« Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance ». C'est par ces mots du Créateur que débute l'histoire de l'homme dans la Bible. Nous avons là toute une révélation du dessein éternel de Dieu, et quant à la création de l'homme, et quant à l'avenir éternel et glorieux auquel il est destiné, Dieu se propose de faire une créature semblable à lui, un être qui sera son image même et sa ressemblance, la manifestation visible de la gloire du Dieu invisible.
L'existence d'un être créé et pourtant semblable à Dieu : c'était bien là un dessein digne de la Sagesse infinie. Par sa nature même, Dieu est absolument indépendant de tout, puisqu'il possède la vie en lui-même et qu'il ne doit l'existence à nul autre qu'à lui-même. Si l'homme doit réellement être semblable à Dieu, il faut qu'en ceci aussi il soit son image et sa ressemblance, il faut que, de son libre choix, il devienne ce qu'il est appelé à être, et qu'ainsi il se fasse lui-même. Et pourtant, par sa nature même, la créature est dépendante, elle doit tout à son Créateur. Comment concilier cette contradiction : un être dépendant qui pourtant décide lui-même, un être créé et pourtant semblable à Dieu. C'est l'homme qui devait offrir la solution du problème. Comme créature, il reçoit de Dieu la vie, mais en la lui donnant, Dieu le doue de libre volonté. Ce n'est donc que par le moyen de sa liberté individuelle qu'il peut s'approprier et posséder l'image et la ressemblance de Dieu.
Quand le péché entra dans le monde et fit déchoir l'homme de sa haute destinée, Dieu n'abandonna pas son dessein. Ses révélations à Israël aboutissaient toutes à ce point central : « Soyez saint, car je suis saint » (Lév. 19.2), et Israël devait aspirer à ressembler à Dieu dans sa sainteté qui est sa plus haute perfection. Plus tard, la rédemption ne se proposa pas d'autre idéal. Elle ne pouvait que reprendre et accomplir le dessein éternel révélé à la création.
C'est pour cela que le Père envoya sur la terre son Fils qui était « l'image empreinte de sa personne » (Héb. 1.3). En lui s'est manifestée sous forme humaine cette ressemblance de Dieu pour laquelle nous avions été créés et que chacun de nous individuellement devait s'approprier. Jésus est venu nous montrer à la fois l'image de Dieu et notre propre image. Sa vue devait éveiller en nous le désir de retrouver cette ressemblance divine perdue depuis si longtemps, elle devait faire naître en nous cette espérance et cette foi qui donnent le courage de renoncer à soi-même pour être renouvelé à l'image de Dieu. Pour nous amener là, Jésus avait une double œuvre à accomplir. Il devait d'abord nous révéler par sa vie l'image de Dieu, afin de nous faire comprendre ce que c'est que de vivre à la ressemblance de Dieu, et ce que nous pouvions attendre et recevoir de lui, notre Rédempteur. Après avoir fait cela, après nous avoir montré la vie de Dieu dans sa vie humaine, il est mort pour pouvoir nous communiquer sa propre vie, la vie à l'image de Dieu, et nous mettre ainsi en état de vivre conformément à ce que nous avions vu en lui. Puis quand il est monté au ciel, il nous a envoyé par le Saint-Esprit la puissance de vie que nous avions en vue en lui contemplée en sa personne et qu'il nous avait acquise par sa mort.
Il est facile de voir combien ces deux parties de l'œuvre de Christ sont étroitement liées l'une à l'autre. Ce qu'il nous offre dans sa vie comme notre Modèle, il nous l'acquiert par sa mort comme notre Rédempteur. En d'autres termes, sa vie terrestre nous a indiqué la voie à suivre, sa vie céleste nous envoie la force d'y marcher. Nul n'a le droit de séparer ce que Dieu a uni. Celui qui n'a pas une pleine foi en la rédemption, n'a pas la force de suivre l'exemple de Christ. Et celui qui ne cherche pas à être conforme à l'image de Dieu, voyant là le grand but de la rédemption, ne peut pas non plus jouir de toute sa plénitude. Christ a vécu sur la terre pour manifester l'image de Dieu dans sa vie ; il vit à présent au ciel pour que nous puissions manifester à notre tour l'image de Dieu dans notre vie.
