Naissance de l’irvingisme. — Désir des dons miraculeux. — Assemblées d’Écosse. — Edouard Irving. — Succès de son ministère. — Ses idées sur la personne de Jésus-Christ. — Ses vues sur les dons miraculeux. — Faits extraordinaires. — les utterances. — Destitution d’Irving. — Fondation de l’Église apostolique. — Idées ecclésiastiques d’Irving. — Les irvingiens à Genève. — Le darbysme. — Ses origines. — Formation de la secte des frères de Plymouth. Darby. — Ses idées sur l’apostasie de l’Église — Impossibilité de relever l’Église. — Devoir des chrétiens de se séparer de toute Église. — Darby à Genève. — Influence dissolvante du darbysme sur le Réveil.
Il nous reste à dire quelques mots de deux sectes qui ont profondément troublé les Églises issues du Réveil et souvent compromis les fruits de leurs travaux, — l’irvingisme et le darbysme.
Bost, dans ses Mémoires, raconte que c’est à tort que l’irvingisme porte ce nom : « Ce système, dit-il, a ses premières racines dans un mouvement auquel le célèbre Irving n’avait eu aucune part. Voici ce qui en este :
e – Bost était allé passer trois mois en Angleterre pour étudier de près l’irvingisme.
« Quelques chrétiens d’Écosse s’étaient réunis régulièrement, depuis quelques années, dans le but de demander au Seigneur de répandre de nouveau sur son Église les dons divers de guérison, de prophétie et autres, qu’il avait, selon eux, promis aux siens pour tous les temps… Nos frères d’Écosse vécurent pendant quelque temps dans cette foi et dans une piété croissante, mais sans voir encore apparaître aucun phénomène extraordinaire. Enfin cependant, il se présenta un cas de guérison très frappant qui eut lieu par la foi seule ; et dès lors des faits du même genre se multiplièrent en peu de temps… Le bruit s’en répandit bientôt au loin, et quelques chrétiens d’Angleterre, M. Henri Drummond dans le nombre, furent assez sages pour ne pas juger qu’une chose fût une folie par cela seul qu’elle était extraordinairement belle et conforme aux promesses de Dieu ; ils envoyèrent, dès 1830, une députation s’informer de ces choses sur place. J’ai dit d’avance que, quoique les députés et ceux qui les envoyaient fussent des hommes vraiment pieux, nos frères d’Écosse, mus peut-être par un instinct d’en haut, répugnaient, jusqu’à un certain point, à se prêter à l’enquête. Ils ne purent cependant s’y refuser, et la députation retourna à Londres, convaincue qu’elle avait trouvé là une grande œuvre de Dieu.
M. Drummond étant en liaison avec le célèbre Irving, celui-ci fut initié à la connaissance des faits qui venaient d’avoir lieu. Homme sincère, et d’ailleurs doué de facultés éminentes, il ne crut pas pouvoir repousser les conclusions des députés ; et voilà comment il entra dans le mouvement d’Écosse, lequel éclata bientôt aussi à Londres même.
Mais la chose se faussa de bonne heure en tombant, contre la volonté de ceux qui l’avaient commencée, entre les mains de la richesse et du talent, au lieu de rester dans l’élément des simples et des pauvres « à qui Dieu se révèle de préférence » (Matthieu 11.25). Irving, avec ses puissants moyens intellectuels, après avoir embrassé les principes de ses frères, leur imposa ensuite les siens sans qu’on s’en doutât de part ni d’autre, et entraîna tout le mouvement dans son sens. Voilà la raison pour laquelle on a appelé cette apparition irvingismef. »
f – Mémoires, t. II, p. 167-171.
Edouard Irving (1792-1834) était un ministre écossais, collègue depuis 1819 du célèbre docteur Chalmers à Glasgow, puis pasteur de l’Église écossaise de Hatton-Garden à Londres (1822). Plein de zèle et doué d’un véritable talent, il acquit bientôt une grande réputation ; « les plus célèbres orateurs du parlement, les personnages les plus illustres, des princes même, se pressaient au pied de la chaire du jeune et beau prédicateur, qui, encouragé par le nombre et la qualité des auditeurs, semblait se transformer graduellement et parlait avec l’énergie, la hardiesse d’un prophète. Bientôt, devenu le plus populaire des prédicateurs, il fut la grande merveille du jour dans l’immense capitale de l’Angleterre ; une affluence extraordinaire se pressait à ses sermons, et les auditeurs enchaînés restaient des heures entières suspendus à ses lèvresg. »
g – Cart, op. cit., t. III, p. 288.
