Genèse ch. 22 (Hébreux 11.17-19)
Le mystère de la mort expiatoire de Jésus est préfiguré dans le sacrifice d’Isaac. Le type n’est, il est vrai, qu’une ombre de la réalité. Cependant il peut nous aider à comprendre celle-ci. L’amour du Père qui donne son Fils pour la propitiation de nos fautes, le dévouement du Fils, l’acceptation de son sacrifice, s’y révèlent à nous.
Un sacrifice aussi grand que celui de Jésus était nécessaire pour notre salut et pour notre glorification future. Grand ou petit, le péché ne saurait être passé sous silence ; il ne s’éteint pas non plus par lui-même. Le temps, qui adoucit tout, n’y peut rien. La culpabilité demeure, et le mal causé par un acte coupable va s’étendant toujours plus. C’est Dieu qui a lui-même établi que le péché commis et ses conséquences ne peuvent être supprimés que par la souffrance, et il en sera ainsi éternellement. La désobéissance ne peut être réparée que par l’obéissance. La coulpe ne peut être enlevée que par une souffrance imméritée. Les chaînes du péché ne peuvent être brisées et les liens de la mort rompus que par le dévouement d’un saint et d’un juste, par son obéissance jusqu’à la mort. Il y a une colère de Dieu sur les forfaits de ses créatures, et cette colère ne cesse pas, car jamais et à aucune condition il ne se réconciliera avec le péché. Mais, en même temps, il aime ses créatures ; il a pitié d’elles ; il veut la mort du péché, mais non celle du pécheur. « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16). Dieu réclame, selon sa justice et sa sagesse, un sacrifice parfait pour le péché des enfants des hommes. Cette vérité si sérieuse et si redoutable était présente à la conscience des païens ; mais le mystère de l’amour divin leur demeurait caché. Ce mystère consiste en ce que Dieu ne réclame et n’accepte pas d’un autre le sacrifice expiatoire : il se l’impose à lui-même ; il a un Fils éternel, unique, bien-aimé, et c’est ce Fils qu’il n’a « point épargné, mais qu’il a livré pour nous tous. » C’est ce que l’apôtre nous atteste (Romains 8.32), et il nous fait comprendre par là la portée du sacrifice d’Abraham. « Parce que tu as fait cela et que tu n’as point épargné ton fils unique, lui crie l’ange, certainement je te bénirai. » Ainsi la victoire remportée par Abraham sur son cœur de père, lorsqu’il sacrifie son fils — sacrifice aussi douloureux que s’il eût du se sacrifier lui-même — est une image de l’amour ineffable de Dieu le Père, qui a fait la même chose d’une manière plus haute encore. Il aime le Fils comme lui-même : quand il le sacrifie, c’est comme s’il s’était abaissé et livré lui-même à la mort. Il ne faut pas nous représenter le Père demeurant étranger à la mort de Jésus ; car — dit l’Ecriture — « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même » (2 Corinthiens 5.19). Livrer le Fils ne lui fut pas moins sensible qu’à Abraham de mettre Isaac sur l’autel. Ce qu’Abraham fit par amour pour Dieu, Dieu s’y est résolu par amour et par pitié pour nous. « Il n’a point épargné son propre Fils ; » il ne l’a pas retenu, ne nous l’a pas refusé, mais il l’a « livré pour nous tous ; comment ne nous donnerait-il pas toutes choses avec lui ! »
Considérez Isaac ; voyez-le suivre docilement Abraham et marcher à son côté, troublé et pourtant confiant dans son père, bien qu’il ne puisse comprendre ce qu’il se propose de faire de lui ; porter lui-même jusqu’au Morija le bois sur lequel il sera sacrifié ; se laisser patiemment lier sur l’autel, tranquille au moment de recevoir la mort de la main de son père ! Qui ne reconnaîtrait ici le type de Jésus, conduit à la tuerie comme un agneau, montant volontairement à Jérusalem, portant sa croix, obéissant jusqu’à la mort ? L’histoire d’Isaac est sacrée pour nous, car Jésus lui-même y a certainement vu un type qu’il devait accomplir. Lorsqu’il partait pour Jérusalem, sachant bien ce qui l’y attendait, il avait besoin d’être fortifié : « Il faut, disait-il, que je sois baptisé d’un baptême ; et combien il me tarde qu’il soit accompli ! » (Luc 12.50). Il trouva force et consolation dans la volonté de son Père, qui se révélait à lui dans les Ecritures et entre autres dans l’exemple d’Isaac. La filiale soumission d’Isaac et sa miraculeuse délivrance sont un des faits de l’histoire sainte dont la méditation le restaura et où il puisa la force de marcher à la mort et d’offrir le parfait sacrifice. On dira qu’entre eux il y a une grande différence : Isaac se livrait à son père ; Jésus a été livré entre les mains des impies, condamné, maltraité, outragé, tué par des méchants. Extérieurement cette différence est réelle. Mais, ici encore, le type répand du jour sur un côté du mystère. Jésus aussi s’est remis, comme Isaac, aux mains de son Père ; son regard est resté fixé sur le Dieu invisible ; tout ce que les hommes lui ont fait, il l’a accepté comme de la part de ce Père. Avant qu’ils missent la mais sur lui, il s’était, à Gethsémané, abandonné tout entier entre les mains de Dieu. Sa prière, ses larmes, étaient un sacrifice ; il s’est sacrifié lorsqu’il a dit : « Ta volonté soit faite ! » C’est dans cet esprit qu’il a tout souffert de la part des méchants dans le palais de Caïphe, dans le prétoire de Pilate et sur le chemin de Golgotha : c’est par amour pour son Père qu’il a porté le bois du supplice sur son dos lacéré ; c’est en jetant sur lui un regard filial qu’il s’est laissé lier sur la croix et percer les mains et les pieds. Il eût pu encore appeler à son aide les légions des anges. Ce qui l’a retenu sur la croix, ce ne sont ni les clous, ni la puissance des hommes, ni celle du prince des ténèbres ; c’est son amour pour Dieu, c’est l’inébranlable résolution d’obéir jusqu’au bout à sa volonté. Même alors que l’obscurité l’enveloppe, que Dieu lui cache sa face et le traite avec sévérité, comme Abraham son Isaac, l’amour de Jésus pour le Père ne vacille point ; il persiste dans sa soumission ; il accomplit le type d’Isaac.
