Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

XXIX.
Le pharisien et le péager

Luc 18.9-14

Quelques interprètes ont vu dans cette parabole une prophétie du rejet des Juifs et de la réception des Gentils dans la grâce de Dieu. Ils voient dans le pharisien le Juif, qui se glorifie de son mérite propre, et qui, à cause de cet orgueil et de cette propre justice, n’obtient pas la vraie justice ; le Gentil, qui reconnaît humblement son indignité, et se repent de ses péchés, obtient la grâce qui est refusée aux Juifs. Mais les mots qui introduisent la parabole réfutent cette interprétation (v. 9). Ceux qui « se persuadaient en eux-mêmes d’être justes », ce sont ici non pas les pharisiens, mais les disciples de Christ, qui ont déjà fait quelques progrès à son école, et qui sont encore en danger de retomber dans les péchés des pharisiens ; il fallait leur montrer ce danger. Le Seigneur avait découvert chez quelques-uns de ses disciples des symptômes d’orgueil spirituel, accompagné d’un certain mépris pour les autres ; Il leur offre un remède dans cette parabole.

« Deux hommes montèrent au temple pour prier », à l’une des heures ordinaires de dévotion (Actes 3.1) ; « l’un était pharisien, et l’autre péager », le pharisien représentant tous ceux qui nettoient les dehors de la coupe et du plat, sans se douter des souillures intérieures ; le péager est le type de tous ceux qui gémissent sous le fardeau du péché, et soupirent après un Libérateur. Christ veut faire comprendre à ses disciples qu’un tel homme est plus près du royaume de Dieu que l’orgueilleux pharisien.

« Le pharisien se tenant debout, priait ainsi » ; les Juifs se tenaient ordinairement debout pour la prière (1 Rois 8.22 ; 2 Chroniques 6.12 ; Matthieu 6.5 ; Marc 11.25) ; ils s’agenouillaient dans certaines occasions (Daniel 6.10 ; 2 Chroniques 4.13 ; Actes 9.40 ; 20.36). Mais le pharisien se tint debout aussi pour attirer les regards sur lui, pour faire parade de sa dévotion (Matthieu 6.5). Il s’agit ici d’une « pose assurée et même hardie » (Godet). On peut traduire aussi : « Le pharisien s’étant placé à part, priait ainsi », voulant mettre une grande distance entre lui et les adorateurs impursa.

a – Saint Bernard : « Il rend grâces, non parce qu’il est bon, mais parce qu’il est seul ; il rend grâces du mal qu’il voit chez les autres ».

Les premiers mots de sa prière semblent convenables : « Ô Dieu, je te rends grâce » ; les pharisiens réclamaient le secours de Dieu. Mais ceux qui parlent ainsi sont souvent disposés à s’attribuer tout le mérite de leurs actions vertueuses ; ils ne croient pas avoir besoin de miséricorde. Celui qui rend grâces en sincérité, s’humiliera soi-même, en confessant sa misère. Le pharisien ne rend grâces que pour mieux dissimuler sa propre justice ; il ne peut pas remercier Dieu pour le bien qu’il croit posséder, sans mépriser les autres pour le mal qu’il croit reconnaître en eux. Il ne peut penser trop de bien de lui-même, ni trop de mal des autres, qu’il appelle « ravisseurs, injustes, adultères », puis il insulte le péager, en s’enorgueillissant à ses dépens. Lui n’a pas besoin de se frapper la poitrine, ni de baisser les yeux.

Voici les éloges que le pharisien se décerne à lui-même : « Je jeûne deux fois par semaine ». Il a ses œuvres surérogatoires ; Moïse n’avait établi qu’un seul jour de jeûne dans l’année, le jour des expiations (Lévitique 16.29 ; Nombres 29.7) ; mais les pharisiens jeûnaient deux fois la semaine, le second et le cinquième jours. « Je donne la dîme de tout ce que je possède. » Comme Jacob, il a fait à Dieu cette promesse : « Je te donnerai entièrement la dîme de tout ce que tu m’auras donné » (Genèse 28.22 ; 14.20). La loi ne réclamait que la dîme des récoltes et du bétail (Nombres 18.21 ; Deutéronome 14.22 ; Lévitique 27.30) ; mais lui, donnait la dîme de la menthe et du cumin (Matthieu 23.23) et de tout ce qu’il possédait, même des choses les plus insignifiantes. Il veut ainsi constituer Dieu son débiteur ; il n’y a, dans sa prière, aucune confession de ses besoins ou de son péchéb. « Il avait sans doute aussi des péchés à confesser, dit Augustin, mais, ne se connaissant pas lui-même, il ressemblait à ce malheureux qui ne montre au chirurgien que ses membres sains, et cache les autres. Mais tu dois laisser à Dieu le soin de couvrir tes blessures ; si tu les couvres toi-même, elles ne seront pas guéries. Dieu seul peut les guérir. »

b – Augustin : « Es-tu venu pour demander ou pour faire ton éloge ? Tu dis que tu possèdes tout ; pourquoi donc pries-tu ? »

Ce qui aggrave l’injure adressée au péager par le pharisien, c’est que le péager entrait en ce moment dans le royaume de Dieu, par la confession de ses péchés. « Et le péager se tenant éloigné », mais non pas de Dieu, car le Seigneur est bien près du cœur contrit, « ne voulait pas même lever les yeux au ciel », encore moins les mains (1 Timothée 2.8 ; 1 Rois 8.54 ; Hébreux 12.12), car il avait « péché contre le ciel », comme l’enfant prodigue. Il se tenait « éloigné », non pas qu’il fût un prosélyte ou un païen, car il était aussi Juif, mais à cause de son respect pour le saint lieu ; il sentait que ses péchés l’avaient séparé de Dieu. Il « se frappait la poitrine », en signe de douleur, parce qu’il se jugeait lui-même, afin de n’être pas jugé par le Seigneur ; et il s’écriait en même temps : « Ô Dieu, sois apaisé envers moi pécheurc ! » Si le pharisien s’estime le plus éminent des saints, le péager se reconnaît être le plus grand des pécheurs. C’est pourquoi il obtint miséricorde. Sa prière monta au ciel, comme l’encens, en offrande d’agréable odeur, tandis que la prière du pharisien fut rejetée, car « Dieu résiste aux orgueilleux, mais Il fait grâce aux humbles » : « Je vous le dis, celui-ci descendit en sa maison justifié plutôt que l’autre ». Non seulement il fut justifié dans les conseils secrets de Dieu, mais encore « il descendit en sa maison justifié », avec l’assurance de son pardon. Le pharisien, lui, revint du temple avec le même cœur endurci. Ces mots « plutôt que l’autre » ne signifient pas que le péager fût plus justifié que le pharisien, car il n’y a pas de degrés dans la justification, mais ils signifient qu’il fut absolument justifié, considéré par Dieu comme juste, tandis que l’autre ne le fut pas. Il est intéressant de trouver ici déjà la doctrine de la justification, développée plus tard par saint Paul.

c – Augustin : « Celui qui avoue ses péchés et qui les accuse, fait déjà un avec Dieu, car Dieu les accuse ».

Les mots qui terminent la parabole ont déjà été prononcés par le Seigneur (Luc 14.11). Ils forment une magnifique transition à ce qui suitd.

d – Augustin : « Le pharisien ne voulut pas s’humilier, aussi fut-il humilié par la main de Dieu ».

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