Chapitre 16 :
Et quand le sabbat fut passé, Marie-Madeleine et Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, afin de venir l’oindre. Et de très grand matin le premier jour de la semaine, elles vont au sépulcre, comme le soleil s’était levé. Et elles se disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre hors de l’entrée du sépulcre ? Et ayant levé les yeux, elles voient que la pierre avait été roulée, car elle était très grande. Et étant entrées dans le sépulcre, elles voient un jeune homme assis sur la droite, vêtu d’une robe blanche, elles furent épouvantées. Mais il leur dit : Ne vous épouvantez point ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, qui a été crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où ils l’avaient mis. Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.
Et étant sorties, elles s’enfuirent du sépulcre ; car le tremblement et l’effroi les avaient saisies ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Or étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, il apparut d’abord à Marie-Madeleine, de laquelle il avait chassé sept démons. Celle-ci s’en alla l’annoncer à ceux qui avaient été avec lui et qui étaient dans le deuil et les larmes. Et eux, en entendant dire qu’il vivait et qu’il avait été vu par elle, ne crurent point. Mais après cela, il apparut sous une autre forme à deux d’entre eux, qui étaient en marche et se rendaient à la campagne ; ils s’en allèrent l’annoncer aux autres, et ceux-ci ne les crurent pas non plus. Mais enfin il apparut à eux-mêmes, aux onze, quand ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur, pour n’avoir pas cru ceux qui l’avaient contemplé ressuscité, et il leur dit : Allant dans tout le monde, annoncez l’Évangile à toute créature. Celui qui aura cru et aura été baptisé, sera sauvé ; mais celui qui n’aura pas cru sera condamné. Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils saisiront des serpents ; lors même qu’ils boiraient quelque breuvage mortel, il ne leur nuira point ; ils imposeront les mains aux malades et les malades guériront.
Et tandis que le Seigneur, après leur avoir ainsi parlé, fut enlevé dans le ciel et s’assit à la droite de Dieu, eux, partant, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient.
Nous ne pouvons passer ici du texte à son explication sans faire précéder celle-ci de quelques considérations de Critique. En effet, l’authenticité des v. 9-20 a contre elle des arguments qui ne sont pas sans portée, et elle n’est pas reconnue par des théologiens comme Griesbach, Lachmann, Reuss, Tischendorf, dont l’opinion mérite d’être très sérieusement examinée. Avec Bleek, de Wette, Schleiermacher (Vie de Jésus), Olshausen, Guericke, Riggenbach, nous croyons cependant que ces versets sont authentiques, et sans pouvoir entrer dans une discussion complète de la question, nous ne saurions nous dispenser d’indiquer les principales raisons qui motivent notre conviction.
[Nous renvoyons pour plus de détails à Bleek, Synopt. Erkl., II, et surtout à la dernière édition critique du Nouveau Testament, que Tischendorf a commencé de publier, editio octava. Voir aussi Ebrard, Wissensch. Kritik, 3e édit. Ebrard repousse l’hypothèse d’après laquelle le fragment serait une interpolation postérieure sans valeur, et il admet ou que Marc fut empêché de terminer son Évangile et qu’un autre ne tarda pas à y suppléer, ou que l’Évangéliste termina bien lui-même son Évangile, mais en étant forcé par les circonstances de le faire plus vite et plus brièvement qu’il ne l’aurait voulu. Il cite comme partisans de cette dernière supposition Paulus, Kuinœl, Eichhorn, Storr, Mill, Matthæi, Feilmoser, Saunier, Maï, Scholz.]
