Démonstration évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE X
LE FILS DE DIEU DUT NÉCESSAIREMENT VENIR AU MILIEU DES HOMMES

Comme, dans ce débordement de perversité, les anges qui dirigeaient les nations soumises à leur conduite ne purent les protéger, ils se tournèrent vers les autres êtres de la création, prirent soin du reste du monde et furent toujours dociles à la volonté de Dieu, sans éloigner le genre humain de sa ruine, à cause de sa détermination volontaire au mal ; une contagion presque sans remède envahissait profondément le monde. Jouet des fureurs des esprits mauvais, les nations s’enfonçaient dans le gouffre du mal. Guidées par l’instinct de férocité des animaux qui se repaissent de la chair de l’homme, plusieurs regardaient comme beau de dévorer leurs amis les plus chers, d’entretenir un commerce effronté avec leurs mères, leurs sœurs ou leurs filles, d’étrangler les vieillards et de jeter les morts aux chiens et aux oiseaux. Pourquoi vous rappeler ces sacrifices humains offerts par la cruauté et la barbarie aux dieux, ces démons sanguinaires qui ont entraîné les hommes à cet hommage ! Déjà ces horribles cruautés ont été exposées dans l’ouvrage qui précède celui-ci.

Tel était le déluge de maux dont les esprits pervers et impies, et leur prince avaient inondé la terre. Nul des anges préposés au monde ne pouvant subvenir à sa détresse, le Verbe de Dieu, le Sauveur de l’univers, d’après l’ordre que lui intima la miséricorde du Père, et pour que l’homme, cet objet de ses prédilections, ne se perdit pas dans le gouffre de l’impiété, fit apparaître des traits de sa lumière faible et de peu d’éclat, dans les paroles de Moïse et des fidèles de tous les âges, afin de montrer aux mortels le remède à leurs maux dans les préceptes divins.

Voici comment s’exprime le Verbe de Dieu dans la loi qu’il a donné aux Hébreux par l’entremise de Moïse. « Vous n’imiterez pas les coutumes du pays de l’Egypte où vous avez demeuré, ni celles de la terre de Chanaan où je vais vous, introduire ; vous ne suivrez pas leurs lois ; vous accomplirez mes ordonnances et vous garderez mes préceptes. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lév., XVIII, 3). Puis, quand il a défendu les mariages illicites, les actions déshonnêtes, les crimes contre nature de femme à femme et d’homme à homme, il ajoute : « Vous ne vous souillerez pas de toutes ces infamies ; car tels sont les crimes des nations que je chasse devant vous. La terre a été souillée, et j’ai châtié son iniquité, et elle a maudit ses habitants. » Il dit ailleurs (Deut., XII, 9) : Lorsque vous serez entrés dans la terre que le Seigneur votre Dieu vous donne, vous n’apprendrez pas à pratiquer les abominations de ces nations. Il ne se trouvera parmi vous personne qui purifiera son fils ou sa fille en les faisant passer par le feu, ni des devins, des faiseurs d’horoscopes, des augures, des compositeurs de breuvages, des enchanteurs, des ventriloques, des observateurs de prodiges, ni des hommes pour interroger les morts. Quiconque commet un de ces crimes est en abomination au Seigneur : c’est pour des iniquités semblables que le Seigneur votre Dieu a dissipé ces peuples devant vous. Vous serez parfaits en présence du Seigneur votre Dieu. » Tels furent les enseignements et les préceptes que le Verbe de Dieu leur transmit par la bouche de Moïse ; il leur donna comme pour introduction les premiers principes de la vie conforme à la religion, dans le symbole, dans la pratique mystérieuse et figurative de la circoncision du corps et dans quelques autres rites semblables.

Lorsque dans le cours des années les prophètes qui succédèrent à Moïse se virent eux-mêmes impuissants à guérir les maux de la vie, à cause de la profondeur de la malice, et quand la perversité de l’esprit impur eut pris un développement journalier si grand, que la nation juive allait être enveloppée dans la ruine des impies ; alors le Sauveur et le médecin du monde descendit sur la terre pour aider les anges à sauver les hommes, ainsi que son père le lui avait promis en ces termes : le Seigneur m’a dit : « Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui, demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage et la terre entière pour empire » (Ps., II, 7). Pour soumettre donc à sa puissance, non seulement cet Israël rempli de justice et qui est sensible à la vue, ni même le peuple seul qui lui fut attribué, mais toutes les nations de la terre, qui, gouvernées d’abord par des anges, se précipitèrent dans une multitude d’iniquités, il vint en annonçant à tous la connaissance et l’amitié de son père, et en promettant la rémission et la délivrance des ignorances et des péchés, ce qu’il nous fait connaître clairement, quand il dit : « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs » (Matth., IX, 12).

Il se rendit sensible à ses anges préposés depuis de longues années à la conduite du monde. Ceux-ci reconnaissant leur auxiliaire et leur Seigneur, accoururent remplis de joie et lui préfèrent leur ministère, ainsi que le marque l’Ecriture sainte, quand elle apprend que les anges s’approchèrent de lui et le servirent (Id., IV, 11), et qu’une multitude d’esprits célestes louaient Dieu et disaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté » (Luc, II, 13).

