacques lui-même à Jérusalem (Actes 21.25 et suiv.) ; les collectes qu’il continue à faire en faveur de l’église mère ; la manière dont Jacques rappelle, Actes 21.25, les décisions prises dans les conférences de Jérusalem comme étant encore en pleine vigueur ; enfin le fait même que Paul raconte cette lutte aux Galates en la donnant comme preuve contre ses adversaires, tandis qu’elle deviendrait la plus forte preuve en leur faveur, si elle eût été le point de départ d’une rupture complète entre lui et les Douze, — toutes ces raisons écartent positivement cette tournure nouvelle que l’école de Baur cherche à donner au système de son fondateur ; et nous croyons que M. Renan a cette fois raison quand il dit que Pierre en revint, dès ce moment, au mode de faire pacifique et bienveillant qu’il avait suivi auparavant (Saint Paul, p. 298). Autrement il eût été trop aisé d’opposer ce fait même à toutes les assertions de Paul.

a – Pierre dit à Simon (que l’auteur confond intentionnellement avec Paul) : « Si tu m’appelles condamnable (κατεγνωσμένον, Galates 2.11), tu accuses par là Dieu qui m’a révélé le Christ, et tu dégrades celui qui m’a appelé bienheureux à cause de cette révélation. »

La question de l’autorité apostolique de Paul est maintenant résolue, mais ce n’est encore là qu’une question de compétence, c’est-à-dire de forme. Il faut aller au fond de la doctrine prêchée par lui et en examiner la vérité intrinsèque. Or, quel sera le juge ? L’Écriture est là ; c’est elle qu’on invoque contre Paul : La loi, disent ses adversaires, est établie pour toujours, elle est stable comme les cieux eux-mêmes. De quel droit prétend-il abroger cette institution à laquelle s’est soumis Jésus lui-même et que maintiennent encore les apôtres ? — Du droit de l’Écriture elle-même, répond hardiment saint Paul, et c’est ce qu’il va exposer dans la seconde partie de sa lettre, ch. 3 et 4.

Ch. 3 et 4. — La vérité intrinsèque de la justification par la foi.

Il s’agit maintenant de la vérité intrinsèque de l’enseignement de Paul sur la justification par la foi. Est-il ou non conforme aux Écritures ?

A) 3.1-5. Avant d’entreprendre la démonstration scripturaire, l’apôtre fraie la voie à son argumentation par un appel à l’expérience personnelle des Galates.

Il y a eu un moment où l’Esprit divin est descendu sur eux et a déployé en eux des puissances qui leur étaient inconnues jusqu’alors. Est-ce à l’accomplissement des œuvres de la loi qu’ils ont dû cette transformation religieuse et morale, ou bien à la prédication du salut par grâce reçu avec foi ? Qu’ils répondent eux-mêmes ! Qu’ils disent par quel charme ils se sont laissé fasciner pour perdre de vue une pareille expérience et oublier les impressions qu’avait produites sur eux le tableau du crucifiement de Jésus, de cette mort qui avait, été comme réalisée de nouveau au milieu d’eux par la prédication de l’apôtre ! Ont-ils perdu le sens pour tomber de ces magnificences de l’Esprit dans les pauvretés de la chair ?

B) 3.6-9. Ils doivent bien considérer que l’expérience qu’ils ont faite de la puissance régénératrice de la foi n’est pas un simple accident. Elle est conforme à l’enseignement de l’Écriture sur le mode de justification de celui que l’on doit envisager comme la personnification du salut, le prototype des pécheurs sauvés. Justice a été imputée à Abraham, en vertu de sa foi, non en vertu de ses œuvres. Et ce divin mode de faire ne nous a pas été rapporté uniquement pour nous faire connaître ce qui s’est passé à l’égard de ce patriarche, mais comme devant aussi s’appliquer à nous, ainsi que le prouve cette autre parole de l’Écriture qui déclare que c’est en Abraham, et par conséquent par le même mode que lui, que « toutes les nations seront bénies. »

C) 2.10-12. Et en effet il suffit de considérer la nature de la loi elle-même pour comprendre que la loi ne saurait nous apporter que la malédiction Comment la bénédiction viendrait-elle par les œuvres de la loi, puisque le chemin des œuvres, au lieu de conduire à la justification, nous mène au contraire à la condamnation ? Pour nous déclarer justes, la loi attend de nous une obéissance complète et constante. Mais l’Écriture suppose si peu qu’une telle obéissance soit possible à l’homme, qu’elle a déclaré par la bouche du prophète Habacuc que « le juste vivra par la foi, » c’est-à-dire que c’est par la foi qu’il obtiendra la justice et, par la justice, la vie. Cette voie de justification, offerte par le prophète, exclut l’autre tracée par la loi en ces termes : accomplir ces choses et vivre par elles. Appliqué à l’homme pécheur, ce chemin n’aboutit par conséquent qu’à la malédiction.

D) 3.13-14. Et c’est ainsi que s’explique la croix de Christ. Cette malédiction divine, prononcée par la loi sur ses violateurs, est celle dont Christ nous a délivrés en la subissant lui-même. Car dans ce supplice nous voyons se réaliser la parole du législateur : « Maudit est quiconque est pendu au bois. » Et s’il a ainsi souffert pour nous, Juifs, la malédiction prononcée par la loi sur ses transgresseurs, ce n’était pas seulement en vue des croyants israélites, c’était afin que pour vous aussi, croyants d’entre les païens, pût se réaliser la promesse faite à Abraham en notre faveur (v. 8-9) et que nous tous, Juifs et païens, reçussions ensemble l’Esprit promis par le moyen de la foi.

