Le peuple est arrivé au terme de son long plutôt que lointain voyage ; Moïse doit abdiquer en faveur de Josué. Le Deutéronome renferme ses dernières volontés.
Le Deutéronome est un des livres de l’A. T. dont l’autorité est le plus controversée, mais c’en est aussi l’un des plus beaux. Il ne prétend pas lui-même avoir tout entier et sous sa forme actuelle Moïse pour auteur ; car on a bien traduit Deutéronome 1.5, quand on l’a rendu ainsi : « Moïse commença à expliquer cette loi ; » il n’est pas question ici d’écrire. Mais il y a d’autres passages qui sont concluants. Cette loi que Moïse explique, qu’est-ce et qui l’a écrite ? C’est la partie du Deutéronome qui renferme surtout des lois ; c’est le morceau qui commence Deutéronome 4.44, et qui se termine Deutéronome 28.68 ou Deutéronome 29.1 ; or, d’après Deutéronome 31.9,24 ; c’est Moïse qui a écrit tous ces chapitres. C’est cette même loi qui, d’après Deutéronome 27.3-8, devait être écrite sur de grandes pierres enduites avec de la chaux sur le mont Hébal. C’est certainement aussi là ce que l’Exode appelle le livre de l’alliance (Exode 24.7). On a prétendu que le livre de la loi, qui se retrouva lorsqu’on répara le temple sous Josias, n’était autre que le Deutéronome qu’on venait de composer et qu’on feignit d’avoir découvert dans les archives (2 Rois ch. 23). Mais à cela s’oppose le fait que les plus anciens prophètes font déjà allusion à plusieurs passages du Deutéronome, et remarquez que ces passages sont de ceux qui ne se trouvent que dans le Deutéronome, et non pas seulement de ceux qui ont leurs parallèles dans le Lévitique. Il ne reste plus à répondre qu’une chose, à savoir que des chapitres comme Esaïe ch. 1, par exemple, ne font pas allusion au Deutéronome, mais que c’est le Deutéronome qui a copié Esaïe ch. 1. Et c’est ce qu’on a dit effectivement.
Ainsi donc la partie du Deutéronome qui renferme des lois peut être considérée comme la constitution du peuple. Il est à remarquer que ces lois supposent le peuple établi dans son pays, et que, tandis que dans les livres précédents, elles étaient présentées d’une manière toute objective, ici au contraire Moïse laisse souvent percer sa personnalité, ce qui donne aux ordonnances une tournure subjective. On sent en Moïse un père qui exhorte ses enfants et qui s’efforce d’éveiller dans leur cœur quelque amour pour le Dieu qui les a aimés, élus et supportés avec tant de patience. Les trois chapitres 28 à 30, qui ne sont que le développement de Lévit. ch. 26, et le cantique de Moïse ch. 32, renferment déjà toutes les pensées fondamentales que les prophètes subséquents ne feront que de développer, la bonté de Dieu qui a choisi les Israélites par pure grâce, sa fidélité dans toutes ses dispensations à leur égard ; leur ingratitude, leurs infidélités et le châtiment qui va fondre sur eux ; leur repentance finale, et enfin l’Éternel trouvant le moyen d’accomplir à leur égard toutes ses vues miséricordieuses.
Dans son dernier discours (ch. 33), Moïse accorde des bénédictions particulières à Juda, à Lévi et à Joseph. Nulle mention de Siméon, nous avons vu un peu plus haut pourquoi. Dans quelques manuscrits de la version des Septante il est parlé de Siméon au verset 6 : « Que Ruben vive et ne meure point ! Que les hommes de Siméon soient nombreux ! » Mais c’est évidemment une interpolation. Dans le ch. 19e de Josué cette pauvre tribu reparaît, mais c’est pour recevoir en partage un très mince territoire.
