Pompe dans le culte. — Consécration des églises. — Peintures. — Vêtements brodés. — Cierges. — Les catacombes.
Pompe dans le culte. — L’ancienne simplicité a vécu. En son lieu et place, nous voyons régner un goût marqué pour le faste et l’éclat. Rien de plus naturel, d’ailleurs, dans une société à la fois riche et superstitieuse. De plus, cette idée commence à prévaloir, que, pour attirer la multitude, le christianisme doit être entouré de pompe extérieure et qu’il doit parler aux sens. L’exemple de Constantin donne une impulsion décisive à cet égard. A Constantinople, à Antioche, à Jérusalem, partout, en un mot, où il bâtit des églises, il veut que leur magnificence rivalise avec celle des temples païens les plus renommés.
Consécration des églises. — Les dédicaces d’églises nouvelles se font désormais avec tout l’éclat possible. Tous les évêques de la province et de grandes foules sont convoqués. A la dédicace de l’église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, il vient des évêques de toutes les provinces de l’Orient, depuis la Macédoine et la Haute-Egypte, jusqu’à la Mésopotamie et la Persea. « Les uns, dit Eusèbe, exaltèrent le pieux respect de l’empereur pour le Sauveur des hommes, et louèrent la magnificence du nouvel édifice. D’autres charmèrent leurs oreilles et leur esprit à ce divin banquet de la manne spirituelle de l’Écriture Sainte ; d’autres en expliquèrent les passages les plus difficiles et les plus obscurs. Le reste offrit des sacrifices mystiques et non sanglants, en priant Dieu pour la paix de l’Église, pour l’empereur et pour son auguste famille. » Dans toutes ces cérémonies, Eusèbe eut lui-même un rôle particulièrement important, et il n’oublie point de nous parler de la profusion d’or, d’argent et de pierres précieuses qui ornait l’église nouvelle.
a – Ils venaient de siéger au synode de Tyr pour juger Athanase. Voy. p. 391.
[Constantin, liv. IV, chap. 43-46. — En 614, les Perses détruisirent l’église et la basilique de Constantin. Du côté oriental de l’église actuelle du St.-Sépulcre, on peut encore voir au bord du chemin quatre colonnes en granit gris d’Egypte. On pense qu’elles formaient autrefois une partie du propylée de la basilique de Constantin. Baedecker. Palestine, 190, 203.]
Il fit également un discours lors de la dédicace de la somptueuse église de Tyr. Il nous l’a transmis, et son style, ampoulé au dernier degré, nous montre le goût vicié de l’époque. S’adresse-t-il aux ecclésiastiques réunis ? il leur dit qu’ils sont « les prêtres de Dieu, vêtus de la robe sacrée, ornés de la couronne céleste de gloire, de l’onction inspirée et du vêtement sacerdotal du Saint-Esprit ». Parle-t-il à l’évêque de Tyr, Paulin ? il l’appelle « un nouveau Betsaléel, un Salomon, roi d’une nouvelle et meilleure Jérusalem, un nouveau Zorobabel, ajoutant une gloire de plus au temple de Dieu, bien plus remarquable que le temple d’autrefois. » Se tourne-t-il vers le reste du peuple ? « Vous êtes, leur dit-il, les nourrissons du troupeau de Christ, l’habitation de discours excellents, l’école de la modestie, le religieux et dévot auditoire de la piétéb. »
b – Eusèbe, H. E., liv. X, chap. 4.
N’est-ce pas le cas de se demander si jamais les évêques fidèles de l’époque de Constantin n’ont compris, que toute cette gloire extérieure, pour conforme qu’elle fût au caractère et au but de l’Ancienne Alliance, était tout à fait étrangère, sinon tout à fait opposée à l’Alliance Nouvelle ? Dans ces temples resplendissants, où tout ce qui pouvait charmer les sens avait été péniblement accumulé, rendait-on à Dieu un service plus acceptable que celui des premiers chrétiens, dans leurs édifices sans prétentions et sans consécration pompeuse ? Non certes ! et ce luxe même, cette recherche de ce qui pouvait flatter les sens venaient, plus que toute autre chose, arrêter et rendre plus difficile le culte que Notre Seigneur avait désigné comme le seul acceptable aux yeux de Dieu, le culte en esprit et en vérité.
Vigiles. — La coutume de veiller pendant la nuit qui précédait le jour de Pâques s’était introduite dans l’Église. On éclairait les églises avec des cierges, et l’assemblée des fidèles se prolongeait jusqu’à minuit. L’empereur, qui célébrait toutes les fêtes chrétiennes avec beaucoup de pompe, y ajouta l’illumination de la ville entière, fit installer des colonnes sur lesquelles brûlaient de la cire et des lampes, de sorte que, dit Eusèbe, la nuit était devenue aussi lumineuse que le jour.