Cette argumentation conduirait facilement à penser qu’aux yeux de l’apôtre le supplice et la malédiction de Jésus ne s’appliquent proprement qu’aux péchés commis en violation de la loi, par conséquent aux péchés des Juifs, et que l’utilité de ce sacrifice pour les païens résulte uniquement de ce fait que les Juifs ne pouvaient obtenir le Saint-Esprit que par le pardon de leurs péchés et que les païens ne pouvaient le recevoir sans les Juifs à qui il était avant tout promis. Le sacrifice de Jésus ne serait ainsi qu’indirectement la condition de la Pentecôte pour les croyants païens. Mais un trop grand nombre de passages attestent que dans la pensée de Paul Jésus est mort non seulement pour les Juifs, mais aussi pour l’humanité tout entière. Il est possible qu’il s’expliquât le genre de mort particulier de Jésus, la suspension à la croix, par la parole de la loi qu’il cite v. 13. Mais cela ne saurait s’appliquer à la mort de Jésus en elle-même ; car d’après Paul et tout le N.T. cette mort expiatoire était une condition absolue du pardon, non seulement pour les péchés commis sous et contre la loi, mais aussi pour le péché humain en général. Dans notre passage il sous-entend sans doute cette idée que, le péché sous sa forme la plus grave, la transgression d’une loi positive, le péché qui produit la colère (Romains 4.15) étant expié par la mort de la croix, le péché sous ses formes moins graves, celui des païens qui n’ont pas la loi, se trouve aussi expié par là-même. Mais il ne relève pas ce côté du fait, parce qu’il veut uniquement arriver à justifier le « seront bénis en Abraham » du v. 9 à l’égard des païens ; c’est le terme auquel il aboutit v. 14. Les païens ne pouvaient recevoir l’Esprit sans et avant les Juifs ; les Juifs ne pouvaient le recevoir sans que leur péché fût expié. Il l’a été par la malédiction de la loi subie par Jésus ; de là la Pentecôte sur les croyants juifs et par suite aussi sur les croyants païens.

Ainsi l’expérience des Galates, l’exemple d’Abraham, la nature de la loi elle-même, et la condamnation qu’a dû subir le Christ pour expier la malédiction que la loi prononce, voilà autant de faits qui témoignent contre la folle tentative d’obtenir la justice par les œuvres de la loi. L’apôtre achève cette démonstration par une comparaison entre la loi et la promesse, qui fait ressortir l’infériorité de la première par rapport à la seconde (3.15 à 4.10), et cela par les raisons suivantes :

  1. la date de l’une et de l’autre (v. 15-18)
  2. la différence du mode de révélation employé dans les deux cas (v. 19-20)
  3. la nature de leur rôle respectif dans l’œuvre du salut (v. 21-29)
  4. Enfin cette relation entre la loi et le salut promis est illustrée par un exemple tiré des relations humaines (4.1-10).

E) 3.15 à 4.10. L’infériorité de la loi.

a) Le contrat légal est intervenu postérieurement à la promesse et ne saurait l’annuler ni en affaiblir la valeur (v. 15-18).

Après la conclusion d’un traité, il n’est pas permis, même entre hommes, à l’une des parties d’abolir une clause du contrat ou d’en ajouter une nouvelle. Lorsque Dieu a fait les promesses à Abraham, et cela non seulement en sa faveur, mais encore en faveur de sa postérité (à l’égard de laquelle seule elle pourrait un jour se réaliser), il l’a fait sans condition et sans réserver en aucune façon l’observation d’une loi. La loi n’a été donnée que quatre cent trente ans plus tard, après le long séjour du peuple en Egypte. Il est donc inadmissible que cette loi ait été donnée comme condition de l’accomplissement des promesses. C’est simplement un épisode intervenu dans un but particulier entre le don des promesses et leur accomplissement en Christ. Car Dieu ne peut être moins fidèle à sa parole qu’un honnête homme.

A la fin du v. 16, l’apôtre observe, en passant, que Dieu n’a pas fait les promesses « à Abraham et à ses postérités, » comme s’il s’agissait de plusieurs, mais : « à Abraham et à sa postérité, c’est-à-dire Christ. » Presque tous les interprètes sont d’accord pour entendre cette remarque dans ce sens : que la promesse n’a pas été faite par Dieu en faveur d’une pluralité d’individus descendants d’Abraham, comme le peuple juif, mais en vue d’un seul individu, descendant du patriarche, lequel est Christ. Et, comme cette interprétation est évidemment incompatible avec le vrai sens du mot sa postérité dans l’A.T., sens qui est certainement collectif et embrasse la race d’Abraham, en général, ils en concluent que Paul argumente ici d’une façon toute rabbinique, selon les procédés de l’école dans laquelle il avait étudié les Écritures. Il en arriverait même sur cette voie, comme dit Lipsius, jusqu’à exclure positivement, par son interprétation le sens réel que cette promesse avait dans la bouche de Dieu, à savoir l’annonce de la possession du pays de Canaan par tout le peuple d’Israël.

Ce jugement sur l’exégèse de Paul est-il fondé ? Remarquons, avant tout, que quand Paul ajoute ces mots : « non à ses postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, » le mot plusieurs ne peut pas grammaticalement se rapporter à une autre notion que celle de postérité, et qu’il est arbitraire de l’appliquer à une pluralité d’individus. Nous verrons que les mots suivants : « qui est Christ, » ne peuvent rien prouver à cet égard. Remarquons, en second lieu, que quand Paul dit : « à Abraham et à sa postérité, » il ne peut avoir ignoré le sens collectif qu’a ce terme ; il le prend lui-même dans ce sens Romains 4.13, 16 et surtout Romains 9.7-8, où toute son argumentation repose absolument sur le sens collectif du mot zéra, postérité. Il suffit de lire ce passage pour se convaincre que le sens de descendant individuel n’aborde pas même l’esprit de l’apôtre. Enfin, quant à l’enseignement rabbinique, je ne sache pas qu’il soit possible de citer un seul passage du Talmud où le mot zéra soit employé autrement que dans le sens collectif dans lequel il est pris dans tout l’A.T.b Paul ne peut-il donc pas avoir voulu dire qu’aux yeux de l’Éternel, quand il faisait les promesses à Abraham et à sa postérité, il ne s’agissait pas d’une promesse faite en vue de plusieurs lignes de descendance, mais d’une seule, la ligne fidèle ? Dieu ne pensait point à Isaac et à Ismaël, mais à Isaac seul ; il ne pensait pas même à Isaac y compris la totalité de sa descendance, comme si cette promesse du salut (Paul identifie ici la promesse de Canaan avec celle du salut) concernait toute sa postérité, aussi bien la portion d’Israël purement charnelle et un jour incrédule envers le Messie, que la descendance patriarcale un jour croyante ; Dieu ne pensait qu’à celle-ci uniquement. Le terme de la perspective divine, au moment où Dieu faisait les promesses, était le Christ et tout ce qui, par la loi, serait un avec lui ; comparez v. 28 : « Vous êtes tous un, εἷς, en lui, » et vous êtes par là même « postérité (σπέρμα) d’Abraham. » En dehors de cette ligne, il n’y a donc pas de postérité d’Abraham, au sens de Dieu et de Paul, ni par conséquent d’Israël qui puisse se réclamer des promesses, comme le fait l’Israël actuel. Cette observation ne sapait-elle pas par la racine les prétentions judaïques des adversaires de l’apôtre en Galatie ? Il n’y a donc qu’une vraie race d’Abraham, prévue et adoptée à l’avance, celle qui trouve son salut en Christ, l’objet réel, unique, de toutes les promesses concernant le salut. — Après cette remarque, l’apôtre continue son argumentation au v. 17 et la termine au v. 18.

