L’Église primitive jusqu’à la mort de Constantin

14. Les prétentions de Rome.

Pouvoir des évêques. — Les prétentions de Rome. — Paul de Samosate. — Entretien du clergé. — Dîmes. — Vêtements sacerdotaux.

Les Évêques. — Nous avons déjà fait allusion à la théorie de Cyprien sur le pouvoir suprême des évêques. L’évêque Rogatien lui avait écrit une lettre dans laquelle il se plaignait de l’opposition que lui faisait un de ses diacres. Cyprien, dans sa réponse, lui rappelle qu’en vertu de sa puissance (vigor) épiscopale et de l’autorité de sa chaire, il avait le droit d’exercer le pouvoir sacerdotal contre le diacre insolent. Il s’appuie, pour corroborer son affirmation, sur le jugement qui frappa Coré, Dathan et Abiram, lorsqu’ils osèrent agir orgueilleusement, se raidir contre Aaron et s’égaler au prêtre mis au-dessus d’eux. Dans une lettre à Pupianus, il va jusqu’à dire : « l’évêque est dans l’Église et l’Église dans l’évêque ; si quelqu’un est séparé de son évêque, il n’est pas dans l’Églisea. »

aEp. LXIV, chap. 1 ; LXVIII, chap. 8.

Mais le langage de Cyprien paraît bien pâle à côté de celui des Constitutions Apostoliques, qui respire le plat servilisme de l’extrême Orient. « L’évêque, y est-il dit, est le ministre de la parole, le gardien de la connaissance, le médiateur entre Dieu et vous. Après Dieu, il est votre père, qui vous a engendrés de nouveau, afin que par l’eau et l’Esprit vous reçussiez l’adoption des enfants ; il est votre chef et votre directeur, votre roi et votre maître, votre Dieu sur la terre… Que les laïques ne viennent pas à chaque instant déranger ce maître ; qu’ils expriment leurs vœux aux diacres, vis-à-vis desquels ils peuvent se sentir plus libres. Car de même que nous ne pouvons nous adresser au Dieu tout-puissant que par l’intermédiaire de Christ, de même les laïques ne doivent faire connaître leurs vœux à l’évêque que par le moyen des diacres, ils doivent ensuite agir suivant les directions que l’évêque donnera… Et comment un fidèle oserait-il se permettre de parler contre son évêque, alors que c’est par l’imposition des mains de l’évêque qu’il a reçu le Saint-Esprit, qu’il a été scellé avec l’huile de joie et l’onction de l’intelligence ? alors que c’est par son moyen que le Seigneur l’a illuminé, et a fait entendre sa voix sacrée disant : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui ? »

[Liv. II, chap. 26, 28, 300, 32i. Dans son 75e canon, le concile d’Elvire refuse la communion, même in articulo mortis, à quiconque aura faussement accusé un évêque, un prêtre ou un diacre.]

Du moment où de pareilles idées devenaient courantes dans l’Église, on ne saurait être surpris que les évêques les plus mondains aient commencé à s’arroger une importance extérieure considérable. Plusieurs de ceux qui occupaient des sièges dans les grandes villes se voyaient entourés et sollicités comme des personnages importants dans l’État, et l’évêque de Rome commençait à mettre en avant sa prétention d’être le premier des évêques.

[Parlant de la juridiction des évêques au ive siècle, Milman dit : « Ainsi, dans chaque cité importante, presque dans chaque ville et dans chaque village de l’empire, une magistrature d’un nouveau genre avait été établie. En un certain sens, elle était indépendante du gouvernement ; elle possédait des propriétés considérables et inaliénables ; elle était reconnue par l’État et exercée par des hommes revêtus d’un caractère spécial et sacré. Leur autorité dépassait leur juridiction ; leur influence, leur autorité. » Hist. of Christianity, III, 283-284.]

