Henri Pyt : l’eschatologie et l’évangélisation. — Gaussen : l’eschatologie et l’apologétique. — Darby : l’eschatologie et l’Église. — L’eschatologie et la prédication : l’enfer, les peines éternelles.
Le Réveil ne s’est pas, à proprement parler, occupé d’eschatologie. Il n’est pas, d’ailleurs, surprenant que ce chapitre de la dogmatique, réservé d’ordinaire aux seuls théologiens, n’ait pas été traité par des hommes qui, loin de revendiquer ce titre, ont souvent décliné à cet égard toute compétence spéciale.
Quelques-uns d’entre eux ont cependant adopté certaines théories que nous ne saurions passer sous silence, car elles ont entraîné pour eux des conséquences pratiques qu’il est intéressant de noter.
C’est d’abord Henri Pyt : chez lui, l’étude des prophéties aboutit à une transformation complète de ses vues sur l’évangélisation.
Dès 1818, Pyt avait porté son attention sur ces sujets. « Quand je vois, disait-il, combien les apôtres recommandent la lecture des prophéties (2 Pierre 1.19), je me reproche d’avoir trop négligé les événements qui intéressent si fort l’Église, savoir, la venue du Sauveur, la nature de son règne, etc. Je n’ai, sur ces choses, qu’une vue partielle qui m’expose à errer. Depuis quelque temps je m’occupe presque exclusivement de ces sujets ; j’en suis venu à apercevoir combien sont unies l’ancienne et la nouvelle Révélation ; car je suis souvent arrêté dans la lecture des prophéties du Nouveau Testament par l’ignorance où je suis de la plupart de celles du Vieux Testamenta. »
a – Guers, Vie de Pyt, p. 59, 60.
Pyt persévéra dans cette étude, et peu à peu ses idées sur l’évangélisation s’en trouvèrent modifiées. Au début de son ministère, il avait toujours pensé que la conversion du monde peut s’opérer par la prédication de l’Évangile, et que le règne de Dieu s’établira par un réveil de la foi et de la vie chrétienne. Vers 1830, il abandonne complètement cette glorieuse espérance : « Je ne puis plus croire, écrit-il à un de ses compagnons d’œuvre, à la conversion graduelle du monde par la prédication de l’Évangile ; je ne vois plus dans la Parole un seul passage qui supporte ce système, tandis qu’il m’est maintenant évident que c’est par les plus terribles jugements que le règne du Seigneur va être établi et le millénium introduit. Je trouve cette idée partout ; je ne citerai que deux ou trois passages. D’abord Sophonie 3.8-9 : les jugements au verset 8, l’établissement du règne du Seigneur au verset 9. Ecoute Esaïe qui, après avoir décrit Celui qui vient d’Edom de Botsra ayant les habits teints du sang de ses ennemis, nous fait entendre la voix du Seigneur, déclarant que le jour de la vengeance est dans son cœur et l’année de la rédemption des siens venue (Ésaïe 63.4) : vengeance et rédemption ! Surtout, écoute Jean (Apocalypse 14.6-7) : que dit l’ange qui porte l’Évangile éternel à toute tribu, langue et peuple ? Il s’écrie à haute voix : « Craignez Dieu et lui donnez gloire, car l’heure de son jugement est venue… » Vois la coïncidence de ces deux événements : quand l’Évangile est porté par toute la terre, alors sonne l’heure des jugements de Dieu. Ainsi, tenons-nous prêtsb. »
b – Guers, Vie de Pyt, p. 256, 257.
Quelques mois plus tard, il écrivait : « Le temps presse ; les promesses du Seigneur s’accomplissent : encore un peu de temps et celui qui doit venir viendra. Mon âme est sous l’influence de ce sentiment ; c’est chez moi affaire de foi ; je voudrais le crier à tous mes frères. Voilà pourquoi je suis pressé d’agir… » Et dans une autre lettre : « Je me réjouis pour vous de ce que vous attendez l’épiphanie du Seigneur et de ce qu’elle vous paraît prochaine. Cette foi va se répandre dans son Église, j’aime à l’espérer. Il y a longtemps que l’Esprit rend témoignage à sa seconde venue ; l’Épouse aussi va l’appeler, et Celui qui rend témoignage de ces choses dit : « Certainement, je viens bientôt. » Amen ! oui, Seigneur Jésus, viensc ! »
c – Ibid., p. 272.