b – Ce sens s’applique même parfaitement à Genèse 4.25, où Adam dit à l’occasion de la naissance de Seth : « Dieu m’a donné un autre zéra (postérité) » ; car il veut dire par là non : L’Éternel m’a donné comme fils un autre individu qu’Abel, mais : une nouvelle ligne de descendants que celle que j’avais perdue en Abel.

Mais ici s’élève une objection naturelle : Si la loi est intervenue, comme une simple parenthèse, entre la promesse et son accomplissement, à quoi donc devait-elle servir ? Cette objection amène l’apôtre à développer sous deux nouveaux aspects la relation de la loi avec la promesse du salut.

b) 3.19-20. La loi a eu pour but, non d’effectuer le salut, mais de donner aux péchés commis sous sa juridiction le caractère de violations positives, ce qui était essentiel pour que le salut, quand il viendrait, fût saisi comme il devait l’être. Elle « a été ajoutée » à la promesse comme simple moyen en vue d’un but supérieur. Et ce caractère subordonné de la loi a été clairement marqué par le mode de son institution. Au lieu d’être transmise directement par Dieu, comme l’avait été la promesse donnée à Abraham (Genèse ch. 15 et 17), elle l’a été par l’organe d’agents inférieurs, les anges, et par l’intermédiaire d’un homme, Moïse. Saint Paul fait ici allusion aux phénomènes extraordinaires qui accompagnèrent à Sinaï la promulgation de la loi et qui, dans Deutéronome 33.2 (surtout sous la forme sous laquelle ce passage est rendu dans les LXX), sont attribués au ministère des anges : Dieu a transmis sa volonté par les anges à Moïse et par Moïse au peuple. Quel contraste entre cette communication par le moyen de deux intermédiaires et la déclaration directe de la promesse par l’Éternel lui-même à Abraham !

Dans cette suite d’idées, le v. 20, sur lequel il existe des centaines d’explications, ne peut, me paraît-il, avoir qu’un but : montrer, par le contraste entre ces deux modes de communication, la supériorité incomparable du salut promis à Abraham et réalisé en Christ sur la loi promulguée à Sinaï. Entre toutes les explications qui ont été données de ce verset, il me paraît qu’il n’y en a que deux qui surnagent aujourd’hui et entre lesquelles on doit choisir.

La première : Un médiateur suppose deux parties contractantes, qu’il met en rapport ; dans le cas de la loi, l’Éternel et le peuple ; comparez Lévitique 26.46 : « Ce sont là les lois que l’Éternel établit entre lui et les enfants d’Israël, par Moïse. » Il n’en a pas été ainsi dans le cas de la promesse, parce qu’il n’était pas ici question de contrat et que Dieu agissait seul, promettant comme il lui plaisait, sans avoir à tenir compte de la volonté d’un autre qui se serait engagé envers lui.

L’autre interprétation oppose l’unité de Dieu, non à la dualité de deux parties contractantes, mais à la pluralité des anges, chargés de promulguer la loi. Ceux-ci, étant plusieurs, n’ont pu communiquer la loi au peuple qu’en se faisant représenter auprès de lui par un intermédiaire auquel ils ont transmis la loi et qui l’a à son tour transmise au peuple. Dans le cas de la promesse, au contraire, Dieu, n’étant pas une pluralité, a pu agir lui-même en personne et communiquer directement à Abraham ce qu’il avait à lui annoncer. Ce second sens paraît plus clair. On objecte, sans doute, qu’un individu unique peut aussi se faire représenter par un intermédiaire ; mais c’est là un cas exceptionnel, dont la première proposition du v. 20 ne tient pas compte ; car, en général, c’est plutôt une corporation qu’un individu qui se pourvoit d’un représentant. Un individu traite lui-même ses affaires.

Après cette remarque sur le caractère d’infériorité qu’imprime à l’institution légale le mode même de sa promulgation, l’apôtre revient à la question du v. 19 et développe l’idée qu’il n’a fait là qu’indiquer : le rôle de la loi par rapport, au salut promis.

c) 3.21-29. Cette loi, donnée pour faire ressortir les transgressions, est-elle donc en contradiction avec les promesses et destinée à les annuler ? Non, certes ! Ce serait sans doute le cas si, comme l’affirment les faux docteurs venus en Galatie, la loi pouvait donner le salut, produire la vie en Dieu, c’est-à-dire procurer la justice qui est la condition de la vie. Car alors elle contredirait les promesses qui ont assuré l’héritage à l’homme comme un don divin entièrement gratuit. Mais la loi n’a rien fait de semblable. Son œuvre a été de déclarer, par le moyen de l’Écriture qui nous l’a transmise, tous les hommes pécheurs, et de les placer ainsi sous la condamnation, en vue du moment où, par la foi en Jésus, la promesse de la justice se réaliserait pour les croyants (v. 21-22). Aussi, bien loin de contredire les promesses, la loi a été le moyen d’en préparer l’accomplissement et de faire naître la foi en enfermant la conscience dans le sentiment de ses fautes, en vue du moment où le chemin de la grâce lui serait ouvert. Elle ressemblait à cet esclave qui conduit par la main l’enfant au maître qui doit l’initier à la science. Ce maître, c’est Christ, qui seul donne la justice à ceux qui la cherchent en lui par la foi (v. 23-24). Cette époque étant maintenant venue, le rôle du pédagogue est terminé. Juifs et païens croyants ont passé en commun à l’état de fils. Car par leur foi, professée dans le baptême, ils sont un avec le Fils et un en lui les uns avec les autres, de sorte qu’ils forment cette unique postérité d’Abraham, en vue de laquelle avaient été données les promesses, et qu’à eux appartient l’héritage éternel, figuré par la Canaan terrestre (v. 25-29).

