L’Église primitive jusqu’à la mort de Constantin

13. Développement rapide du ritualisme.

Nous avons examiné dans de précédents chapitres le culte et le gouvernement de l’Église depuis le temps des apôtres jusqu’à la fin du iie siècle. Tout ce que nous avons déjà dit sur la période que nous étudions en ce moment (200-337) a suffi pour montrer que le ritualisme s’est développé sans entraves, et surtout que les formes extérieures se sont de plus en plus victorieusement substituées à la simplicité primitive.

A l’époque apostolique, il n’y a ni autels, ni temples, ni images. Mais à mesure que les idées sacerdotales entrent dans l’Église et y triomphent, cette simplicité antique s’efface. Le repas en commun, dans lequel les chrétiens commémoraient ensemble l’amour du Sauveur, devient un sacrifice ; la table autour de laquelle ils s’asseyaient, un autel ; la communauté elle-même, qui ne devait former qu’un corps et qu’une âme, se divise en clergé et laïques. A mesure que la liberté de prophétiser disparaît, et que les dons spirituels promis à la congrégation elle-même deviennent l’apanage des seuls ministres, ces ministres se transforment en prêtres. En même temps disparaissent les simples effusions dictées par le Saint-Esprit aux âmes pénétrées de la charité évangélique, et capables, par conséquent, de briser les cœurs endurcis et de restaurer les cœurs brisés. Elles sont remplacées par d’éloquents et savants discours, parfois couverts d’applaudissements, comme dans un théâtre. Enfin, à la modeste chambre succède la pompe des majestueux édifices remplis de vases d’or et d’argent. Le sage Denys d’Alexandrie lui-même perd si complètement le vrai sens de l’Évangile, qu’il appelle la table sur laquelle sont le pain et le vin de la Cène, le « Saint des Saints ».

[Épître à Basilides, canon 2. — L’église de Cirta, en Numidie, possédait, dit-on, au moment où éclata la persécution de Dioclétien (303) deux calices d’or, six calices, sept lampes et divers autres ustensiles d’argent. D’autres églises pouvaient en posséder autant. Après l’avènement de Constantin, l’usage d’avoir de riches objets pour le culte devint général. Cooper, Free Church, 356.]

La description détaillée des assemblées religieuses contenue dans les Constitutions Apostoliques appartient probablement à l’époque de Constantin. Donnons-en quelques extraits. « Que l’édifice soit allongé et le chœur du côté de l’Orient ; que les sacristies soient de chaque côté du chœur. Le siège de l’évêque doit être au milieu et ceux des prêtres de chaque côté ; les diacres, revêtus d’habillements serrés par une ceinture, se tiendront debout auprès d’eux. Les laïques s’assiéront du côté opposé avec tranquillité et en ordre ; les femmes seront à part et garderont le silence. Le lecteur se tiendra debout à une place plus élevée et il lira dans l’Ancien Testament. Lorsqu’il aura lu deux leçons, un autre chantera les hymnes de David, et le peuple se joindra à lui à la fin des versets. Après cela, on lira dans le Nouveau Testament et tous, prêtres, diacres, laïques, se tiendront debout et écouteront en silence. Car il est écrit : Garde le silence et écoute, ô Israël. Ensuite les prêtres exhorteront l’un après l’autre les fidèles, et l’évêque, comme leur chef commun, parlera le dernier. Les portiers se tiendront debout à la porte des hommes, afin de veiller sur ceux qui entreront. De même les diaconesses se tiendront à la porte des femmes. Si quelqu’un s’assied ailleurs qu’à sa place, le diacre devra l’y remettre. S’il y a des places assignées aux jeunes gens, ils s’y mettront ; sinon, ils se tiendront debout ; les parents veilleront sur leurs petits enfants ; les femmes mariées venues avec leurs enfants seront à part. Le diacre veillera à ce que personne dans la congrégation ne parle, ne dorme, ne rie ou ne fasse signe de la tête.

