Appréhensions de ses amis – Voyage à Heidelberg – Bibra – Le château palatin – Rupture – Les paradoxes – Dispute – Les auditeurs – Bucer – Brenz – Schnepf – Conversations avec Luther – Travaux de ces jeunes docteurs – Effets sur Luther – Le vieux professeur – La vraie lumière – Arrivée
Cependant, il fallait que le feu qui avait été allumé à Wittemberg le fût aussi ailleurs. Luther, non content d’annoncer la vérité de l’Évangile dans le lieu de sa résidence, soit à la jeunesse académique, soit au peuple, désirait répandre en d’autres lieux les semences de la saine doctrine. L’ordre des Augustins devait tenir, au printemps de l’an 1518, son chapitre général à Heidelberg. Luther y fut convoqué comme l’un des hommes les plus distingués de l’ordre. Ses amis firent tout ce qu’ils purent pour le dissuader d’entreprendre ce voyage. En effet, les moines s’étaient efforcés de rendre le nom de Luther odieux dans tous les lieux qu’il devait traverser. Aux insultes ils ajoutaient les menaces. Il fallait peu de chose pour exciter sur son passage un tumulte populaire dont il pouvait être la victime. « Ou bien, disaient ses amis, ce qu’ils n’oseront faire par violence, ils le feront par embûches et par fraudea. » Mais Luther ne se laissa jamais arrêter, dans l’accomplissement d’un devoir, par la crainte du danger, même le plus imminent. Il ferma donc l’oreille aux timides discours de ses amis : il leur montra Celui dans lequel était sa confiance et sous la garde duquel il voulait entreprendre ce voyage si redouté. Puis, les fêtes de Pâques étant passées, il se mit tranquillement en route, à piedb, le 13 avril 1518.
a – L. Epp. I, p. 98.
b – Pedester veniam. (Ibid.)
Il avait avec lui un guide, nommé Urbain, qui portait son petit bagage et qui devait l’accompagner jusqu’à Wurzbourg. Que de pensées durent se presser dans le cœur du serviteur du Seigneur pendant ce voyage ! A Weissenfels, le pasteur, qu’il ne connaissait pas, le reconnut aussitôt pour le docteur de Wittemberg, et lui fit bon accueilc. A Erfurt, deux autres frères de l’ordre des Augustins se joignirent à lui. A Judenbach, ils rencontèrent tous trois le conseiller intime de l’Électeur, Degenhard Pfeffinger, qui leur fit les honneurs de l’auberge où ils le trouvèrent. « J’ai eu du plaisir, écrivit Luther à Spalatin, à rendre ce riche seigneur plus pauvre de quelques gros ; vous savez combien j’aime en toute occasion faire quelque brèche aux riches, au profit des pauvres, surtout si les riches sont de mes amisd. » Il arriva à Cobourg accablé de fatigue. « Tout va bien par la grâce de Dieu, écrivit-il, si ce n’est que j’avoue avoir péché en entreprenant à pied ce voyage. Mais je n’ai pas besoin, je pense, pour ce péché-là de la rémission des indulgences ; car la contrition est parfaite et la satisfaction est pleine. Je suis abîmé de fatigue, et toutes les voitures sont remplies. N’est-ce pas assez et même trop de pénitence, de contrition et de satisfactione ? »
c – Ibid., p. 105
d – L. Epp. I., p. 104.
e – Ibid., p. 106.
Le réformateur de l’Allemagne, ne trouvant pas une place dans les voitures publiques, ni quelqu’un qui voulût lui céder la sienne, fut obligé, le lendemain matin, malgré sa lassitude, de repartir de Cobourg, modestement à pied. Il arriva à Wurzbourg le second dimanche après Pâques, vers le soir. Là, il renvoya son guide.
