On a déjà vu au siècle précédent se développer dans l’Église, tout autour du dogme et du culte essentiel, une série de croyances et de pratiques qui en sont la conséquence et le prolongement plus ou moins directs. Ces développements atteignent dans l’Église grecque leur plus grande ampleur du ve au viiie siècle. Nous n’en parlerons que dans la mesure où leur objet présente un intérêt dogmatique plus marqué.
Le culte de Marie n’était pas inconnu au ive siècle ; mais la définition du concile d’Éphèse (431), en faisant de la maternité divine le mot de passe de la foi christologique contre les nestoriens, contribua singulièrement à l’accroître. Les splendides apostrophes adressées à la Mère de Dieu par saint Cyrille, dans son homélie iv, pour célébrer la décision du concile, Χαίροις παρ᾽ ἡμῶν, Μαρία ϑεοτόκε… furent redites par toutes les bouches éloquentes jusqu’à Michel Cérulaire et bien au delà. L’absolue virginité de l’ἀειπαρϑένος devint un dogme indiscuté. Sans prendre la forme précise que la sainteté de Marie va jusqu’à l’exemption de la faute héréditaire, l’idée est partout présente dans la théologie grecque de cette époque — qui d’ailleurs n’accorde pas à la question du péché originel la même attention ni la même importance que la théologie latine — que cette sainteté est parfaite, complète, aussi grande qu’on la peut concevoir dans une créature. La Vierge παναγία ne connaît point la souillure. Elle est d’ailleurs élevée au-dessus des apôtres et des anges, médiatrice entre le ciel et nous, celle par qui tous les biens nous sont venus en Jésus-Christ. Aussi des églises s’élèvent-elles partout sous son vocable. Ses fêtes se multiplient. On connaissait déjà, depuis la fin du ive siècle au moins, l’Hypapante, mais qui était exclusivement consacrée à honorer la présentation de Jésus au temple. Le concile quinisexte (692), dans son canon 52, parle de la fête de l’Annonciation (ὁ εὐαγγελισμός) du 25 mars, comme d’une institution déjà existante. La fête de la Présentation (ἡ ἐν τῷ ναῷ εἴσοδος) prend naissance probablement à Jérusalem, en novembre 543. Le dépôt d’un vêtement de la sainte Vierge aux Blakhernes est l’origine (vers 457-478) de la fête du 2 juillet. Au viie siècle, celle de la Nativité (8 septembre) est connue. Enfin, il faut signaler la le te de la Dormition (ἡ κοίμησις) dont l’empereur Maurice (582-602) fixe la célébration au 15 août. On est persuadé chez les grecs, depuis le ve siècle, que la terre ne possède plus le corps de la bienheureuse Vierge : la ἡ κοίμησις a été aussi une (σύσσωμος μετάστασις. La fête de la Conception (9 décembre chez les grecs), ἡ σύλληψις τῆς ἁγίας καὶ ϑεοπρομήτορος Ἄννης, doit remonter à la fin du viie siècle, car on possède pour elle une hymne d’André de Crète.
Parallèlement à celui de la Vierge se développe le culte des anges et des saints. Mais saint Cyrille fait remarquer qu’il ne faut pas confondre ce culte avec l’adoration que nous rendons à Dieu : « Nous ne disons pas que les saints martyrs sont des dieux, ni nous ne les adorons pas comme tels (λατρευτικῶς) : nous les révérons seulement par l’affection et par l’honneur » (σχετικῶς καὶ τιμητικῶς). Sur le Bosphore se dresse un mikhaelion, c’est-à-dire une chapelle à saint Michel bâtie par Constantin, et, à l’exemple impérial, on les multiplie partout. La protestation de Théodoret, rappelant la prohibition du concile de Laodicée, reste inefficace. Chacun vénère et prie son ange gardien. Ont aussi leur fête les apôtres, les patriarches, les martyrs : ceci est ancien. Ce qui est plus nouveau c’est la fréquence des fêtes des simples confesseurs, des homologètes, comme on les nomme : leur culte toutefois, sauf quelques exceptions, reste exclusivement local.
On ne vénère pas seulement les saints : on vénère leurs reliques ; on pense qu’elles sanctifient ceux qui en approchent. Constantinople en possède d’inestimables ; mais d’ailleurs il est d’usage de ne pas ouvrir une église sans y déposer quelques reliques ; et cet usage donne lieu à des translations continuelles. Les images des saints sont aussi en honneur, et nous devrons bientôt traiter de l’opposition terrible qui y fut faite. Ajoutons la coutume — très ancienne — des pèlerinages à Jérusalem surtout, au Sinaï, aux villes particulièrement illustrées par le souvenir des saints qui y avaient vécu.
A ces pratiques en l’honneur des saints se joignait naturellement l’emploi de ces nombreux moyens de purification et de sanctification que nous nommons des sacramentaux (sacramentalia). L’eau était solennellement bénite le jour de l’Epiphanie, mais on en bénissait aussi en dehors de ce jour, et on s’en servait souvent. On oignait les malades avec l’huile des lampes des églises ou qui brûlaient devant certaines reliques. On faisait célébrer pour les défunts un service funèbre les troisième, neuvième et quarantième jour après leur mort, et le jour anniversaire de leur décès.
Comme couronnement à tout cet ensemble de pratiques chrétiennes, souvent comprises d’une façon trop extérieure et pharisaïque, mais témoignant cependant d’un fond réel de religion, il faut mentionner le développement du monachisme. Il avait pris naissance au ive siècle en Égypte d’abord, mais il se répandit rapidement en Palestine, en Syrie, dans la Cappadoce et autour de Constantinople. La vie monastique, qu’il s’agisse de la vie érémitique ou de la vie conventuelle, est, en soi, l’expression d’un christianisme plus complet, d’une perfection chrétienne plus haute. Astreint au célibat, à la pauvreté, souvent à l’obéissance sous un abbé, généralement mal nourri, mal vêtu, jeûnant fréquemment, le moine apparaissait aux simples fidèles comme l’homme de Dieu par excellence. Ce n’est pas que tous réalisassent cet idéal, il s’en faut, mais beaucoup y tendaient, et il suffit de parcourir les historiens et auteurs ascétiques du temps, Isidore de Péluse, saint Nil, l’Histoire religieuse de Théodoret, Cyrille de Scythopolis, saint Jean Climaque, Jean Moschus etc., pour se convaincre que la vertu de leurs héros était authentique et sûre. Aussi les moines étaient-ils populaires, et leur influence pour le bien était énorme quand l’hérésie ne les saisissait pas pour en faire des fanatiques. Placés entre le clergé et le peuple, ils traduisaient pour celui-ci les formules savantes du dogme, et d’autre part introduisaient dans l’Église certaines formes simplistes et en somme innocentes de la piété des foules. Les dispositions des conciles et les ordonnances des empereurs sont nombreuses qui traitent de leurs habitations, de leurs prières, de leur nourriture, en un mot qui règlent tout le détail de leur vie. Mais c’est là objet d’histoire de la discipline plus que d’histoire des dogmes.