Voilà le jour merveilleux que l’apôtre jette sur l’histoire de son peuple depuis la vocation d’Abraham, à travers l’époque légale, jusqu’à l’avènement du Messie. Le rôle temporaire et secondaire de la loi ressort clairement de là, ainsi que la fin, actuellement voulue de Dieu, de cette institution. Le but une fois atteint, le moyen doit tomber ; comparez Romains 10.4 : « Christ est la fin de la loi. »

d) 4.1-10. L’apôtre aime à illustrer les œuvres divines, qu’il explique à ses lecteurs, par des analogies empruntées aux relations humaines qui leur sont familières. Nous en avons eu un exemple 3.15. C’est le procédé qu’il emploie de nouveau dans le passage suivant. Israël, temporairement placé sous la loi jusqu’à l’avènement du Messie (3.19-29), ressemblait à un enfant qui, tout en étant héritier de son riche père défunt, ne jouit, jusqu’à l’époque de son émancipation fixée par son père, ni de la liberté de sa personne — car il est placé sous des gouverneurs — ni de la disposition de sa fortune — car l’administration en est confiée à des intendants (v. 1-3). De même Israël était à l’état d’enfant mineur jusqu’à la venue du Messie, et durant ce temps, il a été soumis aux éléments du monde. On entend quelquefois par là les rudiments de la connaissance religieuse, tels qu’ils avaient été enseignés à Israël dans les révélations mosaïque et prophétique ; ou bien aussi, on applique le mot de στοιχεῖα, éléments, selon le sens qu’il a quelquefois dans le grec profane, aux astres qui seraient envisagés ici comme des êtres animés, en tant qu’habités par des êtres supérieurs dominant la vie humaine. Mais ni l’un ni l’autre de ces deux sens ne convient bien aux parallèles v. 9 et 10 et Colossiens 2.20. Ces deux passages me paraissent conduire plutôt à rapporter cette expression aux éléments matériels, terrestres, grossiers qui entraient dans les formes du culte et de la vie religieuse israélites, et dont l’apôtre cite, v. 10 et Colossiens 2.20, des exemples : l’assujettissement aux jours, aux mois, aux saisons, aux années, ou bien à des prescriptions alimentaires et autres appartenant uniquement au domaine physique : « Ne mange pas ; ne bois pas ; ne touche pas. » On objecte contre ce sens le fait que les expressions de tuteurs et d’intendants, v. 2, supposent des maîtres personnels. Mais il ne faut pas oublier ce que Paul vient de dire, que toutes ces ordonnances d’un caractère inférieur avaient été transmises par des êtres personnels, d’un rang secondaire, les anges, auxquels Dieu avait remis la tâche de les inculquer au peuple ; puis il faut penser aussi à Moïse et Aaron et à leurs successeurs, les sacrificateurs, les prophètes et les rois. Mais aujourd’hui, ce temps de minorité est passé ; l’heure de l’émancipation, marquée par Dieu, a sonné ; le Fils lui-même est venu, il a pris notre nature humaine, bien plus, il a été assujetti à la loi comme Israël, afin de l’affranchir de cet assujettissement en payant son rachat (3.13), et à cet état d’esclavage il a substitué celui de l’adoption en vertu duquel le croyant, sous l’action de l’Esprit du Fils, peut s’adresser à Dieu, non plus avec un sentiment servile, mais en lui disant d’un cœur filial, comme le Fils lui-même : Abba, Père ! En échangeant la position servile pour celle de fils, il est entré en même temps dans celle d’héritier (v. 4-7) ; comparez Romains 8.15-17.

Quel glorieux changement opéré par la venue du Christ ! Et ce changement ne s’applique pas seulement aux croyants israélites, mais aussi à ceux de la gentilité qui n’ont pas à passer par l’état de servitude légale imposé jadis à Israël. La foi à l’Évangile a tiré les Galates de leur ancienne ignorance du vrai Dieu et de l’esclavage de leurs fausses divinités ; et maintenant qu’ils ont été élevés à la connaissance de Dieu, bien plus, qu’ils ont été eux-mêmes distingués, marqués par lui comme ses fils, jouissant de la communion personnelle avec lui, ils consentiraient à assujettir de nouveau leur vie religieuse à ces éléments terrestres et grossiers, à ces rites purement extérieurs, sans prix pour la vie spirituelle, au-dessus desquels leur conversion les a élevés ! L’apôtre met ici les ordonnances cérémonielles juives sur la même ligne que les anciens rites païens, non seulement en ce sens que les uns et les autres appartiennent à une forme de piété maintenant dépassée (Jean 4.21-24), mais sans doute aussi à ce point de vue plus particulier que le culte juif et les cultes païens procédaient dans une certaine mesure d’êtres inférieurs, des bons anges, quant à la loi juive (3.19), des démons, quant aux cultes païens (1 Corinthiens 10.20). — Le calendrier des fêtes juives parait, d’après le v. 10, avoir déjà été accepté par les chrétiens galates : fêtes hebdomadaires (sabbats et jeûnes) ; fêtes mensuelles (nouvelles lunes) ; fêtes annuelles (Pâques, Pentecôte, Tabernacles, Expiation) ; fêtes plus éloignées encore (année sabbatique). Qu’était-elle devenue, la vie de l’Esprit qui avait éclaté au sein de ce peuple ? Allait-elle donc s’éteindre sous la cendre des observances ? Comment expliquer un tel changement ? C’est en face de cette douloureuse question, qui résulte de tout ce qui précède, que Paul se place après avoir terminé sa démonstration. Il cherche la vraie cause de ce commencement de chute qu’il vient de constater chez eux. C’est le sujet du morceau suivant :