L'église de Christ n'a pas toujours maintenu l'équilibre entre ces deux vérités. L'église catholique romaine insiste avant tout sur la nécessité de suivre l'exemple de Christ. Il en résulte qu'elle peut citer un grand nombre de saints qui, malgré beaucoup d'erreurs, ont cherché par une dévotion admirable à refléter à la lettre et de tous points l'image du Maître. Mais, au grand dommage des âmes sérieuses, l'autre partie de la vérité reste dans l'ombre. Cette église n'enseigne pas que pour être capable de vivre comme Christ, il faut d'abord recevoir en soi la vie qu'il nous a acquise par sa mort.
Les églises protestantes doivent leur origine au réveil de cette dernière vérité. Le pardon et la grâce de Dieu reprirent alors leur place, à la grande joie et consolation de milliers d'âmes angoissées, mais on n'évita pas toujours l'écueil opposé, celui de ne plus voir que ce seul côté de la vérité. On n'enseigna pas assez clairement que Christ avait vécu sur la terre, non seulement pour racheter le pécheur par sa mort, mais encore pour lui montrer comment il devait vivre ici-bas. Toute Eglise orthodoxe voit bien en Christ le modèle à suivre, mais elle n'insiste pas sur la nécessité absolue de suivre ce modèle, autant que sur la nécessité de croire à l'expiation de Christ. On prend beaucoup de peine, et on fait bien, pour amener les pécheurs à recevoir le salut que leur acquiert la mort de Christ, mais on n'en prend pas autant, et c'est bien à tort, pour les amener à conformer leur vie à, celle de Christ, ce qui est pourtant le signe distinctif et la preuve certaine de tout vrai christianisme.
Est-il nécessaire de signaler ici l'influence qu'a sur la vie de l'église la manière de présenter cette vérité? Si l'expiation et le pardon sont tout, et si l'imitation de Jésus n'est qu'un point secondaire et qui va de soi, l'attention se porte principalement sur l'expiation. On cherchera surtout à obtenir le pardon et la paix, et quand on les aura obtenus, on sera tenté de s'en contenter et d'en rester là. Si, au contraire, on remonte au but que Dieu s'est proposé à la création, et que l'on prêche la nécessité de devenir conforme à l'image de Christ, présentant l'expiation comme le moyen d'y parvenir, toute prédication sur la repentance et le pardon mettra en relief le devoir de la sainteté. La foi en Jésus sera alors inséparable de la conformité à sa vie et cette Eglise-là produira de véritables disciples du Seigneur.
En ceci, les Eglises protestantes ont des progrès à faire. L'Eglise ne pourra revêtir tous ses atours et refléter la gloire de Dieu, que lorsqu'elle recevra ces deux vérités inséparables, telles que nous les présente la vie de Christ. Dans tout ce qu'il fit et souffrit pour nous, il nous a laissé un exemple à suivre, aussi tout, vrai christianisme ne se borne pas à porter haut, la bannière de la croix; il donne tout autant, d'importance à la nécessité de souffrir la croix avec Christ qu'à l’expiation sur la croix.
C'est là ce qu'enseigne clairement notre divin Maître. Quand il parle de la croix, il insiste moins sur l'expiation que sur la nécessité de lui ressembler. Que de fois il dit à ses disciples qu'ils doivent souffrir la croix avec lui et comme lui, qu'à ce prix-là seulement ils pourront être ses disciples et avoir part aux bénédictions qu'allait leur acquérir sa mort sur la croix. Quand Pierre « se mit à le reprendre » au sujet de sa mort (Mat. 16.21-23), Jésus ne chercha pas à lui prouver la nécessité de sa croix pour le salut des hommes, il insista seulement sur ce que la mort du moi était pour lui-même, comme pour nous, le seul moyen d'obtenir la vie de Dieu. Il faut que le disciple soit semblable au Maître. Jésus nous parle de la croix pour nous rappeler l'obligation de renoncer à nous-mêmes, de nous livrer à la mort, si nous voulons recevoir la vie divine qu'il est venu nous apporter. Ce n'est pas moi seul, disait-il, qui dois mourir, c'est vous aussi ; la croix, l'esprit de sacrifice, seront la preuve de votre fidélité. La première Epître de Pierre nous montre que l'apôtre avait bien compris ces mots. Dans les deux importants passages où il nous dit que « Christ a souffert pour nous, qu'il a porté nos péchés en son corps sur le bois, qu'il a souffert pour les péchés, lui juste pour les injustes », il ne parle guère qu'incidemment des souffrances du Seigneur, son but est de démontrer que nous devons aussi souffrir comme lui (1 Pier. 2.21, 24 ; 3.18), que nous devons voir dans la croix de Christ non seulement le moyen qui l'introduisit dans la gloire, mais aussi la voie où chacun de nous doit le suivre.