Avant même la fin du iie siècle, l’ambitieux et altier évêque Victor avait tenté de proclamer cette supériorité. Il était trop tôt ; l’évêque de Rome avait alors encore beaucoup d’égaux et, quand ses décisions soulevaient l’opposition d’autres évêques, supérieurs en expérience et en valeur personnelle, il était obligé de céder. Ainsi en 254, lors de la dispute au sujet de la validité du baptême administré par les hérétiques, Etienne, évêque de Rome, voyant Cyprien de Carthage, Firmilien et d’autres prélats éminents opposés à ses vues, essaya de brandir contre tous ses adversaires les armes spirituelles de l’Église. Il excommunia Cyprien, le dénonça comme étant un Antéchrist, et menaça des censures spirituelles tout membre de l’Église romaine qui oserait accueillir ses envoyés. Puis il excommunia Firmilien et les évêques d’Asie. Mais les foudres, qui devaient un jour produire de si terribles effets dans les mains des successeurs d’Etienne, n’étaient pas encore forgées. Les prélats traitèrent avec mépris « l’audace et l’insolence » de l’évêque de Rome, et Firmilien déclara que celui qui se vantait d’être le successeur de Pierre était « le vrai schismatique, qui, en excommuniant les autres, était devenu lui-même un apostat de la communion de l’Égliseb ».

b – Cyprien, Ep., LXXIV, chap. 3, 24.

Quoi qu’il en soit, la Rome spirituelle n’en avançait pas moins d’un pas assuré vers un pouvoir dans l’Église, égal à celui de la Rome politique dans l’Empire. Malgré sa dispute avec Etienne, Cyprien appelle le siège de Rome « la chaire de Pierre, et l’Église principale, d’où dérive l’unité sacerdotale ». Après le martyre de l’évêque Fabien, en 250, l’empereur Decius se rendait si bien compte du pouvoir grandissant de l’évêque de Rome, qu’il déclara qu’il aimerait mieux entendre parler d’un rival politique, que d’un nouvel évêquec. En 272, lorsque Paul de Samosated, évêque d’Antioche, déposé par un synode, refusait de se retirer devant son successeur, on en référa à l’empereur Aurélien, et celui-ci ordonna que le siège serait donné au candidat adopté par les évêques d’Italie et de Rome.

c – Cyprien Ep. LI, chap. 9. Le siège épiscopal resta vacant un an et demi.

d – Ville du nord de la Syrie, sur l’Euphrate.

Ce ne fut que bien plus tard que les évêques de Rome monopolisèrent à leur profit le titre de Papes ; πάππας ou πάπας, papa, père, servit d’abord à indiquer le lien qui unissait le maître spirituel et le converti. Plus tard, il fut réservé aux évêques et aux abbés. Lorsque le clergé écrit à Cyprien, il lui donne ce titre. Un pareil nom ainsi employé était également opposé à la lettre et à l’esprit du commandement du Seigneur (Matthieu 23.9) : n’appelez personne sur la terre votre père. — Le concile de Nicée montre la position occupée dans l’Église par le siège de Rome. L’évêque de Rome était primus inter pares, premier entre des égaux et rien de plus. Dans les listes de signatures des actes du concile, ses délégués n’occupent pas une autre place. Le nom d’Osius, présidant le concile au-dessous de l’empereur, est le premier. Viennent ensuite les noms des deux prêtres romains représentant l’évêque Sylvestre. On pensait si peu à une suprématie quelconque de l’évêque de Rome, que son nom ne paraît pas même avoir été prononcé dans les délibérations, et rien ne permet de supposer que son opinion ou son autorité ait eu un poids plus considérable que celle de n’importe quel autre évêque. Dict. Christ. Antiq., art. Pope, II, 1658.

