Législation de Constantin. — Il s’arroge le pouvoir sur l’Église. — Les Donatistes. — Les chrétiens se massacrent entre eux.
Les édits de Milan ne déclaraient pas le christianisme religion d’État ; ils se bornaient à le reconnaître au même titre que le paganisme et le judaïsme. Mais lorsque, en 315, Licinius, d’allié devenu ennemi, eut été vaincu, Constantin s’institua le patron de la religion nouvelle. A vrai dire, il ne devint pas membre de l’Église et ne se laissa baptiser que sur son lit de mort. Mais, aussi bien dans la vie publique que dans la vie privée, il s’identifia avec le parti chrétien. Il ne cacha pas ses sentiments hostiles au culte païen, engagea ses sujets à se rattacher au christianisme et réserva ses faveurs aux chrétiens. Il professa de considérer comme sa plus haute mission « d’amener toutes les nations à l’unité de vues en matière religieuse, et de rendre la santé au monde maladea. »
a – Lactance, De Mort. Persec., chap. 48. — Lettre à l’évêque Alexandre et à Arius, dans Eusèbe, Vie de Constantin, liv. II, cbap. 63.
Les lois de Constantin, qui furent le résultat du triomphe du christianisme, marquent un moment important de l’histoire du monde. Les combats de gladiateurs sont interdits. Cette interdiction reste, il est vrai, à l’état de lettre morte dans l’empire en général, et il faudra trois quarts de siècle avant que cette horrible excroissance de la civilisation romaine disparaisse réellement. Mais, du moins, dans la nouvelle capitale de l’empire, il n’y aura pas d’amphithéâtre. La crucifixion n’est plus infligée ; l’infanticide et le vol d’enfants sont réprimés ; l’émancipation des esclaves, même, est encouragée. Il ne devra plus y avoir des sacrifices officiels aux dieux, plus de rites païens obscènes, plus de divination secrète.
[Voy. Vie de Constantin, liv. III, chap. 52 à 66. — Il y raconte la destruction du temple et du bois dédiés à Vénus sur le mont Liban, de son autel à Héliopolis (auj. Baalbek, en Cœlé-Syrie) et de l’un des temples d’Esculape.]
Constantin prescrit en outre la célébration du premier jour de la semaine dans l’empire entier. On ne devra, ce jour-là, traiter aucune affaire, exercer aucun négoce, aucune industrie. Il fait composer pour l’armée une formule de prière à l’Être suprême, et, tous les dimanches, les soldats chrétiens ou païens devront la dire.
[Vie de Constantin, liv. IV, chap. 20. Voici cette prière : « Nous te reconnaissons, ô Dieu, comme le seul Dieu ; nous avouons que tu es notre Roi, et nous invoquons ton aide. Par toi, noue avons obtenu des victoires ; par toi, nous avons triomphé de nos ennemis ; à toi, nous devons notre bonheur présent, et nous espérons que tu voudras bien nous bénir encore de la même manière. Nous te supplions tous humblement de protéger notre très gracieux et victorieux empereur Constantin et tous ses enfants. »]
Mais, dès que Constantin commença à faire des distinctions en faveur des chrétiens et à leur réserver ce qui était le bien commun de tous, dès qu’il fit profession de se mettre à leur tête, il dépassa ses droits de chef de l’Etat et s’arrogea une prérogative qui n’appartenait qu’à Christ. Citons comme exemples d’actes de ce genre la dotation d’églises chrétiennes au moyen de confiscations faites aux temples païens ou de fonds appartenant aux municipalités, le don à l’Église et au clergé d’une partie du blé et autres redevances en nature levées par les officiers du fisc, ou encore le don d’une partie des tributs prélevés sur les peuples vaincus, enfin l’exemption des membres du clergé de toute fonction civile. Il se proposait même d’affranchir les biens ecclésiastiques de tout impôt. Mais cette loi fut abrogée plus tard. Deux autres mesures, non moins révolutionnaires, furent fécondes en résultats fâcheux. La première fut la permission donnée aux parties en litige de porter leurs procès devant les évêques et non devant les tribunaux civils, et l’ordre donné aux gouverneurs et aux autorités militaires de faire observer les décisions épiscopales ; la seconde, le droit accordé au clergé d’accepter des legs et de posséder des biens-fonds. « L’empereur eût-il donné au clergé deux provinces, fait remarquer Milman, c’est à peine si ce don eût équivalu à ce que cette autorisation devait produire. Ce sera désormais presque un péché de mourir sans faire quelque legs pieux, et un siècle ne se passera pas sans que la loi doive intervenir pour réprimer la prodigalité des chrétiens fervents, tant la richesse du clergé sera devenue énormeb. » Les conséquences de ces dispositions furent aussi mauvaises qu’on pouvait le craindre, et plusieurs personnes riches sollicitèrent l’ordination, pour jouir des immunités et des privilèges attachés aux fonctions sacerdotales. L’empereur s’alarma ; il comprit que des mesures nouvelles devaient être prises pour sauvegarder les intérêts de l’État. Il interdit l’entrée dans les ordres à tous ceux que leur situation qualifiait pour remplir des fonctions municipales, ou autres du même genre, et — par un nouvel abus d’autorité — priva de leurs dignités ecclésiastiques tous ceux qui avaient eu recours à ce moyen d’éviter l’accomplissement de leurs devoirs civiques.