F) 4.11-20. Les Galates soupçonneraient-ils sa bonne foi quant à l’enseignement religieux qu’il leur a donné ? Mais lui-même, tout Juif qu’il était, jouissant de tous les prétendus privilèges attachés à cette origine, il a pour eux rejeté toutes ces marques distinctives de sa nation et adopté leur genre de vie païen, — et ce sont eux maintenant qui craignent d’avoir été égarés par lui et reprennent ce qu’il a quitté pour eux ! Ou bien se figureraient-ils qu’il les trompe pour se venger de quelque offense qu’il a reçue d’eux ? Mais ils ne lui ont témoigné, dès leur première rencontre et malgré la cruelle maladie qui aurait pu les éloigner de lui, que le plus tendre amour (v. 12-15). Serait-ce la franchise avec laquelle il leur a dit la vérité dans son dernier séjour qui à leurs yeux a fait de lui leur ennemi (v. 16) ? Non ! la vraie cause, la voici : Des intrigants se sont glissés entre eux et lui, des gens qui s’empressent auprès d’eux dans une intention qui n’est pas droite, qui cherchent à les séparer de leur apôtre, afin d’attirer sur eux-mêmes leur empressement et leurs soins. Ah ! sans doute, soyez empressés ; mais que ce soit pour le bien, et d’une manière persévérante, en mon absence aussi bien qu’en ma présence (v. 17-18). Quelle n’est pas son angoisse à leur sujet ! Il les enfante de nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ, soit formé en eux d’une manière durable et inaltérable. Oh ! qu’il voudrait être lui-même au milieu d’eux ! Il chercherait les accents les plus propres à les convaincre et à les toucher ; car il ne sait plus que faire à leur égard (v. 19-20) ! Dans cette perplexité, c’est comme si un rayon de lumière éclairait tout à coup son esprit ! Ils veulent la loi ; la comprennent-ils ? Voici ce que raconte la loi. Peut-être cette dernière considération réussira-t-elle là où toutes les autres ont échoué.

G) 4.21-31. L’allégorie d’Agar et de Sara. En racontant l’histoire des deux femmes et des deux fils d’Abraham, l’historien sacré a énoncé quelque chose de plus profond que ce qui paraît à la surface. Sous le personnage d’Agar, l’esclave étrangère, enfantant Ismaël en vertu de la loi de la chair, il faut voir l’alliance de la loi donnée à Sinaï, en Arabie, sur un sol étranger à la Terre-Saintec. Agar correspond ainsi à la Jérusalem actuelle, placée avec ses enfants sous le joug de la loi, tandis que, sous le personnage de Sara, la femme libre et légitime, qui enfante Isaac en vertu de la promesse divine et par la puissance de l’Esprit, nous discernons la Jérusalem d’en-haut, la communauté à laquelle préside le Messie lui-même, qui a pour fils des hommes libres, notre mère à tous juifs et païens, enfantant une postérité innombrable, plus nombreuse que celle du peuple ancien. Paul jette ici un regard sur ce monde païen où surgissent de toutes parts des églises de croyants qui surpasseront de beaucoup en nombre l’ancien peuple d’Israël, conformément à ce qu’Ésaïe promettait à Israël revenu de l’exil : que sa postérité surpasserait celle de l’Israël précédent (v. 21-27). Seulement, ajoute l’apôtre, il arrive de nouveau ce qui arriva autrefois : c’est que les fils de la chair prennent en haine les fils de l’Esprit, comme Ismaël prit en haine son frère Isaac, et c’est là ce qui explique les faits qui se passent à cette heure en Galatie et ailleurs. Fils de l’Esprit, les croyants sont exposés à l’hostilité des fils de la loi. Qu’ils ne s’en inquiètent pas ! Bientôt ceux-ci seront jetés hors de la maison à laquelle ils n’appartiennent pas réellement. Que donc ceux qui sont nés libres ne se dégradent pas au rang des enfants de l’esclave (v. 28-31) !

c – J'admets avec Tischendorf la leçon du Sinaïticus (avec C F G) : τὸ γὰρ Σινᾶ ὄρος ἐστὶν ἐν τῇ αραβίᾳ.

On a beaucoup parlé d’interprétation arbitraire et d’allégorie rabbinique à l’occasion de ce passage. Chez un écrivain ordinaire on l’appellerait peut-être étincelant de verve et d’esprit. Mais, nous l’avons déjà vu, il faut distinguer entre une vraie et une fausse allégorie ; celle-ci s’attachant à des coïncidences extérieures et accidentelles, sans aller au fond des deux cas comparés ; celle-là reposant sur une loi psychologique et morale qui unit les deux faits comparés. Nous avons trouvé dans l’usage allégorique que fait Philon de ce même récit un exemple de la première ; celui qu’en fait ici Paul offre un exemple de la seconde. On reconnaît dans l’un le disciple des rabbins ; dans l’autre celui des prophètes et du Saint-Esprit. Après l’argumentation didactique serrée, Paul sentait bien qu’il fallait une démonstration plus populaire, parlant au cœur et à l’imagination et non pas à la raison seulement. C’est ce qu’il cherchait quand il disait : « Je voudrais changer ma voix, » et il l’a trouvé. Que le critique lui jette la pierre ; il est à croire que les Galates n’en ont pas jugé ainsi.

La vérité de l’enseignement de la justification par la foi a été victorieusement démontrée par une série de faits empruntés à cette ancienne révélation au nom de laquelle on la combattait. Mais une grande question restait. Lorsque la justice de la foi aura été substituée à celle des œuvres, que deviendra la vie morale ? Peut-on se représenter un accomplissement de la volonté de Dieu qui soit indépendant de la loi ? Il est manifeste qu’un enseignement religieux qui ne garantit pas la moralité de ses adeptes, est par là même condamné. L’apôtre répond à cette troisième et dernière question dans la troisième partie de sa lettre.

