Il n’y a rien à dire sur les dimensions ou l’étendue matérielle du texte. Quant à son étendue logique, nous recommandons l’intégrité et l’unité. Claude a donné la règle suivante :
Il faut que le texte renferme l’idée complète de l’écrivain auquel il est emprunté ; car c’est son langage, ce sont ses sentiments dont nous devons compte à nos auditeurs. Par exemple, si vous prenez ces mots de 2 Corinthiens 1.3-4 : Béni soit Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ, le père de miséricorde et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toutes nos afflictions, afin que, par la consolation dont Dieu nous console nous-mêmes, nous puissions aussi consoler les autres, dans quelque affliction qu’ils se trouvent ; – et que vous vous arrêtiez après ces mots : le Dieu de toute consolation, vous avez un sens complet, mais non pas le sens complet de l’apôtre. Que si vous allez plus loin et que vous ajoutiez : qui nous console dans toutes nos afflictions, vous n’avez pas encore le sens complet de saint Paul, vous n’embrassez pas toute sa pensée ; il faut aller jusqu’à la fin du quatrième verset. Quand l’idée de l’auteur sacré est embrassée, vous pouvez vous arrêter ; car il y a peu de textes de l’Écriture sainte qui ne fournissent la matière d’un sermon, et il convient également mal d’embrasser trop et d’embrasser trop peu ; il faut éviter les deux extrêmes.m
m – Claude, Traité de la composition du sermon, dans le tome I des œuvres posthumes.
Je n’adopte pas la règle de Claude. Je me contente, en général, d’un sens complet en soi, pourvu qu’il soit conforme à la pensée de l’écrivain sacré.
La règle de Claude, dans l’application, se déborderait elle-même, en nous entraînant à embrasser un sens plus que complet, ce qui arrive lorsque, dans saint Paul par exemple, plusieurs pensées s’enchaînent les unes aux autres, non par leur côté le plus large, mais par leur extrémité, par leurs parties terminalesn.
n – Si cette règle s’appliquait à des écrivains réguliers dans leur style, l’inconvénient serait nul ; mais nous avons à faire à d’autres écrivains. Leurs périodes souvent manquent à la loi d’unité des rhéteurs. Nous craignons d’autant moins de l’avouer, que nous y voyons une beauté en tant qu’elle révèle une grande effusion de cœur. Si Paul et Pierre sont tombés dans ce défaut par négligence, cependant, en voyant le principe de cette irrégularité, on admire et on se tait. Dans chacune de leurs pensées, leur charité aurait voulu embrasser toutes les pensées du christianisme, tous les intérêts de leurs auditeurs.
Même lorsqu’il n’en est pas ainsi, il serait bien dommage de ne pouvoir prendre une des propositions dont se compose une période, pour l’envisager à part.
On reconnaîtra facilement les cas où l’on serait incomplet, insuffisant, en n’allant pas jusqu’au terme de la phrase de l’auteur. Pour moi les passages suivants sont de ce nombre : 1 Corinthiens 13.13 ; 2.9 ; Philippiens 2.12-13 ; 4.6-7.
En serait-il de même du passage cité par Claude ? – En serait-il de même de 1 Timothée 6.13-16, de Ephésiens 1.7-10, de Hébreux 12.1-2, ou de Hébreux 12.15 ? – Ce serait se mettre à la merci d’un accident de phraséologie, d’une conjonction (car, donc, et), d’un rien. – Voir Jean 14.21. Ce serait s’interdire certains textes formés de peu de mots suspendus à la phrase, et ne formant pas une proposition, comme Ephésiens 5.10 : Examinant ce qui est agréable au Seigneur ; et 1 Pierre 5.7 : Vous déchargeant sur lui de tous vos soucis.
