Les choses étant ainsi, il ne faut pas que le cœur de l’homme se laisse déconcerter lorsqu’il entend parler de la naissance, du corps, des douleurs et de la mort du Verbe de Dieu immatériel et spirituel.
De même, en effet, que les rayons du soleil qui remplissent le monde ne contractent aucune souillure en frappant les cadavres et les immondices de la terre, de même, la puissance immatérielle de Dieu n’éprouvera rien en son essence, ne l’avilira pas et ne se ravalera pas en s’unissant incorporellement à un corps. Et pourquoi ? Est-ce que, sans ce corps auquel il est uni, celui qui pénètre toujours et en tout lieu la substance des éléments et des corps, comme intelligence créatrice de Dieu, ne scelle pas en ces substances les règles de cette sagesse qui procède de lui, quand il y puise la vie de ce qui est inanimé, les formes de ce qui n’est qu’ébauché et sans extérieur, quand il imprime aux qualités du corps les beautés qui sont en lui et les formes incorporelles, quand il communique aux êtres essentiellement inanimés et inertes, à la terre, à l’eau, au feu, un mouvement sage et plein d’harmonie ; quand il ordonne tout ce qui est désordonné, qu’il le fait croître et le perfectionne, quand il est présent à toute existence par sa puissance divine et sage, quand il la pénètre et l’atteint ? Mais il ne s’altère pas, il ne contracte pas de souillure en son essence. Ainsi, en descendant parmi les hommes, il a apparu de diverses manières à un petit nombre de fidèles, étant hommes justes et prophètes, dont les livres saints ont recueilli les noms ; et enfin, il est venu dans le monde, au milieu des méchants et des impies, des Juifs et des Grecs, par l’excessive compassion et par la charité du Père très-bon pour se manifester comme leur bienfaiteur et leur Sauveur, en disant de lui-même : « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs. »
Le Sauveur de toute âme appelait ainsi les hommes : « Venez à moi, disait-il, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes accablés sous le faix, et je vous soulagerai » (Matt., XI, 28). Semblable à un habile musicien dont la lyre décèle le talent, il appelait les hommes et guérissait leurs corps par l’intermédiaire de l’homme qu’il s’était uni ; et, médecin consommé, il soulageait les âmes souffrantes qui animaient les corps par des remèdes bien convenables, par les exemples qu’il donnait en sa personne d’une vie sage, vertueuse et animée par la piété, en leur enseignant des vérités, non pas transmises par d’autres hommes, mais puisées en lui-même et dans le sein du Père, et déjà manifestées comme une loi aux premiers fidèles qui ont précédé Moïse. Attentif à la guérison du corps non moins qu’à celle de l’âme, par la chair qu’il avait élevée jusqu’à lui, il rendait ses actes sensibles aux yeux de la chair ; par sa langue, son enseignement il prenait une forme qui le portait aux oreilles de la chair ; et, par son union avec l’humanité, il rendait la force divine qui l’animait sensible à des créatures qui n’eussent pu la saisir autrement.
Par ces œuvres, dirigées à l’avantage et à l’utilité des hommes, le Verbe de Dieu, plein d’amour pour eux, exécuta les volontés du Père. Toujours, cependant, il demeura spirituel et immatériel, tel qu’il était d’abord dans le sein de son Père, sans changer son essence, sans rien perdre de sa nature, sans s’engager dans les liens de la chair ni déchoir de sa divinité, sans perdre sa puissance du Verbe, sans borner son action à la contrée où était la maison de son corps, au préjudice de son action universelle ; mais il vivait au milieu des hommes et en même temps il remplissait le monde ; il était avec le Père et dans le sein du Père, et gouvernait tout ce qui est au ciel et sur la terre, sans se voir dépouiller de cette présence universelle à laquelle notre nature ne peut atteindre ni empêcher de consommer des œuvres divines à son ordinaire. S’il fit entrer son humanité en communication de ses vertus et de sa puissance, il ne reçut jamais de bornes de cette créature mortelle. Incorporel, il ne fut point souillé en naissant d’un corps ; et, impassible, il n’éprouva aucune souffrance à occasion de la nature périssable.
Lors, en effet, qu’une lyre rend des accords et que ses cordes vibrent sous la main légère, il n’est pas présumable que le musicien qui prélude soit agité de la sorte, l’on ne saurait dire que la sagesse d’un homme de bien et l’âme qui l’anime soient tranchées ou brûlées lorsque son corps est exposé au supplice combien davantage ne faut-il pas reconnaître que l’essence et la puissance du Verbe incarné ne reçurent nulle atteinte des affections du corps ? Le soleil, que nous avons cité comme exemple, ne voit jamais se souiller les traits de lumière qu’il envoie vers la terre, lorsqu’ils frappent la boue et quelques immondices. Rien ne défend de dire que ces objets rebutants réfléchissent l’éclat qu’ils en reçoivent. Le soleil éprouve-t-il quelque altération de ce contact ? Devient-il boue ? Nullement. Toutefois ce changement ne serait point étranger à la nature des corps. Mais lorsque le Verbe de Dieu, spirituel et incorporel, vie et lumière de l’intelligence, sans dire encore ses autres perfections, atteint quelque être de sa puissance spirituelle et infinie, nécessairement cet être vit et participe à celle lumière intellectuelle. De même, tout corps qu’il atteint se purifie, s’illumine aussitôt ; tout défaut, toute débilité, toute imperfection disparait ; toute privation est inondée de sa plénitude. Ainsi, sous une influence légère de sa puissance, un mort ressuscite plein de vie, la mort fuit la vie. Les ténèbres sont dissipées par la lumière, ce qui est corruptible se revêt d’incorruptibilité, et ce qui est mortel, d’immortalité.