Paul reprend et expose avec force la même pensée. A ne prendre qu'une seule de ses Epître, celle aux Galates, nous trouvons quatre passages qui proclament la puissance de la croix. L'un d'eux exprime d'une manière saisissante la substitution et l'expiation : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, ayant été fait malédiction pour nous, car il est écrit : Maudit quiconque est pendu au bois ». (Gal. 3.13). C'est en effet là l'une des bases sur lesquelles reposent l'Eglise et la foi des chrétiens, mais pour tout édifice il faut plus encore que des bases, aussi cette même Epître nous répète jusqu'à trois fois que c'est dans notre conformité avec Christ sur la croix qu'est le secret de toute notre vie chrétienne. « J'ai été crucifié avec Christ ». « Ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises ». « Dieu me garde de me glorifier en autre chose qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ par laquelle le monde est crucifié pour moi, et moi au monde ». (Gal. 2.20. — 4.24. — 6.14).
La mort de Christ sur la croix pour notre salut n'est que le commencement de son œuvre en nous ; elle nous fait prévoir tout ce que la croix peut être pour nous quand nous la partageons dans notre vie de chaque jour avec lui, le Crucifié, faisant l'expérience de ce que c'est que d'être crucifié au monde. Et pourtant que de prédications, aussi profondes de pensée qu'éloquentes de parole, exaltent la croix de Christ, la mort de Christ pour sauver le pécheur, mais passent sous silence notre mort avec Christ, cette mort dont Paul se faisait gloire !
L'Eglise a besoin d'entendre retentir cette vérité-là aussi bien que l'autre. Il faut que les chrétiens comprennent que subir la croix, ce n'est pas supporter les diverses afflictions qu'on appelle des croix, mais qu'avant tout il s'agit là d'abandonner sa vie, de mourir au moi et d'être scellé ainsi du même sceau que Jésus, ce qui nous est tout autant et plus nécessaire encore dans la prospérité que dans l'adversité, et que sans cela nul ne peut avoir part à la plénitude des bénédictions que nous révèle la croix. C'est la croix comprise ainsi, non seulement la croix dressée au Calvaire, mais la croix de notre propre crucifiement s'étendant à toute notre vie active, qui sera pour nous et pour toute l'Eglise, comme elle le fut pour Christ, la voie qui conduit à la victoire et à la gloire, la puissance de Dieu pour le salut des hommes.
La rédemption nous offre donc ces deux faces : Christ subissant la croix pour expier nos péchés et nous ouvrir le chemin de la vie ; nous-mêmes subissant la croix avec Christ, pour pouvoir marcher en conformité de vie avec lui et à son image. Il faut que Christ notre Garant, et Christ notre Modèle, soient également prêches.
Mais il ne suffit pas de prêcher ces deux doctrines séparément, elles ne peuvent exercer toute leur influence qu'en se réunissant dans cette autre et profonde vérité qui nous présente Christ comme notre Tête. Quand nous saisirons bien que c'est notre union avec Jésus qui nous fait participer soit à l'expiation du Garant, soit à la Sainteté du Modèle, nous comprendrons l'admirable accord qui existe entre ces deux doctrines et combien elles sont toutes deux indispensables à la prospérité de l'Eglise. Nous verrons clairement alors que le même Jésus qui nous a ouvert la porte du ciel, aussi bien par la sainteté de sa vie, que par l’expiation de nos pêches, nous obtient également, soit le pardon par son sang, soit la conformité à sa vie par son Esprit. Nous verrons aussi que nous ne pouvons saisir l'une et l'autre de ces grâces que par la foi. Notre protestantisme évangélique ne pourra remplir sa mission que lorsque cette vérité capitale du salut par la foi seule sera appliquée, non seulement à la justification, mais aussi à la sanctification, c'est-à-dire à notre conformité à l'image de Christ.