Après que les catéchumènes et les pénitents seront sortis de l’Église, tout le monde se lèvera et priera Dieu en se tournant vers l’Est : car c’est du côté de l’Est que Dieu est monté au ciel. La prière finie, quelques-uns des diacres aideront avec crainte à l’oblation de l’Eucharistie, tandis que les autres veilleront à ce que les fidèles soient tranquilles. Le diacre qui se tient auprès du grand prêtre (l’évêque) dira alors à haute voix : Que personne n’ait de querelle avec son prochain ; que personne ne s’approche avec des sentiments d’hypocrisie. Alors les hommes donneront aux hommes et les femmes aux femmes le baiser de paix. Le diacre priera ensuite pour toute l’Église, pour le monde entier, pour les prêtres et les gouverneurs et pour la paix de l’univers. Le grand prêtre demandera la paix pour les fidèles et il les bénira en employant les paroles de Moïse : Le Seigneur te bénisse et te garde ; le Seigneur fasse luire sa face sur toi et te donne la paix. Puis viendra le sacrifice. Le peuple se tiendra debout et priera en silence, et lorsque l’oblation aura été faite, les fidèles, rang par rang, participeront au corps et au précieux sang du Seigneur. Ils s’approcheront avec révérence et une sainte frayeur, comme devant recevoir le corps de leur roi. Les femmes auront la tête couverte, comme cela convient aux femmes. On veillera à la porte pour qu’aucun incrédule ou aucun non-initié n’entre. »

Viennent ensuite des directions pour la réception des étrangers. Le diacre examinera leurs lettres de recommandation et leur donnera la place qui convient à leur rang. Si le visiteur est un évêque, l’évêque du lieu lui offrira la parole, l’invitera à célébrer l’eucharistie et à prononcer la bénédiction, « car, disent les Constitutions, les exhortations et les conseils des étrangers plaisent et profitent. Si l’étranger ne peut trouver de siège, et que, de son propre mouvement, un des jeunes fidèles ne lui offre pas le sien, le diacre l’obligera à le faire. L’étranger fût-il pauvre et d’une humble famille, le diacre n’en devra pas moins faire tous ses efforts et montrer toute la cordialité possible pour le placer, car il ne doit point y avoir acception de personnes. »

Quant à l’évêque, il devra exhorter les fidèles à venir tous les jours à l’église, matin et soir, pour prier et chanter des psaumes ; le matin, le psaume 62, le soir le psaume 140a. Surtout, il doit leur prescrire de se réunir le dimanche. « Car quelle excuse pourrait avoir vis-à-vis de Dieu, un homme qui ne fréquenterait pas les assemblées pour entendre parler du salut et de la résurrection ? qui ne se joindrait pas aux prières que nous faisons en nous levant trois fois, en mémoire de celui qui ressuscita au troisième jour ? qui ne prendrait part ni à la lecture des prophètes, ni à la prédication de l’évangile, ni à l’oblation du sacrifice, ni à la distribution de la nourriture de vie ? Et si quelqu’un allègue son travail comme excuse, qu’il sache que les occupations ordinaires du fidèle sont accessoires, mais que le culte est son œuvre essentielle. »

a – D’après la manière de compter de la Vulgate ; 63 et 144, d’après notre version.

Const. Apostol., liv. II, chap. 57-61. — Le concile d’Elvire décida que tout citoyen, qui manquerait trois dimanches au culte, serait prive de la communion pendant un certain temps (Can. 21). Ce concile fut tenu en Espagne entre 313 et 324. Dict. Christ. Antiq.