Son sacrifice a été accepté du Ciel. Lorsqu’il eut penché la tête, et qu’on l’eut couché dans le tombeau, alors ses amis même crurent que tout était fini pour lui. Mais c’est ici que ce type d’Isaac s’est réalisé le plus admirablement. Lui aussi semblait perdu sans retour ; il se regardait lui-même et Abraham le regardait déjà comme mort. Au dernier moment, l’Ange de Dieu crie du ciel : « Ne mets pas ta main sur l’enfant ! » Et Abraham voit un bélier, qu’il offre à la place de son fils. Il reçoit Isaac comme s’il lui était donné à nouveau par la main de Dieu. Avec quelle joie il le délie et le presse sur son cœur ! Le père et le fils achèvent le sacrifice dans l’action de grâces. Ils étaient montés ensemble le cœur inexprimablement oppressé ; c’est avec des larmes de joie et en bénissant Dieu qu’ils redescendent et s’en retournent à Béerséba retrouver Sara.
Dieu a manifesté à Abraham et à Isaac sa miséricorde au-delà de toute attente, et bien plus merveilleusement qu’ils n’auraient pu le demander ou le comprendre. C’est pourquoi l’Ecriture dit qu’Abraham « a recouvré son fils en figure » ou « comme figure, » c’est-à-dire comme type de la résurrection inattendue et triomphante de Jésus. Le sacrifice d’Isaac fut accepté ; le ciel s’ouvrit ; Dieu répandit sur Abraham l’abondance de ses promesses et les confirma par un serment solennel. Le ciel s’est ouvert aussi sur le tombeau de Jésus : le Père a regardé favorablement le sacrifice accompli ; la gloire du ciel a illuminé le sépulcre du Saint et du Juste, et, « par la gloire du Père », Christ a été réveillé d’entre les morts (Romains 6. 4). Sa souffrance a été changée en joie ; couronné de gloire et d’honneur, échappé aux liens de la mort, il a pour récompense l’immortalité et la gloire céleste. Voilà la réponse aux larmes de Gethsémané et aux dernières paroles de la croix ; voilà la preuve éclatante que Dieu n’a pas méprisé sa peine, que l’approbation divine a été sur lui et sur son sacrifice, et que toutes les promesses de Dieu sont à lui. « Tu es mon Fils ; je t’ai engendré aujourd’hui. Assieds-toi à ma droite, et domine au milieu de tes ennemis… L’Eternel l’a juré, et il ne s’en repentira point : Tu es sacrificateur à toujours selon l’ordre de Melchisédec ! » (Psaumes 2.7 ; 110.1.1-4 ; Actes 13.33).
Le sacrifice d’Isaac est enfin un type des épreuves que l’Eglise a encore devant elle et de la fin glorieuse à laquelle Dieu la conduit.
La vie d’Abraham a été une série d’épreuves, qu’il n’a pu surmonter que par une foi ferme, filiale, inébranlable dans la puissance et la fidélité du Dieu invisible. Loin de devenir plus légères avec le temps, elles furent de plus en plus rudes. Ceux qui sont appelés à marcher sur ses traces doivent s’attendre à faire les mêmes expériences. Mais notre marche est plus facile, car nous avons plus de lumière. Abraham regardait à Dieu et croyait en Celui qui pouvait même ressusciter Isaac. Nous regardons à Dieu, nous voyons Jésus à sa droite, et nous croyons en Celui qui a déjà ressuscité d’entre les morts notre Chef, ce Jésus » qui a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification. » De là la confiance filiale que nous mettons en lui. S’il a fait de si grandes choses pour notre Chef, il achèvera aussi son œuvre en nous ; comme il l’a accueilli et élevé à sa droite, il nous recevra et nous introduira aussi dans la place que Christ a préparée pour nous dans le Ciel. Voilà la foi que nous avons en Dieu par Christ, et cette foi lui est agréable : il nous « l’impute à justice, » comme il le fit pour Abraham (Romains 4.20-25).