Une idée importante, très proportionnée à un sermon, est souvent enfermée dans un appendice de phrase. Ainsi 1 Timothée 1.15 : … Pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. – Romains 1.31 : Sans intelligence, sans foi, sans affection naturelle, implacables, sans compassion. – 2 Timothée 3.3 : Sans affection naturelle, sans fidélité, calomniateurs, incontinents, cruels, ennemis des gens de bieno.
o – Je ne compte pas dans ce nombre les mots : Dans un peu de temps, (Jean 16.16-23.) sur lesquels Harms a fait un sermon dont il expose ainsi le plan : Le mot : Dans peu de temps, considéré dans sa divine énergie.
1. Il égaye les affligés.
2. Il maintient la joie dans les cœurs joyeux.
3. Il excite la lenteur.
4. Il trouble l’insouciance.
5. Il soutient ceux qui combattent.
6. Il affermit ceux qui trépassent.
La règle de Claude me paraît vague ou inapplicable. Je crois qu’on trouve un sens complet, et conséquemment un texte, dans toute série de mots d’où ressort pour tout esprit attentif une proposition, et qui se suffit à elle-même, c’est-à-dire, qui n’a pas besoin, pour présenter un sens vrai, des mots qui précèdent ou qui suivent.
C’est sans doute un devoir d’examiner avec soin si les idées plus particulières, les additions que l’auteur a rattachées à son idée principale, ne la complètent pas, ne la présentent pas dans tout son jour, n’écartent pas les équivoques ou les préventionsp, etc. – Nous ne combattons que la règle qui ferait dépendre la circonscription d’un texte de quelque circonstance purement accidentelle. S’il ne faut pas confondre les textes avec les phrases et les périodes, et l’unité logique avec l’unité grammaticale, il ne faut pas croire non plus que le texte s’arrête où s’arrête le sens grammatical, ni même où se clôt l’unité logique. Plusieurs unités logiques peuvent former ensemble une unité plus grande, et il est impossible de dire d’avance et d’une manière absolue quelles sont les limites d’un vrai texte. Un même texte en peut fournir dix ; dix textes en peuvent former un. L’art de découper un texte, l’art de grouper plusieurs textes en un seul, mériterait d’être approfondi.
p – Voyez les exemples cités plus haut: 1 Corinthiens 2.9 ; 13.13 ; Philippiens 2.12-13 ; 4.6-7.
C’est ainsi que dans le passage Matthieu 5.3-10, chaque béatitude forme un texte particulier ; mais on pourrait aussi les réunir en un seul texte. Celui de Jean 4.31-38 présente trois traits du caractère de Jésus-Christ : une sublime préoccupation (il oublie de manger), une sublime impatience (les campagnes sont prêtes), une sublime abnégation (l’un sème et l’autre moissonne). De tout cela on pourrait faire trois sujets distincts.
Le docteur Busch a traité dans un sermon le passage de Luc 10.23-37q. Là, la première parole de Jésus-Christ : Bienheureux sont les yeux qui voient ce que vous voyez, est représentée comme ayant provoqué la question du pharisien. L’erreur de cet homme est accompagnée d’une intention pure. Jésus-Christ répond à sa question par une question nouvelle. À la réponse du pharisien : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, etc., Jésus-Christ réplique : Tu as bien répondu. L’orateur montre qu’en effet le pharisien a bien répondu. Mais en présence et sous l’influence de Jésus-Christ, cette réponse, en apparence si tranquillisante, ne le tranquillise pas. Il se doute que s’il a bien répondu sur la loi, il n’a pourtant pas bien accompli la loi. Désirant sérieusement être justifié devant Dieu, il veut remplir le précepte de l’amour du prochain de la manière et dans le sens que Dieu veutr. Là-dessus vient l’histoire du Samaritain. L’auteur cherche quelle impression cette histoire, si belle en tout temps et pour tout le monde, a dû produire sur cet homme dans ces circonstances. Puis il passe à la réponse du pharisien, dont il fait valoir les expressions, qui montrent, selon lui, que son cœur était touché. Son cœur est ouvert à l’amour du prochain ; mais cet amour suppose l’amour de Dieu, tel que le prescrit le premier commandement. Comme le pharisien n’a pas encore fait l’expérience d’un tel amour du prochain, notre Seigneur le lui montre dans un fait et finit par lui recommander de le reproduire. Puis une application à nous, qui avons besoin que Jésus-Christ nous enseigne de même ; et enfin la réponse à cette objection : Si de véritables bonnes œuvres nous sont impossibles, si donc nous ne pouvons être sauvés par nos œuvres, comment cela se concilie-t-il avec les réponses de Jésus-Christ au pharisien : Tu as bien répondu ; va et fais de même. ?