Les faits concernant Paul de Samosate montrent si bien ce qu’était au iiie siècle la vie ecclésiastique, qu’on ne peut les passer sous silence. Il avait été nommé évêque d’Antioche en 260. D’un esprit porté à la spéculation, il avait tenté de combiner le platonisme avec les doctrines du Nouveau Testament, et mis en avant des idées erronées concernant la nature du Christ. Il paraît avoir également eu des dispositions assez mondaines et s’être montré avide de pouvoir et de faste. Ses opinions hérétiques alarmèrent les chefs des Églises d’Orient et, en 265, un concile se tint à Antioche même, pour le juger. Jamais, jusqu’alors, l’Église chrétienne n’avait vu réunis un aussi grand nombre de ses chefs spirituels. Les évêques des principaux sièges des pays situés entre le Pont et l’Arabie s’y étaient donné rendez-vous. On remarquait parmi eux Firmilien de Césarée en Cappadoce, Grégoire le Thaumaturge et Théoctiste de Césarée de Palestine. Paul de Samosate se défendit avec habileté, et Firmilien, auquel son âge et son caractère avaient donné la première place au concile, conseilla à ses collègues de ne prendre à son égard aucune décision formelle. Son avis fut adopté, mais cette indulgence ne produisit pas l’effet qu’on en avait espéré. Paul continua à propager les mêmes hérésies, et il fallut, en 269, convoquer de nouveau un concile à Antioche. Dans ce second concile, le principal accusateur était un prêtre, nommé Malchion, professeur dans une école de philosophie d’Antioche. Ses questions et les réponses de Paul furent sténographiées et publiées. Le concile commença par adresser une lettre à l’évêque de Samosate, dans laquelle ses membres affirmaient la divinité du Christ, son éternelle préexistence, la création du monde par lui, sa qualité de Fils et son incarnation miraculeuse. Puis il déposa Paul et l’exclut de la communion de l’Église catholique tout entière. Il nomma un évêque à sa place et écrivit une lettre circulaire à toutes les Églises, en particulière celles de l’Occident, pour les informer de la déposition de Paul et de la nomination de son successeur.

La ville d’Antioche était alors au pouvoir de la célèbre Zénobie, reine de Palmyre, pour laquelle Paul paraît avoir été rempli de constants égards. Aussi, tout le temps qu’elle conserva son indépendance vis-à-vis de Rome, c’est-à-dire jusqu’en 272, il resta en possession de l’église dans laquelle il officiait habituellement.

Eusèbe nous a conservé l’épître du concile. En voici le début : « A Denys et à Maximee, et à tous nos compagnons dans le ministère, évêques, prêtres et diacres et à toute l’Église chrétienne qui est sous les cieux, Helenus (suivent quinze autres noms) et tous ceux qui sont avec nous, évêques, prêtres et diacres et les Églises de Dieu, salut en notre Seigneur. » Il est ensuite expressément constaté que les accusations portées contre Paul n’ont pas provoqué sa déposition. « Il est inutile, dit la lettre du concile, de s’occuper des actions d’un homme qui a abandonné la foi ; de raconter comment, de pauvre et mendiant qu’il était, n’ayant rien hérité de ses parents, ni rien gagné par ses talents ou son commerce, il est arrivé, par ses actes déloyaux et sacrilèges, par ses extorsions sur les fidèles, à une richesse excessive ; de parler de son orgueil et de sa prétention d’être revêtu de dignités mondaines, au point d’aimer mieux être appelé un ducénairef qu’un évêque, et de se pavaner sur les places publiques, lisant des lettres et en racontant le contenu à haute voix, tandis qu’une foule de gens l’environnent. Il n’est pas nécessaire de mentionner son affectation dans nos assemblées ecclésiastiques, son faste, sa recherche de la popularité, et son habileté à confondre par ses artifices les âmes candides ; de parler du tribunal élevé ou trône sur lequel, disciple infidèle du Christ, il a l’habitude de s’asseoir ; ni du Secretumg (il l’appelle ainsi), qu’il s’est fait construire à l’imitation des princes de ce monde ; ni de ce qu’il se frappe la cuisse ou frappe du pied sur son tribunal, lorsqu’il blâme et insulte tous ceux qui, hommes ou femmes, ne l’applaudissent pas, n’agitent pas leurs mouchoirs, comme au théâtre, ne sautent pas, ne crient pas, mais veulent, comme il convient de le faire dans la maison de Dieu, écouter avec révérence et modestie. N’a-t-il pas supprimé le chant des psaumes en l’honneur de Notre Seigneur. Jésus-Christ, sous prétexte qu’ils étaient l’œuvre récente d’hommes nouveaux, et ne les a-t-il pas remplacés, à la fête solennelle de Pâques, par des chants exécutés en son propre honneur, au milieu de l’Église, par des femmes, telles qu’on ne peut s’empêcher de frémir en les entendant ? et n’a-t-il pas réussi, par ses séductions, à entraîner dans les mêmes égarements les évêques et les prêtres de son parti, qui habitent les districts ou les villes des environs ? Que dire, encore, de ces femmes, de ces sœurs adoptéesh, comme les appelle le peuple d’Antioche, et que gardent chez eux, lui, ses prêtres et ses diacres ? Nous savons que beaucoup sont tombés dans le péché en les introduisant chez eux, et que beaucoup d’autres en sont soupçonnés. Dès lors, et même en admettant qu’il n’ait lui-même rien commis de déshonorant, son devoir était d’éviter le soupçon que ne pouvait manquer de provoquer une telle conduite. »