C’était dans cette ville que se trouvait l’évêque de Bibra, qui avait accueilli ses thèses avec tant d’approbation. Luther était porteur pour lui d’une lettre de l’électeur de Saxe. L’évêque, tout joyeux de l’occasion qui se présentait de connaître personnellement ce hardi champion de la vérité, se hâta de le faire appeler au palais épiscopal. Il alla à sa rencontre, lui parla avec beaucoup d’affection, et offrit de lui fournir un guide jusqu’à Heidelberg. Mais Luther avait rencontré à Wurzbourg ses deux amis, le vicaire général Staupitz et Lange, le prieur d’Erfurt, qui lui avaient offert une place dans leur voiture. Il remercia donc Bibra de son offre ; et le lendemain les trois amis partirent de Wurzbourg. Ils voyagèrent ainsi pendant trois jours, conversant ensemble. Le 21 avril, ils atteignirent Heidelberg. Luther alla loger au couvent des Augustins.
L’électeur de Saxe lui avait donné une lettre pour le comte palatin Wolfgang, duc de Bavière. Luther se rendit à son superbe château, dont la situation fait encore à cette heure l’admiration des étrangers. Le moine des plaines de la Saxe avait un cœur pour admirer cette position de Heidelberg, où se réunissent les deux belles vallées du Rhin et du Necker. Il remit sa lettre à Jacques Simler, intendant de la cour. Celui-ci l’ayant lue, lui dit : « Vraiment, vous avez là une précieuse lettre de créanceα. » Le comte palatin reçut Luther avec beaucoup de bienveillance. Il l’invita souvent à sa table, ainsi que Lange et Staupitz. Une réception si amicale était une grande consolation pour Luther. « Nous nous réjouissions et nous divertissions les uns les autres par une agréable et douce causerie, dit-il, mangeant, buvant, passant en revue toutes les magnificences du palais palatin, admirant les ornements, les armures, les cuirasses, enfin tout ce que contient de remarquable ce château illustre et vraiment royalβ. »
α – Ihr habt bei Gott einen kösthchen Credenz. (L. Epp. I, p. 111)
β – Ibid.
Wolfgang de Bavière
Cependant Luther avait une autre œuvre à faire. Il devait travailler tandis qu’il était jour. Transporté dans une université qui exerçait une grande influence sur l’ouest et sur le sud de l’Allemagne, il devait y frapper un coup qui ébranlât les églises de ces contrées. Il se mit donc à écrire des thèses qu’il se proposait de soutenir dans une dispute publique. De telles disputes n’avaient rien que d’ordinaire ; mais Luther sentait que pour que celle-ci fût utile, elle devait occuper vivement les esprits. Son caractère le portait d’ailleurs à présenter la vérité sous une forme paradoxale. Les professeurs de l’université ne voulurent pas permettre que la dispute eût lieu dans leur grand auditoire. On fut donc obligé de prendre une salle du couvent des Augustins. Le 26 avril fut fixé pour le jour du combat.
Heidelberg reçut plus tard la parole évangélique : en assistant à la conférence du couvent, on pouvait prévoir déjà qu’elle y porterait des fruits.
La réputation de Luther attira un grand concours d’auditeurs : professeurs, courtisans, bourgeois, étudiants, s’y trouvaient en foule. Voici quelques-uns des Paradoxes du docteur : c’est le nom qu’il donna à ses thèses ; peut-être le leur donnerait-on encore de nos jours ; il serait facile pourtant de traduire ces paradoxes en propositions évidentes :
- La loi de Dieu est une doctrine salutaire de la vie. Néanmoins elle ne peut point aider l’homme dans la recherche de la justice ; au contraire, elle lui nuit.
- Des œuvres d’homme, quelque belles et bonnes qu’elles puissent être, ne sont cependant, selon toute apparence, que des péchés mortels.
- Des œuvres de Dieu, quelque difformes et mauvaises qu’elles puissent paraître, ont toutefois un mérite immortel.
- Les œuvres des justes eux-mêmes seraient des péchés mortels, si, remplis d’une sainte révérence du Seigneur, ils ne craignaient pas que leurs œuvres ne fussent en effet des péchés mortelsf.
- Dire que les œuvres faites sans Christ sont, il est vrai, mortes, mais ne sont pas mortelles, est un oubli dangereux de la crainte de Dieu.