L’Eucharistie. — Rien ne montre mieux les progrès accomplis dans le sens du formalisme matérialiste, que l’opinion qu’on en vient à se faire peu à peu du pain et du vin de la communion ou du baptême. De plus en plus on parle de la vertu miraculeuse des éléments consacrés, de moins en moins de la vraie communion avec Christ, de la nourriture de l’âme par ce pain céleste, dont Christ lui-même avait dit : si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes (Jean 6.53). Non, sans doute, qu’Origène, Cyprien et une infinité de leurs contemporains, ne comprissent pas cette communion intérieure et n’eussent pas de la Cène du Seigneur une saine appréciation ; mais, dans l’enseignement de l’Église, le côté extérieur et matériel du rite occupait une place grandissante. Il est infiniment probable qu’alors, comme aujourd’hui, un nombre considérable de fidèles ignoraient ce que signifiaient les mots : nouvelle naissance ; probable aussi que parmi les adhésions si abondantes, qui se manifestaient dans les périodes de calme, bien des conversions naissaient de motifs d’ordre inférieur, comme l’exemple, les liens de famille, le désir de profiter de la libéralité bien connue des chrétiens, et autres du même genre. De tels convertis apportaient avec eux leurs idées et leurs habitudes païennes et, surtout, un goût prononcé pour les cérémonies et le faste.

Malheureusement si le besoin d’un enseignement vraiment spirituel allait en augmentant, la source en était à peu près tarie, et l’on voit des hommes de l’intelligence la plus puissante, de l’expérience chrétienne la plus profonde, obligés de céder au courant et se perdant dans des puérilités. Écoutons, par exemple, Origène : « Quand vous assistez aux saints mystères et recevez le corps de Christ, dit-il, vous ne sauriez être trop attentif et trop respectueux. Il ne faut pas que la moindre parcelle des espèces consacrées tombe à terre et soit perdue. Si pareille chose arrivait par suite de votre inattention, à bon droit vous estimeriez-vous coupablesb. » Dans les canons de l’Église égyptienne ou copte (qui, d’après Bunsen, seraient de la même époque), il est dit que le fidèle doit être à jeun pour pouvoir participer à l’eucharistie, et que des précautions doivent être prises « pour qu’aucun incrédule, aucune souris ou aucun autre animal n’en mange ; car c’est le corps de Christ et il ne doit point être méprisé. » Quant à la coupe, « ne la renversez pas, est-il dit, de peur qu’un esprit étranger n’en lèche le contenu, et qu’ainsi la colère de Dieu ne s’enflamme contre celui qui se rendrait de cette manière coupable du sang de Christ ».

b – Homélies sur l’Exode ; 13e hom., citée dans Coleman, Christian Antiq., chap. 16, § 4.

La notion anti-scripturaire de sacrifice dans la communion du pain et du vin avait déjà fait son apparition dans Justin-Martyr et dans Irénée. Les écrits de Cyprien nous la montrent arrivée à maturité. « Le prêtre, dit-il, imite l’acte que Christ a accompli et il offre à Dieu le Père, dans l’Église, un vrai et complet sacrifice ». Sa crédulité relativement aux effets miraculeux, dans certains cas donnés, des espèces consacrées, n’est pas moins étonnante que sa prétention d’anathématiser ceux qui ne sont pas aussi crédules que lui.

[Il nous parle, par exemple, d’une femme âgée qui s’était furtivement glissée parmi les fidèles au moment du sacrifice. Mais lorsqu’elle reçut le pain, il sembla que ce fût un coup d’épée, car, comme si elle eût absorbé un poison mortel, elle tomba frissonnante et tremblante au milieu de tourments inconnus. Elle avait pu tromper des hommes : elle ne pouvait éviter un juste châtiment. Il mentionne encore le cas d’un homme qui, se hasardant, malgré son indignité, à vouloir prendre sa part des espèces du sacrifice, ne trouva plus dans sa main que des cendres. De Lapsis, XXV, XXVI.]

Cette idée de sacrifice se répand rapidement et inspire le langage de presque tous les écrivains ecclésiastiques à partir de la fin du iiie siècle. Autant en fait son corollaire naturel, c’est-à-dire, l’idée que l’absence de communion équivaut à la perte du salut. « De même qu’il est manifeste que ceux qui reçoivent l’eucharistie jouissent de la vraie vie, dit Cyprien, de même avons-nous tout lieu de craindre que ceux qui se tiennent loin de la communion et se séparent ainsi du corps de Christ, ne restent éloignés du salut. » Et pour appuyer cette affirmation, il invoque, en la mésinterprétant, la parole du Christ, qui menace et dit : « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous-mêmes. »

[Jean 6.53. Le texte ne dit pas : vous n’aurez pas…, mais vous n’avez pas (οὐκ ἔχετε). Cyprien, De l’Oraison dominicale, chap. 18. Voy. cependant, ci-dessus, sa lettre aux Confesseurs dans les mines.]

