Nous n’avons sans doute à défendre dans une dogmatique chrétienne le dogme de la survivance des âmes ni contre les pauvres apologies de la philosophiei, ni contre les pauvres objections de Biedermannj.
i – Voir l’exposé critique des principaux arguments en faveur de la survivance de l’âme chez Strauss. Glaubenslehre, tome II, sect. CVI.
j – Dogmatik, sec. DCCCLIX et sq. La question de la survivance de l’âme est distincte de celle de son immortalité, qui sera reprise à la fin de cette troisième partie.
Une opinion combattue déjà par Tertullienk, Origène, Calvin, par ce dernier dans sa Psychopannychia, défendue ça et là par Luther et représentée à l’époque de la Réformation par les anabaptistes, et plus tard par les arminiens et les sociniens, est celle des Psycho-pannychètes, selon laquelle les âmes sommeillent entre la mort et la résurrection. Deux raisons principales, l’une philosophique, l’autre exégétique, sont alléguées par ses partisans. La première est que l’état d’incorporalité de l’âme est incompatible avec la pleine possession de la conscience du moi. Cette raison ne subsiste, si elle doit subsister, que dans la supposition qui va être repoussée par nous, d’une incorporalité absolue de l’âme décédée. La raison exégétique se tire soit des textes de l’A. T. déjà cités sur l’état des décédés, soit du sens possible des mots κομηθέντες, κεκοιμήμενοι, employés dans le N. T. pour désigner les morts. La scène décrite dans la parabole de Lazare et du mauvais riche citée plus haut suffit à condamner cette doctrinel.
k – De anima, cap. 58.
l – Voir une réfutation plus complète chez Delitzsch, Psychologie, Die falsche Lettre vom Seelenschlaf.
Les principales questions qui se posent sous le titre de ce chapitre sont les suivantes :
- De la part de corporalité propre à l’âme décédée durant l’existence intermédiaire ;
- Du rapport de l’âme décédée avec le péché terrestre ;
- De l’activité des âmes durant cette existence intermédiaire.
Tous sont d’accord sans doute pour assigner à l’état intermédiaire de l’âme un certain caractère d’imperfection, sinon relativement à l’existence terrestre, du moins à l’existence éternelle, dont le point de départ sera la résurrection corporelle. Mais ce point étant consenti, les uns statuent durant cet état intermédiaire l’incorporalité absolue de l’âmem ; d’autres la veulent revêtue d’une enveloppe corporelle, si ténue soit-elle, empruntée soit au corps terrestre d’où elle se serait dégagée pour accompagner l’âme dans ses pérégrinations futures, soit aux éléments du monde supérieur. Rinck, raconte à l’appui de sa thèse une anecdote dont nous lui laissons toute la responsabilité : une malade, ayant désiré avant de mourir revoir ses enfants qui habitaient loin d’elle, tomba dans une sorte de syncope qui lui donna pour quelques instants toutes les apparences de la mort ; pendant ce temps son âme fut aperçue sous forme d’une ombre reconnaissable auprès du lit de ses enfants pendant le temps nécessaire pour les saluer, disparaître et rentrer dans son corps pour quelques heures encoren.
m – Kliefoth, Eschatologie, pages 57 et sq. ; Splittgerber, avec des réserves qui altèrent sur ce point la transparence de son idée. Après la mort, pages 51 et sq.
n – Sur l’existence d’une enveloppe ténue de l’âme cachée déjà dans le corps actuel, voir Rudtloff, Die Lehre vom Menschen, sect. III. Der innere oder geistige Leib des Menschen.
A la troisième opinion, il a déjà été avec raison répondu qu’elle rendrait inutile la résurrection corporelle, annoncée partout par Paul avec une si grande insistance.
Nous opposons à la première, celle de l’incorporalité absolue de l’âme, les scènes bibliques ou celles certifiées par des témoignages plus récents qui supposent des reconnaissances possibles au delà de la tombe ; et nous ajoutons ici aux textes déjà cités : Luc 16.9 ; Apocalypse 6.9 et sq. ; Apocalypse 7.9.
Il ne reste donc plus à notre choix que la seconde opinion.
Nous admettons donc à titre de conjecture que tandis que le germe du corps nouveau est inhumé, la cause formelle, qui agit dans l’organisme corporel au cours de l’existence terrestre en conservant sa figure et sa physionomie au sein du renouvellement constant des molécules matérielles, cet élément impalpable qui parfois se joue sur les traits, s’offrant et se dérobant tour à tour à la perception des témoins, s’échappe avec l’âme au moment du décès pour lui servir d’enveloppe reconnaissable aux sens supérieurs, jusqu’au jour de la résurrection.