- Le libre arbitre, après la chute de l’homme, n’est plus qu’un simple mot ; et si l’homme fait ce qu’il lui est possible de faire, il pèche mortellement.
- Un homme qui s’imagine parvenir à la grâce en faisant tout ce qu’il lui est possible de faire, ajoute un péché à un autre péché, et il est deux fois coupable.
- Il est certain que l’homme doit entièrement désespérer de lui-même, afin d’être rendu capable de recevoir la grâce de Christ.
- Un théologien d’honneur appelle mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal ; mais un théologien de la croix parle justement de la chose.
- La sagesse qui apprend à connaître les perfections invisibles de Dieu dans ses œuvres, enfle l’homme, l’aveugle et l’endurcit.
- La loi excite la colère de Dieu, tue, maudit, accuse, juge et condamne tout ce qui n’est pas en Christg.
- Cependant cette sagesse (§ 22) n’est pas mauvaise, et la loi (§ 32) n’est pas à rejeter ; mais l’homme qui n’étudie pas la science de Dieu sous la croix, change en mal tout ce qui est bon.
- Celui-là n’est pas justifié qui fait beaucoup d’œuvres, mais celui qui, sans œuvres, croit beaucoup en Jésus-Christ.
- La loi dit : Fais cela ! et ce qu’elle commande n’est jamais fait. La grâce dit : Crois en celui-ci ! et déjà toutes choses sont accompliesh.
- L’amour de Dieu ne trouve rien dans l’homme, mais il y crée ce qu’il aime. L’amour de l’homme provient de son bien-aiméi.
f – Justorum opcra essent mortalia nisi pio Dui timore, ab ipsismet justis, ut mortalia timerentur. (L. Opp. lat. I, 55.)
g – Lex iram Dei operatur, occidit, maledicit, reum facit, judicat, damnat, quicquid non est in Christo. (L. Opp. lat. I, p. 55.)
h – Lex dicit : Fac hoc ! et nunquam fit. Gratia dicit : Crede in hunc ! et jam facta sunt omnia. (Ibid.)
i – Amor Dei non invenit, sed creat suum diligibile ; amor hominis fit suo diligibili. (Ibid.)
Cinq docteurs en théologie attaquèrent ces thèses. Ils les avaient lues avec l’étonnement que la nouveauté excite. Cette théologie leur paraissait fort étrange. Cependant ils disputèrent, d’après le témoignage de Luther lui-même, avec une affabilité qui lui inspira pour eux beaucoup d’estime, mais en même temps avec force et discernement. Luther, de son côté, montra une admirable douceur dans ses réponses, une incomparable patience à écouter les objections de ses adversaires, et toute la vivacité de saint Paul à résoudre les difficultés qui lui étaient faites. Ses réponses, courtes, mais pleines de la Parole de Dieu, remplissaient d’admiration tous ceux qui l’entendaient. « Il est en tout semblable à Érasme, disaient plusieurs ; mais en une chose il le surpasse : c’est qu’il professe ouvertement ce qu’Érasme se contente d’insinuerj. »
j – Bucer, dans Scultetet. Annal, evangel. rénovat., p. 22.
La dispute approchait de sa fin. Les adversaires de Luther s’étaient retirés avec honneur du champ de bataille ; le plus jeune d’entre eux, le docteur George Niger, restait seul aux prises avec le puissant athlète : effrayé des propositions hardies du moine augustin, et ne sachant plus à quels arguments recourir, il s’écria avec l’accent de la crainte : « Si nos paysans entendaient de telles choses, ils vous lapideraient et vous tueraientk ! » A ces mots, une hilarité générale éclata dans l’auditoire.
k – Si rustici hæc audirent, certe lapidibus vos obruerent et interficerent. (L. Epp. I, p. 111.)
Jamais auditeurs n’avaient cependant écouté avec autant d’attention une dispute théologique. Les premières paroles du réformateur avaient réveillé les esprits. Des questions, qui peu auparavant n’eussent trouvé qu’indifférence, étaient, à cette heure, pleines d’intérêt. On lisait sur les physionomies de plusieurs des assistants les idées nouvelles que les assertions hardies du docteur saxon faisaient naître dans leur esprit.