C’est par ces épreuves que la foi d’Abraham fut rendue parfaite (Jacques 2.22). Les dispensations de Dieu, alors même qu’elles sont douloureuses, ne nous font jamais du mal. Par elles, la chair est mortifiée, notre foi, notre espérance en Dieu, purifiée et vivifiée. Il se peut qu’Abraham eût trop attaché son cœur à Ismaël d’abord, puis à Isaac, et que Dieu ait jugé nécessaire de le détacher d’abord du premier, puis du second. Il en agit de même avec nous. Nous devons l’aimer par-dessus tout ; mais nous sommes toujours portés à nous attacher trop peu à lui et trop aux créatures. C’est pourquoi il nous met en demeure de renoncer à ce que nous avons de plus cher, de mettre pour ainsi dire notre Isaac sur l’autel. Celui qui veut lui obéir, doit sacrifier parfois des amis ou la considération dont il jouit dans le monde. Pour nous apprendre ce que c’est que prier, Dieu fait descendre un des nôtres jusqu’aux portes de la mort ; il veut voir si nous serions, prêts à lui rendre nos bien-aimés quand il nous les redemanderait, comme Abraham fit de son fils unique. S’il nous trouve dociles, si déjà nous avons intérieurement fait le sacrifice, souvent alors il nous rend, comme à Abraham, l’Isaac qui semblait déjà perdu. Il se plaît à changer ainsi notre tristesse en joie, quand il a atteint son but dans notre cœur. Souvent aussi, malgré nos prières, nos bien-aimés ne nous sont point rendus pour cette vie ; nous devons les donner réellement. Mais c’est alors que ce mot a toute sa vérité : « Abraham recouvra son fils en figure. » Il y a là, en effet, une figure de la résurrection des justes, un prélude du jour où Dieu ramènera à la lumière ceux qui se sont endormis en Christ, et les rendra à ceux qui seront restés et vivront encore sur la terre. Jésus réveille le jeune homme de Naïn. et le rend à sa mère ; il rappelle à la vie la petite fille de Jaïrus, et la rend à ses parents ; il fait sortir du tombeau son ami Lazare, et le rend à ses sœurs en deuil. Chacun de ces actes est-il autre chose qu’un gage de ce qu’il fera en ce jour-là ? Véritablement, ce n’est point en vain que l’on se confie en lui, qui vivifie les morts. Il en coûte de marcher sur les traces de la foi tant éprouvée d’Abraham, mais l’issue est glorieuse !
L’Eglise est rudement éprouvée en ce monde. Elle aspire à voir Christ paraître dans sa gloire, triompher de la mort et établir son règne. Cet espoir, qui semblait d’abord prochain, s’est éloigné et semble parfois devoir s’éloigner encore. Il en fut ainsi pour Abraham, lorsqu’il sacrifia son Isaac. L’Eglise, quand elle voit mourir 4es hommes de Dieu, doit se confier en Celui qui ne meurt pas, qui est éternellement vivant et éternellement fidèle (Hébreux 13.7-8). Il faut que Rachel pleure ses enfants, « parce qu’ils ne sont plus ». Mais le Seigneur lui dit : « Retiens ta voix de pleurer et tes yeux de verser des larmes ; car ton travail aura sa récompense, et on reviendra du pays de l’ennemi » (Jérémie 31.15-16).
Abraham nomma le lieu du sacrifice : « L’Eternel pourvoira, » et ce nom lui est resté ; il exprime l’expérience du patriarche. A l’heure même où il semblait que Dieu eût détourné sa face de lui, il abaissa sur lui son regard paternel, sauva Isaac et lui renouvela ses promesses.
Les épreuves de l’Eglise ont ressemblé jusqu’ici aux premières épreuves d’Abraham. Il lui en est sans doute réservé une encore qui lui causera d’aussi vives douleurs qu’à Abraham le sacrifice d’Isaac. Quand elle sera là, le devoir sera de tenir ferme dans la foi d’Abraham, et de confesser, fût-ce le cœur saignant, que Dieu est amour, vérité, fidélité éternelle, et qu’il achève glorieusement ce qu’il a commencé. Toutes les espérances de l’Eglise seront réalisées, toutes les blessures que la mort lui a faites guéries, toutes les prières des croyants exaucées, toutes les larmes des enfants de Dieu séchées — au jour de la première résurrection. La tristesse alors sera changée en joie ; alors aussi nous comprendrons ce que signifie ce mot : Abraham a recouvré Isaac « en figure. »