b – Milman, III, 273, 274. — Sozomène, H. E., liv. I, chap.8-9 ; liv. V, chap. 5. — Robertson, Hist. of the Church, I, 182,183 ; Bingham, Antiq. of the Church, liv. V, chap. 3.
Quant à l’ingérence de Constantin dans les affaires ecclésiastiques proprement dites, elle se manifeste dès l’an 313. La province de Numidie étant plongée dans une détresse extrême par suite des déprédations de Maxence, Constantin envoie une somme importante destinée au soulagement des « catholiques », c’est-à-dire des partisans de l’évêque Cæcilius ; mais il ordonne en même temps de n’y point faire participer ceux que Cæcilius considérait comme hérétiquesc. Ceci nous amène à parler des Donatistes.
c – Eusèbe, X, 6 ; Robertson, I, 191. — Il décida aussi que le clergé catholique de la province serait entièrement affranchi de toute charge civile.
L’origine du Donatisme remonte à la persécution de Dioclétien. Il semble être né d’un esprit de parti et de schisme. Mais ce n’est là, toutefois, que la cause accidentelle de sa naissance. Le désir de voir renaître dans les usages, la discipline et la doctrine de l’Église, la pureté des anciens jours, était ardent chez plusieurs, et il n’attendait qu’une occasion pour se manifester. Les Donatistes eurent le grand tort d’invoquer l’aide de l’empereur. Mais plus tard, lorsqu’ils comprirent plus clairement le vrai caractère et la vraie position de l’Église dans ce monde, lorsqu’ils virent dans quels embarras cette union avec l’État les avait entraînés, ils rendirent, par leur opposition ferme et constante à l’ingérence de l’État en matière ecclésiastique, un réel service à la vérité. On peut dire qu’ils ont été, au ive siècle, les successeurs des Novatiens, comme ceux-ci avaient été, au iiie, ceux des Montanistes du iie.
En 305, un synode d’évêques de Numidie — ils étaient douze environ — fut tenu à Cirta, sous la présidence de l’évêque Secundus, de Tigisis. On y convint de remplacer un évêque qui était tombé durant la persécution. Mais, dans le cours des débats, il devint manifeste que tous les évêques présents avaient plus ou moins de reproches à se faire. L’un avait livré les Écritures ; un autre avait offert de l’encens aux dieux ; un troisième avait donné des papiers sans importance au lieu de manuscrits des Livres saints. Une accusation de la plus grande gravité pesait sur un quatrième, l’évêque Purpurius : on l’accusait d’avoir assassiné ses deux neveux. Et comme tous avaient les yeux fixés sur lui, Purpurius, se tournant vers Secundus, lui dit d’un ton plein de colère : « Penses-tu m’effrayer comme tu en as effrayé d’autres ? Non seulement j’ai tué, mais je suis disposé à tuer encore tous ceux qui me porteront ombrage. Ne me pousse pas à bout, ou bien je dirai ce que tu as fait lorsque le curateur t’a demandé de remettre les Livres sacrés. » Le neveu de Secundus intervint alors et dit à son oncle : « Tu vois qu’il est sur le point de nous quitter et de créer un schisme ; non seulement lui, mais tous les autres. Tu entends ce qu’ils te reprochent, ils s’uniront et te condamneront. Toi seul, alors, seras hérétique. » Secundus sentit la force de ce raisonnement et consentit enfin à ce qu’il avait refusé tout d’abord, c’est-à-dire à laisser tout le passé tomber dans l’oubli, chacun devant répondre devant Dieu de ses propres actes. Cette décision fut accueillie par ce cri unanime : Grâces soient rendues à Dieud.
d – Optatus, Du schisme des Donatistes, I, 39. Cooper, Free Church, 357.