Bucer (1491-1551)
Bientôt parurent les premiers écrits de Luther. L’étudiant alsacien s’empressa de comparer la doctrine du réformateur avec les saintes Écritures. Quelques soupçons sur la vérité de la religion du pape s’élevèrent dans son espritl. C’est ainsi que la lumière se répandait en ces jours. L’Électeur palatin distingua ce jeune homme. Sa voix forte et sonore, l’agrément de ses manières, l’éloquence de sa parole, la liberté avec laquelle il attaquait les vices dominants, faisaient de lui un prédicateur distingué. Il fut nommé chapelain de la cour, et il remplissait ces fonctions quand on annonça le voyage de Luther à Heidelberg. Quelle joie pour Bucer ! Personne ne se rendit avec plus d’empressement dans la salle du couvent des Augustins. Il s’était muni de papier, de plumes et d’encre : il voulait coucher par écrit tout ce que dirait le docteur. Mais, pendant que sa main traçait avec rapidité les paroles de Luther, la main de Dieu écrivait en caractères plus ineffaçables dans son cœur les grandes vérités qu’il entendait. Les premières lueurs de la doctrine de la grâce se répandirent dans son âme pendant cette heure mémorablem. Le dominicain fut gagné à Christ.
l – Cum doctrinam in cis traditam cum sacris litteris contulisset, quædam in pontificia religione suspecta habere cœpit. (Ibid.)
m – Primam luceni purioris senteiniæ de justificatione in suo pectore sensit. (Melch. Adam Vit. Buceri, p. 211.)
Non loin de Bucer se trouvait Jean Brenz, ou Brentius, alors âgé de dix-neuf ans. Brenz, fils d’un magistrat d’une ville de la Souabe, avait été inscrit à treize ans sur le rôle des étudiants de Heidelberg. Nul ne montrait tant d’application. Quand minuit avait sonné, Brenz se levait et se mettait à l’ouvrage. Il en contracta tellement l’habitude, que, durant toute sa vie, il ne put plus dormir après cette heure. Plus tard il consacra ces moments tranquilles à la méditation des Écritures. Brenz fut un des premiers à s’apercevoir de la lumière nouvelle qui paraissait alors en Allemagne, il l’accueillit avec une âme pleine d’amourγ. Il lut avidement les écrits de Luther. Mais quel ne fut pas son bonheur, quand il put l’entendre lui-même à Heidelberg ! L’une des propositions du docteur frappa surtout le jeune Brenz ; ce fut celle-ci : « Celui-là n’est pas justifié devant Dieu qui fait beaucoup d’œuvres, mais celui qui, sans œuvres, croit beaucoup en Jésus-Christ. »
γ – Ingens Dei beneficium lætus Brentius agnovit, et grata mente amplexus est. (Melch. Adam Vit. Buceri, p. 211.)
Brentius (1499-1570)
Une femme pieuse de Heilbronn sur le Necker, épouse d’un sénateur de cette ville, nommé Schnepf, avait, à l’exemple d’Anne, consacré au Seigneur son fils premier-né, avec le vif désir de le voir se vouer à la théologie. Ce jeune homme, né en 1495, fit de rapides progrès dans les lettres ; mais, soit par goût, soit par ambition, soit pour suivre le désir de son père, il se livra à l’étude de la jurisprudence. La pieuse mère voyait avec douleur son fils, son Erhard, suivre une autre carrière que celle à laquelle elle l’avait consacré. Elle l’avertissait, elle le pressait, elle le sommait sans cesse de se souvenir du vœu qu’elle avait fait au jour de sa naissancen. Enfin, vaincu par la constance de sa mère, Erhard Schnepf se rendit. Bientôt il goûta lui-même tellement ses nouvelles études, que rien au monde n’eût pu l’en détourner.
n – Crebris interpellationibus eum voti quod de nato ipso fecerat, admoneret ; et a studio juris ad theologiam quasi conviciis avocaret. (Melch. Adami. Schnepfii Vita.)