e – Denys était évêque de Rome, et Maxime, d’Alexandrie.

f – Magistrat du fisc qui recevait annuellement 200 sesterces de traitement.

g – Endroit élevé garni de grilles et de rideaux, où les magistrats romains siégeaient pour décider les procès.

h – Ou encore femmes de charge des prêtres.

Ce n’est cependant pas sur de telles accusations que le concile motive son excommunication, et les juges tombent dans la grande erreur de considérer l’orthodoxie de la foi comme la chose essentielle et le reste comme l’accessoire. La lettre continue : « On reprocherait, sans doute, toutes ces choses à un homme qui maintiendrait la vraie foi catholique et resterait uni avec nous. Mais est-il bien nécessaire de les mettre en ligne de compte quand il s’agit d’un homme qui détruit le mystère de la foi et qui adopte orgueilleusement l’exécrable hérésie d’Artémas ? Nous avons donc dû excommunier cet homme, qui se fait l’ennemi de Dieu et refuse de se soumettre, et nous avons pourvu son église d’un autre évêquei. »

i – Eusèbe, liv. VII, chap. 27, 30. Lettre écrite par Malchion au nom du Synode d’Antioche contre Paul de Samosate. Ante-Nic. Library.

En nous arrêtant si longtemps sur le cas de Paul de Samosate, nous n’avons pas prétendu montrer par là que l’épiscopat fût dégénéré au iiie siècle, car c’est plutôt l’inverse qu’on en pourrait conclure. Il est évident, en effet, qu’il y avait alors dans l’empire des centaines d’évêques, restés inconnus, dont l’effort tendait à être de sages chefs de leur diocèse, de vivants exemples pour leur troupeau.

C’est ce que nous permettent d’affirmer, par exemple, les canons 13 et 14 du 4e concile de Carthage (393), où il est décidé : qu’un évêque aura son logement près de l’église, que son ménage devra être très simple, sa table et son régime modestes. En outre, que ce sera par sa foi et sa valeur personnelle, et non par l’éclat extérieur qu’il cherchera à acquérir de l’autorité.

D’autre part, ce qu’Eusèbe nous dit de l’état des Églises d’Orient quelques années plus tard, et ce que nous savons de celui des Églises d’Afrique au début du schisme de Donat, empêche de supposer que Paul de Samosate ait été le seul spécimen de son genre ». Dès le milieu du iiie siècle, Origène écrivait : « Nous allons si loin en fait de pompe et de luxe, que nous dépassons même les gouverneurs infidèles des païens. Comme les empereurs, nous nous entourons d’une garde, afin d’être craints et afin que notre abord soit difficile, surtout pour le pauvre. Dans plusieurs de nos soi-disant Églises, principalement dans celles des villes importantes, on peut trouver des chefs de l’Église de Dieu, qui refuseraient de considérer comme leurs égaux même les meilleurs des disciples qui entouraient le Sauveur sur la terre. »