Ceci ouvre un vaste champ au prédicateur qui voudra conduire ses auditeurs dans la voie d'une entière conformité à l'image de Christ. La vie chrétienne vraiment semblable à celle de Christ peut se comparer à un arbre dont la racine et les fruits sont réunis par le tronc. Dans la prédication comme dans la vie privée, ce sont les fruits d'abord qui attirent l'attention. Les paroles de Christ : « Faites comme je vous ai fait », et, dans les Epîtres, les fréquentes exhortations à aimer, à pardonner, à supporter comme Christ l'a fait, nous amènent aussitôt à comparer la vie des chrétiens de nos jours avec la vie de Christ et à présenter comme règle de conduite l'exemple que nous fournit la vie du Sauveur. Ceci fera sentir le besoin de prendre le temps d'étudier chaque trait de cet admirable Modèle pour savoir plus exactement ce que Dieu veut de nous actuellement. Il faut que les croyants en viennent à bien saisir que la vie de Christ est réellement la règle de leur vie à eux, et que Dieu attend d'eux qu'ils s'y conforment entièrement. Sans doute, il y a différence d'éclat entre la lumière du soleil qui brille au ciel et la lumière d'une lampe qui éclaire une de nos demeures terrestres, néanmoins, la lumière est toujours la lumière, et, dans sa petite sphère, la lampe peut faire son œuvre tout aussi bien que le soleil dans la sienne. Il faut que la conscience de l'Eglise apprenne à comprendre que l'humilité et le renoncement de Jésus, que son entière consécration à faire la volonté et l'œuvre de son Père, que sa prompte obéissance, son dévouement, son amour et sa bonté représentent sans exagération ce que chaque croyant doit être à son tour, et que c'est là son simple devoir aussi bien que son privilège. Il n'y a pas, comme on le pense trop souvent, deux degrés de sainteté, l'un à l'usage de Christ et l'autre à l'usage de ses disciples. Non ; comme sarments du cep, comme membres du même corps, comme ayant droit au même Esprit, nous pouvons, et par conséquent nous devons, être l'image de notre Frère Aîné.
Si cette conformité à la vie de Christ se voit rarement, si elle est trop peu recherchée par la grande majorité des chrétiens, c'est parce qu'on se fait une idée fausse, soit de l'incapacité de l'homme, soit de ce qu'il peut attendre de la grâce divine, quand elle opère en lui. On a généralement tant de foi en la puissance du péché, et si peu de foi en la puissance de la grâce, qu'on ne se croit pas même appelé à avoir le même amour que Jésus, le même esprit de pardon, la même consécration à la gloire du Père, et qu'on ne voit plus là qu'un idéal admirable sans doute, mais impossible à atteindre. On se dit que Dieu ne peut pas attendre de nous que nous soyons, que nous fassions, ce qui est si fort au delà de notre portée, et, comme preuve de l'impossibilité d'y parvenir, on allègue ses vains efforts pour dominer son humeur, ou pour vivre entièrement au service de Dieu.
Ce n'est qu'en persévérant à présenter Christ comme notre Modèle et à prêcher cette vérité divine dans toute son intégrité et tout son éclat, qu'on pourra surmonter une pareille incrédulité.
Il faut enseigner aux croyants que Dieu ne moissonne pas là où il n'a pas semé, mais que le fruit demandé et la racine qui le produit sont intimement reliés l'un à l'autre. Dieu veut que nous pensions, que nous parlions et que nous agissions exactement comme Christ, puisque la vie qui nous anime est exactement la même que celle qui l'animait. Si nous possédons une vie semblable à la sienne, quoi de plus naturel que d'attendre de nous des fruits semblables aux siens. Si Christ vit en nous, Christ agira et parlera par nous, et révélera ainsi sa présence aux yeux du monde.
Il faut prêcher que c'est par la foi seule qu'on peut recevoir Christ comme le Modèle à imiter. C'est par là qu'on amènera les enfants de Dieu à être tels que Dieu les veut. La plupart des chrétiens pensent que nous devons croire en Jésus comme en notre Sauveur, et qu'ensuite nous serons poussés par un sentiment de reconnaissance à suivre l'exemple qu'il nous a donné, mais ce mobile de gratitude ne saurait suppléer au manque de force dont nous souffrons. Notre incapacité reste la même ; c'est nous replacer sous la loi : Je dois faire, mais je ne puis pas. Il faut enseigner à ces chrétiens-là ce que c'est que de croire en Christ comme leur Modèle, ce que c'est que de saisir par la foi sa vie sainte qui fait partie du salut qu'il leur a préparé. Il faut leur enseigner que ce Modèle n'est pas quelque chose ou quelqu'un en dehors d'eux, mais que le Dieu vivant est lui-même leur vie, et qu'il veut réaliser en eux l'exemple que leur offre sa vie terrestre. Il faut qu'ils sachent que dès qu'ils se soumettront à lui, il manifestera sa présence en eux et dans leur vie de chaque jour au delà de toute prévision ; il faut qu'ils voient dans la conformité à la vie de Christ l'action directe de la Vie éternelle descendue du ciel, et qui est donnée à tous ceux qui croient. C'est parce que nous sommes un avec Christ et que nous demeurons en lui, c'est parce qu'ainsi nous possédons la même vie divine que lui, que nous sommes appelés à marcher comme lui.