Dans les écrits catéchétiques de Cyrille, évêque de Jérusalem, composés entre 347 et 350, c’est-à-dire peu d’années après la fin de la période dont nous nous occupons, il y a une description de l’eucharistie. Elle peut nous servir à comprendre, à peu de chose près, ce qu’étaient les cérémonies de l’Église vers l’époque de la mort de Constantin. Cyrille insiste avec une énergie toute particulière sur la transformation miraculeuse du pain et du vin en corps et en sang. Parlant des « espèces », il dit : « Je vous conjure donc, mes frères, de ne plus les considérer comme du pain et du vin ordinaires, car, conformément à la parole même de Christ, ils sont devenus son corps et son sang. Que vos sens vous disent le contraire, je l’accorde ; mais votre foi doit l’affirmer. Soyez persuadés, comme d’une chose absolument certaine, que le pain que vos yeux voient n’est pas du pain, et malgré son goût, ne doutez pas que ce ne soit le corps du Christ ; de même, malgré vos yeux, malgré votre goût, affirmez que le vin n’est pas du vin, mais le sang de Jésus Christ… Lorsque le diacre dit à haute voix : embrassez-vous, donnez-vous le baiser de paix, nous nous saluons les uns les autres. Et lorsqu’après le prêtre officiant dit : En haut les cœurs (sur-sum corda), parce que dans ce moment solennel vos cœurs doivent s’élever à Dieu et non s’abaisser aux choses de la terre, vous répondez : Nous élevons nos cœurs à Dieu… Puis nous redisons l’hymne sacré, que les séraphins chantent dans les cieux en l’honneur des trois personnes de la Trinité, afin de pouvoir mieux prier Dieu de faire descendre son Saint-Esprit et de transformer le pain en corps et le vin en sang… Puis après que le sacrifice spirituel, c’est-à-dire le culte sans effusion de sang, est terminé, nous prions Dieu pour la paix de toutes les Églises, la prospérité du monde, des rois, des soldats et des alliés, des malheureux, de ceux qui sont sous le coup d’épreuves spéciales, et généralement de tous ceux qui ont besoin d’aide. Nous mentionnons tous ceux qui sont entrés avant nous dans leur repos, patriarches, prophètes, apôtres, martyrs, afin que Dieu reçoive nos prières grâce à leurs prières et à leur intercession. Nous n’oublions pas non plus les bienheureux pères ou évêques et tous les prêtres qui nous ont devancés dans la tombe, croyant que ce sera pour le plus grand bénéfice de ceux pour qui ces prières sont offertes, tandis que le sacrifice le plus saint et le plus imposant est encore sur l’autel… Quand vous vous approchez pour communier, vous ne devez pas avoir les mains étendues ou les doigts écartés, mais votre main gauche devra soutenir votre main droite, qui va recevoir un si grand roi, et c’est dans le creux de la main qu’il sera déposé. Vous direz alors : Amen. Puis, après que vous aurez sanctifié vos yeux par le contact d’un corps si saint et si vénérable, vous communierez en le mangeant. Prenez bien garde qu’aucune parcelle n’en tombe à terre ; considérez comme aussi grave que la perte d’un de vos membres la perte de la moindre miette. Si l’on vous donnait des lingots d’or, avec quel soin ne les conserveriez-vous pas ! Avec quel soin, bien plus grand encore, ne devez-vous donc pas conserver la moindre miette de ce qui est infiniment plus précieux que l’or et les diamants !… Après avoir ainsi participé au corps de Christ, approchez de vous la coupe de son sang. Non pas en étendant vos mains, mais en vous inclinant comme pour l’adorer et lui rendre hommage ; puis dites : Amen. Sanctifiez-vous alors par le contact du sang de Christ que vous recevez, et pendant que vos lèvres sont encore humides, essuyez-les avec votre main, que vous porterez de suite à vos yeux, à votre front et aux organes de vos sens, pour les consacrer. »