Ch. 5 à 6.10. — Les fruits de la justification par la foi.

Il faut se garder d’envisager, avec plusieurs interprètes, cette troisième partie comme un simple recueil de recommandations morales, sans lien spécial avec le sujet traité. L’exposé pratique suivant porte les traces de la même polémique qui a dicté les deux parties précédentes et qui inspire la lettre entière (comparez surtout v. 18 et 23). C’est un élément essentiel de la tractation du sujet. L’accusation d’immoralité, pour peu qu’elle fût fondée, ferait tomber tout renseignement qui a précédé.

Voici les trois idées que développe l’apôtre dans ce qui suit :

  1. Vous êtes nés libres : tenez-vous donc fermes dans cette liberté, quoi qu’on puisse vous dire et qui que ce soit qui vous le dise (1-12).
  2. Mais ne confondez pas cette liberté avec la licence de la chair ; elle consiste dans la dépendance où nous sommes de l’Esprit de Christ, victorieux de la chair (13-25).
  3. Paul indique quelques traits particuliers de cette victoire de l’Esprit sur la chair, que réclamait plus spécialement l’état de l’église dans la crise par laquelle elle passait en ce moment (5.26 à 6.10).

a) 5.1-12. — Libres, comme fils de la femme libre, ils doivent tenir bon dans cet état de liberté et ne pas se figurer que, pour posséder le salut et se préserver du péché, ils aient besoin de se replacer sous la loi. Ici l’apôtre se préparait sans doute à développer immédiatement l’idée de la sanctification qu’opère dans le croyant, affranchi de la loi, la puissance de l’Esprit (v. 13 et suiv.). Mais, à la pensée du joug sous lequel les Galates voudraient se replacer, il s’interrompt tout à coup : Comprennent-ils bien tout ce qu’il leur a déjà dit précédemment des conséquences d’une telle manière d’agir ? C’est Paul, leur apôtre, qui le leur déclare encore une fois solennellement. : ils annuleraient par là l’œuvre de Christ en leur faveur et ils se rendraient débiteurs de la loi entière. Oui, accepter la circoncision, c’est s’enrôler au service de la loi et par conséquent renoncer à tout autre salut que celui qui résulte de leur propre obéissance à la loi ; c’est être sorti du domaine de la grâce (v. 1-4). Le vrai croyant espère bien plutôt une justification obtenue par la foi et dont Dieu le couronnera un jour ; il comprend par conséquent l’absolue indifférence, pour le salut, de l’état de circoncision ou d’incirconcision corporelle. La foi opérant par le moyen de l’amour qu’elle produit, voilà tout ce qu’il faut en Christ (v. 5 et 6).

Les Galates l’avaient si bien compris jadis ! Ils couraient joyeusement dans cette bonne voie. Qui donc les a tout à coup arrêtés ? Ce n’est certainement pas la voix de Celui qui les avait appelés. Il y a là une suggestion de quelque individu qui, semblable au levain, a fait fermenter toute la pâte. Paul est convaincu qu’ils le comprendront eux-mêmes et que le perturbateur, quel qu’il soit, subira son châtiment. Il ne dit pas quel est cet homme. En tout cas il est absurde de supposer, avec Jérôme, que ce fût Pierre, ou, avec Holsten, que ce fût Jacques. Nous ne savons pas même s’il venait de Jérusalem. — Les premiers mots du v. 11 établissent entre Paul et ce perturbateur une opposition personnelle si marquée que l’on est conduit à la supposition que ce verset renferme une allusion à une accusation élevée contre lui par cet homme-là. « Quand il convient à Paul, disait-il, de joindre la pratique de la circoncision à la prédication de l’Évangile, il n’hésite pas lui-même à le faire. » Paul, avait déjà fait allusion à une accusation de ce genre, 1.10. La circoncision de Timothée pouvait y avoir donné lieu, comme aussi le fait que, quand il s’agissait des Juifs ou même aussi des judéo-chrétiens, il ne combattait nullement l’usage de ce rite. Mais c’était une indigne calomnie de l’accuser pour cela de versatilité et de complaisance humaine. S’il avait agi comme on le lui reprochait, et consenti à associer la circoncision à la prédication évangélique, on ne voit pas pourquoi les Juifs le persécuteraient encore comme ils le font. Ils lui passeraient sans peine tout l’Évangile de la croix, s’il consentait à y joindre l’obligation de la circoncision ; car, dans ce cas, sa prédication tournerait en définitive à l’honneur et à l’extension du judaïsme. — Paul est tellement révolté par cette inculpation qu’il va jusqu’à s’écrier que ceux qui le calomnient de la sorte devraient bien pousser leur amour de la circoncision jusqu’à se mutiler eux-mêmes (v. 12). Ce dernier cri d’indignation s’explique si l’on pense à l’infamie de la manœuvre dont saint Paul se voyait l’objet et qui avait déjà à demi ruiné son œuvre en Galatie, et si l’on se rappelle qu’il fait allusion à un usage pratiqué dans ces contrées par les prêtres de Cybèle. — Quant au mot encore (« si je prêche encore la circoncision »), d’où plusieurs critiques modernes (Reuss, Sabatier, Hausrath, etc.) ont inféré que l’apôtre avait, pendant un certain temps, encore après sa conversion, prêché la circoncision en même temps que le salut par grâce, ce sens donné à ce mot est en contradiction directe avec la manière dont Paul parle 1.6-9 de l’opposition absolue entre l’évangile des judaïsants et celui qui lui a été révélé à lui-même au moment de sa conversion. Ce sens est également inconciliable avec la crise violente amenée dans l’église d’Antioche (Actes ch. 15) par la prétention des judaïsants d’y introduire la circoncision. Car, pour produire un tel scandale, il fallait que cette exigence fût entièrement nouvelle. Comment donc Paul, qui était à la tête de cette église, aurait-il pratiqué jusqu’alors ce rite ? (Voir Sieffert et Lipsius ad Gal. v. 11). Le sens des deux encore du v. 11 est donc celui-ci : « Si de mon passé juif j’avais conservé la circoncision, comme élément de ma prédication, pourquoi dans ce cas la persécution me poursuivrait-elle (Lipsius), ou pourquoi me poursuivrait-elle jusqu’à aujourd’hui ? »