Cette pensée revient sans cesse dans les lettres des dernières années du pieux évangéliste ; elle le console quand il voit ses travaux ne pas porter tous les fruits qu’il en avait attendus. « Les conversions en masse, dit-il, sont à mes yeux une chimère. La règle générale est, et vraisemblablement demeurera, l’infidélité, et la foi ne cessera d’être une bien rare exception que lorsqu’il plaira au Seigneur d’intervenir pour consommer l’affaire en jugement. Voilà ma conviction : c’est elle qui me relève dans la pénible lutte que j’ai à soutenir avec l’incrédulité ; c’est elle qui ranime mon courage quand je le vois près de défaillir, parce qu’il me faut dire aussi : « Seigneur ! qui est ce qui a cru à notre prédication ? … » Rassembler les élus de Dieu, qui ne sont encore que comme des épis glanés après la moisson ou le grappillage après la vendange, voilà l’œuvre de la Société continentale… L’appel efficace des masses me paraît appartenir à une autre dispensation et à l’emploi d’autres moyens. Ce point de vue m’encourage beaucoup. Tant que j’ai cru que c’était à la dispensation actuelle qu’appartenait la conversion des masses, je me suis trouvé découragé du peu de succès de la prédication qui m’est confiée et des travaux de mes frères. Aujourd’hui, je vois que ces modestes succès sont dans les voies de Dieu, et je puis travailler sans inquiétuded. »
d – Guers, Vit de Pyt, p. 276.
La venue prochaine du Seigneur est enfin la perspective qui le remplit de joie, quand il songe à la séparation d’avec ses frères et ses amis chrétiens, séparation inévitable sur cette terre : « C’est avec un sentiment de joie que je porte mes regards en avant sur cette brillante époque fast approaching de ἀνακεφαλαίωσις (la réunion générale en Christ), où le corps sera formé et tous les membres épars réunise. »
e – Guers, Vie de Pyt, p. 342.
On le voit, les idées eschatologiques ne sont pas, pour Pyt, de simples théories spéculatives ; ce sont des vérités pratiques qui, à la fois, consolent puissamment le chrétien et expliquent au ministre de l’Évangile bien des points obscurs de son œuvre.
Plusieurs de ses amis s’occupaient comme lui de ces questions : au reste, les relations que le Réveil de Genève entretenait avec l’Angleterre ne pouvaient que produire en son sein un courant d’idées analogue à celui qui agitait si vivement les esprits de l’autre côté de la Manche.
Ce fut surtout vers 1830 que les études eschatologiques commencèrent à prendre un développement spécial. Deux systèmes furent bientôt en présence ; tous les deux reposaient sur la même base et avaient comme points communs la conviction du rétablissement de la nation juive dans la Terre promise, — celle de l’avènement d’un Royaume de Dieu terrestre dont le centre serait Jérusalem, et qui ferait régner dans tout le monde la crainte de Dieu, la paix et la prospérité, — et celle du retour de Jésus pour l’établissement de ce Royaume et pour la résurrection de ceux qui sont morts au Seigneur.
Mais ces points une fois admis, les deux systèmes différaient à la fois sur la méthode d’interprétation des portions prophétiques de l’Écriture et sur l’époque de la réalisation des prophéties.
L’un se rattache au nom de Gaussen ; l’autre à celui de Darby.
Pour le professeur de l’Oratoire, l’étude de la prophétie a un but surtout apologétique : l’accomplissement des prédictions contenues dans les saints Livres est un des arguments les plus sérieux en faveur de l’origine divine de la Révélation. « Il n’est pas d’étude, disait-il, qui me semble répondre mieux aux besoins du moment, et l’expérience m’a montré souvent qu’il n’est pas d’apologétique plus saisissante ni de controverse plus victorieusef. »
f – Daniel le Prophète, 3 vol. Paris, 1848, t. II ; Avertissement, p. iii.
Pour une grande partie de l’Apocalypse, Gaussen cherchait l’accomplissement des prédictions dans l’histoire du passé de l’Église. Quant à l’avenir, il ne précisait pas les détails et se bornait à indiquer la réalisation des grandes catastrophes dont parle la prophétie, en interprétant allégoriquement les visions apocalyptiques de saint-Jean ; par exemple, les « jours » dont parle le voyant de Patmos étaient pour lui des jours prophétiques ou des jours d’annéesg.
g – Ibid., t. II ; Avertissement, p. xvi.
C’est dans ses ouvrages intitulés : Daniel le Prophète, les Juifs évangélisés enfin et bientôt rétablis, et dans son Cours de Dogmatique, que nous trouvons l’exposition de ses idées.
Il considère l’Église comme l’ensemble de tous les élus, depuis la chute jusqu’au jugement dernier. Son histoire nous est racontée dans l’Histoire sainte, laquelle se divise en deux parties : dans la première, qui commence aux origines mêmes de l’Église et se termine à la destruction de Jérusalem par Nébucadnetzar et à la captivité d’Israël, sont simplement consignés les faits qui marquent le développement de cette Église ; dans la seconde, qui commence au moment où s’achève la première, sont données des prophéties qui annoncent les destinées futures de l’Église.
Dans la vision de Daniel nous voyons quatre monarchies se succéder. « Ces quatre monarchies sont toutes venues également s’asseoir sur les rivages de la grande mer, la Méditerranée ; c’est là ce qui caractérise la terre prophétiqueh. » Dans la quatrième naît le Roi des rois, le Sauveur du monde. Il accomplit son œuvre de rédemption, dont les bienfaits se répandent sur toute la terre, et à partir de son Ascension, l’Église s’étend bien au delà des limites du peuple primitivement élu.
h – Daniel le Prophète, t. II, p. 17.