1° Si le passage manque dans les deux plus anciens manuscrits que nous connaissons et qui toutefois ne remontent qu’au ive siècle : le manuscrit découvert par Tischendorf au couvent de Sinaï et celui du Vatican, soit א et B, il se trouve dans tous les autres manuscrits en lettres onciales ou majuscules, notamment dans deux du ve siècle : celui dit Alexandrin, qui est à Londres, et celui dit d’Ephrem, qui est à Paris, soit A et C. Il est vrai que dans un des manuscrits du viiie siècle (L) qui renferme ce passage, on rencontre encore une autre fin de l’Évangile, donnée parallèlement et beaucoup plus courte, mais dont personne du reste ne soutient l’authenticité — Il importe en outre de ne pas oublier que le texte du plus ancien manuscrit, surtout quand il s’agit d’une copie postérieure d’environ quatre siècles à l’écrit primitif, ne saurait être envisagé d’emblée comme étant nécessairement le texte le plus ancien et que les deux manuscrits א et B appartiennent à une même famille, la famille alexandrine, où n’apparaît point exclusivement l’intention de transmettre simplement un texte donné, mais où se manifeste au contraire la tendance à faire des corrections à tort ou à raison. M. Godet, qui a étudié de si près l’Évangile selon St. Jean, va jusqu’à dire au sujet du manuscrit א, tout premier en date qu’il soit : « Dans le cas où א se rallie à l’un des deux textes principaux, il se trouve trois fois sur quatre du côté des Alexandrins ; mais très souvent il marche tout à fait isolé, à tel point qu’il porte seul la responsabilité de près d’un tiers de la somme totale des variantes (214 sur 660). De toutes ces leçons qui lui sont propres, il n’y en a pas une qui ait droit à réclamer entrée dans le texte, et nous ne pensons pas exagérer en déclarant ce manuscrit le plus fautif de ceux que nous connaissons. »
2° Si le passage manque dans quelques manuscrits de la version arménienne et de la version éthiopienne, il est dans toutes les autres anciennes versions et particulièrement dans les deux qui sont les plus importantes pour la Critique : d’une part, dans la traduction syriaque qui remonte certainement au iie siècle et qui est si bien représentée par la Peschito et par les fragments récemment découverts par Cureton, et de l’autre, dans l’ancienne traduction latine appelée l’Itala, datant probablement du milieu du même siècle.
3° Le fragment est aussi mentionné de très bonne heure par les Pères. Tischendorf reconnaît lui-même que le v. 19 est cité par Irénée, mort en 202, — les v. 17-18, par Hippolyte (milieu du iiie siècle ; au commencement de l’ouvrage : περὶ χαρίσματων — les mêmes v. 17-18 et le v. 16, dans les Constitutions apostoliques (8.1.1 ; 6.15.3) ; — le v. 16, par Césaire, de Constantinople (ive siècle ; Dial. 4.193) ; — les v 16-18, par Jacques de Nisibe (ive siècle ; 1.13) — Tischendorf doute qu’on puisse voir une allusion au v. 9 dans le passage de Celse cité par Origène, où le fameux incrédule parle de l’apparition de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine et appelle celle-ci une femme frénétique (παροιστρῶσα) : or cette allusion paraîtra moins improbable si l’on réfléchit que cette injurieuse dénomination se rattache naturellement à ce que rapportent Marc et Luc de Marie-Madeleine, comme ayant été guérie de sept démons, et que ce v. 9 est le seul endroit du Nouveau Testament où cette guérison soit rapprochée de l’apparition de Jésus ressuscité dont Marie fut honorée en premier lieu — Tischendorf ne juge pas si sévèrement un autre témoignage allégué par les défenseurs de l’authenticité, à savoir un passage où Justin Martyr (Apol. 1.45) rappelle textuellement Marc 16.20, en disant que les Apôtres étant partis de Jérusalem annoncèrent Christ partout. — Or Celse, l’adversaire, et Justin, le martyr, nous transportent, comme l’avait déjà fait Irénée, au deuxième siècle.
4° Il est vraisemblable, selon Bleek, que déjà dans la seconde moitié du troisième siècle, le fragment manquait dans plusieurs manuscrits et qu’Ammonius n’en avait pas tenu compte dans son Harmonie évangélique, puisqu’Eusèbe, dont les Canons harmonistiques se rapportent à cet ouvrage, ne l’y avait pas non plus compris. Bleek reconnaît qu’il est difficile de s’expliquer ce qui a pu occasionner l’omission ou le rejet du passage. Il ajoute toutefois : « Peut-être fut-il omis d’abord dans un seul manuscrit, par une circonstance tout à fait fortuite, comme un manque de place sur le parchemin, et de ce manuscrit la lacune passa dans d’autres. D’autres raisons purent alors entrer en ligne de compte, en particulier la difficulté qu’on éprouvait à concilier Marc 16.9 : Ἀναστὰς δὲ πρωῒ πρώτῃ σαββάτου avec Matthieu 28.1 : Ὀψὲ δὲ σαββάτων, τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων, ce dernier passage étant interprété comme s’il y était parlé du samedi soir. Jérôme, Victor d’Antioche et d’autres mentionnent cette difficulté. » De Wette remarque que cette apparente divergence avait alors une importance toute spéciale à cause des discussions relatives à l’époque où l’on devait terminer le jeûne qui précédait la fête de la Résurrection (Comment. de l’Év. selon St. Marc).