b) 5.13-25. — Au v. 13, l’apôtre renoue le fil interrompu dès la fin du v. 1 : Tenez-vous fermes dans la liberté qui vous a été acquise ; mais, ajoute-t-il maintenant, en ayant soin de ne pas en user pour accorder à la chair la faculté de satisfaire ses penchants. La liberté à l’égard de la loi est en même temps un assujettissement volontaire, celui de l’amour. En vous laissant guider par l’amour, vous accomplirez spontanément la loi — car on ne fait pas de mal à ceux qu’on aime — et vous ne vous nuirez pas mutuellement, jusqu’à mettre en péril l’église elle-même par vos querelles et vos méchantes disputes (v. 13-15). — L’Esprit nouveau qui vous inspire cet amour, est un maître qui ne permet pas à la chair d’accomplir ses volontés. Sans doute la chair lutte contre lui par ses mauvais désirs. Mais l’Esprit de son côté lutte contre la chair par ses saintes impulsions et ses saintes exigences, et le but de cette lutte est que vous appreniez à contenir votre volonté propre. Demeurez sous cette dépendance de l’Esprit, et vous n’aurez pas besoin de la loi pour réprimer la chair (v. 16-18). — Il y a en effet entre la vie que produit la chair et celle qu’engendre l’Esprit incompatibilité absolue. L’apôtre le prouve par l’énumération, d’un côté, des œuvres dues à l’impulsion de la chair, et, de l’autre, des dispositions dont l’ensemble constitue ce qu’il appelle, le fruit de l’Esprit. A l’égard des premières, il fait observer que celui qui s’y livre, quel qu’il soit, croyant, ou non, n’aura pas de part à l’héritage céleste. A l’égard du fruit de l’Esprit, il rappelle, avec un léger trait d’ironie, que ce n’est pas contre ces dispositions-là que le veto de la loi a été prononcé. La loi est donc bien superflue pour le croyant, puisque les œuvres de la chair sont, détruites non par elle, mais par l’Esprit, et que le fruit de l’Esprit reste par sa nature même en dehors de ses interdictions (v. 22-34). — Les v. 24 et 25 terminent ce développement en en résumant les deux côtés : le crucifiement de la chair par l’association du croyant au crucifiement de Christ, et le renouvellement de la vie par l’action sanctifiante de son Esprit.

c) 5.26 à 6.10. — Après avoir montré que la sainteté de la vie est bien assurée sans la loi et par l’action de l’Esprit sous laquelle la justification place le fidèle, l’apôtre ajoute une série d’exhortations en rapport plus particulier avec l’état des églises de Galatie. Il met ses lecteurs en garde contre les vaines satisfactions de l’amour-propre, contre la tentation de primer, et contre les inspirations de la jalousie ; il exhorte les plus avancés à reprendre avec douceur ceux qui tombent en faute, en se rappelant qu’ils sont eux-mêmes sujets à faillir ; il leur montre dans le support plein de sympathie une obligation résultant de l’exemple de Christ ; il leur recommande de ne pas se livrer à une appréciation fausse de leur propre valeur, mais d’avoir toujours l’œil ouvert sur les mobiles secrets de leurs œuvres ; car chacun sera jugé non par comparaison avec les autres, mais par comparaison avec lui-même (5.25 à 6.5). — Puis il termine cette série d’avertissements, qui sont en rapport évident avec tout ce qui venait de se passer chez eux, par une recommandation plus spéciale : le devoir de tous les membres de l’Église de faire part de leurs biens temporels à ceux qui vouent leur soin et leur temps à l’enseignement de la Parole au milieu d’eux. Car Dieu est d’une rigoureuse justice ; le croyant qui n’emploie ses biens que pour sa satisfaction propre, récoltera de cette semaille charnelle la corruption. Celui qui désire moissonner un jour les biens de l’Esprit, doit semer ici-bas spirituellement. Aussi longtemps donc que nous sommes en état d’exercer la bienfaisance, hâtons-nous de le faire envers tous, mais particulièrement envers les fidèles.

Conclusion

Ici se termine le corps de l’épître. L’apôtre finit ordinairement ses lettres, avons-nous dit, par des personalia, renfermant des détails sur sa situation, des commissions et des salutations soit de lui-même, soit de ses collaborateurs. Ici rien de semblable. Le caractère si grave de cette lettre ne lui a pas permis, paraît-il, d’agir de la sorte. La conclusion reste dans les limites du sujet traité.

Paul commence par rendre ses lecteurs attentifs à un caractère très exceptionnel, quoique extérieur, de sa lettre : il l’a écrite tout entière de sa propre main. C’est, avec le petit billet adressé à Philémon, le seul de ses écrits qui soit dans ce cas ; tous les autres ont été dictés et ne portaient aux lecteurs, de la main de Paul, que sa signature et sa bénédiction finale. Cette différence doit être pour les Galates un fait significatif, qui ne pourra manquer de parler à leur cœur. On a entendu, il est vrai, tout différemment les expressions du v. 11. Un grand nombre les applique non à toute la lettre, mais seulement à cette conclusion commençant avec le v. 11. Puis on a traduit : « Voyez avec quelles grandes lettres, c’est-à-dire en quels gros caractères je vous ai écrit » ; comme si Paul voulait faire remarquer par là soit la peine résultant pour lui de son peu d’habitude d’écrire en grec, soit une conséquence pénible de sa prétendue maladie d’yeux. Pour moi, il m’est impossible de ne pas trouver dans ces suppositions des puérilités indignes de l’apôtre. D’autres ont supposé qu’il voulait rendre les Galates attentifs, par la grandeur des caractères avec lesquels il écrivait ces derniers mois, à l’importance particulière qu’il y attachait, de même que nous soulignons les termes que nous voulons spécialement faire remarquer. Mais dans ce cas nous nous contentons de souligner, et, nous n’ajoutons pas expressément : « Remarquez bien comment je souligne ! » Il me paraît que l’expression « quelles grandes lettres, » malgré le pluriel, ne peut désigner que notre épître elle-même, l’épître tout entière. C’est ainsi que le mot pluriel γράμματα est employé, soit dans le Nouveau Testament (Luc 16.6, vraie leçon ; Actes 28.21, etc.), soit dans les classiques (Thucydide, Xénophon), soit chez les Pères (Ignace, Polycarpe), pour désigner tout un écrit. Le datif détermine le mode du γράμμα, au point de vue de sa longueur ; car il y avait eu là pour Paul un véritable travail. — On s’est demandé néanmoins si ce verset se rapporte à toute la lettre précédente ou à ce qui suit uniquement. Il me semble que l’impératif ἰδετε, voyez, ne peut s’appliquer naturellement à ce qui suit. Il constituerait une étrange anticipation. On a beau dire que le passé ἔγραψα peut, dans le style épistolaire grec, se rapporter à ce qui va suivre, vu que l’auteur se transporte au moment où sa lettre sera lue ; quand l’auteur invite, comme ici, ses lecteurs à contempler de leurs yeux ce qu’il a écrit, il n’est pas naturel d’appliquer ces mots à ce qu’il va écrire encore.

