Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE VII
Son père, avec toute sa famille, descend vers lui à cause de la famine.

Joie de Jacob.

1.[1] Lorsqu'à l'arrivée de ses enfants, Jacob apprend l'histoire de Joseph, comment non seulement il a échappé à la mort, lui qu'il passait sa vie à pleurer, mais qu'il vivait avec une éclatante fortune, partageant avec le roi le gouvernement de l'Égypte et en ayant en mains presque toute la surveillance, aucune de ces nouvelles ne lui parait invraisemblable, quand il songe à la grande puissance de Dieu et à sa bienveillance envers lui, encore qu’elle eût éprouvé une interruption, et il s'empresse aussitôt d'aller retrouver Joseph.

[1] Genèse, XLV, 25.

Vision du puits du Serment.

2.[2] Arrivé au puits du Serment, il offre un sacrifice à Dieu, et craignant que la prospérité où était l'Égypte ne rendit si séduisante à ses fils l'idée d'y demeurer que leurs descendants renonceraient à retourner en Chananée pour en prendre possession selon la promesse de Dieu, et qu'ayant effectué ce voyage en Égypte sans l'assentiment de Dieu, sa race ne fût anéantie, au surplus, appréhendant de mourir avant d'avoir vu Joseph, c'est en agitant en lui-même ces réflexions qu'il s'endort.

[2] Genèse, XLVI, 1.

3. Dieu lui apparaît, l'appelle deux fois par son nom et, comme Jacob lui demande qui il est : « En vérité, dit-il, il ne convient pas que tu méconnaisses celui qui a toujours protégé et secouru tes ancêtres et toi-même après eux. Quand tu étais privé du royaume par ton père, c'est moi qui t'ai fait obtenir celui-ci ; c'est grâce à ma bienveillance, que, envoyé tout seul en Mésopotamie, tu as eu le bonheur de faire d'heureux mariages et que tu as emmené à ton retour beaucoup d'enfants et de grandes richesses. Et si toute ta famille t'a été conservée, c'est par ma providence ; celui de tes fils que tu croyais mort, Joseph, je l'ai élevé à une fortune encore plus grande, je l'ai fait le maître de l'Égypte, où c'est à peine s'il se distingue du roi. Je viens maintenant te servir de guide pendant ce voyage et t'apprendre que tu finiras ta vie dans les bras de Joseph ; et je t'annonce une longue période de suprématie et de gloire pour tes descendants, que j'établirai dans le pays que j'ai promis ».

Dénombrements des fils et petits-fils de Jacob.

4. Encouragé par ce songe, c'est avec plus d'ardeur qu'il part pour l’Égypte en compagnie de ses fils et des enfants de ses fils ; ils étaient en tout soixante-dix. Je n'avais pas jugé à propos d'indiquer leurs noms, d'autant qu'ils sont difficiles ; mais pour protester contre ceux qui n'admettent pas que nous soyons originaires de Mésopotamie et nous croient Égyptiens[3], j'ai cru nécessaire de les transcrire. Donc Jacob avait douze fils, parmi lesquels Joseph était parti à l'avance. Nous allons indiquer ceux qui le suivirent ainsi que leurs descendants. Roubel avait quatre fils : Anôch(ès), Phallous, Assaron, Charmis ; Syméon, six : Joumèl(os), Jamîn(as), Pouthod(os), Jachîn(os), Soar(os), Saoul(os) ; Lévis eut trois fils&nnbsp;: Gersom(ès), Kaath(os), Marair(os) ; Youdas en eut trois : Salâs, Pharés(os), Zaras(os)[4] ; il eut deux petits-fils de Pharés(os), Esrôn(os) et Amyr(os). Isacchar(os) eut quatre fils : Thoulâs, Phouâs, Jasoub(os), Samarôn(os) ; Zaboulon en emmenait trois : Sarad(os), Elon, Jalèl(os). Telle était la progéniture de Lia. Avec elle venait aussi sa fille Dîna. En tout trente-trois personnes. Rachel avait deux fils : l'un, Joseph, eut, pour fils Manassès et Ephraïm ; l'autre, Benjamin, en eut dix : Bolosor, Bacchar(ès), Asabèl(os), Géraos, Naïémam(ès), Jès, Arôs, Momphis, Opphis, Arad(os). Ces quatorze personnes, ajoutées aux précédentes, donnent le total de 47. Telle était la descendance légitime de Jacob. Il eut encore de Balla, la servante de Rachel, Dan(os) et Nepthalès ; ce dernier était accompagné de quatre fils : Elièl(os), Gounis, Issarès et Sellim(os) ; Dan eut un enfant unique, Ousis. En les ajoutant aux précédents, on atteint le nombre de 54. Gad et Aser étaient fils de Zelpha, servante de Lia. Gad emmenait sept fils : Saphônias, Augis, Sounis , Zabon, Irénès, Erôédès, Arièl(os). Aser avait une fille[5] et six fils, qui s'appelaient Jômnès, Isous, Isouis, Baris, Abar(os), et Melchièl(os). En ajoutant ces seize-là aux 54, on atteint le nombre indiqué ci-dessus, non compris Jacob.

[3] Josèphe est toujours préoccupé de répondre aux accusations que des autres de son temps portaient sur les Juifs, dont ils travestissaient l'histoire. Pour l'opinion qui faisait des Juifs des Égyptiens « impurs », voir le Contre Apion.