Bientôt Irving commença à s’éloigner des doctrines reçues touchant la personne de Christ, et proposa une théorie d’après laquelle le corps de Christ avait été une chair pécheresse : la Parole divine avait ainsi revêtu la nature humaine dans son état de chute. En 1828, il publia un ouvrage intitulé : Sermons, conférences et discours de circonstance, dans lequel il développait ses vues sur ce point. Il complétait cette théorie en ajoutant que, de même que le Saint-Esprit avait soumis en Christ et parfaitement dompté tous les mouvements de la chair, il peut également les soumettre et les dompter entièrement en nous, jusqu’à ce qu’enfin, purifiés de tous nos péchés, nous soyons rendus saints comme Jésus-Christ était saint.
Ce fut vers cette époque qu’il entra en relations avec les chrétiens écossais dont nous avons parlé, et qu’il adopta leurs idées sur les dons miraculeux du Saint-Esprit. Ce fut dès lors l’objet principal de ses prédications : il répétait sans cesse que le devoir des chrétiens était d’importuner le Seigneur dans leurs prières pour que les dons surnaturels leur fussent rendus.
Bientôt deux familles écossaises, les Campbell, de Row, et les Macdonald, de Port-Glasgow, virent chez certains de leurs membres se manifester à la fois une sorte de glossolalie et un don miraculeux de guérir. Irving, trouvant dans ces faits la confirmation de ses convictions les plus chères, institua alors une réunion de prières quotidienne, à six heures du matin, pour demander à Dieu d’étendre jusqu’à Londres la bénédiction accordée à l’Écosse. En effet, des phénomènes semblables ne tardèrent pas à se produire dans ce milieu tout préparé, et, en juillet 1831, Irving pouvait écrire : « Deux membres de mon troupeau ont reçu le don des langues et de prophétie. » La contagion gagna de proche en proche, et le mouvement prit bientôt une telle extension et se manifesta avec une telle ardeur, qu’Irving ne pût plus empêcher, comme il l’avait d’abord désiré, les dons miraculeux, les utterances, de se produire publiquement.
Il donna donc toute liberté pour ces révélations pendant les réunions du matin ; mais bientôt, une inspirée, miss Hall, étant poussée par l’impulsion intérieure pendant un culte officiel, ne put résister, et dès lors l’église d’Irving fut ouverte à toutes les élucubrations des prophètes et des prophétesses parlant « en langues » ou d’une manière intelligible. Une place régulière fut faite aux utterances dans le culte public, et ces manifestations devinrent une institution de l’Église.
L’autorité ecclésiastique de laquelle Irving dépendait le destitua, mais aussitôt ses amis et lui ouvrirent une chapelle indépendante et formèrent l’Église apostolique.
Les idées ecclésiastiques d’Irving s’étaient, en effet, profondément modifiées. Estimant que les dons miraculeux sont promis pour toujours par le Seigneur à son Église et que celle-ci n’en est privée que par manque de foi, il déclarait que les dix-huit siècles pendant lesquels ces dons ne se sont pas manifestés ont été des siècles de chute et d’égarement. L’Église primitive avait été une institution de Dieu destinée à durer pendant toute l’économie terrestre, mais elle est tombée, après les apôtres, dans un état de chute profonde. La mission de l’irvingisme est donc de restaurer cette Église déchue, de la réorganiser et de la conduire « comme une épouse parée » au-devant de son céleste Époux.
Aussi Irving organisa-t-il à Londres sept communautés, représentant les sept églises de l’Apocalypse. La hiérarchie primitive fut rétablie. On eut des apôtres, fondateurs et gardiens de la doctrine, dont le nombre s’éleva jusqu’à douze et fut déclaré parfait. On eut soixante évangélistes, des anges, des anciens, des diacres, des diaconesses, etc. Irving, consacré de nouveau, fut proclamé l’Ange de l’Église. Le cérémonial fut réglé avec le plus grand soin : des liturgies solennelles, des litanies, des vêtements somptueux pour les prêtres donnèrent au culte un aspect de pompe majestueuse. Quand tout fut organisé, on déclara que le tabernacle était dressé et que la gloire du Seigneur allait le remplir. Non seulement cette manifestation extraordinaire ne se produisit pas, mais d’autres déceptions survinrent ; beaucoup de prédictions faites à la légère ne furent pas suivies d’effet, la division se mit entre les prophètes, quelques-uns durent être exclus. Le mieux doué, celui en faveur duquel on avait relevé l’apostolat, Robert Baxter, reconnut ses erreurs et publia une rétractation qui forme le document le plus précieux sur les commencements de l’irvingisme. D’autre part, des accessions nouvelles, quelques-unes considérables, vinrent fortifier la communauté. Edouard Irving, prématurément usé par les fatigues et les émotions, ne paraît pas avoir éprouvé de doutes au sujet de sa mission spéciale. Appelé par la voix de ses prophètes à aller évangéliser l’Écosse, il s’y rendit, mais pour y mourir, le 7 décembre 1834, âgé seulement de quarante-deux ans. Ses compatriotes voulurent honorer ses talents et son caractère, que n’avaient pas réussi à voiler les erreurs dans lesquelles il s’était laissé entraîner, et ils déposèrent sa dépouille dans la crypte de la cathédrale de Glasgowh. »
h – Encyclopédie des sciences religieuses, art. Irving.