Avant de terminer, l’apôtre sent le besoin de faire ressortir encore une fois la pureté du mobile qui le fait agir dans tout son ministère, en opposition aux motifs intéressés qui dictent la conduite de ses adversaires. Pour eux, en cherchant à amener les Galates à se faire circoncire, ils ne pensent qu’à éviter les persécutions que leur attirerait sans cela la prédication de la croix, et ils espèrent se faire bien venir auprès de certaines personnes influentes. La preuve, c’est que leurs adeptes, qui consentent à se faire circoncire, ne se croient point obligés pour cela de se conformer à tout l’ensemble de la loi et s’accordent à cet égard de singulières libertés. C’est à quoi Paul avait déjà fait allusion 5.3, passage à l’occasion duquel Weizsæcker a écrit ces mots qui s’appliquent également à nos v. 12 et 13 : « Paul fait allusion au peu de sérieux que mettaient ces faiseurs de prosélytes et les prosélytes eux-mêmes à l’obligation d’accomplir la loi ». Il y avait en Galatie une riche et puissante colonie juive, qu’il était plus agréable d’avoir pour amie que pour ennemie. Or les agitateurs judaïsants se faisaient assez facilement pardonner leur prosélytisme chrétien, lorsque, après avoir amené un païen à la foi en Jésus-Christ, ils l’engageaient à accepter la circoncision. Une fois cela obtenu, ils ne se montraient pas trop exigeants quant aux conséquences de cet acte, et dispensaient sans scrupule les nouveaux convertis de toutes les observances mosaïques qui auraient pu leur être à charge, des lois alimentaires, par exemple. On tenait seulement à pouvoir dire : « Hier nous avons eu tant de circoncis ! Aujourd’hui de nouveau, tant. » Et les riches marchands juifs d’applaudir (v. 12 et 13) ! Ce n’est pas ainsi que Paul pratique la mission. Pour lui, il ne veut d’autre sujet de gloire que la croix de Christ. Elle a élevé une muraille infranchissable entre les intérêts mondains et lui. Il ne regarde plus qu’à une chose, la création nouvelle inaugurée par cette croix. Tout ce qui est extérieur, matériel, n’a plus aucune valeur religieuse à ses yeux. Aussi prononce-t-il en finissant la bénédiction divine sur tous ceux d’entre les Galates qui, après avoir lu cette lettre, suivront la voie qu’il vient de tracer, et en général sur toute l’Église croyante qui est désormais le vrai Israël, l’Israël de Dieu. Quant aux commissions, il n’en a qu’une seule, cette prière saisissante : Que personne ne cause du chagrin à celui qui porte en son corps l’empreinte des plaies qui lui ont été faites pour Jésus ! Après quoi il souhaite que la grâce divine pénètre jusqu’à ce qu’il y a de plus intime dans l’âme de ses lecteurs, l’esprit, et les salue par ce mot d’adieu et d’amour : Frères ! C’est comme le baume que sa main aimante verse en finissant sur toutes les blessures que sa franchise avait pu leur faire.

Nous pouvons résumer en un mot l’épître aux Galates : c’est la déclaration d’émancipation de l’humanité croyante à l’égard de la loi ; la proclamation de l’ère nouvelle de la liberté spirituelle.

A ce point de vue, la marche en est facile à saisir. Le sujet de la première partie est : L’apôtre de la liberté ; Paul y expose l’origine de son autorité apostolique, qui lui a été conférée d’une manière indépendante de toute intervention humaine, la reconnaissance de cette autorité par les apôtres antérieurs, et l’emploi qu’il a dû en faire dans une circonstance importante vis-à-vis de Pierre lui-même. — Le sujet de la seconde partie est : La doctrine de la liberté, dont la vérité est démontrée par la propre expérience spirituelle des Galates, par l’exemple prototypique d’Abraham, par la nature même de la loi, par la mort du Christ, par la relation entre la loi et la promesse ; car la première est postérieure à la seconde ; elle a été donnée non par Dieu lui-même, mais par des agents subalternes ; en effet, elle n’était qu’une institution purement pédagogique dont la promesse était le but. A ces preuves l’apôtre ajoute, comme dernier argument, en quelque sorte surérogatoire, le type d’Agar et de Sara. — Le sujet de la troisième partie est : Le fruit de la liberté spirituelle. La liberté spirituelle, tout en étant l’affranchissement par rapport à la loi, n’est nullement l’émancipation de la chair ; c’est, au contraire, la domination de l’Esprit sur la chair jusqu’à l’extirpation de celle-ci ; et la vie terrestre devient ainsi le temps des semailles pour une moisson de vie éternelle. Ce triple exposé, qui forme le corps de la lettre, est précédé d’une adresse qui fait déjà pressentir le contenu de l’écrit, et d’une conclusion qui en rappelle toute l’importance.

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