[Comp. Godet, Conférences apologétiques : L’hypothèse des visions, 1869 : « La fin de Marc manque dans un certain nombre d’anciens manuscrits, mais il est évident que c’est le résultat, soit d’un accident arrivé à l’un des plus anciens documents, soit peut-être d’une interruption qu’a subie le travail de rédaction de l’auteur. En effet, dans la première partie de ce chapitre, qui ne manque dans aucun document, l’ange annonce aux femmes que Jésus est ressuscité, et qu’elles le verront, ainsi que les disciples, en Galilée. L’auteur avait donc très certainement l’intention de donner une place dans son écrit au récit de cette apparition. Il suffit de se rappeler que, d’après les plus antiques traditions, cet Évangile a été composé à Rome, au moment où Marc s’y trouvait avec St. Pierre, et où cet apôtre subit le martyre dans la persécution de l’Église par Néron, pour comprendre la possibilité d’une perturbation dans la rédaction ou la conservation de cet écrit. »]
5° Quelle que soit la valeur de cette hypothèse, il n’en demeure pas moins qu’il y a de très forts témoignages extérieurs en faveur de l’authenticité du passage. Une étude approfondie du passage lui-même nous semble encore plus propre à convaincre de cette authenticité.
On a relevé dans ces versets, il est vrai, plusieurs termes qui ne se trouvent pas dans le reste de l’Évangile ; on a dit qu’il était parlé v. 9 de Marie-Madeleine comme si elle n’avait pas été déjà nommée au commencement du chapitre ; on a dit encore qu’au commencement du chapitre, il est fait mention d’un rendez-vous donné par le Seigneur à ses disciples en Galilée, tandis que dans la fin du chapitre, il n’est pas fait mention de la Galilée. Mais toutes ces considérations nous semblent avoir très peu de force ou pouvoir même être tournées en faveur de l’authenticité : en effet, si les versets 9-20 n’étaient pas l’ouvrage de Marc, leur auteur n’aurait pas manqué de les rédiger en les faisant exactement cadrer avec le commencement du chapitre ou au moins en évitant tout ce qui pouvait faire disparate.
Nous pourrions aussi signaler dans ces versets plusieurs détails qui concordent avec certaines tendances générales du reste de l’Évangile. Ainsi la caractéristique de Marie-Madeleine, comme ayant été délivrée de sept démons, correspond bien à la préoccupation particulière du second Évangile au sujet de tout ce qui concernait les démoniaques et l’action exercée sur eux par le Seigneur. Ainsi encore, si nous comparons les versets 9-14 aux versets 17-18, nous retrouvons dans cette comparaison un contraste qui a été souvent relevé dans cet Évangile et en vertu duquel il est tour à tour extrêmement bref ou très détaillé : dans le chap. 1, par exemple, la tentation du Seigneur est racontée en un seul verset, tandis que sur d’autres points le récit est des plus circonstanciés.
Mais ce qui nous paraît plus important, c’est qu’il est impossible d’admettre que Marc ait voulu finir son Évangile avec le verset 8 ; — c’est qu’il serait souverainement invraisemblable que Marc eût dû laisser son Évangile inachevé de cette manière et que le fait n’eût été mentionné nulle part dans la tradition immédiatement postérieure ; — c’est enfin que les versets 9-20 terminent admirablement cet Évangile et que plus on les étudie, plus on discerne une profonde unité, soit en eux-mêmes, soit dans l’ensemble du chapitre, — unité d’autant plus remarquable qu’elle s’allie précisément avec un certain manque de symétrie extérieure et une vivacité de ton peu soucieuse parfois d’indiquer les transitions. En expliquant le chapitre, nous aurons l’occasion de la faire ressortir. Passons donc à cette explication.
Tandis que Matthieu avait dit : Après le sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre, les deux Marie allèrent voir le tombeau, Marc est beaucoup plus précis et il distingue entre ce que les saintes femmes firent immédiatement après le sabbat, c’est-à-dire le samedi soir, et ce qu’elles firent le dimanche matin : Immédiatement après le sabbat, dit-il, elles allèrent acheter des aromates, en se préparant à oindre le corps de leur divin Maître, et le dimanche, de très grand matin, elles se mirent en route pour le sépulcre. Non pas simplement pour le voir, ainsi que le raconte Matthieu, mais afin d’oindre le corps.