Peintures dans les églises. — A l’exemple de Constantin, bien des personnes riches fondèrent des églises, les dotèrent et les ornèrent de trésors artistiques. Tout particulièrement, on embellit les églises dédiées à certains martyrs de tableaux représentant, soit des scènes de leur martyre, soit des sujets empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testaments.
[Neander, III, 407. Sur la fontaine de la place du marché à Constantinople, on voyait une représentation du Bon Berger et une de Daniel dans la fosse aux lions. Les lions étaient en cuivre et leurs écailles dorées. Au palais, l’empereur avait fait mettre dans la principale chambre à coucher un lambris orné d’or et de pierres précieuses, portant dans le centre la croix, symbole de la passion du Seigneur. « Aux yeux de ce prince si pieux, ajoute Eusèbe, ce symbole était comme le charme protecteur de l’empire. » Constantin, liv. III, chap. 48.]
Bien qu’Eusèbe assure que l’idée seule d’avoir des peintures dans les lieux de culte le choque, il est hors doute que l’usage d’y en mettre n’ait déjà commencé avant l’époque de Constantin. Un des canons du concile d’Elvire défend de peindre sur les murs des églises les objets du culte et de l’adoration des fidèles ». A une époque plus avancée du ive siècle, cet usage soulevait l’indignation du vieil Épiphane, évêque de Salamine (367-403), dans l’île de Chypre. Un jour il arrive dans une église des environs de Jérusalem et voit un portrait du Christ ou d’un saint sur une tenture. Aussitôt il l’arrache en déclarant que c’est une abomination et une désobéissance à l’Écriture, que de suspendre l’image d’un homme dans une église chrétienne. La tenture serait bien mieux employée, ajouta-t-il, si l’on s’en servait pour ensevelir un pauvre. De retour chez lui, il envoie une tenture sans ornement pour remplacer celle qu’il a arrachée. Bientôt on ajouta des statues aux tableaux, mais cet usage, qui devait se transformer peu à peu en culte des images, souleva une telle opposition, qu’au siècle suivant il en résulta des troubles et des guerres civiles.
Vêtements brodés. — La mode était alors dans les grandes villes de l’empire, que les personnes d’un rang élevé portassent des robes ornées de broderies d’or et d’argent, représentant des scènes de chasse aux bêtes fauves. Les chrétiens pieux, ou ceux qui voulaient le paraître, y substituèrent des scènes empruntées au Nouveau Testament, comme, par exemple, les noces de Cana, la guérison du paralytique ou de l’aveugle-né, Marie-Madeleine embrassant les pieds de Jésus, la résurrection de Lazare, etc. Ainsi attifés, ils pensaient — c’est l’évêque Astérius qui le leur reprochec. — que leur vêtement était bien vu de Dieu. Astérius repousse cette imagination, leur conseille de vendre ces robes somptueuses et de tâcher d’honorer plus réellement les images vivantes de Dieu. « Au lieu de porter sur vos habits, leur dit-il, la guérison du paralytique, cherchez plutôt les vrais malades et soulagez-les ; au lieu de vous contenter d’avoir sur vos personnes la représentation en broderie d’un pénitent à genoux, humiliez-vous vous-mêmes et repentez-vous de vos péchésd. »
c – Evêque d’Amasia, dans le Pont, vers la fin du ive siècle.
d – Neander, III, 408. Cette mode est probablement postérieure à l’époque de Constantin.
Cierges allumés. — Parmi les usages nouveaux que nous avons à mentionner ici, se trouve celui d’avoir des cierges allumés en plein jour dans les églises. Cet usage est à la fois païen et irrationnel. Plusieurs des anciens écrivains ecclésiastiques le condamnent comme entaché de paganisme. « Ces malheureux allument des luminaires pour Dieu, comme s’il était dans les ténèbres. S’ils voulaient bien contempler un instant cette lumière céleste que nous nommons le soleil, ils comprendraient de suite que Dieu n’a que faire de leurs lampes. Car si dans un disque aussi restreint, — ne paraît-il pas, à cause de la distance, de la dimension d’une tête d’homme ? — il y a un tel foyer de lumière, que les yeux qui le regardent sont obscurcis, quel éclat ne devons-nous pas supposer à Dieu ? Est-il dans son bon sens, celui qui offre la lumière des chandelles et des cierges au créateur et au dispensateur de la lumière ? La lumière que Dieu demande n’est pas celle-là. Il en veut une claire, brillante, non fumeuse, spirituelle, que peut répandre celui-là seul qui le connaît. Les dieux terrestres des païens ont besoin de lumière, pour ne pas être dans les ténèbres ; et leurs adorateurs, qui ne savent rien du ciel, sont rappelés à la terre par les cérémonies mêmes qu’ils accomplissente. »
e – Lactance, Instit. div., liv. VI, chap. 1. — Cf. Tertullien, Contre l’idolâtrie, chap. 15, et Apolog., chap. 46.