Cependant, sous cette monarchie, la monarchie romaine, et par elle, l’Église a beaucoup à souffrir ; ces souffrances ont non seulement pour but d’éprouver la foi des élus, mais aussi de punir Israël endurci et de le tenir éloigné, pour un temps, de l’économie de la grâce.
Au reste, ces prédictions de Daniel se trouvent admirablement continuées et complétées par la révélation de Jean. L’Apocalypse est comme le tome second de Daniel : « L’un de ces volumes doit illuminer l’autre. Comme deux miroirs concaves qu’on met parallèlement en face l’un de l’autre, avec une flamme à leur foyer, se jettent et se rejettent mutuellement des flots redoublés de lumière, ainsi nos deux prophètes, placés vis-à-vis l’un de l’autre, s’enverront à l’envi des clartés réciproquesi. »
i – Ibid., t. III, p. 193, 194.
Les sept lettres aux Églises d’Asie sont un tableau symbolique du développement intérieur de l’Église chrétienne. L’épître à l’Église d’Ephèse représente l’âge apostolique ; celle à l’Église de Smyrne, l’Eglise persécutée du deuxième et du troisième siècle ; celle à l’Église de Pergame, la domination de l’Église sur le monde, sous Constantin et ses successeurs ; celle à l’Église de Thyatire, l’Église opprimée du moyen âge ; celle à l’Église de Sardes, le petit troupeau des croyants, qui persistait pendant les ténèbres du quatorzième et du quinzième siècle ; celle à l’Église de Philadelphie, les Églises de la Réformation ; enfin, celle à l’Église de Laodicée, l’Église des derniers temps.
Le quatrième et le cinquième chapitre de l’Apocalypse font entrevoir la gloire céleste réservée à l’Église de Christ.
Nous arrivons alors aux sceaux du livre mystérieux, lesquels sont ouverts par l’Agneau. Ces sceaux dévoilent successivement les destinées de la monarchie romaine. Les quatre cavaliers désignent : « le premier, une époque de paix au dedans et de triomphe au dehors, époque de félicité, sous le gouvernement légitime d’une nouvelle dynastie d’empereurs, « qui n’a jamais eu, dit Gibbon, sa pareille dans l’histoire des nations, » et qui dura quatre-vingt trois ans, à partir de l’année 96, où Jean venait d’avoir sa vision et où montait sur le trône des Césars le sage Nerva, de race nouvelle et Crétoise, père adoptif du plus glorieux empereur que jamais Rome ait possédé ; — le second, une époque de guerres intestines et de tyrannies militaires durant plus de cinquante années, par les constants soulèvements de la garde prétorienne et des officiers impériaux ; — le troisième, une époque d’appauvrissement et de ruine pour tout l’Empire, par l’oppression des taxes en denrées, en blé, en orge, en vin et en huile, et par les exactions des gouverneurs des provinces, depuis le mémorable édit de Caracalla jusqu’à la fin du troisième siècle ; — le quatrième, une époque d’une mortalité sans exemple, où pendant plus de trente ans, dit Gibbon, le triple fléau de la guerre, de la famine et de la peste détruisit la moitié du genre humainj. »
j – Daniel le Prophète, t. III, p. 217.
Le cinquième sceau désigne la dernière persécution contre les chrétiens, la persécution terrible de Dioclétien. Le sixième sceau « indique l’époque de l’une des trois plus grandes révolutions sociales que le monde doive jamais subir, depuis celle du déluge jusqu’à celle du dernier jour ; c’est le renversement merveilleux, inattendu, universel de l’antique paganisme et de tous les ennemis de la religion chrétienne, par les victoires et le règne mémorable de Constantin le Grandk. »
k – Ibid., p. 219.
Dans le septième chapitre de l’Apocalypse, nous assistons au développement ultérieur de l’Église, fortifiée par la prédication fidèle de l’Évangile, surtout au moyen d’Augustin, puis tombant dans une décadence que l’invasion des barbares ne fait que hâter ; cependant, dans cette décadence elle-même, les élus du Seigneur sont toujours gardés.
Le chapitre suivant nous décrit l’ouverture du septième sceau, lequel, comme la septième épître, présente le tableau des derniers temps dans une suite d’événements dont la première révélation se trouve figurée par les sept trompettes.
Ces trompettes sont l’énumération des diverses invasions des barbares dans l’empire romain : l’invasion des Goths, celle des Vandales, celle des Huns, celle des Hérules. Ces invasions successives détruisent l’unité de la monarchie romaine, et l’empire se divise en dix royaumes, comme l’avait déjà prophétisé Daniel.