De plus, tandis que Matthieu ne parlait que de Marie-Madeleine et de Marie, mère de Jacques et de Joses, Marc nomme expressément Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, la mère des fils de Zébédée. Evidemment Marie, mère de Jacques, est la même que Matthieu appelle Marie, mère de Jacques et de Joses, et que Marc lui-même désigne dans le chapitre précédent, tantôt comme la mère de Jacques le petit et de Joses (v. 40), tantôt comme la mère de Joses (v. 47). On comprend facilement qu’elle pût être brièvement désignée comme la mère de Jacques, si l’on considère que Jacques, son fils aîné, était le seul de ses fils qui fût Apôtre.
Marc dit avec précision que le soleil s’était levé quand les saintes femmes arrivèrent au sépulcre. Elles étaient parties avant qu’il se levât, et c’est pendant qu’elles étaient en route que l’ange roula la pierre du sépulcre ; il semble donc que Jésus soit ressuscité au moment même du lever du soleil : nouvelle et sublime harmonie digne de Celui qui disait lui-même : Je suis la lumière du monde.
[On a prétendu quelquefois qu’il se trouve une divergence entre les divers récits de nos Évangiles sur le moment où les saintes femmes se rendirent au sépulcre. Matthieu disant : Comme le premier jour de la semaine commençait à luire, Marc : De très grand matin…, comme le soleil s’était levé ; Luc : Quand il faisait encore obscur, Jean : Le matin, pendant qu’il faisait encore obscur. Mais ce qui prouve qu’il n’y a point là de divergence réelle, c’est que s’il en existait une, elle existerait tout entière dans Marc 16.2, qui caractérise le moment où les femmes se rendirent au sépulcre, à la fois comme appartenant au très grand matin (λίαν πρωῒ) et comme étant postérieur au lever du soleil (ἀνατείλαντος τοῦ ἡλίου), sans qu’on puisse raisonnablement admettre que l’Évangéliste se soit contredit lui-même dans ce même verset. Il faut donc interpréter les différentes expressions qui s’y trouvent, ainsi que celles dont se servent les autres Évangélistes, de manière qu’elles soient en harmonie les unes avec les autres, et elles le sont en effet si l’on admet, ce qui nous semble très naturel, que les femmes quittèrent leurs demeures un peu avant le lever du soleil et arrivèrent au sépulcre un peu après. Cette interprétation est d’autant plus naturelle qu’à mesure que l’on approche de l’équateur, les crépuscules diminuent, de telle sorte qu’en Palestine, il y a moins d’intervalle que dans nos pays de l’Europe centrale, entre la dernière obscurité de la nuit et l’apparition de l’astre du jour. Ajoutons encore qu’il est d’ailleurs possible que toutes les saintes femmes n’aient pas quitté leurs demeures et ne soient pas arrivées au sépulcre précisément au même instant, que Marie-Madeleine, entre autres, soit arrivée la première ou une des premières.]
Comme les femmes se disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre hors de l’entrée du sépulcre ? elles furent extrêmement étonnées, en arrivant au sépulcre, de la trouver déjà roulée. Elles entrent dans le sépulcre et y voient un jeune homme assis sur la droite, vêtu d’une robe blanche. Epouvantées à cette vue, elles entendent bientôt ce jeune homme leur adresser la parole et leur dire : Ne vous épouvantez point, vous cherchez Jésus le Nazaréen, qui a été crucifié ; il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où ils l’avaient mis. Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.
D’après Marc, les femmes ont donc vu que la pierre était roulée, avant d’apercevoir l’ange ; de plus, elles n’ont aperçu l’ange qu’après être entrées dans le sépulcre ; de plus, elles l’ont vu dans le sépulcre, assis sur la droite.
Matthieu parle de l’ange comme étant assis sur la pierre, mais il le décrit tel qu’il était immédiatement après avoir roulé la pierre et tel qu’il apparut aux gardes. Rien n’empêche d’admettre que l’ange entra plus tard dans le sépulcre, qu’il s’y assit et que c’est alors que les femmes le virent, ainsi que Marc l’indique nettement.
Matthieu parle d’un ange resplendissant comme un éclair et portant un vêtement blanc comme neige, Marc parle plus simplement d’un jeune homme vêtu de blanc. — Pourquoi ne pas admettre que l’ange avait l’apparence d’un jeune homme et que les femmes ne virent que ses vêtements, n’osant pas regarder son visage ? (Luc 24.5 dit en propres termes qu’elles étaient effrayées et abaissaient leurs visages vers la terre.)