[Cinquième Sermon Mystagogique pour les nouveaux baptisés, d’après la Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques de Dupin. — On le voit, à mesure que le besoin d’un enseignement vraiment spirituel se faisait davantage sentir, cet enseignement s’obscurcissait et se compliquait. Ce n’est pas seulement Cyrille, si porté au ritualisme, c’est le grand Origène lui-même, qui est entraîné par de telles interprétations matérialistes. On en a vu plus haut la preuve.]

Le Baptême. — L’idée que le baptême d’eau est nécessaire au salut s’est de plus en plus enracinée dans les esprits, et on baptise les enfants dès le huitième jour, ou même avant, de peur qu’ils ne soient, sans cela, éternellement damnés. Le baptême des enfants n’était pas encore, nous l’avons montré ailleurs, universellement admis alors. Quant au huitième jour, c’était, un souvenir de la circoncisionc. Les Récognitions Clémentines décrivent en style emphatique la vertu du baptême. « Hâtez-vous, disent-elles, car il y a dans l’eau du baptême une puissance de grâce ; ceux qui la reçoivent sont garantis du châtiment à venir. Celui qui tarde est encore dominé par l’incrédulité, qui est une idolâtrie ; elle l’empêche de se hâter vers les eaux salutaires. Que vous soyez juste ou injuste, le baptême est indispensable ; le juste en a besoin pour devenir parfait et naître de nouveau à Dieu ; l’injuste, pour obtenir le pardon des péchés qu’il a commis par ignorance. » Cyprien, imbu de la même erreur, va jusqu’à dire des paroles du Christ à la Samaritaine : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, » « qu’elles désignent le baptême d’eau qui donne le salut et qui, administré une fois, ne l’est jamais deux. »

c – Cyprien, Ep., LVIII, § 2.

[Ep., LXII, § 8. Il est à peine nécessaire de dire que Cyprien considérait comme essentielle lu conversion du cœur. « Etre baptisé, communier ne sont rien, si la vie et les actes ne sont pas ce qu’ils doivent être… Même une personne baptisée perdra la grâce qui lui a été conférée, si elle ne reste pas pure du péché. » Apud Neander, I, 352.]

Pour avoir une description du baptême tel qu’il était pratiqué vers l’époque où nous sommes, nous devons une fois encore recourir aux écrits catéchétiques de Cyrille. Le lecteur sera frappé de toutes les cérémonies extérieures qui sont venues le compliquer depuis Justin-Martyr et Tertullien ’. « Durant tout le carême, dit-il, les catéchumènes se sont réunis jour après jour dans l’église de la Résurrection à Jérusalem, pour prier ensemble et recevoir l’instruction catéchétique. A la fin du jeûne, le samedi avant Pâques, tous ceux qui doivent recevoir le baptême s’assemblent dans la chambre extérieure du baptistère. Se tournant vers l’ouest, comme vers la demeure des ténèbres et de leur puissance, ils font, les mains étendues, une renonciation publique à Satan. Puis, se tournant vers l’est, demeure de la lumière, ils disent : Je crois au Père, au Fils et au Saint-Esprit, et au seul baptême de repentance. Cela dit, ils entrent dans la chambre intérieure, quittent leurs vêtements et sont oints d’huile des pieds à la tête. On les conduit ensuite par la main aux fonts baptismaux et on demande à chacun : Crois-tu au Père, au Fils et au Saint-Esprit ? et les catéchumènes confessent leur foi, se plongent trois fois dans l’eau et trois fois se tiennent debout, rappelant ainsi les trois jours que le Seigneur resta dans le sépulcre, et sa résurrection. De sorte que l’eau qui sauve leur donne à la fois la mort et la vie, et elle est pour eux une tombe et une mère. » Les baptisés étaient ensuite habillés de blanc, et on leur oignait le front, les oreilles, les narines, et la poitrine. Ils participaient à la communion, puis entraient dans l’église en procession, des cierges allumés à la main, et en chantant : « Heureux celui à qui la transgression est remise, à qui le péché est pardonné ! Heureux l’homme à qui l’Éternel n’impute pas l’iniquité, et dans l’esprit duquel il n’y a point de fraude ! »