Les trois dernières trompettes figurent alors : l’invasion des Sarrasins, qui s’étend sur toute la partie orientale de la terre prophétique, et qui dure cent cinquante jours prophétiques, c’est-à-dire de 612 (apparition de Mahomet) jusqu’à 762 (fondation de Bagdad) ; — l’invasion des Turcs, qui dure trois cent quatre-vingt seize jours prophétiques, c’est-à-dire de 1057 (année où les Turcs sortent de Bagdad) jusqu’à la prise de Constantinople, en 1453. Ils couvrent les deux tiers de la terre prophétique, tandis que le troisième tiers, la portion occidentale, demeure plongée dans son idolâtrie et dans son impudicité. La septième trompette indique, si l’on en rapproche les dernières prophéties de Daniel et d’Ezéchiel, l’invasion des peuples de la Russie. Mais, avant que cette trompette retentisse, la partie occidentale du monde romain sera le théâtre d’événements importants, qui sont prédits dans les chapitres 10 et 11 de l’Apocalypse.
La véritable Église se retire de la scène bruyante du monde ; c’est la femme qui se réfugie au désert. « Le monde, qui ne la voit plus, doute de son existence, tandis qu’elle est nourrie de la manne des cieux, tandis que son Dieu l’abreuve aux sources vivantes des eaux, tandis qu’il se plaît à la maintenir à main forte et à bras étendu, tandis qu’il va l’introduire dans sa Canaan céleste, pour lui donner enfin son royaume et sa gloirel. »
l – Daniel le Prophète, t. III, p. 260.
Les visions des chapitres 12 à 18 prédisent avec plus de détails le développement de l’empire romain en Occident, et confirment ou complètent les prophéties de Daniel.
C’est la bête à sept têtes, qui figure la quatrième monarchie. Les sept têtes sont les différentes formes de gouvernement politique par lesquelles a passé ou passera encore l’empire romain. La forme impériale était la sixième, à laquelle mit fin l’invasion des barbares. L’empire se divise alors en dix royaumes, comme nous l’avons déjà vu dans la vision des trompettes. Aussi la bête aux sept têtes couronnées du ch. 12 apparaît sans couronne au ch. 13, ou plutôt les couronnes sont transportées sur dix cornes.
Dans l’empire romain ainsi divisé, s’élève alors l’Antichrist en même temps que l’Islam en envahit la partie orientale. Cet Antichrist est représenté dans Daniel sous l’image de la petite corne qui sort du front de la bête. Dans l’Apocalypse, c’est une bête spéciale, qui apparaît en même temps que les autres. Dans Daniel, il est aussi caractérisé par le mélange de fer et d’argile dont sont composées les jambes de l’image de la quatrième monarchie, et qui signifie l’union des deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. A ces traits, nous reconnaissons la papauté, qui fera, pendant mille deux cent soixante jours, la guerre aux saints et aux élus. Comme elle a surgi dans le septième siècle de l’ère chrétienne, c’est dans notre génération qu’elle devrait succomber ; mais auparavant, l’empire romain aura revêtu sa dernière forme, la démocratie.
En effet, dans le ch. 17, les dix cornes n’ont plus leurs couronnes ; la souveraineté politique n’appartient donc plus aux dix rois qui cependant règnent encore dans la terre des Latins ; elle est passée ailleurs et ne réside plus en eux. Elle est aux mains, de la démagogie, du peuple et de ses agitateurs.
Malgré ce changement l’Antichrist s’unira avec cette nouvelle forme de gouvernement pour dominer les consciences et pour persécuter les saints.
Au reste, ces calamités sont représentées par les sept coupes. La femme assise sur la bête est la ville de Rome. Avec la fin des mille deux cent soixante, années de la domination papale, à l’époque de la chute de l’empire turc et du développement des gouvernements démocratiques de l’empire romain, s’approche le moment où les promesses de Dieu recevront leur entier accomplissement.
Les temps qui précèdent cette chute de l’Antichrist sont des temps de douleur ; aussi, lorsque l’empire sera entièrement démocratisé, le Seigneur répandra-t-il abondamment l’Esprit-Saint sur son Eglise. Alors aura lieu la dernière et grande lutte : une coalition formidable, formée de l’impérialisme incrédule, de la démocratie et de la superstition ecclésiastique livrera un suprême assaut à l’Église de Dieu. En même temps aura lieu une grande invasion de l’Orient, conduite par le roi venant de la Scythie, du fond de l’Aquilon, prince de Ross, de Meschec et de Tobal, ayant avec lui les peuples de la Perse et ceux des bords de la Baltique et de la mer Noire.
Christ et son Église, dans cette dernière lutte, obtiendront une victoire entière sur leurs ennemis (Apocalypse 19.11, 17-18). Cette victoire sera la plus grande que le Rédempteur ait jamais remportée sur Satan depuis les jours de la première promesse. Le grand ennemi de l’humanité y verra confondu dans une même ruine ses puissants instruments de mal, le papisme, le mahométisme, le paganisme et l’athéisme. Alors les puissances civiles et ecclésiastiques (le fer et l’airain, l’argent et l’or de la statue de Daniel) seront réduites en une fine poussière, la pierre deviendra une montagne, et cette montagne couvrira toute la terre. — Christ y sera manifesté comme le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (Apocalypse 19.16), et le royaume visible de Satan sera détruit. Alors seront abolies les hérésies, les superstitions, les incrédulités parmi les nations élevées sous la lumière de l’Évangile. Le royaume de l’Antichrist sera entièrement renversé, et la ville éternelle brûlée au feu. Le royaume mahométan de Satan sera de même complètement détruit. L’infidélité des Juifs prendra fin ; les dix tribus dispersées seront retrouvées, rassemblées en un même royaume avec les enfants de Juda et de Benjamin, et toute la maison d’Israël sera sauvée.