Remarquons que d’après Marc, l’ange parle spécialement de Pierre, après avoir parlé des disciples : Dites à ses disciples et à Pierre. Cette mise en saillie de Pierre en cette occasion s’explique facilement, en regard du triple reniement dont il venait de se rendre coupable. Et si Marc est seul à transmettre ce touchant détail, cela doit d’autant moins nous étonner que nous savons qu’il y eut des rapports intimes entre Pierre et lui (1 Pierre 5.13) — et que d’après la tradition, Marc, en écrivant son Évangile, aurait eu principalement en vue de transmettre ce qu’il avait entendu raconter à l’Apôtre, de la vie du Seigneur.
Quand les saintes femmes eurent entendu l’ange, elles s’enfuirent du sépulcre, dit St. Marc, car le tremblement et l’effroi les avaient saisies, et elles ne dirent rien à personne, tant elles avaient peur. Ainsi, d’après cet Évangéliste, Jésus ne leur apparaît point quand elles retournent à Jérusalem, elles sont encore si effrayées qu’elles ne s’acquittent point de la commission dont elles avaient été chargées, et ne disent rien aux disciples. — Mais après avoir ainsi raconté l’apparition de l’ange, Marc parle des apparitions du Seigneur qui eurent lieu le même jour : or la première de ces apparitions fut une apparition à Marie-Madeleine, et après cette apparition, Marie-Madeleine s’empressa d’en avertir les disciples, de telle sorte que d’après Marc, une des saintes femmes eut ce même jour une apparition du Seigneur et en fit aussitôt part aux disciples. N’entrevoyons-nous pas déjà comment s’expliquera la contradiction apparente que présentent ici Matthieu et Marc ?
La première apparition de Jésus ressuscité eut donc lieu, d’après Marc, à Marie-Madeleine seule ; la seconde fut pour deux disciples qui se trouvaient réunis à leurs collègues lorsque Marie-Madeleine vint annoncer qu’elle avait vu le Seigneur, et qui étaient ensuite sortis de Jérusalem pour se rendre à la campagne ; la troisième fut pour les onze eux-mêmes, lorsqu’ils étaient à table, après le retour des deux disciples annonçant qu’eux aussi venaient de voir le Seigneur.
L’Évangéliste ne donne presque aucun détail sur chacune de ces apparitions. Il se borne à rappeler, au sujet de la première, que Marie-Madeleine avait été guérie par le Seigneur, qui avait chassé d’elle sept démons ; au sujet de la seconde, que Jésus apparut aux deux disciples sous une autre forme qu’à Marie-Madeleine, expression très vague et très obscure, sur laquelle nous ne tarderons pas à recevoir d’amples explications. Mais ce que Marc relève au sujet de chacune de ces apparitions, c’est l’incrédulité des disciples ; ainsi v. 10 et 11 : Marie-Madeleine s’en alla l’annoncer à ceux qui avaient été avec lui et qui étaient dans le deuil et les larmes ; et eux, en entendant dire qu’il vivait et qu’il avait été vu par elle, ne crurent point. — v. 13 : Et les deux disciples s’en allèrent l’annoncer aux autres, et ceux-ci ne les crurent pas non plus. — v. 14 : Et il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur, pour n’avoir pas cru ceux qui l’avaient contemplé ressuscité.
Il y a là évidemment une intention de l’Évangéliste et nous pouvons déjà la remarquer au v. 8, dans ce qui est dit de la conduite des femmes qui reçurent de l’ange l’ordre d’avertir les disciples de la résurrection de leur Maître et qui par peur ne s’acquittèrent point de leur mandat au moment où elles auraient dû le faire. Peut-être même faut-il remarquer cette intention de l’Évangéliste plus haut encore : au v. 1, où il est rapporté que les saintes femmes achetèrent des aromates afin d’oindre le corps du Seigneur le dimanche matin, s’il est vrai qu’elles auraient dû se préparer pour ce jour-là, non pas à oindre le corps de leur Maître, mais à attendre sa résurrection. C’est ainsi que le second des Évangélistes explique déjà abondamment l’obscure parole du premier : Matthieu 28.17 … mais il y en eut qui doutèrent. L’explication deviendra plus large encore lorsque nous étudierons les deux autres Évangiles.