Il était intimement lié avec Bucer et Brenz, et ils demeurèrent amis toute leur vie ; car, dit l’un de leurs historiens, « les amitiés fondées sur l’amour des lettres et de la vertu ne s’éteignent jamais. » Il assistait avec ses deux amis à la dispute de Heidelberg. Les paradoxes et la lutte courageuse du docteur de Wittemberg lui imprimèrent un nouvel élan. Rejetant l’opinion vaine des mérites humains, il embrassa la doctrine de la justification gratuite du pécheur.
Schnepf (1495-1558)
Le lendemain, Bucer se rendit auprès de Luther. « J’eus avec lui, dit-il, une conversation familière et sans témoins, le repas le plus exquis, non par les mets, mais par les vérités qui m’étaient proposées. Quoi que ce fût que j’objectasse, le docteur répondait à tout et expliquait tout avec la plus parfaite clarté. Oh ! plût à Dieu que j’eusse le temps de t’en écrire davantage !… » Luther lui-même fut touché des sentiments de Bucer : « C’est le seul frère de son ordre, écrivait-il à Spalatin, qui ait de la bonne foi ; c’est un jeune homme de grandes espérances. Il m’a reçu avec simplicité ; il a conversé avec moi avec avidité. Il est digne de notre confiance et de notre amouro. »
o – Gerdesius, Monument. antiq., etc.
Brenz, Schnepf, d’autres encore, pressés par les vérités nouvelles qui commencent à se faire jour dans leur esprit, vont de même voir Luther ; ils parlent, ils confèrent avec lui ; ils lui demandent des éclaircissements sur ce qu’ils n’ont pas compris. Le réformateur ; appuyé sur la Bible, leur répond. Chacune de ses paroles fait jaillir pour eux une nouvelle lumière. Un nouveau monde s’ouvre devant eux.
Après le départ de Luther, ces hommes généreux commencèrent à enseigner à Heidelberg. Il fallait poursuivre ce que l’homme de Dieu avait commencé, et ne pas laisser s’éteindre le flambeau qu’il avait allumé. Les écoliers parleront, si les docteurs se taisent. Brenz, quoiqu’il fût encore si jeune, expliqua saint Matthieu, d’abord dans sa propre chambre ; puis, le local devenant trop petit, dans l’auditoire de philosophie. Les théologiens, pleins d’envie à la vue du grand concours d’auditeurs que ce jeune homme attirait, s’irritèrent. Brenz prit alors les ordres, et transporta ses lectures dans le collège des chanoines du Saint-Esprit. Ainsi le feu déjà allumé en Saxe le fut aussi dans Heidelberg. La lumière multipliait ses foyers. Ce fut, comme on l’a dit, le temps des semailles pour le Palatinat.
Mais ce ne fut pas le Palatinat seulement qui recueillit les fruits de la dispute de Heidelberg. Ces amis courageux de la vérité devinrent bientôt de grands flambeaux dans l’Église. Ils occupèrent tous des places éminentes, et prirent part à beaucoup de débats auxquels la Réformation donna lieu. Strasbourg, et plus tard l’Angleterre, durent aux travaux de Bucer une connaissance plus pure de la vérité. Schnepf la professa d’abord à Marbourg, puis à Stuttgard, à Tubingue et à Iéna. Brenz, après avoir enseigné à Heidelberg, le fit longtemps à Halle, en Souabe et à Tubingue. Nous retrouverons plus tard ces trois hommes.
Cette dispute fit avancer Luther lui-même. Il croissait de jour en jour dans la connaissance de la vérité. « Je suis, disait-il, de ceux qui ont fait des progrès en écrivant et en instruisant les autres, et non pas de ceux qui de rien deviennent tout à coup de grands et de savants docteurs. »
Il était plein de joie de voir avec quelle avidité la jeunesse des écoles recevait la vérité naissante, et il se consolait ainsi de ce que les vieux docteurs étaient si fort enracinés dans leurs opinions. « J’ai la magnifique espérance, disait-il, que de même que Christ, rejeté par les Juifs, est allé vers les Gentils, nous verrons maintenant aussi la vraie théologie, que rejettent ces vieillards aux opinions vaines et fantastiques, accueillie par la génération nouvellep. »
p – L. Epp. 1, p. 112.