Nous avons déjà donné un exemple de la fraude pieuse consistant à livrer des écrits hérétiques au lieu de Livres saints. Mensurius, évêque de Carthage, en agissant ainsi, s’était attiré le blâme des plus rigides. Mais ce qui souleva surtout contre lui le mécontentement des mal intentionnés fut sa ferme et prudente conduite vis-à-vis de ceux qui ne savaient pas garder de justes bornes dans leur respect pour le martyre. Il vit qu’il y avait, parmi les soi-disant martyrs, des gens dont le caractère ne supportait pas l’examen, des débiteurs insolvables, des paresseux et des fanatiques, qui se faisaient nourrir par des dévots dépourvus de jugement. Tous ses efforts et ceux de son archidiacre Cécilien tendirent donc à montrer combien les objets de ce respect exagéré en étaient indignes.
L’orage couva tant que Mensurius vécut ; dès qu’il fut mort, en 311, il éclata sur son successeur Cécilien, dont l’ordination, assuraient à tort ou à raison ses adversaires, était sans valeur, parce qu’elle avait été présidée par un traditor, l’évêque Félix. A la tête de l’opposition se trouvait une riche dévote de Carthage nommée Lucilla, que Cécilien avait mortellement offensée en lui reprochant son habitude d’embrasser les ossements d’un prétendu martyr avant de communier. La Numidie devint le principal foyer du mécontentement. Secundus, de Tigisis, vint à Carthage, avec soixante-dix évêques, et somma Cécilien de comparaître devant eux. Il s’appuyait sur la nullité de son ordination, pour la cause déjà indiquée, ajoutant qu’elle était irrégulière, en tout cas, puisqu’elle aurait dû avoir lieu en présence des évêques de Numidie et par les mains de leur primat. D’autres accusations encore étaient portées contre lui. Cécilien refusa de comparaître devant des juges aussi prévenus, mais il offrit, si sa consécration était vraiment sans valeur, de se faire consacrer de nouveau par eux. « Qu’il vienne donc recevoir de nous l’imposition des mains, se serait alors écrié Purpurius, et nous lui briserons ensuite la tête pour son châtiment ! » Les évêques de Numidie excommunièrent Cécilien et nommèrent évêque de Carthage à sa place un lecteur nommé Majorinus, appartenant à la maison de Lucillae. Cette décision provoqua une scission dans l’Église du nord de l’Afrique, désormais divisée en deux camps hostiles : Cécilien et ses adhérents ; Majorinus, ou plutôt Donatus, évêque de Casse Nigræ, devenu chef du parti, et les siensf.
e – Robertson, I, 190, 191. — Dict. Christ. Biog., art. Lucilla. On dit que Lucilla obtint la nomination de Majorinus en subornant les évêques de Numidie.
f – Casæ Nigræ, les Cabanes Noires. Il s’agit sans doute du siège épiscopal d’un diocèse missionnaire situé sur l’extrême limite du monde civilisé.
Cécilien avait été reconnu évêque de Carthage par l’empereur ; aussi les Donatistes en appelèrent-ils à leur tour à l’empereur. Sur cet appel, d’une grande importance historique, quelques détails nous ont été conservés. Les appelants remirent entre les mains du proconsul Anulinus un paquet de papiers scellés, enfermés dans un sac de cuir, et sur lequel ils avaient écrit : « Décision de l’Église catholique, présentée par ceux qui sont en communion avec Majorinus, établissant les crimes de Cécilien. » Avec le paquet se trouvait une pétition, dont voici les dernières lignes : « Nous nous adressons à vous, très excellent prince, parce que vous êtes d’une famille illustre par son équité, et le fils d’un père qui ne nous a point persécutés comme le faisaient les autres empereurs, ses collègues. Puis donc que le pays des Gaules n’est pas tombé dans le péché de livrer les saintes Écritures, et puisqu’il y a des dissensions entre nous et les autres prélats africains, nous supplions votre Piété de soumettre notre différend à des juges choisis en Gaule. »
Si l’on excepte le cas de Paul de Samosate, où les évêques invoquèrent l’aide d’Aurélien, pour forcer cet arrogant prélat à laisser la place libre à son successeur, c’est la première fois que l’Église demande l’aide de l’État pour le règlement de ses affaires intérieures. Précédent fatal ! début d’une alliance impie, où l’Église devait être le plus cruellement lésée !
Constantin, d’abord mécontent de cet appel à son intervention, ne tarda pas à accepter la situation qui lui était faite par les schismatiques et se constitua juge entre les partis rivaux. Il était à ce moment-là sous l’influence d’un homme qui occupa longtemps une haute position dans l’Église occidentale, Osius, évêque de Cordoue, en Espagne. Constantin semble même avoir considéré comme son devoir d’empereur et de souverain pontife de régler les disputes qui pouvaient s’élever dans l’Église.
