Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

31.
Convertissez-vous

Et après que Jean eut été livré, Jésus alla dans la Galilée, prêchant l’Évangile de Dieu, et disant : Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche ; repentez-vous, et croyez à l’Évangile.

(Marc 1.14-15)

« Convertissez-vous ! » A l’ouï de ces paroles probablement plusieurs se sont dit : ce discours ne me concerne pas. Il a été rédigé sans doute pour ces pécheurs scandaleux qui, comme le brigand sur la croix et la femme de mauvaise vie aux pieds de Jésus, devaient renoncer complètement à leur vie passée et marcher à l’avenir dans une voie toute contraire ; mais moi, honnête homme, honnête femme, père dévoué, bon citoyen, moi qui, sans être parfait, puis au moins me rendre le témoignage de remplir mes devoirs mieux que beaucoup d’autres, évidemment je n’ai pas à me convertir.

Erreur, mes frères, erreur ; c’est précisément vous qui avez besoin de conversion, et la meilleure preuve en est que vous croyez pouvoir vous en passer. J’accorde, si vous voulez, que vous êtes pères dévoués, bons citoyens, femmes actives et vertueuses ; alors encore vous avez besoin d’être convertis. Vous marchez vers le nord, il vous faut faire volte-face et marcher vers le midi. Sans doute, le brigand et Madeleine étaient allés plus loin que vous ; mais vous marchez sur la même direction et, pour en sortir, vous, comme eux, devez vous, retourner. Pour tout dire, en un mot, fussiez-vous le plus parfait honnête homme selon le monde, vous auriez besoin d’une conversion pour devenir un chrétien selon l’Évangile ; voilà ce que nous voudrions vous faire sentir, ou plutôt ce que nous supplions Dieu de vous faire sentir lui-même.

Vous êtes honnête homme, dites-vous ; qu’entendez-vous par là ? Peut-on dire que vous ne soyez pas semblables à la plupart de ceux qui vous entourent, que vous ne soyez ni violents, ni injustes, ni impurs ? Est-ce à dire que vous fassiez des aumônes, observiez les pratiques de la religion et vous rendiez dans ses temples ? Soit, je veux le croire, et je remarque que dès lors vous êtes semblables à un certain personnage dont l’Évangile parle en ces termes : « Il n’était pas comme le reste des hommes qui sont ravisseurs, injustes, adultères ; mais il jeûnait deux fois la semaine, donnait en aumônes la dixième partie de tous ses biens, et montait au temple pour prier. » Voilà donc votre type, votre modèle d’honnête homme. Maintenant voulez-vous savoir ce que Jésus en pensait ? Écoutez : Jésus déclare que ce pharisien s’en retourna du temple dans sa maison sans être justifié ; en d’autres termes, qu’il resta sous la condamnation. Donc, d’après Jésus, cet honnête homme avait besoin d’être converti. Que lui manquait-il ? me direz-vous. Je vous réponds que, pour le moment, ce n’est pas la question ; convenez d’abord que cet homme, qui n’est ni ravisseur, ni injuste, ni adultère, cet homme qui fait des aumônes et monte au temple, que cet homme, d’après Jésus, a besoin de conversion avant de pouvoir se dire chrétien, et reconnaissez que vous, qui dites avoir son honnêteté, d’après le même juge, vous devez être convertis pour avoir le droit de vous dire chrétiens.

Mais peut-être vous faites-vous de l’honnête homme une idée plus haute que celle que nous venons de vous présenter et valez-vous mieux que ce pharisien ? Qu’est-ce donc pour vous que l’honnête homme ? Serait-ce celui qui, non content d’éviter le mal, s’efforce encore de faire le bien ? qui non seulement est juste envers tous, mais reconnaissant envers ses bienfaiteurs ? celui qui observe la loi, non vers son âge mûr, mais depuis son enfance ? celui qui veut conquérir l’approbation des hommes, mais aussi celle de Dieu, et qui cherche à gagner la vie éternelle ? Soit ; si vous êtes tels, vous n’êtes pas les seuls, et votre portrait se trouve encore dans le Nouveau Testament : c’est un jeune homme riche qui cherche sincèrement ce qu’il faut faire pour hériter de la vie éternelle, et qui dit avoir respecté les droits du prochain, honoré ses parents, observé la loi du Seigneur, et tout cela dès sa jeunesse. Or, remarquez qu’il faut bien qu’il y ait du vrai dans l’affirmation de ce jeune homme ; car l’Évangéliste nous dit qu’après avoir entendu sa réponse, Jésus l’aima. Voulez-vous savoir maintenant ce que ce même Jésus en pense quant au salut ? Il déclare qu’il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à ce riche seigneur d’entrer dans le royaume des cieux. En d’autres termes, Jésus déclare que cet observateur des commandements a encore besoin d’être converti. Que lui manquait-il ? direz-vous toujours. Toujours je vous répondrai : ce n’est pas la question pour le moment ; reconnaissez seulement une chose : c’est que, d’après Jésus, ce jeune seigneur qui a observé la loi dès sa jeunesse, et que pour cela le Sauveur aime, ce jeune homme a encore besoin d’être converti ; donc, vous qui possédez toute son honnêteté, toutes ses vertus, vous comme lui, d’après Jésus, avez encore besoin de conversion.

