Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent semble se rapporter uniquement au discours synthétique, et même ne supposer de légitime que ce genre-là. En effet, toutes les règles que nous avons données, soit sur les sujets, soit sur les textes, impliquent l’idée que le sermon tout entier roule sur une proposition unique.
Il s’agirait donc, quand on ne trouve pas cette proposition implicitement contenue dans le texte, de ramasser vers un même point les éléments plus ou moins épars et divergents, de les condenser jusqu’à ce qu’ils ne forment plus que cette proposition unique dont nous avons parlé.
Mais les deux genres de prédication connus sous le nom de paraphrase et d’homélie ne sont-ils pas l’application de la méthode contraire ? N’est-ce pas une analyse au lieu d’une synthèse ? Voici ce que je réponds.
C’est une analyse et une synthèse ; et la réunion de ces deux méthodes n’est pas exclusivement propre à l’homélie. Tel sermon synthétique, si l’on y regarde de près, analyse le texte, et dans cette analyse trouve toute sa division. Ainsi procédaient presque constamment nos prédicateurs français réformés avant Dubosc. Ils épelaient, si l’on peut dire ainsi, la parole biblique. Cependant, comme leurs analyses ne portent pas à l’ordinaire sur des textes très étendus, leurs discours passent pour des sermons et non pour des homélies. On peut dire au moins qu’ils marquent la transition, ou qu’ils occupent l’espace intermédiaire entre le sermon et l’homélie. Ces trois formes ne sont que trois degrés de la méthode analytique, qui se met au large et triomphe dans l’homélie. – Mais dans toutes les trois, l’analyse n’est que le préliminaire et le moyen de la synthèse, par laquelle il faut toujours finir.
Même la paraphrase n’est admissible qu’à cette condition. Elle n’est, dans la rigueur de son idée, qu’un discours parallèle à celui de l’auteur sacré, une explication suivie du texte, explication dont l’étendue n’a aucune limite précise. On en trouve plus d’un exemple dans Massillon. Je crois que si l’on consulte la nature de l’esprit humain, on sentira la nécessité de réunir après avoir analysé, et de donner un lien quelconque, le lien d’une idée commune, aux éléments qu’on a successivement recueillis. – Je sais bien que quand le lien est très lâche, l’unité n’est guère que nominale. La notion d’être est finalement un lien pour les idées les plus opposées.
Laissant la paraphrase pour ne parler que de l’homélie, nous disons que, si elle n’est pas si profondément différente du sermon ordinaire qu’on le suppose communément, elle a pourtant un caractère à part. Ce caractère ne lui vient pas seulement de ce que, le plus souvent, elle s’attache à des récits, ou de la familiarité du genre, mais plutôt de ce que sa première préoccupation, son objet principal, est de mettre en relief les parties successives d’un texte étendu, se subordonnant à ses contours, à ses accidents, à ses hasards, si l’on peut dire ainsi, plus que ne le ferait le sermon proprement dit.
Il n’y a rien qui distingue essentiellement l’homélie du sermon si ce n’est la prédominance relative de l’analyse ; en d’autres termes, l’explication prévaut sur le système. Tout ce que nous avons dit du sermon s’applique donc d’une manière générale à l’homélie. La difficulté que ce genre présente ne va jamais jusqu’à l’impossibilité. Ce n’est pas au hasard que l’on découpe dans le texte général des livres sacrés le texte particulier d’une homélie. La délimitation n’est point arbitraire. L’unité a été aperçue d’avance et a déterminé les limites du textet ; on est donc bien sûr de la trouver. Le danger seulement est de laisser l’unité du sujet, comme le fil d’un sentier, s’ensevelir et se perdre sous une végétation entrelacée et touffue. Il y a sans doute un art d’analyser. Analyser, ce n’est pas seulement éplucher, disjoindre ; c’est en même temps lier ; c’est conserver ou marquer les articulations, c’est respecter la vie du texte, c’est le développer plutôt que le décomposer. On doit, au milieu de toutes les lignes qui se croisent, s’entrelacent et s’obombrent dans un récit ou dans une parabole, démêler et saisir la ligne maîtresse, l’idée-mère, jeter à l’écart, ou reléguer dans le demi-jour, au second plan, ce qui est de moindre importance, ce qui fait partie intégrante du récit, sans faire partie intégrante de l’instruction qu’il est destiné à fournir. Il faut encore proportionner le développement de chaque trait à son importance, ne pas se laisser aller à l’attrait, à l’intérêt souvent sérieux de tel ou tel détail, qu’on pourra, dans une autre occasion, reprendre et traiter à part ; on ne doit pas courir deux, encore moins trois lièvres à la fois. – Plus les idées que l’on recueille sont importantes, plus l’esprit, sollicité fortement par chacune, se fatigue et se disperseu.
t – Quand on prend, comme Luther, deux récits (Matthieu 8.1-13), parce qu’ils se suivent, on ne trouvera pas l’unité parce qu’on ne l’a pas cherchée.
u – Ammon, cite l’exemple d’une homélie sur Matthieu 14.1-10, qui perd, dit-il, une partie de son intérêt par l’accumulation des sujets suivants :
Je suppose le choix des textes libre, s’il ne l’était pas, et qu’une péricope prescrite n’offrît point d’elle-même une unité suffisante, j’aimerais mieux m’en passer que de l’obtenir de force. Cependant il est rare que quelque lien commun ne se présente pas.