q – Voyez le recueil de sermons de divers auteurs, publié par Fliedneb et Leipoldt en faveur de l’Église évangélique de Karlshuld, dans le Donaumoos, sous le titre : Ein Herr, ein Glaube. Barmen, 1837, page 352.
r – Quant au premier commandement il ne fait point de question. Pourquoi ?
Le docteur Julius Müller peut également être cité ici pour son sermon sur Matthieu 17.1-18 :
Le récit de notre texte, dit-il, commence par la relation d’un des événements les plus sublimes et les plus merveilleux de la vie de Jésus-Christ, sa transfiguration sur une montagne de la Galilée, et l’apparition de Moïse et d’Elie dans la lumière de gloire qui l’environne. Ce récit nous conduit ensuite vers les trois disciples qui furent témoins de l’événement, nous retrace leur ravissement et leur effroi, et nous donne quelque idée de la sainte émotion de leur cœur en redescendant de la montagne. Enfin, nous sommes transportés au milieu de la foule qui couvre la plaine, et nous assistons à l’un de ces spectacles douloureux que donnent le péché et la misère humaine. Ainsi notre histoire descend, pour ainsi dire, par degrés, des lumineuses hauteurs de la gloire de Jésus-Christ, jusque dans l’obscure vallée de la bassesse humaine. Nous allons renverser cet ordre dans notre méditation de ce jour. Au lieu de descendre, nous monterons, et nous envisagerons trois degrés de la vie chrétienne : le premier, celui du trouble, de l’hésitation et de la perplexité ; le second, celui de la connaissance béatifique de Jésus-Christ et de l’abandon intime à sa volonté ; le troisième, celui de la communion parfaite avec Jésus-Christ.
Il ne faut pas, à première vue, accuser de duplicité des textes qui, mieux considérés, révéleront l’unité qui ne peut pas manquer d’avoir été dans l’intention de l’écrivain sacré, lequel n’a pas réuni deux choses sans savoir pourquoi. Il faut chercher cette unité. – J’ai déjà cité 1 Thessaloniciens 5.15 et Ephésiens 4.28. Dans 1 Timothée 2.28 : Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant au ciel des mains pures, sans colère et sans contestations, [la pensée commune est le conseil donné aux persécutés d’opposer la prière aux maux qu’ils endurent. Cette pensée n’est pas exprimée directement ; mais l’apôtre, s’il ne l’a pas eue présente à l’esprit, a du moins écrit sous son influence.] Tholuck [a recherché l’unité d’intention de l’apôtre dans] Hébreux 12.14 : Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur. – Il y a, dit-il, trois choses dans notre texte : deux exhortations et une menace, laquelle peut aussi s’entendre comme une promesse, (menace pour les uns, promesse pour les autres)… Certainement l’apôtre n’aurait pas réuni ces deux exhortations, l’une à la paix, l’autre à la sanctification, s’il n’avait pas regardé la sanctification comme la racine de cette paix qu’il recommande d’entretenir avec tous les hommes.
– On pourrait trouver l’unité du texte dans une autre idée : La paix sauf la sanctification. – Lui : La paix par la sanctification. – Voyez encore Jacques 1.7 (Cf. 1 Corinthiens 4.20).