Il n'est pas toujours facile de se faire une idée claire de cette vérité, et d'en venir ensuite à l'accepter. Les chrétiens se sont si bien accoutumés à une vie d'infidélité et de chutes continuelles, que la pensée ne leur vient pas même de pouvoir réaliser assez cette ressemblance avec Christ pour qu'elle se voie en eux. On ne pourra vaincre leur incrédulité à cet égard qu'en leur prêchant cette vérité avec toute l'animation d'une foi joyeuse et triomphante, car ce n'est qu'à la foi et à une foi plus ample et plus profonde qu'on ne la croit ordinairement nécessaire pour saisir le salut, qu'est accordée cette puissance de vie de Christ qui devient la vie du croyant. Quand Christ sera prêché dans son entier, et comme règle, et comme vie, le croyant obtiendra cette foi plus efficace qui résulte de son unité avec Christ, et recevra ainsi la force de vivre de cette vie-là.
Le développement de cette foi varie selon les cas. Les uns l'obtiennent à la longue en persévérant à s'attendre à Dieu. D'autres en ont une révélation soudaine ; après des temps de luttes et de chutes, ils arrivent à voir clairement que si Jésus donne l'exemple à suivre, il donne aussi la force de le suivre. Les uns y arrivent dans la solitude, loin de tout secours humain, seuls avec le Dieu vivant, tandis que d'autres, et c'est souvent le cas, la reçoivent pendant qu'ils sont réunis avec les fidèles et qu'alors le Saint-Esprit touche les cœurs, presse les âmes de se décider, et les amène à saisir ce que Jésus leur offre, ce qu'il donne lui-même pour rendre semblable à lui. Quelle que soit la marche que suive ce progrès spirituel, toujours il a lieu quand, par la puissance de l'Esprit, on présente Christ comme le Modèle de ce que Dieu attend de ses enfants. Alors, les croyants, amenés à reconnaître leur état de péché, et leur incapacité à en sortir, se remettent, comme jamais ils ne l'avaient encore fait, entre les mains de leur tout-puissant Sauveur, et en viennent à réaliser la vérité de ces deux textes, en apparence contradictoires : « Le bien n'habite point en moi, c'est-à-dire dans ma chair ». « Je puis tout par Christ qui me fortifie ». (Rom. 7.18 ; Phil. 4.13).
Quoi qu'il en soit, la racine et les fruits sont toujours reliés entre eux par le tronc de l'arbre. Nous le voyons par la vie de Christ : ses rapports individuels et continuels avec le Père établissaient une correspondance soutenue entre sa vie cachée en Dieu et les fruits de sa vie extérieure. Par son regard habituel vers le Père, par sa promptitude à l'écouter, par son obéissance aux directions de l'Esprit, par sa soumission aux paroles de l'Ecriture qu'il venait accomplir, par sa vigilance dans la prière, et par toute sa vie de dépendance et de foi, il nous donne l'exemple de ce que nous devons être, nous aussi. Il nous avait été fait si réellement « semblable en toutes choses » (Héb. 2.17), il était si bien devenu un avec nous dans la faiblesse de la chair, que ce n'était qu'à ce prix-là que la vie du Père avait libre cours en lui, produisant les œuvres qu'il faisait. Il en sera précisément de même pour nous. Notre union avec Jésus, et la présence de sa vie en nous, nous assureront une vie semblable à la sienne. Ce ne sera pourtant pas le résultat direct d'une force aveugle mise en mouvement et accomplissant machinalement Son œuvre, mais il y aura là de notre part coopération d'intelligence, de volonté et d'amour pour demander, pour recevoir et nous abandonner à Dieu avec confiance, aussi bien que pour employer à son service tout ce qu'il donne, et travailler avec la certitude qu'il travaille en nous. Cette foi en Christ, notre Vie, ne nous sera pas un oreiller de paresse ; au contraire, elle stimulera toute notre énergie au plus haut degré, et comme elle rend toutes choses possibles, elle nous portera par là même à rechercher toujours plus tout ce qui constitue la vraie communion avec Dieu, nous faisant tout attendre de lui.