C’est dans les canons du concile d’Elvire que nous trouvons la première allusion à cet usage. Il interdit « d’allumer en plein jour des chandelles de cire dans les cimetières, car les esprits des saints ne doivent pas être troublésf ». Vers la fin du ive siècle, les cérémonies du culte comportaient déjà des cierges. Paulin de Nola, en 396, s’extasie sur la splendeur de ces illuminations en plein midi. « Les autels resplendissent sous leur épaisse couronne de lampes, dit-il, et les cierges aux mèches de papyrus répandent une odeur parfumée. Jour et nuit, ils brûlent et rendent la nuit aussi éclatante que le jour, tandis que le jour lui-même, déjà si glorieux par la volonté de Dieu, voit son éclat augmenter et d’innombrables lampes doubler son lustre. »
f – Canon 34. On suppose qu’il faut entendre ici non pas les saints, non pas les martyrs, mais les fidèles qui se réunissaient pour prier sur leurs tombeaux. Dict. Christ Antiq., art. Lights (Ceremonial use of) p. 994.
Les catacombes. — Il nous sera permis de retracer ici l’histoire de ces cimetières, même dans ce qu’elle a de postérieur à l’époque où s’arrête notre travail. Fort peu de temps après l’adoption du christianisme comme religion d’État, les catacombes commencèrent à n’être plus guère employées et, depuis l’an 410, c’est-à-dire depuis la prise de Rome par Alaric, roi des Goths, on n’y fit que fort peu d’inhumations.
Vers l’an 354, Jérôme, alors âgé de quatorze ans environ, vint à Rome pour son éducation. Il nous a laissé une description de quelques-unes des catacombes, et il semble ressortir de ce qu’il dit, que déjà de son temps on ne s’en servait plus. « Quand j’étais enfant, dit-il, j’avais l’habitude, le dimanche, d’aller avec d’autres garçons de mon âge… visiter les tombes des apôtres et des martyrs, et de pénétrer dans les cryptes creusées dans les entrailles de la terre. Les parois étaient remplies des restes des morts, et il régnait dans ces lieux une obscurité si profonde, que nous pouvions, en quelque sorte, voir l’accomplissement des paroles du prophète : « qu’ils descendent vivants dans le séjour des morts » (Nombres 16.30). Çà et là un filet de lumière, pénétrant par le haut, venait reposer un instant, de ces affreuses ténèbres. Mais à mesure que vous avanciez et que vous entriez dans une nuit absolument noire, le vers du poète s’imposait spontanément à votre esprit le silence à lui seul venait glacer l’âme de frayeurg.
g – Commentaire sur Ezéchiel, chap. 40.
A mesure que les catacombes cessèrent d’être des cimetières, elles devinrent des centres de superstition et des lieux de pèlerinage. Dans la seconde moitié du ive siècle (366-384), l’évêque Damase s’occupa de leur restauration, fit élargir les passages, construire des escaliers et orner les chambres (cubicula) de plaques de marbre. Il composa les épitaphes des martyrs et les fit graver en caractères magnifiques par l’habile Furius Dionysius Filocalus ; il fit même dresser des catalogues à l’usage des pèlerins.
Pendant deux siècles, environ, les catacombes furent l’objet d’une dévotion ardente. Avant la fin du vie siècle, elle avait cessé. Les Goths et les Lombards les ravagèrent et, en 761, puis encore en 817, les papes Paul Ier et Paschal Ier firent enlever et mettre dans les églises, les restes de plusieurs milliers de corps.
A partir de cette époque, les catacombes, désormais sans valeur aux yeux des dévots, tombèrent dans un oubli si profond, que, pendant plus de six siècles, on parut ignorer leur existence. Elle se révéla tout à coup le 31 mai 1578. Des ouvriers avaient découvert une chambre sépulcrale dans une carrière de pouzzolane. Rome apprit avec étonnement qu’un monde de trésors enfouis gisait sous ses pieds, et les catacombes excitèrent dès lors un intérêt que le temps n’a pas atténué jusqu’ici.