Entretien du clergé. — Nous avons vu comment, aux jours de la simplicité primitive, les ministres de l’Église s’entretenaient eux-mêmes, grâce à leur propre travail. A ce moment-là, les libres offrandes du troupeau étaient destinées aux pauvres, aux malades, aux veuves, aux prisonniers. Peu à peu, on mit à part, pour l’entretien des ministres, une portion des contributions hebdomadaires. Plus tard, dans certaines Églises, on préleva le tiers ou le quart de ces contributions, et dans ce dernier cas (le quart), une part fut donnée à l’évêque, une autre au clergé, la troisième consacrée au culte et à l’entretien du bâtiment lui-même, la dernière, enfin, donnée aux pauvresj.

j – Lyman Coleman, chap. 7 ; Milman, Hist. Christ. III, 276.

Toutefois, l’idée que le prêtre peut pourvoir par son travail à ses propres besoins survit longtemps encore dans l’Église. Dans la lettre au sujet de Paul de Samosate, on accorde qu’il aurait pu acquérir ses richesses par ses talents ou son commerce. Les Constitutions Apostoliques ne pensent pas autrement. « Que les jeunes gens, disent-elles, s’occupent diligemment de leurs affaires, de façon à pouvoir suffire à leurs propres besoins et aider les pauvres. Car nous-mêmes, tout en ne négligeant pas le ministère de la parole, nous vaquons à nos occupations ordinaires. Les uns, parmi nous, sont pêcheurs, d’autres faiseurs de tentes, d’autres laboureurs ; aucun homme consacré à Dieu ne doit s’abandonner à l’oisiveté. » Des plaintes de Cyprien sur l’état de l’Église, on peut conclure, non seulement que le clergé d’Afrique se livrait au commerce, mais même que quelques-uns de ses membres s’y livraient avec excès. Le concile d’Elvire, en 305, défend aux évêques et au clergé d’être marchands ambulants, mais leur permet d’exercer le commerce dans leur province. Par contre, il leur interdit absolument l’usurek. Encore en 398, le concile de Carthage estime que « les membres du clergé, si instruits qu’ils soient, doivent pourvoir, par un métier quelconque ou par le travail des champs, à leur nourriture et à leur vêtement ; à condition, toutefois, que ce ne soit pas aux dépens de leurs devoirs ecclésiastiques. Il estime, en outre, que tous les jeunes gens, assez forts pour le supporter, doivent apprendre un métier tout en se livrant à l’étude des lettres. »

k – Canons 18 et 20. — Même condamnation de l’usure dans le canon 12 du concile d’Arles (314) et le canon 17 de celui de Nicée.

[Bingham, liv. VI, chap. 4, § 13. Il ne manque cependant pas d’instructions et d’ordres d’une nature tout à fait différente. Les Canons Apostoliques disent : « Qu’aucun évêque, prêtre ou diacre, n’accepte des occupations séculières, sous peine de déposition. » Canon 7 ; Cf. Canons 81 et 83. — Dans l’Afrique du Nord, déjà avant Cyprien, le clergé avait reçu l’ordre de ne pas accepter les fonctions de tuteur ou de curateur. « Les évêques nos prédécesseurs, dit Cyprien, ont décidé qu’aucun fidèle quittant ce monde ne devait choisir un membre du clergé comme exécuteur testamentaire ou tuteur et curateur. Si quelqu’un le faisait malgré cette défense, on ne devait faire aucune offrande à son intention, ni célébrer aucun sacrifice pour son repos. Un tel homme ne méritait pas, en effet, d’être nommé dans les prières des prêtres devant l’autel de Dieu, puisque son désir devait avoir pour résultat d’éloigner de l’autel les prêtres ou les ministres. » Ep. LXV, chap. 2. D’autres fonctions encore et d’autres métiers étaient interdits aux prêtres d’une manière spéciale.]