Voici, quant à notre conformité avec Christ, les trois points qu'il importe de bien connaître : Notre vie est, comme celle de Christ, cachée en Dieu, elle se maintient, comme la sienne, par la communion avec Dieu, et son activité extérieure en fait, comme de la sienne, une vie pour Dieu. Quand les croyants en viendront à saisir cette vérité, à pouvoir se dire : Nous sommes réellement semblables à Christ par la vie que, grâce à lui, nous avons en Dieu ; nous pouvons être semblables à Christ en maintenant et fortifiant cette vie par notre communion avec Dieu ; nous serons encore semblables à Christ par les fruits que doit porter cette vie-là ; alors le nom de disciple de Christ et la conformité à Christ ne seront plus seulement une profession de foi, mais bien une réalité, et le monde saura que le Père nous a réellement aimés comme il a aimé le Fils.
Qu'il me soit permis de demander ici à tout pasteur et à tout chrétien qui liront ces lignes, si, dans les enseignements de l'Eglise, nous avons assez présenté Christ comme le Modèle dont l'imitation nous ramènera seule à l'image de Dieu. Plus les prédicateurs de l'Eglise remonteront eux-mêmes à la source divine de toutes les vérités qui concourent ensemble à donner la pleine jouissance du salut, plus aussi ils deviendront aptes à faire entrer les fidèles dans cette voie de privilèges et de sainteté pratique. Ils seront ainsi un moyen de bénédictions nouvelles pour le monde, selon que Dieu l'attend d'eux. C'est là, en effet, ce dont le monde à besoin de nos jours ; il lui faut des hommes et des femmes vivant de la vie de Christ et prouvant par leur conduite que, comme Christ, ils n'ont ici-bas d'autre but que la gloire du Père et le salut des hommes.
Encore un mot. Soit que nous prêchions la conformité avec Christ, soit que nous cherchions à la mettre en pratique, gardons-nous de ce perfide et mortel égoïsme qui ne chercherait à l'obtenir que dans le seul but de nous placer nous-mêmes aussi haut que possible dans la grâce et les faveurs de Dieu. Dieu est amour ; l'image de Dieu doit donc refléter un amour semblable à celui de Dieu. Quand Jésus disait à ses disciples : « Soyez parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait » (Matt. 5.48), c'était leur dire que la perfection consistait à aimer et à bénir ceux qui en étaient indignes. Les noms mêmes de notre Seigneur nous montrent que tous les autres traits caractéristiques de notre ressemblance avec Christ sont subordonnés à celui-ci : Chercher la volonté et la gloire de Dieu en aimant et en sauvant les hommes. Il est le Christ, l'Oint de Dieu. Pour qui ? Pour les cœurs brisés, pour les captifs, pour ceux qui sont dans les liens et dans le deuil. Il est Jésus, le Sauveur, qui a vécu et qui est mort pour sauver ceux qui étaient perdus.
Il peut se faire beaucoup d'œuvres chrétiennes sans une grande mesure de sainteté ou d'esprit de Christ, mais il est impossible de posséder en grande mesure la véritable sainteté, semblable à celle de Christ, sans se consacrer particulièrement à faire du salut des pécheurs le but de sa vie, et cela pour glorifier Dieu. Jésus s'est donné lui-même pour nous, afin de pouvoir nous réclamer nous-mêmes pour lui, et de se former ainsi « un peuple particulier, zélé pour les bonnes œuvres ». (Tit. 2.14). Il y a là réciprocité et parfait accord, identité complète d'intérêt et de but. Lui-même pour nous, comme notre Sauveur, et nous-mêmes pour lui, aussi comme sauveurs, en continuant sur la terre, comme lui et pour lui, l'œuvre qu'il y a commencée. Mettons toujours en relief cette vérité quand nous prêchons la nécessité d'avoir une vie conforme à celle de Christ, soit que nous remontions à sa source, notre union avec Christ en Dieu, soit que nous indiquions le moyen de la maintenir et de la développer par la foi, la prière et la communion avec Dieu, soit aussi que nous insistions sur les fruits d'humilité, de sainteté et d'amour qu'elle doit produire. Oui, c'est pour faire connaître la volonté et la gloire du Dieu d'amour dans le salut des pécheurs que Christ a vécu, qu'il est mort et qu'il vit actuellement. Etre semblable à Christ signifie donc ceci : Rechercher la grâce, la vie et l'Esprit de Dieu pour se consacrer entièrement à faire connaître la volonté et la gloire du Dieu d'amour dans le salut des pêcheurs.
FIN