[Cyrille, Catéchèses, d’après Dict. Christ. Antiq., I, 157. — Dans les Constitutions Apostoliques sont mentionnées quelques cérémonies supplémentaires. « Le Grand Prêtre » doit bénir l’huile d’onction et demander au Père Céleste de lui donner une grâce spirituelle et une efficacité suffisantes, pour affranchir le candidat au baptême de toute impiété. De même il doit bénir l’eau en disant : « Regarde du haut du ciel et sanctifie cette eau, afin que celui qui va être baptisé puisse être crucifié avec Christ, puisse mourir, être enseveli et ressusciter avec lui. Et après le baptême, il l’oindra et dira : Qu’il te plaise de rendre cette onction efficace pour celui qui vient d’être baptisé, afin que le doux parfum de ton Christ puisse rester et persister sur lui. » Liv. II, ch. 43, 44.]

Une des questions qui divisaient l’Église au temps de Cyprien était la validité du baptême administré par les dissidents. Un hérétique rentrait dans l’Église orthodoxe : son baptême était-il suffisant, ou fallait-il renouveler la cérémonie ? Les Églises d’Asie Mineure et des contrées environnantes, ainsi que Cyprien et les Églises d’Afrique, tenaient le baptême administré par des hérétiques pour nul et non avenu. Dans l’Église romaine, au contraire, en vertu de nous ne savons quelle valeur objective du nom de Christ et de la Trinité, invoqué en conférant le baptême, celui-ci était considéré comme valide, quel qu’eût été l’officiant. Mais on ajoutait la cérémonie de la confirmation par l’évêque, pour que le Saint-Esprit donnât toute son efficacité au baptême précédemment reçud.

d – Ce fut une des causes qui amenèrent la séparation de la confirmation et du baptême.

Etienne, évêque de Rome, condamna comme anabaptistes tous ceux qui n’adoptèrent pas son opinion. Il voulut même les excommunier. Denys d’Alexandrie fit preuve, dans cette dispute, de sa modération accoutumée. D’accord, quant au fond, avec Cyprien et les Églises d’Asie Mineure, il voulait faire une exception en faveur des Montanistes et de quelques autres sectes, dont les doctrines étaient plus ou moins en harmonie avec celles de l’Église orthodoxe. En même temps, il cherchait à ne pas rompre le lien de fraternité avec Rome, et engageait instamment Etienne à ne pas troubler l’Église d’Orient dans la jouissance de la paix extérieure, qu’elle devait à l’empereur Valérien, et de la paix intérieure qu’avait amenée la fin du schisme de Novatien.

Cette dispute elle-même ne prouve que trop à quel point l’Église était redevenue esclave des éléments terrestres dont Christ l’avait affranchie. Un cas particulier, rapporté par Denys d’Alexandrie, montrera combien un pareil asservissement pouvait mettre à néant la joie et la paix du fidèle. Il y avait, dans son Église, un hérétique converti, qui depuis plusieurs années prenait part à la communion. Assistant un jour à un baptême de catéchumènes, il se rappela son propre baptême (administré probablement par des gnostiques), et reconnut qu’il ne ressemblait en rien à celui qu’il avait sous les yeux. Il en vint aussitôt à douter de la réalité de sa qualité de chrétien et, se croyant privé de la grâce divine, tomba dans le plus profond chagrin. Il pria avec larmes son évêque de lui administrer le vrai baptême. L’évêque fit tous ses efforts pour le tranquilliser, et lui déclara qu’après une participation aussi fréquente au corps et au sang de Christ, un nouveau baptême était à la fois sans nécessité et sans convenance. Malgré cela, le pauvre homme ne put ni surmonter ses scrupules, ni retrouver la paix de son cœure.

e – Eusèbe, liv. VII, chap. 9.

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