Fresques et sculptures. — Si les chrétiens des premiers âges s’étaient contentés des tombes les plus simples, il n’en fut pas de même aux âges postérieurs. Les riches, sur ce point, rivalisèrent de luxe avec les païens. Il y avait deux sortes de décorations : les fresques et les sculptures. Les premières se rencontrent abondantes dans les cubicula et dans les arcosolia. Les trois quarts d’entre elles, ayant été restaurées au viiie et au ixe siècle, ne sont plus, par conséquent, dans leur état primitif. Parmi celles qui n’ont point subi de restauration, la plupart remontent au vie siècle ; on en trouve cependant un assez grand nombre du ive et du ve. On n’a pas encore rencontré de peintures, représentant des sujets chrétiens, antérieures au règne de Constantin et, de cette époque à l’an 500, il n’en existe pas qui ne soient empruntées à l’Écriture. « Avant le vie siècle, il n’y a pas une seule figure de saint ou de martyr. »
Parker, Archaeology of Rome, Catacombs, préface, p. xi, xii. Telle n’est pas l’opinion de de Rossi et de Northcote et Brownlow, ses éditeurs anglais. Ils assignent à plusieurs des fresques une date bien plus ancienne.
Parmi les sujets bibliques, aucun n’a obtenu plus de faveur que celui de personnes groupées autour d’une table. On y a vu tantôt une agape, tantôt la Cène, tantôt un repas funèbre, tantôt, enfin, les sept disciples réunis au bord du lac de Tibériade (Jean 21.2). Cette dernière hypothèse peut s’appuyer sur ce fait, que les personnes réunies sont souvent au nombre de sept. Mais elle se justifie difficilement si l’on songe, d’un côté à l’absence du Christ, de l’autre au peu de ressemblance entre le repas des disciples au bord du lac, et celui que représentent les peintures. Une autre opinion, encore, veut que ce soient les sept diacres. Nous pencherions plutôt pour le repas funèbre. Il était d’usage, chez les anciens Romains, de célébrer une fête le jour de l’enterrement et le jour de son anniversaireh. La foi nouvelle ne supprima pas, dans bien des cas, les usages sociaux en vigueur ; elle se borna à leur donner un sens nouveau et une vie nouvelle. Nous avons vu, par exemple, combien la célébration des anniversaires d’amis défunts ou de martyrs occupaient de place dans les pensées des premiers chrétiens.
h – Il est encore d’usage à Rome de s’assembler près de la tombe des membres décédés de la famille, à l’anniversaire de leur mort, et d’avoir une fête de famille à cette occasion. Parker, Catacombs, 195.
Un repas païen, fresque de Pompéi.
Un repas chrétien, catacombe de Calixte.
Quoi qu’il en soit, du reste, du sens de cette peinture, un fait est positif : c’est qu’elle rappelle d’une manière frappante certaines scènes de la vie sociale retrouvées depuis sur les murs de Pompéi. Le lecteur pourra en juger par les deux spécimens que nous en donnons ; mais, en même temps, il verra qu’à côté de grandes et frappantes conformités, il y a d’évidentes et tangibles différences : ainsi les ornements qui encadrent la table ; ainsi encore les vêtements et l’apparence des convivesi.
i – Cette même scène, sous sa forme chrétienne, est répétée, avec quelques légères différences, dans trois ou quatre chambres successives de la Catacombe de Calixte. Northcote et Brownlow, Roma Sotterranea, IIe partie, p. 67.
La gravure ci-dessous représente une scène quelque peu différente. Trois hommes sont couchés autour d’une table ; devant eux est un trépied sur lequel on voit un grand poisson entouré d’autres aliments. A chaque extrémité du triclinium est une femme ; entre l’une d’elles et le trépied, un vase ; entre le trépied et l’autre, un garçon tenant une coupe. Au-dessus de la tête de l’un des convives on lit : Irène de calda, Irène (ou Paix) donne-moi [de l’eau] chaude ; au-dessus de celle d’un second : Agape misce mi, Agape (ou Amour) mélange [du vin] pour moij. Ces paroles semblent être adressées aux deux femmes, dont les noms sont probablement symboliques. Sur le bord supérieur du tableau, sont inscrits quatre noms propres ; au-dessous, un cinquième. Au bord de gauche, les lettres va, qui forment avec les lettres lete, au bord opposé, le mot valete (Adieu), permettent de supposer que le tableau représente un repas funèbre.
j – La coutume de mêler l’eau et le vin était presque universelle chez les anciens.
L’idée d’orner de sculptures les tombeaux des chrétiens riches ne se manifesta qu’au ive siècle. A cette époque, leurs sarcophages commencèrent à être ornés de scènes de l’Écriture finement gravées, ou parfois reproduites en un hardi relief. Plus tard, à mesure que s’affirmait plus énergiquement le désir des distinctions personnelles, on grava sur leurs tombes les portraits des défunts. De très bonne heure, un goût spécial et de pure convention se fit jour dans la manière de traiter les sujets bibliques. Souvent l’artiste ne faisait aucun effort pour copier la nature. Il lui suffisait de suggérer au spectateur la forme ou l’idée qu’il voulait exprimer. Les proportions et même les possibilités étaient parfois si entièrement méconnues, qu’il faut toute la gravité du sujet et toute la vénération que l’antiquité inspire, pour ne pas trouver ces productions parfaitement grotesques.