Tandis que le peuple de Dieu sera ainsi ramené de son égarement, les jugements terribles de l’Éternel s’accompliront sur ses ennemis ; les souffrances de l’Église se termineront et les jours de son deuil seront passés.
Gaussen se demande alors si le second avènement de Jésus-Christ sur les nuées du ciel précédera les triomphes de l’Évangile et le millénium, ou bien si ces triomphes et ce millénium précéderont l’apparition du Fils de l’homme et notre rassemblement auprès de lui. Après examen, il se décide pour l’opinion des anciens Pères d’après laquelle l’avènement du Seigneur doit précéder le millénium ; par cet avènement, en effet, sera accomplie la destruction de l’Antichrist, lequel ne peut évidemment continuer son œuvre durant le millénium.
A cet avènement et à cet établissement du millénium se rattache le fait de la première résurrection, la résurrection pour la gloire, de tous les croyants. Quant aux incrédules, ils ne ressusciteront que mille ans après, et cela pour le jugement. Il y aura donc deux parties dans le royaume de Christ, l’une glorifiée, l’autre sanctifiée, l’une ressuscitée, l’autre encore visible, soumise aux combats de la vie, mais en pleine jouissance des bénédictions terrestres de l’Évangile. Il y aura ainsi un royaume victorieux et glorieux du Christ sur la terre. Les saints relevés du tombeau à la venue du Sauveur et changés pour lui être rendus semblables, participeront à sa gloire et régneront avec lui.
A la fin de ce temps prophétique, il y aura pour les nations qui vivront encore dans la chair une nouvelle révolte de Satan, une grande apostasie, mais elle ne pourra renverser le règne des saints. — Enfin, après ce terme, Satan sera pour jamais jeté dans l’étang de feu, et les saints régneront dans une gloire impérissable et inaccessible où Dieu sera tout en tous et qui succédera pour l’éternité à la gloire millénairem.
m – Voir Gaussen, Cours de dogmatique, t. II, p. 309-381.
Tandis que Gaussen usait de la méthode allégorique et ne craignait pas de spiritualiser les détails des visions, tout en conservant l’explication littérale pour les grands traits de la prophétie, Darby et son école procédaient d’une tout autre manière, et leur système reposait sur une base absolument différente.
Nous aurons l’occasion de parler ailleurs de l’origine du plymouthisme ; attachons-nous maintenant à retracer simplement les idées eschatologiques de son principal apôtre.
Darby s’appuyait, dans son interprétation des prophéties, sur le littéralisme le plus sévère et ne voyait, dans une explication spirituelle des promesses, que le caprice d’un esprit qui ignore absolument les voies de Dieu.
Pour lui, il faut distinguer soigneusement, ce qu’on n’a pas assez fait, entre les diverses économies de la grâce divine, ne pas appliquer à l’Église ce qui concerne Israël, ou réciproquement, ne pas confondre les prédictions qui se rapportent au millénium avec celles qui n’ont trait qu’à la gloire finale.
De cette confusion naissent des contradictions apparentes ou au moins des incertitudes qui seront évitées, si l’on a soin de chercher une idée centrale, un fil conducteur pour sortir de ce labyrinthe ; or, cette idée centrale n’est autre que le développement du plan de Dieu à travers l’histoire.
La base sur laquelle repose toute l’histoire sainte est la glorification de Dieu dans la souveraineté absolue de sa grâce. La chute primitive, suivie de la promesse de la Rédemption, l’alliance formée avec Noé, celle d’Abraham, sont les premiers degrés de ce développement. Ces alliances sont des alliances inconditionnelles, qui ne demandent qu’à être acceptées par la foi. Mais elles n’ont pas eu encore leur entier accomplissement ; elles sont pourtant si claires et si positives qu’elles doivent nécessairement se réaliser complètement un jour.
Un nouvel exemple de ces promesses sans conditions se trouve dans la sortie d’Israël hors d’Egypte. Mais au Sinaï les relations de Dieu avec son peuple se modifient. L’Éternel promulgue une loi dont l’accomplissement sera désormais la condition des bénédictions promises. Israël accepte ce pacte, mais à peine a-t-il juré fidélité à son Dieu qu’il érige le veau d’or. Sa prospérité, dans la terre de Canaan, est de nouveau liée à la condition de son obéissance. Après une chute terrible, dans laquelle le peuple en vient jusqu’à se voir enlever l’Arche de l’alliance, il demande un roi. Dieu lui en donne d’abord un selon son cœur ; puis il en choisit un second selon son cœur à lui. Alors l’alliance qu’il forme avec David réunit les deux caractères d’un pacte conditionnel et d’une promesse sans conditions.