L’irvingisme, qui a survécu à Irving, a obtenu quelques succès dans la Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suisse et en Amérique.
[L’irvingisme a de curieuses affinités avec le catholicisme ; par exemple, il recommande la prière pour les morts ; il croit à la transsubstantiation ; pour lui, la Cène est un sacrifice ; il accorde dans le culte une place importante à la Vierge ; l’autorité du sacerdoce est incontestée, et certains de ses prêtres n’hésitent pas à déclarer « qu’ils ne sont pas protestants » (Voir Cart, op. cit., t. III, p. 293 et suiv.).]
Ce fut en 1835 qu’il fit son apparition à Genève. Les pasteurs du Bourg-de-Four mirent leurs frères en garde contre de pareilles théories : « Ils opposèrent aux émissaires de l’irvingisme les fausses prophéties qui se débitaient tous les jours dans leurs assemblées en Angleterre. Leurs prophètes avaient annoncé, par exemple, que le Saint-Esprit allait envoyer dans tout le monde ses serviteurs (irvingiens), revêtus de sa puissance, pour rassembler le peuple de Dieu avant la fin des trois ans et demi qui termineront la soixante et dixième et dernière semaine de Daniel (ch. 9), et la manifestation de la gloire de Christ et de ses jugements. Ils s’étaient même aventurés jusqu’à fixer le jour où cette prétendue prophétie s’accomplirait ; ce devait être le 14 juillet 1835. Inutile de dire que rien de pareil n’arriva ce jour-là, et que le 14 juillet, absolument semblable aux jours qui l’avaient précédé, donna un éclatant démenti à leur parole, mais sans réussir à les désabuseri. »
i – Guers, Le premier Réveil, p. 329. Voir aussi du même auteur : L’irvingisme et le mormonisme jugés par la Parole de Dieu.
C’était surtout Bost, comme nous l’avons vu, qui eût été le plus accessible aux idées irvingiennes ; mais il ne tarda pas à revenir de cette sympathie, en voyant chez les membres de la secte une tendance antinomienne, un manque de charité et de largeur, et un esprit d’exclusion envers les chrétiens qui n’adoptaient pas l’ensemble de leurs vuesj.
j – Voir Mémoires, t. II, p. 194 et suiv.
Un professeur de l’Oratoire, Preiswerk, entra, ainsi que quelques étudiants, dans des rapports suivis avec les nouveaux apôtres. Sans se joindre à eux d’une manière formelle, il leur reconnut cependant le caractère de prophètes et d’apôtres, et adopta leur doctrine touchant la nature humaine de Jésus-Christ. Le fait qu’il se réunissait fréquemment avec les deux évangélistes irvingiens, dont l’un était Méjanel, réunions auxquelles assistaient aussi plusieurs étudiants de l’École, amena une explication entre lui et le Comité, en conséquence de laquelle il reçut son congé. Il revint, du reste, plus tard de ces opinions. Cet incident donna pendant quelque temps un certain retentissement à l’apparition de l’irvingisme à Genève ; il ne réussit cependant pas à y prendre racine.