Le chapitre étant terminé, Luther pensa à retourner à Wittemberg. Le comte palatin lui remit pour l’Électeur une lettre datée du 1er mai, dans laquelle il disait « que Luther avait montré tant d’habileté dans la dispute, qu’il en rejaillissait une grande gloire sur l’université de Wittemberg. » On ne voulut point permettre qu’il s’en retournât à piedq. Les Augustins de Nuremberg le conduisirent jusqu’à Wurzbourg. De là il alla à Erfurt avec les frères de cette ville. A peine y était-il arrivé, qu’il se rendit à la maison de Jodocus, son ancien maître. Le vieux professeur, très affecté et très scandalisé de la route que son disciple avait prise, avait coutume de mettre devant toutes les sentences de Luther un thêta, lettre dont se servaient les Grecs pour indiquer la condamnationr. Il avait écrit au jeune docteur pour lui adresser des reproches, et celui-ci désirait répondre de bouche à ses lettres. N’ayant pas été reçu, il écrivit à Jodocus : « Toute l’université, à l’exception d’un seul licencié, pense comme moi. Il y a plus : le prince, l’évêque, plusieurs autres prélats, et tout ce que nous avons de citoyens éclairés, déclarent d’une voix unanime que jusqu’à présent ils n’avaient ni connu ni entendu Jésus-Christ et son Évangile. Je suis prêt à recevoir vos corrections ; et quand même elles seraient dures, elles me paraîtraient très douces. Épanchez donc votre cœur sans crainte ; déchargez votre colère. Je ne veux ni ne puis être irrité contre vous. Dieu et ma conscience en sont témoinss ! »
q – Veni autem curru qui ieram pedester. (Ibid., p. 110.)
r – Omnibus placitis meis nigrum theta præfigit. (L. Epp. I, p.111.)
s – L. Epp. I, ibid.
Le vieux docteur fut touché des sentiments de son ancien élève. Il voulut voir s’il n’y avait pas moyen d’enlever le thêta condamnateur. Ils eurent une explication, mais elle fut sans résultat. « Je lui ai du moins fait comprendre, dit Luther, que toutes leurs sentences étaient semblables à cette bête qui, à ce qu’on dit, se mange elle-même. Mais on a beau parler à un sourd. Ces docteurs s’attachent obstinément à leurs petites distinctions, bien qu’ils avouent n’avoir pour les soutenir que les lumières de la raison naturelle, comme ils disent, chaos ténébreux pour nous qui n’annonçons d’autre lumière que Jésus-Christ, seule et véritable lumièret. »
t – Nisi dictamine rationis naturalis, quod apud nos idem est, quod chaos tenebratum, qui non prædicamus aliam lucem, quam Christum Jesum lucem veram et solam. (L. Epp. I, p. 111.)
Luther quitta Erfurt dans la voiture du couvent, qui le conduisit à Eisleben. De là, les Augustins du lieu, fiers d’un docteur qui jetait tant d’éclat sur leur ordre et sur leur ville, où il avait vu le jour, le firent mener à Wittemberg avec leurs propres chevaux, et à leurs frais. Chacun voulait donner une marque d’affection et d’estime à cet homme extraordinaire qui grandissait à chaque pas.
Il arriva le samedi après l’Ascension. Le voyage lui avait fait du bien, et ses amis le trouvèrent plus fort et de meilleure mine qu’avant son départu. Ils se réjouirent de tout ce qu’il leur rapporta. Luther se reposa quelque temps des fatigues de sa course et de la dispute de Heidelberg ; mais ce repos ne fut qu’une préparation à de plus rudes travaux.
u – Ita ut nonnullis videar factus habitior et corpulentior. (Ibid.)