Après l’infidélité de Salomon, le schisme, la ruine du royaume des Dix-Tribus et les iniquités de la maison de David, Jérusalem est détruite et le peuple conduit en captivité.
Alors commence une ère nouvelle, sous laquelle nous nous trouvons encore, l’ère des Gentils. Israël déchu, ne pouvant plus être, à la tête des nations, l’instrument du gouvernement divin du monde, la puissance est dévolue aux Gentils qui accompliront les desseins universels de Dieu, en même temps qu’ils retiendront le peuple élu dans la captivité et l’oppression.
Quand une petite portion d’Israël rentre, sous Cyrus, dans la terre de Canaan, cet événement sert à préparer les voies pour la venue du Rédempteur.
Jean-Baptiste, après lui Jésus, annoncent le rétablissement prochain du royaume de Dieu promis à Abraham et à David. Mais le peuple s’endurcit de plus en plus, immole l’Oint du Seigneur, repousse enfin la prédication des apôtres.
Alors se passe un événement considérable. L’économie du Royaume est interrompue par celle de l’Église. Ce nouveau peuple de Dieu se distingue de l’ancien en ce qu’il n’a rien à faire avec la terre ; ses aspirations sont toutes célestes. En effet, l’économie terrestre de l’Église a déchu comme l’avait fait celle d’Israël lui-même.
L’Église n’a donc d’autre avenir que l’attente de l’Époux céleste ; le chrétien doit se séparer du monde et attendre constamment le Seigneur.
A sa venue, « l’Église sera enlevée au-devant de lui en l’air », en même temps que ceux qui se sont endormis au Seigneur ressusciteront. Cet enlèvement de l’Église privera la terre de « son sel », et le mal s’y manifestera dès lors sans aucune retenue. La fin approche. Une portion considérable d’Israël est rétablie politiquement dans la Terre promise, mais non encore convertie au Seigneur. L’impiété va grandissant dans le monde, tandis qu’une faible portion de ses habitants reste encore fidèle et continue à annoncer l’Évangile du Royaume.
C’est alors que se relève de son abaissement la quatrième monarchie, la monarchie romaine, et elle est divisée en dix royaumes. La grande prostituée, c’est-à-dire le système des Églises d’État, la fausse chrétienté déchue, est violemment persécutée et détruite par les dix rois ; l’Antichrist paraît et renverse trois de ces rois. Cet Antichrist n’est pas une institution : c’est une personne, dont la grandeur se révélera sous trois formes : il sera grand comme général, comme homme d’État et comme penseur. Il s’élèvera dans les limites de la troisième monarchie, la monarchie grecque, et sortira de là pour se soumettre toute l’étendue de l’empire romain. Reconnu par les Juifs comme leur Messie, il fixera sa résidence à Jérusalem. La ville sainte sera déshonorée pendant deux fois trois ans et demi ; les saints s’enfuiront au désert et une « grande affliction » visitera la terre.
Mais précisément au moment où les abominations de l’Antichrist seront venues à leur comble, le Seigneur Jésus apparaîtra avec son Église sur le mont des Oliviers ; Jérusalem le reconnaîtra pour son roi et son Messie, et le Royaume de Dieu sera rétabli.
Le millénium commence ; l’Église règne du haut de la gloire céleste ; sur la terre est établie la vraie théocratie, et Israël entre en jouissance de toutes les promesses. C’est là la différence entre la gloire de l’Église qui est entièrement céleste, et la gloire du peuple élu qui est terrestre. Celui-ci est, suivant l’ancienne promesse, « le peuple-roi. Ainsi l’humanité est divisée en catégories pour l’éternité.
On le voit, toute la prophétie, d’après le système darbyste, ne se rapporte qu’à l’avenir d’Israël.
Voir, dans le troisième volume des Mémoires de Bost, un chapitre intitulé : Quelques mots sur le darbysme et sur l’étude de la prophétie, où l’auteur attaque virement le système de Darby et lui reproche « de nous enlever, à nous, gens de la nouvelle alliance, plus de la moitié de la Bible pour ne la rapporter qu’aux seuls Juifs. »
Avec Darby, Guers attendait la réalisation de la prophétie dans des temps à venir ; comme lui, il adoptait le littéralisme, — la diversité des catégories et des privilèges dans l’ensemble des rachetés, ou tout au moins la perpétuité d’Israël comme peuple distinct sur la terre actuelle aussi longtemps qu’elle existera, et, par conséquent aussi, la permanence des bénédictions spéciales qui lui sont promises, — enfin le sens littéral du mot jour. L’attente de l’accomplissement définitif des prophéties, les alliances primitives, inconditionnelles, de Dieu avec son peuple, le rétablissement politique d’une portion d’Israël précédant la conversion du peuple entier, le caractère personnel de l’Antichrist, sa domination à Jérusalem, sont des traits du système de Darby qui se retrouvent dans Israël aux derniers jours, de Guersn.
n – Voir aussi du même auteur : Le camp et le tabernacle ; Histoire abrégée de l’Église de Jésus-Christ.