Au récit de la troisième apparition du Seigneur, Marc rattache immédiatement par un simple : et il leur dit, les dernières instructions du Seigneur à ses disciples. Nous retrouvons ici quelques-unes des solennelles paroles rapportées par Matthieu, mais assez modifiées, quoique ces modifications soient sans importance. C’est ainsi que, tandis que nous lisons dans Matthieu : Allez et instruisez toutes les nations, baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit ; nous lisons dans Marc 16.15 : Allant dans tout le monde, annoncez l’Évangile à toute créature ; v. 16 : Celui qui aura cru et aura été baptisé sera sauvé, mais celui qui n’aura pas cru sera condamné. — Les premières et les dernières paroles selon Matthieu : Toute autorité m’a été donnée au ciel et sur la terre… Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du temps, ne se retrouvent point dans Marc. En revanche nous y lisons, v. 17 : Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles ; v. 18 : ils saisiront des serpents ; lors même qu’ils boiraient quelque breuvage mortel, il ne leur nuira point ; ils imposeront les mains aux malades et les malades guériront. — Il y a plus encore, Marc continue en disant : v. 19 : Et tandis que le Seigneur, après leur avoir ainsi parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu, v. 20 : eux partant, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux, et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient.
Le commencement du v. 18 rappelle Luc 10.19 : Voici, je vous donne le pouvoir de marcher sur les serpents, sur les scorpions et sur toutes les forces de l’ennemi, et rien ne pourra vous nuire. On n’est donc point tenu de l’interpréter dans un sens exclusivement littéral. Le sens littéral et le sens figuré sont réunis d’une manière bien plus évidente encore dans l’admirable réponse de Jésus aux délégués de Jean-Baptiste : Matthieu 6.5 ; Luc 7.22.
Il y a une intime liaison entre les versets 15-18 et le verset 20. Les premiers rapportent la prophétie et les seconds son accomplissement. Les versets 19 et 20 ne sont pas moins liés entre eux : c’est parce que le Seigneur a été enlevé dans le ciel et s’est assis à la droite de Dieu, qu’il a coopéré avec ses disciples, en confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient.
Si nous n’avions que le second des Évangiles, nous pourrions penser que Jésus a donné ses dernières instructions à ses disciples après leur être apparu pour la première fois, qu’il ne les revit point en Galilée, comme il le leur avait fait annoncer par l’ange (v. 7), et qu’il fut enlevé dans le ciel le jour même de sa résurrection ou dans la nuit qui la suivit. Cependant ici encore, les autres Évangiles nous rapportent qu’il n’en fut point ainsi et il est très possible de rattacher à leurs données celles de Marc, dès que l’on reconnaît que cet Évangéliste ne se proposait nullement d’être complet et précis dans la détermination des temps et des lieux. Ce qu’il recherche surtout dans ce chapitre, c’est de montrer comment les disciples arrivèrent à croire à la résurrection de Jésus, et, devenus croyants, virent se réaliser en leur personne les grandes promesses que Jésus avait faites à ceux qui croiraient. L’idée de l’incrédulité se transformant en foi vivante et féconde, semble l’idée-maîtresse de tout le chapitre, et sous ce rapport Marc est ici aussi préoccupé du point de vue subjectif que nous avons vu le point de vue opposé prédominer dans Matthieu.
Constatons enfin que Marc rapporte expressément l’ascension de Jésus : il fut enlevé au ciel, dit-il. Et il continue en disant : et s’assit à la droite de Dieu. Par cette expression empruntée au Psaume 110 et que Jésus s’était solennellement appropriée dans la séance du Sanhédrin où il fut condamné, Marc désigne la glorification suprême de Jésus et le souverain pouvoir qu’il reçut alors du Père céleste, en étant comme associé par lui au gouvernement de l’univers.
Si Matthieu ne dit point proprement que Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu, il parle cependant et dans les termes les plus forts, des conséquences qui devaient résulter pour Jésus de son ascension, il décrit le pouvoir qui était inhérent à la souveraine dignité figurément dépeinte par la séance à la droite de Dieu. Toute autorité m’a été donnée au ciel et sur la terre, dit Jésus, … voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du temps.
Résumons maintenant les principales données de Marc sur la résurrection de Jésus-Christ :
- Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé se rendent au sépulcre pour oindre le corps de Jésus et trouvent le sépulcre vide, mais un ange leur apparaît et leur annonce que Jésus est ressuscité.
- Jésus apparaît le même jour à Marie-Madeleine,
- puis à deux disciples se rendant de Jérusalem à la campagne,
- le même jour encore aux onze réunis.
- Après leur avoir donné ses dernières instructions, Jésus est enlevé dans le ciel et s’assied à la droite de Dieu.