« Les évêques et les prêtres de cette époque reculée, fait remarquer Hatch, étaient banquiers, médecins, orfèvres, bergers ou commerçants ordinaires. Ils ressemblaient à la seconde génération de nos évêques non assermentés, d’il y a un siècle et demi, ou aux premiers prédicateurs wesleyens. Ils étaient des hommes du monde et participaient à la vie commune. La grande préoccupation des communautés chrétiennes n’était pas de voir leur clergé quitter les affaires, mais de le voir, et dans les affaires et en toute chose, servir d’exemple à tous. Les principales prescriptions connues des conciles sur ce point ont pour but d’empêcher les évêques d’aller colporter leur marchandise de marché en marché, ou de profiter de leur situation pour acheter à meilleur compte et vendre à plus haut prix que n’importe qui d’autre. »

Cette liberté ne dura plus longtemps et l’union avec l’État lui fut fatale. Sans doute, Théodose exempte encore, à la fin du ive siècle, le clergé inférieur de tout impôt commercial, pourvu que les transactions restent de peu d’importance. Mais le clergé ayant abusé de cette immunité, une loi de Valentinien III (425-455) lui interdit toute espèce de commerce.

L’usage de demander un salaire pour les services ecclésiastiques, usage si entièrement étranger à l’Église lors de sa plus grande pureté, ne s’introduisit pas sans opposition. En Espagne, par exemple, dès le commencement du ive siècle, c’était l’habitude de déposer, à titre de cadeau, à l’occasion de chaque baptême, une pièce de monnaie dans les fonts baptismaux. Le concile d’Elvire condamne cette habitude et motive cette condamnation par la raison excellente « qu’on pourrait penser que le prêtre donne pour de l’argent ce qu’il a gratuitement reçu ». Bien plus tard, mais pour des motifs analogues, le concile de Trullol défend au clergé de recevoir aucun argent quelconque de ceux qui s’approchent de la table du Seigneur pour communier, car « la grâce de Dieu n’est pas un objet de commerce, ni la sanctification par le Saint-Esprit quelque chose qu’on puisse acheter ». De même, enfin, Jérôme déclare illégitimement acquis tout salaire accepté pour un service funèbre ».

l – Tenu à Constantinople en 692, et ainsi nommé parce qu’il se réunit dans une salle du palais, désignée sous le nom de Trullus, à cause du dôme qui lui servait de plafond.

Dîmes. — On peut probablement faire remonter l’origine des dîmes aux iiie et ive siècles. Avant cette époque, il est vrai, les offrandes de la congrégation avaient été comparées à celle de l’Ancien Testament. Irénée est un des plus anciens auteurs qui rapproche ainsi les unes des autres. Il en parle comme devant être présentées, suivant l’ordre de Dieu, par tous les hommes, et s’appuie sur Deutéronome 16.16 : « On ne paraîtra pas devant l’Éternel les mains vides ; » et il ajoute : « De même qu’il y avait des sacrifices chez les Israélites, de même il doit y en avoir dans l’Église chrétienne. Ce qui est modifié, c’est leur nature. Les sacrifices de l’Ancienne Alliance étaient offerts par des esclaves ; ceux de la Nouvelle Alliance le sont par des hommes libresm. » Origène, citant Matthieu 5.20, exhorte les chrétiens à ne pas avoir une justice moindre que celle des Scribes et des Pharisiens, qui ne se permettaient pas de goûter aux produits de leurs terres, jusqu’à ce qu’ils en eussent porté les prémices aux prêtres et prélevé la dîme pour les Lévites. Et Cyprien, invoquant l’exemple de la tribu de Lévi, qui vivait des dîmes pour pouvoir se dévouer plus complètement au service de l’Éternel, demande le même privilège pour le clergé chrétien « qui reçoit ce qu’on pourrait appeler des dîmes, afin de ne pas avoir à déserter le service de l’auteln ».

mContre les hérésies, liv. IV, chap. 18.

n – Homélie XI, sur les Nombres, in Dict. Christ. Antiq., II, 1963.

