1.[1] Les Égyptiens, tirés d'affaire par Moïse, n'en conçurent que de la haine pour lui et ne mirent que plus d'ardeur à poursuivre sa perte, le soupçonnant de vouloir profiter de ses succès pour innover en Égypte et suggérant au roi de le faire mourir. Celui-ci, de son côté, méditait une vengeance, parce qu'il était jaloux de la glorieuse campagne de Moïse[2] et qu'il craignait de se voir abaissé ; poussé, d'autre part, par les hiérogrammates, il était capable de prendre l'initiative du meurtre de Moïse. Celui-ci, informé à l'avance du complot, s'éloigne en secret et, comme les routes étaient gardées, il dirige sa fuite à travers le désert, là où ses ennemis ne pouvaient soupçonner sa présence ; il était sans vivres et dompta sa faim à force d'endurance et de mépris du besoin.
[1] Exode, II, 15.
[2] Dans le récit d'Artapanos, Chénéphrès veut aussi faire périr Moïse, par jalousie pour ses vertus ; c'est ce qui lui donne l'idée de l'envoyer en expédition contre les Éthiopiens, Josèphe a dérangé ce récit. En expliquant, au contraire, l'animosité de Pharaon par les succès que Moïse avait remportés à la guerre, il évitait de donner la raison de l'exil de Moïse à Madian, à savoir le meurtre de l'Égyptien, raconté dans la Bible (Ex., II, 15).
Il arrive dans la ville de Madian (Madiané), située sur les bords de la mer Érythrée, et qui portait le nom d'un des fils d'Abram né de Chatoura ; il s'assied au bord d'un puits, à peu de distance de la ville, et s'y repose de sa fatigue et de ses misères — c'était vers le milieu du jour. Il eut là, à cause des mœurs des habitants, à jouer un rôle qui fit valoir son mérite et fut l'origine pour lui d'une meilleure fortune.
2. Comme ces terres manquaient d'eau, les bergers se disputaient les puits, dans la crainte que l'eau, une fois épuisée par d'autres, ne vint à faire défaut pour leurs troupeaux. Or, voici qu'arrivent au puits sept sœurs, filles de Ragouël(os)[3], un prêtre tenu en haute vénération chez les habitants du pays ; elles surveillaient les troupeaux de leur père ; car ce soin revient aussi aux femmes chez les Troglodytes. Elles se hâtent de retirer du puits la quantité d'eau nécessaire à leurs troupeaux et la mettent dans les auges destinées à la recueillir. Mais des bergers étant survenus et voulant chasser les jeunes filles pour s'emparer eux-mêmes de l'eau, Moïse, s'indignant à l'idée d'assister impassible à cette iniquité et de laisser triompher la force de ces hommes sur le droit des jeunes filles, repoussa les insolentes prétentions des premiers et fournit à celles-ci une aide opportune. Après ce bienfait, elles s'en vont chez leur père, lui racontent l'outrage des bergers et l'assistance que l'étranger leur a prêtée, et le supplient de ne pas laisser cette bonne action sans fruit et sans récompense. Le père approuva ses filles de leur zèle pour leur bienfaiteur et les pria d'amener Moïse en sa présence pour qu'il reçût les remerciements qu'il méritait. Quand il fut arrivé, il invoqua le témoignage de ses filles au sujet de l'intervention de Moïse, et, admirant son courage, lui dit qu'il n'avait pas obligé des ingrats, mais bien des personnes capables de lui rendre service pour service et de surpasser même par la grandeur de la récompense l’étendue du bienfait. Il l'adopte pour fils, lui donne une de ses filles en mariage et le désigne comme intendant et maître de ses troupeaux, car c'est en cela que consistaient anciennement toutes les richesses des barbares.
[3] En hébreu : Reouel. L'Écriture dit : deux sœurs.