Cependant, tandis que Darby tirait de la déchéance de l’Église la conséquence qu’aucune forme d’Église n’est possible, et qu’une tentative de revenir à l’idéal primitif est non seulement inutile, mais aussi contraire à la volonté de Dieu, Guers croyait, au contraire, que toute constitution ecclésiastique doit prendre pour modèle les institutions apostoliques et s’efforcer de les reproduire.
D’une manière générale, ces théories eschatologiques n’intervenaient pas dans la prédication du Réveil. Une idée cependant revenait souvent, et l’irvingisme contribuait à la répandre. C’était celle d’un prochain retour du Seigneur. Parfois même, il en résultait de fâcheuses conséquences pour la foi. Ainsi un évangéliste raconte qu’un chrétien, « préoccupé à l’excès du retour du Sauveur, et nourrissant peut-être le désir de ne pas passer par la mort, se persuada que Jésus allait apparaître sur une montagne des environs. Il s’y rendit, avec quelques adeptes, pour le recevoir. Grande fut leur déception ; ils durent revenir tout confus et humiliés d’une telle mépriseo. »
o – Reymond, Mes souvenirs, p. 90.
Evidemment la foi ne sortait pas fortifiée de pareilles épreuves.
Nous ne pouvons essayer de discuter ces systèmes eschatologiques ; il faudrait pour cela des livres entiers. Au reste, ils ne tiennent dans la théologie du Réveil en général qu’une place secondaire. Nous les avons résumés pour montrer les vues nouvelles que l’étude des prophéties a suggérées à Pyt en fait d’évangélisation, à Gaussen en fait d’apologétique, à Darby en fait de constitution ecclésiastique.
Il y a pourtant un point spécial sur lequel tous les hommes du Réveil ont émis des opinions à peu près analogues, et qui a fourni à leur prédication un des principaux arguments pour l’appel des pécheurs : c’est le sort final des inconvertis, l’enfer.
La crainte de l’enfer se trouve dans la prédication d’Adolphe Monod, comme dans celle de Gaussen, chez les méthodistes comme chez Malan.
Adolphe Monod est un de ceux qui ont développé cette idée avec le plus de vigueur.
« Qui n’a tremblé, dit M. Pédézert, devant ces abîmes creusés dans d’autres abîmes pour les plus damnés d’entre les damnés, de cet effroyable mot : maudit, rendu plus terrible encore par les commentaires ? Les auditeurs auraient demandé, comme jadis les Israélites, s’ils l’avaient osé, que la parole ne leur fût plus adressée, tant elle leur causait d’effroi. Adolphe Monod lui-même, semblable à Moïse, était épouvanté et tout tremblant, tant ce qui apparaissait était terrible. Son langage, sa personne même, son visage sombre, sa voix tantôt menaçante, tantôt déchirante, cet enfer qu’il voyait, qu’il touchait, dont il frémissait le premier, dont il frémissait plus que personne, ouvert tout grand, tout horrible et tout prêt devant un peuple consterné, auraient fait de lui le Milton de la chaire, si la crainte avait laissé quelque place à l’admiration. Elle ne lui en laissait aucune. Jugez-en par ces paroles : « Oui ! malheur à vous ! La mesure de vos privilèges sera la mesure de votre condamnation. Chaque grâce nouvelle que vous recevez sera un poids de plus jeté dans la balance de votre supplice éternel. De tous les hommes ceux qui seront traités le plus insupportablement, ceux que l’on montrera dans l’enfer comme les monuments les plus éclatants et les plus déplorables de la justice divine, ceux dont un damné dira à un autre damné : Que nous sommes heureux de n’être pas cet homme-là ! ceux qui formeront comme un enfer à part dans l’enfer, ceux qui seront maudits entre les maudits, et damnés entre les damnés, qui seront-ils ?… Nommez-les vous-mêmes. »
Et plus tard, dans la période de son ministère ou son orthodoxie avait perdu quelque chose de sa rigidité, il s’écriait encore : « Ce jour-là il était temps encore (de fuir la colère à venir), mais maintenant il est trop tard. Trop tard : mot amer, mot infernal, mot qui est l’enfer I Trop tard : c’est-à-dire le ciel devenu d’airain et tombant sur nous de tout son poids ! Trop tard : c’est-à-dire le feu brûlant qui brûle, brûle encore et ne s’éteint point, le ver rongeur qui ronge, ronge encore et lui seul ne périt point ! Trop tard : c’est-à dire la miséricorde de Dieu épuisée par sa justice, liée par sa fidélité, et ne pouvant plus se faire jour d’aucun côté sans déchirer quelqu’une de ses perfections ! Trop tard : c’est-à-dire le désespoir du : Je ne puis, avec l’amertume du : J’ai pu et je n’ai pas voulup ! »
p – Pédézert, Souvenirs et éludes, p. 69 et 87.