[4] Josèphe omet, dans la liste des fils de Juda, Er et Onan, qui sont nommés dans la Bible, mais qui meurent, d'ailleurs, en Chanaan.

[5] Josèphe ne donne pas son nom. Elle s'appelle Sérah dans la Bible.

Jacob en Égypte.

5. Joseph apprend l'arrivée de son père, car son frère Joudas avait pris les devants pour lui annoncer sa venue ; il sort pour aller à sa rencontre, et le rejoint à Héroopolis[6]. Dans sa joie soudaine et immense, Jacob pensa mourir ; mais Joseph le ranima ; lui-même ne fut pas assez maître de lui pour résister à cette émotion du plaisir ; néanmoins il ne fut pas, comme son père, vaincu par elle. Ensuite il prie son père d'avancer doucement ; lui-même prend cinq de ses frères et s'empresse d'aller vers le roi pour lui annoncer l'arrivée de Jacob avec sa famille. Celui-ci eut plaisir à cette nouvelle et pria Joseph de lui dire quel genre de vie ils aimaient à suivre, afin qu’il pût leur donner les mêmes occupations. Joseph lui dit qu'ils étaient d'excellents bergers et qu'ils ne s'adonnaient à aucun autre métier qu'à celui-là ; il prenait ainsi ses précautions pour qu'on ne les séparât point et que, se trouvant réunis ensemble, ils prissent soin de leur père ; de plus, ils se feraient bien voir des Égyptiens en ne se livrant à aucun des travaux de ceux-ci ; car il était défendu aux Égyptiens de s'occuper des pâturages.

[6] Gen., XLVI, 28. Les LXX traduisent le Gosen de la Bible par Ἡρώων πόλις et ajoutent εἰς γῆν Ῥαμεεσσῆ, indication fournie par les LXX. Héroopolis était une ville de la Basse Égypte qu'on identifie aussi avec la ville qui porte le nom égyptien de Pithôm. Cf. Exode, I, 11. Sur l'emplacement de ces localités, consulter G. Ebers, Durch Gosen zum Sinaï, 2e éd., Leipzig, 1881.

Son entrevue avec Pharaon.

6.[7] Quand Jacob fut arrivé auprès du roi, qu'il l'eut salué et qu'il eut exprimé ses vœux pour son règne, Pharaôthès lui demanda combien de temps il avait déjà vécu. Il répondit qu'il avait cent trente ans, et le roi admira Jacob pour son grand âge. Comme celui-ci expliqua qu'il avait vécu moins d'années que ses ancêtres, il lui permit d'aller demeurer à Héliopolis[8] avec ses enfants ; c'était là aussi que ses propres bergers avaient leurs pâturages.

[7] Genèse, XLVII, 8.

[8] La Bible ne parle ici que du pays de Gosen et de la terre de Ramsès ; mais Héliopolis (en hébreu On) était située sur le même territoire de la Basse Égypte.

Nouveau régime des terres en Égypte.

7. La famine chez les Égyptiens commençait à prendre de l'intensité et le fléau leur causait des embarras croissants ; le fleuve n'arrosait plus la terre, car ses eaux n'augmentaient pas et Dieu n’envoyait pas de pluie[9] ; dans leur ignorance, ils n'avaient fait aucun préparatif. Joseph leur cédait le blé contre argent ; quand l'argent leur fit défaut, ils achetèrent le blé avec leurs troupeaux et leurs esclaves ; ceux qui avaient, en outre, quelque terre allaient l'offrir pour acquérir des vivres ; et c'est ainsi que le roi devint maître de toute la contrée et qu'ils furent transportés de côté et d'autre afin d'assurer au roi la propriété de leurs terres, sauf celles des prêtres : ceux-ci gardèrent leurs domaines. Le fléau n'asservit pas seulement leurs corps, mais aussi leurs pensées et les astreignit désormais à des moyens d'existence humiliants. Mais, quand le mal s'apaisa et que le fleuve s'épandit sur la terre, qui produisit des fruits en abondance, Joseph se rendit dans chaque ville, et convoquant la foule, il leur fit don pour toujours des terres qu'ils avaient cédées au roi et que celui-ci aurait pu posséder et exploiter à lui seul ; il leur recommanda de les bien travailler dans l'idée qu'elles étaient leur propriété et de donner le cinquième des fruits au roi en échange de cette terre qu'il leur concède et qui vient de lui. Ainsi, devenus, sans y compter, propriétaires de ces terres, ils furent saisis de joie et promirent de se conformer à ces prescriptions. De cette façon, la considération dont Joseph jouissait auprès des Égyptiens grandit encore, et il accrut l'affection que ceux-ci portaient au roi. Cette loi qui les imposait du cinquième des fruits persista tous les rois suivants[10].

[9] Déjà Reland a fait remarquer que cette dernière observation témoigne de peu de connaissance du climat de l'Égypte.

[10] Genèse, XLVII, 23. Orose, I, 8, reproduit ce renseignement. On en a souvent conclu qu’à l'époque ptolémaïque l'impôt foncier était du cinquième du revenu ; opinion contestée par Whiston et par Lumbroso (Économie politique de l’Égypte, p. 94) qui voient ici un fermage, non un impôt [T. R.].

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