[Une théorie ecclésiastique qui se rapproche de l’irvingisme, mais dont le développement fut beaucoup moindre, était le lardonisme. Lardon était pasteur à Yverdon et son ministère y portait des fruits bénis ; malheureusement il en vint, et ses paroissiens avec lui, à vouloir appliquer dans toute sa rigueur le principe de l’imitation des églises apostoliques et à demander à Dieu les dons miraculeux dans toute leur plénitude. Quelques faits parurent répondre à ses désirs. En 1828, un des évangélistes s’imagina qu’il avait le pouvoir de chasser les démons et de prédire l’avenir. En 1830, de nouvelles manifestations prophétiques eurent lieu dans l’Église, et, par l’une d’elles, Lardon fut nommé apôtre. Cependant les miracles proprement dits ne se produisaient pas, mais on ne cessait de les demander avec persévérance et la plus entière sincérité. En même temps, on copiait, jusque dans les plus petits détails, les anciennes coutumes prescrites par Dieu à son peuple : par exemple, on se laissait croître la barbe comme les Orientaux. L’exaltation était telle que l’on brûla en public tous les livres qui n’étaient pas la Bible, et même toutes les Bibles qui contenaient des notes ou des réflexions quelconques.
Plusieurs Églises, effrayées de ces exagérations, firent une démarche auprès de Lardon et protestèrent contre les erreurs dans lesquelles il s’était engagé. Cet acte de discipline apostolique ne fut pas sans effet, et, quoique les chefs restassent fidèles aux nouvelles tendances, l’Église elle-même, après avoir essayé en vain de s’établir à Genève, puis a Lyon, finit par se dissoudre (Voir de Goltz, op. cit., p. 311, 312).]
Le darbysme, ou plymouthisme, avait le même point de départ que l’irvingisme. Tous deux admettaient l’organisation divine de l’Église apostolique et la déchéance de cette organisation, déchéance qui date des premiers temps de l’histoire ecclésiastique. Mais, une fois ce principe admis par les deux systèmes, chacun en déduisait les conséquences les plus opposées. En effet, l’irvingisme concluait de la chute de l’Église à la nécessité d’un retour aux institutions apostoliques, tandis que le darbysme ne reconnaissait à l’homme aucun droit de tenter une semblable entreprise, et aboutissait au rejet de toute organisation ecclésiastique.
Les origines du mouvement darbyste sont extrêmement simples. En 1828, un chrétien de Dublin, qui avait été d’abord dentiste à Exeter, M. A.-N. Groves, désireux de se vouer au ministère évangélique dans l’Église anglicane, se mit à suivre les cours du collège de la Trinité, à Dublin. C’est pendant ses études qu’il suggéra à quelques amis l’idée de prendre la Cène ensemble chaque dimanche. Ils le firent par un besoin de communion spirituelle, et sans avoir encore de vues arrêtées sur une marche ecclésiastique, sans même s’être séparés de l’Église établie. M. Groves, ayant achevé ses études, partit ensuite pour la Perse en qualité de missionnaire.
« Un premier résultat béni de ces réunions fut un accroissement de zèle pour l’œuvre de l’évangélisation, à laquelle ces chrétiens travaillaient avec ardeur, de concert avec des pasteurs anglicans ; Mais bientôt ces derniers accaparèrent cette œuvre missionnaire, et, dès lors, elle déclina jusqu’au moment où elle fut complètement interrompuek. »
k – Krüger, Le darbysme, p. 6.
Des réunions du même genre ne tardèrent pas à se former en Angleterre, surtout à Plymouth, qui devint le principal foyer du mouvement et donna son nom à la secte nouvelle.
Peu à peu le nombre des frères augmenta, et ils eurent bientôt un organe, spécial, le Témoignage chrétien (Christian Witness), qui parut à partir de 1834.
Cependant le plymouthisme n’était encore que le retour aux premiers principes du congrégationalisme, savoir l’union des frères et la liberté du ministère. Mais une idée nouvelle allait faire son apparition et devenir la caractéristique du darbysme : ce fut par réaction contre l’irvingisme que Darby proposa sa théorie de l’apostasie de l’Église.
John Nelson Darby, né vers la fin du siècle dernier et issu d’une famille anglaise riche et considérée, avait étudié le droit et s’était fait recevoir avocat. Mais, ayant quitté le barreau pour se consacrer au ministère évangélique, il fut déshérité par son père. En revanche, un oncle qui devait lui laisser une fortune considérable, s’intéressa à lui et lui fournit les moyens d’achever ses études de théologie. Il reçut les ordres et devint membre du clergé anglican. A l’époque où se formaient les premières réunions d’où devait sortir le plymouthisme, Darby se rattachait encore à l’Église établie d’Angleterre ; il était pasteur de Wicklow. Mais vers 1832, il quitta son ministère et se joignit aux frères de Dublin : il devait imprimer à ce mouvement une impulsion puissante et en devenir, non sans lui faire subir plus d’une transformation, le représentant le plus authentique et le docteur le plus accrédité.