[Osius (256-351) avait été un des confesseurs durant la persécution de Dioclétien. On sait peu de chose sur sa vie. Mais ses relations intimes avec Constantin, le rôle prépondérant qu’il eut — on le verra — dans le grand concile de Nicée, comme aussi dans celui de Sardique, permettent de voir en lui un homme particulièrement éminent. Cf. Stanley, Eastern Church, p. 111, 244, etc. — Le Pontifex Maximus, ou chef des pontifes, était le plus haut dignitaire ecclésiastique de l’ancienne Rome. Il était le juge suprême on matière religieuse. Lorsque l’empire succéda à la forme républicaine, l’empereur prit le titre et la charge de souverain pontife, comme il prenait aussi toutes les autres dignités supérieures de l’empire. Devenus chrétiens, les empereurs n’en conservèrent pas moins, jusqu’à Gratien (367-383), qui fut le premier à le refuser, le titre de souverain pontife.]
« Je ne crois pas, devait-il dire plus tard au sujet de cette même affaire, qu’il me soit permis de tolérer ces divisions et ces disputes. Elles ne peuvent qu’attirer la colère de Dieu sur l’État et sur moi-même, que Dieu a chargé du soin et de la direction de toutes choses sur terre. » Et dans une autre lettre : « Je ne pense pas pouvoir, sans commettre le plus grand des crimes, fermer les yeux sur ce qui est mal. Aucun devoir n’est plus impérieux pour moi — si toutefois j’ai souci de remplir mes devoirs de prince — que celui d’extirper toutes les erreurs que la témérité des hommes peut faire naître, et de maintenir l’union et la concorde parmi les fidèles. » Dans une circonstance analogue, il montra pourtant la plus grande indignation « d’avoir été établi juge, lui qui était justiciable de Christ, » et reprocha à ceux qui l’avaient fait « d’avoir agi comme des païens en lui demandant de régler leurs disputes religieuses ». Au reste, Constantin n’avait pas réfléchi aux conséquences de son acceptation du rôle d’arbitre, et il eut lieu de s’apercevoir qu’il n’était pas sans aspérités. Les interminables querelles entre évêques, les disputes sur ce qui était hérétique ou non, ne lui laissèrent plus désormais un jour de repos.
Les partisans de Majorinus, on s’en souvient, avaient demandé que leur cause fût soumise aux évêques des Gaules. Un concile ou synode fut, en conséquence, réuni d’office à Rome, dans le palais de Latran, en octobre 313. Seulement, aux trois seuls évêques gaulois convoqués, on en ajouta quinze d’Italie, et la présidence fut donnée à Miltiade (ou Melchiades), évêque de Rome. Cécilien arriva avec dix évêques de son parti ; Donatus, avec un nombre égal du sien. Le synode donna gain de cause à Cécilien. Miltiade proposa un compromis, mais Donatus et ses amis le repoussèrent dédaigneusement et en appelèrent à l’empereur. Celui-ci consentit à les entendre ; mais, avant de convoquer un nouveau concile à cet effet, il fit faire à Carthage une enquête judiciaire, tortures comprises, sur les accusations portées contre l’évêque Félix, qui avait consacré Cécilien. Elle tourna en faveur de Félix, qui fut déclaré innocent.
Le nouveau concile, auquel avaient été convoqués les chefs de l’Église occidentale tout entière, se réunit à Arles en 314. Les juges, les accusateurs, les accusés s’y rendirent tous aux frais de l’Etat. On prétend que deux cents évêques répondirent à l’appel.
[La convocation adressée à Chrestus, évêque de Syracuse, au nom de l’empereur, porte qu’il devra prendre une voiture publique pour lui, deux prêtres et trois domestiques, et qu’au jour fixé il devra se trouver à Arles avec les autres évêques. Eusèbe, H. E., liv. X, chap. 5.]
Jamais concile n’avait été plus nombreux. Encore une fois Cécilien triompha et son ordination fut déclarée valable. Les évêques vaincus n’abandonnèrent point pour cela la partie. Ils demandèrent à Constantin d’évoquer l’affaire à son propre tribunal. Constantin y consentit, et le cas fut examiné devant lui à Milan (316). A ce moment-là, le premier des deux Donatus avait disparu de la scène. Mais il avait été remplacé par un évêque du même nom, que ses partisans appellent Donatus le Grand. « D’une éloquence fougueuse et inculte, très ferme sur les principes et très énergique dans l’action, » il avait succédé à Majorinus (315) sur le siège de Carthage. C’est lui qui a donné son nom au Donatisme.