Il rallia ainsi ses anges auxquels son secours était nécessaire pour ces esprits qui assiègent l’homme, ces démons exécrables qui, visiblement et invisiblement, s’étaient asservi les habitants de la terre, les races des esprits farouches et cruels, et le prince de malice, démon cruel et redoutable qui les gouverne ; il les subjugue et les met en fuite par sa puissance infinie et divine, comme quelques-uns le reconnurent quand ils crièrent : « Qu’y a-t-il entre vous et nous, ô Fils de Dieu ? vous êtes venu avant le temps nous tourmenter » (Id., II, 13). Ce fut par ses actions et par sa doctrine qu’il détruisit leur empire. Le baume bienfaisant que contenaient ses paroles, la douceur et la force de ses exhortations guérirent le genre humain et le délivrèrent des maladies et des souffrances du corps aussi bien que de celles de l’âme. Il renvoya ceux qui recoururent à lui libres des superstitions et des terreurs vaines du polythéisme, de la corruption et de la licence des mœurs ; il renouvela et fit passer ceux qui s’attachaient à sa suite de l’impudence à la modestie, de l’impiété à la religion, de l’injustice à l’équité, du joug des démons cruels à la compréhension divine de la véritable religion ; enfin il ouvrit à toutes les nations du monde les portes de la vie céleste et de l’enseignement de la foi. Il s’abaissa encore non seulement jusqu’à étendre sa main salutaire sur ceux dont les âmes souffraient et étaient malades, mais jusqu’à rappeler à la vie ceux qui étaient aux portes de la tombe, et à tirer des liens de la mort ceux qui en étaient la conquête et même que l’on avait ensevelis depuis longtemps ; car il dut étendre jusqu’au séjour de la mort l’action de sa puissance afin d’être le Seigneur des vivants et des morts. Tandis cependant qu’il est dans le sein du Père et qu’il dirige l’ordre du monde par sa puissance divine, il gouverne le ciel et la terre, les êtres qui y sont contenus et les substances du ciel divines et incorporelles ; il les conserve comme Verbe de Dieu, sagesse de Dieu et puissance de Dieu, comme prince, seigneur et roi et même les divins oracles le proclament Dieu et Seigneur. Illuminateur des esprits et des intelligences, il est nommé soleil de justice et lumière de vérité. Il secourt le père et concourt avec lui en ses dispositions, et est appelé ministre et coopérateur du père. Seul il sait honorer dignement la Divinité, médiateur placé entre le Dieu sans commencement et la créature qui l’a suivi, chargé du soin de gouverner le monde, consacré pour tout être qui lui est soumis, au père que seul il apaise et rend propice à tous ; et il est nommé pontife éternel, et le Christ du père, et les Hébreux donnaient autrefois ce nom aux fidèles qui offraient la figure de ses mystères. Comme le chef des anges, il est dit l’ange du grand conseil, le chef des milices du ciel et le prince des armées du Seigneur. Descendu sur la terre, où il emprunte par la miséricorde du Père et en faveur de son image, notre nature raisonnable, il conduit des âmes faibles et comme des troupeaux, et est nommé pasteur de brebis ; il annonce la guérison des maladies de l’âme et est appelé médecin et sauveur car tel est en hébreu le sens du nom de Jésus.

Cependant, comme pour se rendre sensible aux hommes, et leur donner la véritable connaissance et le vrai culte de Dieu, il lui fallait un corps, il n’a pas décliné cette impérieuse nécessité. Revêtu de notre nature, il a paru au milieu des hommes et a montré un étonnant mystère, un Dieu sous la forme d’un homme. Aussi il ne parut pas d’une manière incertaine et obscure, sous une image fantastique et incorporelle ; mais il se rendit accessible aux yeux de la chair ; il offrit aux yeux de l’homme des prodiges qui surpassaient la puissance humaine, et adressa aux oreilles du corps ses enseignements en paroles que sa langue articula : merveille insigne et toute divine, absolument inouïe. Ainsi se montra-t-il le Sauveur et le bienfaiteur des hommes ; c’est pour cela que le Verbe de Dieu fut appelé Fils de l’Homme ; et parce qu’il est venu parmi nous pour guérir et sauver les âmes des hommes, il fut nommé Jésus car, en hébreu, le nom de Jésus signifie sauveur. Il a partagé notre condition, sans cesser d’être ce qu’il était, et en conservant sa divinité en son union avec l’humanité. Or, en si naissance, il s’est uni à la divinité, ce que notre enfantement a d’admirable ; car il est né comme nous, et s’est voilé d’un homme également mortel ; mais comme Dieu et non plus comme homme il est sorti du sein d’une vierge pure et préservée des souillures du mariage, et ne dut pas la naissance de la nature humaine dont il empruntait le voile pour se manifester aux hommes, au commerce et à l’union charnelle.

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