Comme le prédicateur paraît plus porté par son texte dans l’homélie que dans le sermon synthétique, le premier de ces deux genres est réputé plus facile. Et en effet, il est plus facile de faire une homélie qu’un sermon ; mais un bon sermon est plus aisé à faire qu’une bonne homélie. – De grands maîtres dans l’art de prêcher, Bourdaloue par exemplev, n’ont pas réussi dans l’homélie.
v – Exemple : l’homélie sur l’Aveugle-né, (tome II, page 239, de l’édition Lefèvre), dont voici le plan :
I. Aveuglement des pharisiens.
II. Témoignage sincère, généreux, convaincant de l’aveugle.
Un genre comme celui-là est encore plus celui du sermon que celui de l’homélie.
Les plus excellents juges en fait de prédication ont recommandé l’homélie.
Vous voulez qu’un prédicateur explique de suite et littéralement l’Écriture sainte ? – Oui, cela serait admirable..
Dès que la prédication cessa d’être ce qu’elle était dans la bouche des apôtres, un message proprement dit, elle devint explication de la Parole de Dieu, des écrits apostoliques, de leur doctrine, et application au troupeau silencieux et recueilli, de tout ce qui venait de lui être lu. Cela s’appela homélie, et ce n’était, en effet, ni une harangue ni un discours… L’explication de l’Écriture est à mes yeux la principale et la meilleure prédication, dans notre temps surtout ; et je la regarde en particulier comme le meilleur et le plus sûr exercice de prédication pour les jeunes gens.
Il serait bien à désirer que ce genre fût plus général. On aurait la parole de Dieu expliquée d’une suite, et non un tissu de raisonnements humains auxquels on fait plier un texte. Les homélies étaient le genre des Pères de l’Église… Les homélies faites dans le vrai goût, et par des hommes capables de les faire, seraient extrêmement utiles. On prend un morceau de l’Écriture, et on l’explique dans son enchaînement ; on en développe le sens intérieur ; une infinité d’idées y entrent et viennent comme à la file ; nombre de devoirs sont expliqués en peu de motsw. Ce serait une façon de prêcher plus moelleuse, plus scripturaire, plus chrétienne. On apprendrait au peuple la manière dont il doit lire l’Écriture ; on la lui explique ; on montre la connexion entre des idées qui semblaient d’abord peu se rapprocher. Enfin, on s’éloignerait moins de la vraie Parole de Dieu.
Les homélies sont propres à faire connaître la Bible toujours moins connue ; elles facilitent l’application de ses principes à la vie privée et à la vie publique ; la simplicité et la variété qui les caractérisent leur assurent un effet plus général et plus durable sur la majeure partie des auditeurs ; enfin, elles excitent le prédicateur lui-même à une étude plus suivie et plus approfondie de l’homme et des documents de notre religion. – D’un autre côté elles ont l’inconvénient de gêner le libre cours de la pensée du prédicateur, de diviser l’attention en lui proposant une trop grande diversité d’objets, et de ne pas laisser assez d’espace au développement et à l’application d’une vérité particulière.
La Parole, de Dieu en est (de l’homélie) plus complètement la base et le fil directeur. Ce genre de prédication appelle naturellement et sans effort à une plus grande variété d’enseignements, et dès lors il est mieux adapté aux besoins divers des âmes. Il combat cette uniformité dans le choix de leurs sujets, et ces tendances exclusives auxquelles les prédicateurs ne sont que trop portés. Il est plus propre à communiquer la connaissance de l’Écriture sainte dans son ensemble et dans ses détails, à inspirer le goût de la méditation de cette divine Parole et à apprendre à ceux qui l’étudient à la lire avec intelligence avec réflexion, et en s’en faisant sans cesse une application directe et personnelle.
w – Voilà un avantage qui touche de bien près à un inconvénient.
Résumé. – Cette méthode n’a pas tous les avantages de la méthode synthétique, et elle est susceptible d’abus plus ou moins fâcheux. Ammon vient de nous le montrer. Mais l’absence de certains avantages et la possibilité de certains abus, ce ne sont pas des défauts. L’autre méthode aussi n’a pas tous les avantages qu’on peut imaginer ; elle n’est pas non plus à l’abri de tous les abus qu’on peut craindre. Ce qu’on peut dire en faveur de celle-ci :