A l’époque où furent composées les Constitutions Apostoliques, cette idée avait acquis une plus grande influence encore sur les esprits. « De même que les Lévites, y est-il dit, qui servaient dans le Tabernacle (de tous points type de l’Église du Christ), avaient leur part des dons, des offrandes, des prémices, des dîmes, des sacrifices et des oblations, de même vous, évêques, vous êtes, pour la congrégation, prêtres et lévites, servant dans le saint tabernacle, c’est-à-dire dans la sainte Église catholique ; vous vous tenez devant l’autel du Seigneur notre Dieu, vous lui offrez des sacrifices raisonnables et non sanglants, au nom de Jésus-Christ, le Grand Prêtre suprême… Les offrandes et les dîmes appartiennent à Christ et à ceux qui sont ses ministres. La première lettre du nom de Jésus parle déjà de la dîme du salut. »

[Const. Apost., liv. II, chap. 25. — La lettre Ι, qui est la première du nom Ἰησοῦς, en grec, vaut dix, prise numériquement. Les prémices du froment, des bêtes à cornes, des brebis, du vin, de l’huile, du miel, des noix, des raisins étaient pour l’évêque, le prêtre et le diacre. — Les dons en argent, les vêtements et autres biens étaient pour la veuve et l’orphelin. — Les dîmes étaient pour le reste du clergé, comme aussi pour la veuve, l’orphelin, le pauvre et l’étranger. Idem, liv. VII, chap. 29 ; liv. VIII, chap. 30.]

Jusqu’alors, cependant, il n’était question que de dons volontaires. Mais peu à peu les fidèles étaient préparés au joug anti-scripturaire qu’on allait leur imposer. Le temps se chargea de le fixer d’une manière définitive, aussi bien par l’effet des lois ecclésiastiques que par celui des lois civiles.

Dans un article publié en sept. 1883 dans la Contemporary Review, M. Hatch rejette l’hypothèse qu’il faille chercher l’origine des dîmes dans une analogie avec le sacerdoce lévitique. A ses yeux elles dérivent des baux passés par les tenanciers des terres données à l’Église au viiie siècle, pour sa sécurité et son entretien, et il faudrait y voir une application de l’ancien usage romain, encore en vigueur alors, qui spécifiait un dixième du produit comme rente. Plus tard, et pour donner une sanction divine à cet usage, on l’aurait rapproché, au ixe et au xe siècles, des prescriptions de la loi mosaïque. Enfin, pendant plusieurs siècles, les dîmes auraient été conjointement employées au soutien des pauvres et à l’entretien du clergé. — Il est difficile, toutefois, de combiner cette explication avec nos citations ou avec le 5e canon du IIe concile de Mâcon (585), où pour la première fois (Robertson, I. 555, n. r.) une peine est indiquée contre ceux qui n’acquitteraient pas la dîme. « Les lois divines, y est-il dit, ont ordonné à tous de porter les dîmes dans les temples, afin que les prêtres, débarrassés des soucis matériels, puissent se vouer complètement à leur service spirituel. Ces lois, que tant d’hommes fidèles ont observées si longtemps, semblent être maintenant tombées en discrédit chez presque tous. Nous ordonnons donc et décrétons que tous les fidèles doivent porter les dîmes aux ecclésiastiques en fonctions, afin que les prêtres, après avoir prélevé la part des pauvres et ce qui doit servir a la rançon des captifs, puissent obtenir, par leurs prières, la paix et le salut pour le peuple. Quiconque ne se soumettrait pas à ce salutaire décret serait à jamais séparé de l’Église. »

Les vêtements sacerdotaux. — Aux premiers temps de l’Église, est-il besoin de le dire, les fonctionnaires ecclésiastiques ne se distinguaient aucunement du reste des fidèles par leur costume. On aurait cru manquer à ce grand principe du christianisme, que tous peuvent recevoir les mêmes dons spirituels, que tous sont prêtres et frères. On sentait aussi que les hommes, si aisément influencés par ce qui frappe les yeux, voyant journellement leurs prêtres revêtus d’un costume spécial et de signes indiquant une classe à part, ou supposant une supériorité spirituelle, auraient risqué de perdre la liberté de l’esprit et la pleine virilité auxquelles tous sont appelés en Christ. Mais dès que, à l’imitation des Juifs et des païens, l’Église eût créé un ordre de prêtres, il devint naturel de leur donner un costume spécial. Cela ne se fit pas, autant du moins que nous pouvons le savoir d’après les documents connus, avant le règne de Constantin et, jusque dans le ive siècle, l’Église ne connut pas, même pour la célébration des services, de vêtements sacerdotaux. Les officiants portaient les mêmes habits que le reste des fidèles.