N’ai-je pas mis encore assez haut le degré d’honnêteté auquel, vous croyez atteindre ? Valez-vous mieux que le pharisien et que le jeune riche ? A la probité joignez-vous un sentiment religieux qui vous fasse regarder Jésus comme un envoyé céleste, comme un grand docteur, un prophète ? Soit ; vous êtes honnête homme et religieux à la manière de Nicodème, venant consulter le Sauveur et lui dire : « Nous savons qu’aucun homme ne fait les miracles que tu fais si Dieu n’est avec lui. » Mais écoutez ce que le Sauveur répond à Nicodème, votre représentant : « Il faut naître de nouveau. » Jésus ne dit pas qu’il faut que Nicodème se modifie, qu’il s’améliore, mais qu’il naisse de nouveau ; c’est-à-dire qu’il soit complètement changé, qu’il meure pour revivre ; enfin qu’il s’opère en lui toute une conversion. Que lui manquait-il ? Nous allons le voir bientôt ; mais, pour l’heure, convenez qu’un homme peut regarder Jésus comme un envoyé divin opérant des miracles et instruisant le monde, et cependant avoir encore besoin de conversion.

Mais j’arrive à votre question : Que manquait-il à ces hommes pour être convertis ? et j’emprunte ma réponse à l’Évangile.

Que manquait-il au pharisien pour être un homme converti ? Sans doute il montait au temple ; mais c’était pour y prier debout, à haute voix, injuriant les autres hommes pour s’exalter lui-même, et se préférant à ce péager que Jésus lui préfère. Ce pharisien a fait tout ce dont il se vante, mais il l’a fait pour s’en vanter ; il regarde à ses actes et non à ses sentiments ; sa vertu, loin d’améliorer son cœur, l’a durci envers ceux qu’il juge avec insolence ; il est plein de bonnes œuvres et d’orgueil ; il a beaucoup d’aumônes et point de charité ; tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour le redire à la face des hommes, et gagner ainsi leur approbation ; tout au plus s’est-il élevé jusqu’au désir d’obtenir sa propre estime ; en tout cas, dans cette conduite sévère, c’est lui-même qu’il recherche, lui même qu’il aime ; et ce qui lui manque, c’est d’imiter le péager qu’il condamne, de se sentir pécheur, de se frapper la poitrine et de crier : Pitié ! En un mot, pour être converti, il lui faudrait se renoncer lui-même.

Que manquait-il au jeune homme riche pour être converti ? Je veux le croire, il avait, comme il le dit, honoré son père et sa mère ; mais quoi d’étonnant ? Son père et sa mère lui avaient laissé le titre de seigneur et la fortune du riche ! Il n’avait, je veux le supposer, fait tort à personne ; mais en cela, quoi de difficile lorsqu’il avait la richesse pour le garantir du besoin ? Il avait observé ces commandements dès sa jeunesse. C’est possible, car il était jeune encore. Mais remarquez qu’il avait choisi ce que j’appellerai les vertus faciles, les vertus de position, les vertus de son goût, celles qu’il pouvait pratiquer sans renoncer à ses aises, à son titre, à sa fortune ; et dès que Jésus lui dit : « Il te manque une chose : va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres, » ce jeune homme, sans répondre, se retire tout triste, c’est-à-dire que, lorsqu’on lui demande le sacrifice de l’objet auquel il tient, le sacrifice de son or, dont il tire, comme d’une source, sa bonne chère, son luxe, son repos, sa gloire, il s’y refuse. Sa vertu n’en était donc pas une, n’ayant que lui-même pour but ; il suivait la loi, mais la suivait dans les limites qui ne le gênaient pas. Ce qui manquait donc au jeune homme riche, comme au pharisien, pour être converti, c’était aussi de se renoncer lui-même.