Evidemment, c’étaient là de terribles secousses données aux consciences, et il n’y a pas lieu de s’étonner que, si certaines âmes sont plus accessibles à des appels plus tendres de la grâce divine, un grand nombre frémisse à la perspective de cette damnation éternelle et se jette aussitôt au pied de la croix pour fuir la colère à venir et obtenir le pardon et la vie.
Une lettre d’Adolphe Monod complète sa pensée sur ce point et nous montre qu’il ne concluait pourtant pas sans quoique hésitation en faveur des peines éternelles.
« D’une part, disait-il, au point de vue philosophique, vivant aujourd’hui dans le temps, ne pouvant rien recevoir qu’en commençant par le jeter dans le moule du temps (selon l’idée de Kant), nous risquons de déraisonner en parlant de l’éternité. Nous discutons si les peines seront éternelles ou temporaires. Mais qui sait si dans l’économie du futur, du vrai, tout ce qui sera ne sera pas éternel, par cela seul qu’il sera ? Qui sait si des peines futures temporaires ne seraient pas une notion contradictoire ?
D’autre part, au point de vue religieux, la justice de Dieu est aussi essentielle dans le système chrétien que sa miséricorde. Et cette justice, je crains de la voir compromise, quand on nie les peines terribles à venir. Je remarque du moins que ceux qui les nient arrivent par degrés à faire assez bon marché de cette justice ; et je ne vois guère les droits de la sainteté divine défendus que par ceux qui acceptent les peines éternelles, ou qui, tout au moins, ne les rejettent pas.
Dans cet état de choses, je crois devoir, comme un enfant, m’en tenir à ce qui est écrit, et me renfermer dans cette seule question : l’Écriture enseigne-t-elle les peines éternelles ? Jésus-Christ y croit-il ? A la première vue et selon l’exégèse populaire, oui, évidemment. Mais cela est moins clair à un examen plus approfondi. Tout au moins l’Écriture présente moins constamment cette doctrine, et la présente autrement, dirai-je, moins positivement et plus négativement que la prédication orthodoxe ordinaire. Là est la question que je vous engage à examiner… Je finis par un mot simple et profond de Gonthier. Je lui demandais un jour s’il ne pouvait pas y avoir d’espérance pour ceux qui sont morts loin de Christ : « Tout au moins, me répondit-il, ce n’est pas l’intention de l’Écriture de favoriser (peut-être a-t-il dit de nous laisser) cette espéranceq. »
q – Lettres d’Ad. Monod, p. 359-361. La lettre est datée du 16 octobre 1848.
La doctrine de l’éternité des peines est combattue à la fois par l’universalisme et par le conditionnalisme.
Les trois systèmes ont d’ailleurs leur point faible qui les empêche, tant l’un que l’autre, de satisfaire absolument la pensée théologique. L’universalisme viole formellement certains textes, tels que ceux où il est question du ver qui ne meurt point et du feu qui ne s’éteint point (Marc 9.46-50) ; — ceux où il est parlé du péché irrémissible (Matthieu 12.32) ; — celui où la trahison de Judas est dépeinte comme irréparable (Matthieu 26.24)r. En outre, il soulève une objection qu’on peut difficilement résoudre, celle de la contrainte de la liberté qui voudrait, malgré tous les appels, s’endurcir dans le mal.
r – Cf. Matthieu 25.46 ; 2 Thessaloniciens 1.9 ; Hébreux 10.26-27 ; 12.29 ; Apocalypse 14.11 ; 20.10 ; 21.8.
Le conditionnalisme, malgré toutes ses explications, nous paraît échapper difficilement au reproche de sanctionner la parole impie : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. » De plus, il n’explique pas ce qu’il faut entendre par la résurrection des méchants, laquelle ne saurait être tenue que pour une recrudescence ou reviviscence éternelle ou temporaire de l’être ; la théorie conditionnaliste, au contraire, admet qu’il se produit chez les réprouvés une diminution croissante de vie.
Enfin, la doctrine des peines éternelles perpétue le dualisme entre Dieu et le mal, laisse en dernière analyse le droit de l’Éternel contesté et sa gloire outragée par une notable fraction des créatures.
Il nous paraît donc plus prudent de conclure par ce que M. Gretillat appelle l’agnosticisme théologique. Le professeur de Neuchâtel s’appuie d’ailleurs sur deux opinions analogues, émises par MM. Babut et Godet : « Il semble que dans l’Écriture sainte, écrit M. Babut, Dieu n’ait pas jugé bon de nous fournir les éléments d’une théorie tout à fait précise, élevée au-dessus de toute contestation, sur la redoutable question qui nous occupe, et qu’à dessein elle laisse planer sur l’avenir de l’âme impénitente le mystère d’une terreur infinie. »
« Il y a probablement, dit M. Godet, une solution du problème que nous n’entrevoyons pas. Cette question nous transporte au delà du temps, dans l’ordre éternel des choses, dont l’essence nous est voilée. En face des déclarations de Celui qui seul a parfaitement connu le Père, et a été parfaitement connu de lui, ce que nous avons à faire est d’écouter, de veiller et d’attendres. »
s – Cité par Gretillat, t. IV ; Dogmatique, II, p. 620.