Constantin, irrité de l’obstination des Donatistes, confirma la décision des synodes de Rome et d’Arles. Malheureusement il ne s’en tint pas là, et, en vertu du principe qu’une décision impériale ne peut pas rester un vain mot, il lui donna l’appui du bras séculier. Le parti vaincu fut considéré et proscrit comme ennemi public. Des décrets impériaux lui enlevèrent ses églises, confisquèrent ses biens ecclésiastiques, exilèrent ses évêques. Les Donatistes voulurent résister. L’empereur envoya, pour les contraindre à céder, un corps de troupes sous la conduite d’Urascius, comte de l’empire. Hélas ! le parti « catholique » ne se montra que trop disposé à seconder cette croisade. De sanglants conflits en résultèrent, et pour la première fois le monde put voir les disciples du Prince de la paix se massacrer les uns les autres ! L’intervention armée de l’empereur porta au comble le fanatisme des ardents esprits africains. On vit des troupes d’hommes désespérésg, méprisant leur propre vie et ne trouvant aucun châtiment trop cruel pour leurs adversaires, parcourir le pays en tous sens, et porter partout le feu, les tourments et le meurtre.
g – Ils sont connus sous le nom de Circumcelliones.
[Les Covenentaires, les partisans de la Cinquième Monarchie et les Camisards peuvent être considérés comme les représentants modernes et fort adoucis de ce fanatisme ancien. Les noms mêmes que prirent les enthousiastes anglais avaient été pris avant eux. Un des évêques, des Circumcelliones était surnommé Habet Deum (Has-God). — Le traducteur, pour cette fois seulement, sort de sa réserve pour repousser, tout au moins en ce qui concerne les Camisards, une assimilation qui rappelle par trop celle de l’évêque romain Fléchier ou celle de l’apostat Brueys et consorts, et qui, d’ailleurs, lui paraît exagérée et injuste.]
Leur cri de guerre était Deo laudes (louanges à Dieu) ; leur arme, une lourde et puissante massue, qu’ils nommaient l’Israélite. Ils ne voulaient point, disaient-ils, se servir du glaive, parce que Christ avait ordonné à Pierre de le remettre au fourreau. Les catholiques ne montrèrent pas, à en croire leur propre témoignage, une violence moindre que celle des Circumcelliones. Au nom de l’Ancien Testament, au nom de l’exemple de Moïse, de Phinées, d’Élie, ils prétendaient que le devoir des chrétiens était de tuer par milliers les renégats et les incrédules. Certes, on doit le reconnaître, les premiers fruits de l’union de l’Église et de l’État ont été suffisamment amers !
Constantin ne tarda pas à se convaincre que l’épée était un mauvais moyen de réduire le Donatisme. Alarmé pour la sécurité de ses possessions africaines, il ordonna (317) à Urascius de s’arrêter, et engagea Cécilien à traiter ses adversaires avec bienveillance et à laisser à Dieu la vengeance. « Tous les schismes, écrivait l’empereur, procèdent du diable, et c’est aussi de là que procèdent nos schismatiques. Quel bien pourrais-tu espérer d’hommes qui sont les ennemis de Dieu et de sa sainte Église ?… Peut-être les gagnerons-nous par la patience et la bonté… Ils ont détruit, à ce que j’ai appris, une église à Constantineh. J’ai donné l’ordre à mon ministre des finances d’en faire bâtir une nouvelle. » A partir de ce moment, l’empereur ne s’occupa plus des Donatistes. Ceux-ci persistèrent dans leur voie, et augmentèrent en nombre à ce point que, en 330, on ne comptait pas moins de 270 évêques à l’un de leurs synodes. Nous ne les suivrons pas nous-même plus loin, car leur histoire appartient désormais à une autre période que la nôtre.
h – L’ancienne Cirta, restaurée par Constantin, auj. Constantine.
Les événements politiques du règne de Constantin, à partir de la mort de Maximin Daza, peuvent être brièvement résumés. Après sa défaite (314), Licinius se constitua le champion du paganisme. En 323, la lutte entre Constantin et lui se renouvelle. De nouveau ils se disputent l’empire du monde. Mais Licinius est vaincu dans deux grandes batailles, et mis à mort peu après par l’ordre de son heureux rival. Constantin, resté seul maître, transporte le siège de l’empire à Byzance, et la nouvelle capitale, à laquelle il donne son nom, — Constantinople, — est solennellement inaugurée en 330.