On nous pardonnera peut-être, bien que nous devions un peu dépasser l’époque que nous avons choisie comme limite, d’indiquer en quelques mots les développements ultérieurs du costume sacerdotal.

Constantin donne, paraît-il, un riche vêtement brodé d’or à Macarius, évêque de Jérusalem, pour célébrer les baptêmes, et Athanase est accusé d’avoir mis une taxe sur les Égyptiens pour créer un fonds destiné aux vêtements de lin de l’Église. Telles sont les premières indications connues. Mais, à partir de ce moment-là, les allusions se rencontrent plus fréquentes chez les écrivains ecclésiastiques. Le concile de Laodicée, en 375, décide que le costume ecclésiastique devra être porté par les sous-diacres, les chantres et les lecteurs, et le quatrième concile de Carthage, en 398, parle de l’alba ou surplis blanc, que le diacre doit revêtir lorsque l’oblation est faite, ou pendant la lecture des leçonso ».

o – Bingham, liv. XIII, chap. 8, § 2.

En dehors de l’Église, cependant, et pour longtemps encore, le clergé ne se distingue pas des laïques. Les moines, il est vrai, affectent de porter un costume particulier ; on les reconnaît à leur manteau et à leur ceinture ; mais, jusqu’au ve siècle, on ne nous parle point d’un costume ecclésiastique officiel, même pour les évêques.

C’est sans raison suffisante qu’on veut rattacher le costume sacerdotal du clergé chrétien à celui des Lévites. Il semble avoir une autre origine, et, à vrai dire, une origine purement accidentelle. Aussi longtemps que les anciennes coutumes romaines se maintinrent, le vêtement d’un prêtre resta celui de tout citoyen romain. En 428, le pape Célestin adresse même de sévères reproches à d’anciens moines gaulois, devenus évêques, parce qu’ils n’ont pas changé en habits civils leur costume monacal, et se font remarquer par cela même. Mais lorsque la mode s’introduisit de porter des tuniques courtes, des culottes et le manteau des conquérants teutons, le clergé crut devoir ne pas l’adopter et conserver la longue tunique et l’ancienne toge ou pallium. Cette différence, née en quelque sorte d’un hasard, fut ensuite soigneusement conservée. Grégoire le Grand (604) ne voulait avoir autour de lui aucun ecclésiastique vêtu à la barbare et, dans sa maison, chacun devait porter l’ancien costume romain. Des canons du commencement du vie siècle défendent au clergé d’avoir les cheveux longs, et de porter d’autres habits que « ceux qui conviennent à la religion » ; ils lui défendent également le manteau militaire, les armes et les vêtements de pourpre.

En Orient, la distinction entre le clergé et les laïques s’établit plus lentement encore. Mais, en 692, le concile de Trullo prescrit aux ecclésiastiques, sous peine d’être excommuniés pendant une semaine, de porter les robes qui conviennent à leur ordre.

[Dict. Christ. Antiq., art. Dress. Dès avant le vie siècle, on trouve quelques indications montrant qu’on ne trouvait pas les cheveux longs convenables chez un prêtre. Toutefois la plus ancienne preuve de l’usage de la tonsure est une mosaïque de Ravenne du vie siècle, et un canon du ive concile de Tolède en 633, disant que le clergé doit se raser le haut de la tête en laissant au-dessous un cercle de cheveux. Idem, art. Tonsure. Cf. Milman, Hist. of Christ., III, 271 n.]

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