Enfin, que manquait-il à Nicodème ? Il est vrai, Nicodème venait consulter Jésus ; mais il y venait de nuit, comme un disciple qui a honte de son maître. Sans doute, Nicodème regardait Jésus comme envoyé céleste ; mais cet envoyé n’était pour lui qu’un prophète, et non le Fils de Dieu. Oui, Nicodème, au milieu des sacrificateurs complotant la mort de Jésus, s’enhardit jusqu’à dire : « Condamne-t-on un homme sans l’entendre ? » Mais dès qu’on lui répond : « Es-tu donc aussi Galiléen ? » il rentre dans-le silence et retourne dans sa maison. Je le sais, sur Golgota, après la mort du Sauveur, Nicodème vint pieusement, chargé d’aromates, pour ensevelir le corps de son Maître ; mais le matin du même jour, devant le Sanhédrin, il n’avait pas osé prendre sa défense, c’est-à-dire qu’il voulait être chrétien dans une certaine limite, recevoir le Christ pour un docteur, non pour son Dieu ; venir à lui en cachette, mais non publiquement ; en parler devant des amis, et garder le silence devant des adversaires ; enfin accomplir les devoirs de la piété qui n’entraînaient aucun danger. Il s’était fait un christianisme à sa taille, qui lui permettait de garder son siège de sénateur au milieu des ennemis de Jésus et d’être compté parmi les principaux des Juifs. Assez chrétien pour ne pas fermer les yeux à l’évidence, mais pas assez pour s’affranchir du monde ; assez pour approuver ce qui est bien, mais non pour le pratiquer. Nicodème, comme le pharisien, comme le jeune seigneur, avait donc besoin, pour être converti, de se renoncer lui-même.

En résumé, voici donc la différence entre l’honnête homme du monde et l’homme converti de l’Évangile. Ils tiennent, si vous voulez, une même conduite, mais une conduite inspirée par des sentiments opposés : l’un se recherche dans tout ce qu’il fait, en tout l’autre ne voit que son Dieu ; celui-ci accomplit le bien par tempérament, par vanité, par crainte, celui-là le fait même en luttant contre son penchant, en secret et par amour ; l’un consulte ses convenances et se tient dans de certaines limites, l’autre se soumet aux exigences du devoir sans restrictions ; l’un veut conquérir l’estime du monde, l’autre la gloire qui vient de Dieu ; l’un, tout en paraissant se dévouer, songe encore à lui-même, l’autre ne songe qu’à ses frères et oublie qu’il se dévoue ; pour tout dire, en un mot, l’un agit par orgueil et avec égoïsme, l’autre par amour et avec humilité. Or, l’homme qui accomplit le bien par sa main sans le concours de l’âme ne fait pas le bien : c’est l’automate qui se meut, c’est la cymbale qui retentit ; et celui qui donnerait sans amour ses trésors aux pauvres et sa vie à Dieu n’aurait encore rien de commun avec le chrétien offrant un verre d’eau avec charité au nom de Jésus-Christ.

Honnête homme selon le monde, peut-être conviendrez-vous à cette heure qu’il y a entre vous et le converti selon l’Évangile une grande distance. Mais après cette concession, peut-être aussi changerez-vous le terrain du débat et direz-vous : Pourquoi l’honnête homme et le converti ne seraient-ils pas tous deux sauvés, tous deux mis dans le ciel, le converti porté, s’il le faut, jusque sur les marches du trône, et l’honnête homme laissé près de la porte, mais enfin tous deux admis dans le même ciel ? Non, c’est impossible, et vous-mêmes allez en convenir.

