Les détracteurs de la crainte sont en même temps les détracteurs de la loi. Attaquer la loi, c’est évidemment attaquer Dieu, auteur de la loi. Peut-on séparer l’administrateur de l’administration, et l’administration de la chose administrée ? Vous posez en principe l’abolition de la loi ! il faut dès lors que chacun, se livrant au plaisir selon que ses désirs l’y poussent, méprise ce qui est juste, dédaigne Dieu, et affiche, sans crainte, l’injustice et l’impiété, puisqu’il a déserté les voies de la vérité. La crainte, dites-vous, n’est qu’un instinct de fuite où la raison n’agit en rien, une maladie de l’âme. Qu’est-ce à dire ? Et comment pouvez-vous admettre plus longtemps une pareille définition, quand le précepte de la crainte m’a été donné par le Verbe lui-même ? Or, le précepte a promulgué la crainte, préparant ainsi, par la discipline, la conversion du pécheur qui s’y soumet. La crainte n’est donc pas étrangère à la raison ; elle a donc la raison pour guide.
Comment n’en serait-il pas ainsi ? La loi dit :
« Tu ne tueras point ; tu ne seras point adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne porteras point de faux témoignage. »
Mais si les philosophes veulent sophistiquer sur les mots, eh bien ! qu’ils décorent la crainte de la loi du nom de circonspection, avertissement de la raison qui nous conseille de fuir. C’était à bon droit que Crételaüs le phasélyte appelait ces philosophes batailleurs de mots. Envisagé sous une autre qualification, le précepte a paru sage et même sublime à nos détracteurs. La circonspection, selon eux, est donc conforme à la raison, puisqu’elle nous porte à fuir toute chose nuisible, et qu’à sa suite arrive le repentir des fautes commises. Car,
« la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. »
La véritable intelligence habite en ceux gui réprouvent. David nomme la sagesse une opération dont le commencement est la crainte de Dieu ; crainte qui nous ouvre la route vers la sagesse. Si la loi engendre la crainte, le commencement de la sagesse est la connaissance de la loi, et, sans la loi, pas de sage. Les insensés sont ceux qui repoussent la loi ; aussi est-ce justice de les appeler athées. Mais la discipline est le commencement de la sagesse.
« Les insensés méprisent la sagesse et la discipline »,
dit l’Écriture. Voyons les maux que la loi proclame redoutables. Sont-ce les maux qui tiennent le milieu entre le vice et la vertu, la pauvreté, par exemple, les maladies, l’obscurité du rang, la bassesse de la naissance et d’autres semblables ? Mais on vante la législation de plusieurs cités qui les proposent pour but. C’est aussi l’opinion des Péripatéticiens, qui établissent trois sortes de biens, et regardent leurs contraires comme des maux. Mais notre loi à nous, nous ordonne de fuir les véritables maux, savoir : l’adultère, le libertinage, le péché de Sodome, l’ignorance, l’injustice, les maladies de l’âme, la mort, non celle qui sépare l’âme du corps, mais celle qui sépare l’âme de la vérité. Voilà les maux graves et véritablement à redouter, ainsi que les désordres qui en découlent.
« Non, on ne tend pas impunément des pièges à l’innocence, disent les divins Proverbes ; car les complices du meurtre amassent sur leurs propres têtes un trésor de maux. »
Comment donc certains hérétiques viennent-ils prétendre encore que la loi n’est pas bonne, en appelant de tous leurs poumons à cette parole de l’apôtre :
« La loi donne la connaissance du péché. »
Nous répondons : La loi n’a pas fait le péché ; elle l’a montré. Après avoir prescrit ce qu’il faut faire, elle a frappé de blâme ce qu’il ne fallait pas faire. Or, enseigner ce qui sauve, et signaler ce qui perd, conseiller l’un, défendre l’autre, n’est-ce pas là le caractère d’une bonne loi ? Ils n’ont pas compris l’apôtre. D’après lui la connaissance du péché a été rendue manifeste par la loi ; il ne dit pas que l’on reçoive de la loi la cause du péché. Comment donc ne serait-elle pas bonne, la loi qui nous sert de maître et
« nous conduit, comme des enfants, à Jésus-Christ »,
afin que, disciplinés par la crainte, et changeant de route, nous marchions droit à la perfection que l’on acquiert par Jésus-Christ ?
« Je ne veux pas la mort de l’impie, dit le Seigneur, mais je veux que l’impie se convertisse. »
Or, le précepte fait le repentir, en défendant d’une part et en commandant de l’autre. Je pense que par la mort le Seigneur entend l’ignorance. Et par ces mots :
« celui qui est près du Seigneur est plein de châtiments »,
il veut dire, sans doute, que celui qui s’approche de la connaissance brave les dangers, les craintes, les ennuis et les tribulations par amour pour la vérité. Car, après avoir été châtié, le fils devient sage; et le fils intelligent échappe au désordre des passions ; et il se soumet aux préceptes.
« Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux, dit l’apôtre Barnabé ; malheur à ceux qui croient à leur prudence ! »
Puis il ajoute :
« Servons Dieu en esprit ; soyons ce temple digne de sa majesté. Autant qu’il est en nous, méditons la crainte de Dieu, et combattons pour garder ses préceptes, afin de nous réjouir de l’accomplissement de ses ordonnances. »
De là cette parole divine :
« La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. »