Nous appelons ces deux éléments impérissables de la corporalité terrestre, l’un, qui est inhumé, l’élément spécifique ; l’autre, qui sert de vêtement provisoire à l’âme décédée, l’élément physionomique ; et nous les retrouverons l’un et l’autre dans leurs rôles respectifs au moment de la résurrection.
Note ThéoTEX : On reconnaîtra dans la conjecture de Gretillat sur l’existence de deux corps, l’un matériel, retournant à la poussière terrestre après la mort, l’autre immatériel, servant de vêtement provisoire à l’âme en attendant la résurrection, une idée développée par Frédéric Godet dans son commentaire sur la 1re épître aux Corinthiens.
Si Gretillat trouve dans divers témoignages, bibliques et extra-bibliques, d’apparitions de spectres de personnes décédées, un appui à cette hypothèse, Godet tire plutôt ses raisons de l’importance très grande donnée par l’Écriture au corps : « le corps est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps ». Il distingue donc deux enveloppes dans le corps, l’une extérieure, l’autre intérieure. Le corps externe peut être souillé par des péchés grossiers, comme l’ivrognerie ou la gloutonnerie, sans que le corps intérieur en soit atteint. Par contre le péché d’impureté attente à l’intégrité du corps dans le corps, comme l’appelle Godet, et qui est réservé pour le Seigneur : Voir son commentaire à 1 Corinthiens 6.13-18.
Quoiqu’on pense d’une telle supposition, il n’y a aucune raison d’écrire comme le fait M. Benetreau, dans le N° 21 de la revue Fac-réflexion : « Il faut de même résister à la tentation de distinguer deux corps en l’homme. L’idée remonte, apparemment, au commentaire de Johannes Weiss (1910). Un exégète aussi pondéré que Frédéric Godet recourt à cette facilité pour tenter de maîtriser les difficiles versets 13 et 18 : le croyant posséderait, outre son corps fait d’une matière qui se renouvelle sans cesse, un corps d’un autre type, permanent celui-là, qui en constitue l’identité. »
Cependant, outre que personne n’a besoin de résister à la tentation d’une idée qui ne se dégage pas spontanément du passage, et à laquelle il n’aurait sans doute jamais songé si Godet ne l’avait pas exprimée, M. Benetreau n’avance aucun argument contre l’idée elle-même. Parler de facilité est une simple fin de non-recevoir, injustifiée, et démentie par le fait que, d’après lui-même, cette distinction entre deux corps ne serait pas apparue avant le 19e siècle.
Il est incontestable que l’âme fidèle elle-même n’a dans aucun cas atteint la perfection morale absolue en quittant le corps, et qu’un long développement s’ouvre dès ce moment devant elle ; mais on peut se demander et on s’est demandé en effet si la lutte avec le péché qui dure chez le chrétien même le plus avancé, de sa conversion à sa mort, se prolonge au delà de la mort elle-même. Nous croyons pouvoir répondre que la mort corporelle, en brisant définitivement la solidarité qui unit le racheté de Jésus-Christ à l’espèce, l’affranchit par là même dès ce moment de la puissance du péché (Romains 6.10 ; 7.25).
L’analogie de la doctrine de la prédication de Christ aux morts (1 Pierre 3.19) autorise l’hypothèse que la prédication du salut se continue dans les enfers dans l’intervalle de la première et de la seconde venue auprès des fractions de l’humanité qui n’ont pas été mises en demeure de se décider définitivement pour ou contre Christ durant l’existence terrestre, et que dans l’économie future comme dans celle-ci, les âmes fidèles seront appelées à continuer l’œuvre de Jésus-Christ. Ainsi l’œuvre des missions qui se poursuit actuellement et qui finira par atteindre les extrémités de la terre, n’est qu’un modeste prélude de celle qui s’accomplit parallèlement dans le monde invisible.
Note ThéoTEX : Gretillat dépasse ici les bornes de ce qu’il est permis à un exégète sérieux de l’Ecriture d’écrire. Sans doute rien ne s’oppose à imaginer l’activité des âmes durant l’intervalle entre l’ascension et le retour de Jésus-Christ. Mais écrire qu’elles s’occupent à évangéliser dans les enfers celles qui n’ont jamais entendu parler du Sauveur, c’est s’exposer à un juste reproche de spéculation débridée.