Moïse termine, v. 26-29, en représentant à son peuple le bonheur qu’il a de posséder un Dieu comme l’Éternel. « Oh ! que tu es heureux, Israël ! quel est le peuple semblable à toi ? » Puis il monte sur le mont Nébo, d’où l’Éternel lui fait voir toute la terre promise, mais d’où il ne redescend pas. Il y a quelque chose de mystérieux dans la manière dont est racontée sa fin ; mais le mot de mort est pourtant employé deux fois dans ce récit (Deutéronome 34.5,7. Comparez Deutéronome 32.50). Il n’y a que deux hommes de l’A. T. dont il ne soit pas dit qu’ils moururent, Enoch et Elie. Les Juifs cherchèrent à se persuader que Moïse avait eu le même honneur, Josèphe dit dans ses Antiquités (4.8, § 48) que Moïse a été enlevé au ciel comme Elie, mais que, pour qu’on n’eût pas l’idée de lui rendre jamais un culte, il a pris soin à l’avance d’écrire qu’il était mort. Philon dans sa vie de Moïse (3, § 39) dit qu’il fut enseveli sans qu’aucun homme fût présent et par les soins de puissances invisibles. Les Rabbins ont trouvé quelque chose d’extraordinaire dans l’expression de Deutéronome 34.5 : « Moïse mourut là selon ce que l’Éternel avait dit », proprement : « Moïse mourut là sur la bouche de l’Éternel. » Cette expression, parfaitement traduite dans nos versions, fut détournée par eux de son sens naturel : on en tira la doctrine de la « mort du baiser », mort si douce qu’elle équivaut à une exemption de la mort. Tout en rejetant ces traditions juives, il faut reconnaître pourtant qu’il y a quelque chose d’embarrassant dans l’expression de Luc 9.31 : Moïse et Elie apparurent avec gloire, ou dans la gloire ; tandis que nous savons par Hébreux 11.40 que les hommes de Dieu de l’ancienne alliance n’ont pas dû parvenir à la perfection sans nous. Stier admet (Discours du Seigneur, Matthieu ch. 17) que, lors même que Moïse est mort réellement, il y a eu pourtant en faveur de son corps une exception à la loi de la corruption. — Lorsque, Jude parle d’une contestation entre l’archange Michel et le Diable, touchant le corps de Moïse, il suit en cela une légende qu’Origène, dans son ouvrage des Principes 3.2, dit avoir trouvée dans le livre apocryphe de l’Ascension de Moïse. Le Targoum de Jonathan y fait également allusion à propos de Deutéronome 34.6, et il ajoute que Satan s’appuya sur le fait du meurtre de l’Egyptien (Exode 2.12) pour prétendre que Moïse ne méritait pas les derniers honneurs que l’archange était chargé de lui rendreb.
b – Toutes ces légendes judaïques sur la vie et la mort de Moïse ont été réunies par un rabbin dans un écrit que Gilbert Gaulmyn a traduit on latin sous le titre de : De vita et morte Mosis, et que Gfrörer a publié de nouveau en 1840 dans son ouvrage intitulé : Prophetæ veteres pseudepigraphi.
Par le titre de prophète qui lui est donné parfois (Deutéronome 18.18 ; Osée 12.14), Moïse est mis sur le même rang que tous les autres hommes qui ont servi d’organe à la révélation. Mais le titre de serviteur de l’Éternel est un titre exceptionnel (Deutéronome 34.5). Puis il a eu le privilège de voir Dieu, et de communiquer avec Dieu d’une manière toute particulière (Exode 33.11 ; Nombres 12.6-8 ; Deutéronome 34.10). Il occupe parmi les grands hommes de l’ancienne Alliance une position sans pareille ; il a revêtu toutes les charges du royaume de Dieu ; Josué lui a succédé sans le remplacer ; Josué est simplement chef du peuple ; il ne reçoit pas la loi, il est simplement appelé à la faire observer ; il n’accomplit jamais aucune fonction sacerdotale ; il est subordonné au souverain sacrificateur. Moïse est toujours nommé avant Aaron, tandis qu’Eléazar a toujours le pas sur Josué. Voyez Nombres 34.17 ; Josué 14.1 ; 17.4 ; 19.51 ; 21.1.