Bien qu’on ne puisse ici-bas décrire le bonheur céleste, on peut le supposer analogue à celui dont le chrétien jouit déjà : célébrer la gloire de son Dieu, admirer la magnificence de ses œuvres, sonder la profondeur de son amour, enfin se plonger dans des délices toutes spirituelles et toutes saintes. Mais vous, qui vous plaisez si peu dans de telles joies sur la terre, comment en feriez-vous votre bonheur dans le ciel ? Vous qui trouvez trop long un culte d’une heure, comment goûteriez-vous un culte durant des siècles ? Vous que les noms de Dieu, de Jésus, de Saint-Esprit, quelquefois répétés ici-bas, fatiguent, comment ne seriez-vous pas fatigués de les entendre pendant toute une éternité ? Vous qui souririez à la proposition de chanter un cantique dans votre demeure, et qui rougiriez si l’on vous demandait de vous mettre à genoux pour prier Dieu ailleurs que dans un temple, comment vous plairiez-vous à l’adorer toujours prosternés dans le céleste séjour ? Non ; vous ne seriez pas plus heureux de cette félicité là-haut que vous ne l’êtes ici-bas ; et comme quelquefois, dans nos églises, un culte un peu long vous pousse impatients hors de l’enceinte, de même, dans le ciel, l’ennui de l’adoration et de la prière vous ferait chercher une porte pour en sortir.

Je le sais, cette objection détruite il s’en élève une autre, et je ne serais pas étonné de vous entendre dire : Nous en convenons, nos goûts actuels ne sont guère en harmonie avec les joies futures. Mais le Dieu qui renouvellera notre corps après cette vie ne pourra-t-il pas, en même temps, renouveler notre âme et nous convertir à notre passage du temps dans l’éternité ? C’est-à-dire que vous consentez bien à vous convertir, mais dans un autre monde, et pourvu qu’on vous laisse tels que vous êtes dans celui-ci ! C’est-à-dire que vous voulez bien renoncer aux passions de la chair, mais quand vous aurez dépouillé cette chair et ses convoitises, et que vous n’aurez plus aucun moyen de pécher ! C’est-à-dire enfin que aussi longtemps que vous vivrez ici-bas, vous voulez garder vos coudées franches, suivre vos désirs charnels jusqu’à ce qu’ils s’éteignent dans la mort, et pour vous excuser de ne pas vous convertir sur la terre, vous consentez à vous laisser convertir dans le ciel ! Ah ! si vous ne voyez pas tout ce qu’il y a de monstrueux dans une telle prétention, nous n’avons plus rien à dire. C’est pour nous l’indice que vous n’avez rien compris à la sainteté de Dieu, que vous n’avez pas mesuré l’abîme qui sépare le bien du mal, et que vous êtes incapables d’apprécier la différence entre l’honnêteté et la sanctification. Mais si, sentant enfin votre état de péché, vous désirez véritablement votre conversion, sachez que Dieu la désire encore plus ardemment que vous, et que pour vous y conduire il offre les forces de son Saint-Esprit. Ce qu’il vous demande, c’est de vous humilier, de prier, pour être éclairés, sauvés et sanctifiés. « Croyez à l’Évangile, » telle est la fin du passage qui nous sert de texte. C’est-à-dire que Jésus, après vous avoir exhortés à rentrer en vous-mêmes pour rougir de vos fautes, vous invite à recevoir la bonne nouvelle de votre pardon, la bonne nouvelle de sa mort donnée pour votre rançon, la bonne nouvelle du don tout gratuit de son ciel à vous qui vous confiez en Lui. Et sachez que la foi en cette bonne nouvelle sera précisément le moyen béni de Dieu pour changer votre cœur. Quand vous recevrez Jésus comme votre Sauveur, vous l’aimerez ; en l’aimant, vous vous sanctifierez pour lui plaire, et alors vous vous, trouverez convertis et préparés pour un ciel où vos nouveaux sentiments vous rendront capables de jouir dans le sein d’un Dieu pour une éternité.

Mais écouterez-vous toujours ces paroles de grâce et de pardon comme de vaines paroles ? Les entendrez-vous toujours comme à travers une muraille, faibles, inintelligibles, impuissantes pour toucher votre cœur ? Dormez-vous, que vous restiez impassibles à l’ouïe de ces grands mots : pardon pour toutes vos fautes, grâce pour l’éternité ! Qu’attendez-vous de plus et de mieux ? Oh ! je vous en supplie, réveillez-vous d’entre les morts ; Christ vous appelle au salut, à la vie, au bonheur, et, si vous n’entendez pas sa voix, quelle voix donc de vous pourra se faire entendre ?

Hélas ! mon Dieu, c’est en vain que l’homme crie, si tu ne viens ouvrir l’oreille et le cœur. Je me tais, Seigneur, et je te prie de parler toi-même, et de convertir les premiers ceux qui ne pensent pas avoir besoin de conversion !

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