L’idée maîtresse du système de Darby est l’apostasie de l’Église, laquelle, détruite par les hommes, a été abandonnée de Dieu : on ne saurait donc vouloir la faire revivre. « L’économie a manqué : l’Église est en état de chute. » En effet, Christ a voulu que son Église fût une unité extérieure : il l’a fondée comme telle, une fois pour toutes, comme étant son corps visible. Les charges de l’Église ont été, par conséquent, données de Dieu, non pas à telle ou telle Église spéciale, mais à l’Église tout entière comme à un corps unique. C’est aussi de la sorte que cette Église eût dû subsister dans la séparation la plus stricte d’avec le monde. Mais cette règle n’ayant pas été observée, le désordre s’est introduit dans l’Église ; c’est une chute ; l’économie de l’Église a été tout à fait perdue.
Depuis lors, l’Église a cessé d’exister comme institution extérieure et visible ; elle n’est demeurée la même que dans le ciel, dans une union mystique avec le Seigneur. Sans doute, il y a, dans toutes les nations, des chrétiens qui sont devenus, par la Parole de vérité, des héritiers de la vie éternelle ; sans doute, le Saint-Esprit continue encore, par le moyen de ces chrétiens, à produire la dissémination de l’Évangile dans le monde, et distribue encore ses dons pour la prédication et pour l’édification. Mais, comme organisation visible voulue de Dieu, l’Église n’en est pas moins tombée, et cela, non pas par un décret et une volonté libre de Dieu, mais par une suite nécessaire de l’infidélité et de la rébellion des premiers chrétiens.
Faut-il essayer de relever cette Église ? Irving répondait affirmativement ; Darby, au contraire, déclarait que c’était non seulement impossible, mais contraire à la volonté de Dieu : « Dieu ne rétablit jamais une économie que l’homme a une fois détruite par son infidélité. » Voilà l’axiome fondamental du darbysme. Les preuves, on les trouve dans l’histoire de l’Ancienne Alliance, laquelle montre que les hommes, par leur désobéissance, ont détruit toutes les institutions que Dieu avait fondées pour leur salut, et qui n’ont jamais été rétablies, mais remplacées par d’autres ; telle, l’économie de la loi, avec le sacerdoce et l’institution de la royauté. Comme nous l’avons vu en étudiant les idées eschatologiques de Darby, l’Église n’est elle-même qu’une économie nouvelle intervenue entre la réjection du Messie par les Juifs et le rétablissement d’Israël. Cette Église a une double destinée : l’Église céleste est destinée à régner dans le monde à venir : elle y recevra une dignité sacerdotale et royale dans l’union la plus intime avec le Christ glorifié. Tandis que ce Royaume de Dieu qui a été promis à Israël est destiné à être établi sur la terre, l’héritage de l’Église, de sa nature, est un fait entièrement céleste. Dans toute l’éternité, la communion la plus immédiate avec le Seigneur, semblable à celle qui subsiste entre une épouse et son époux, demeurera le privilège exclusif de l’Église, et cela, à côté des enfants du Royaume, qui, eux aussi, verront la gloire de Christ. Ce privilège éternel, céleste, ne peut pas être perdu par l’infidélité de l’Église, parce qu’il ne repose absolument que sur la miséricorde et l’élection souveraine de Dieu et nullement sur le résultat d’une responsabilité qui eût été imposée à l’homme.
Quant à l’état terrestre de l’Église, au contraire, quant à son économie temporelle, elle avait été confiée aux croyants, et elle s’est perdue par leur volonté propre et par leur infidélité. Ainsi, il est impossible de rétablir cette Église par des institutions extérieures ; ce serait vouloir aller à rencontre des lois qui régissent la maison de Dieu. Revenir même au type apostolique serait inutile, car les directions données par Paul pour tel ou tel troupeau ne peuvent nullement s’appliquer à la chrétienté actuelle. L’Église apostolique n’existe plus ; la succession est brisée. Toutes les institutions et tous les offices ecclésiastiques actuels proviennent du diable, et ne sont que l’effet d’une rébellion de l’homme contre Dieu, lequel a seul le droit d’organiser et de régler son Église.
De là le devoir pour les chrétiens de se séparer absolument de toute institution ecclésiastique, quelle qu’elle soit. C’est le seul moyen d’amener cette union des enfants de Dieu, qui est le but des désirs de tous les fidèles, puisque c’est le mélange avec le monde qui est à la racine de toutes les divisions et de toutes les infidélités. Dans le culte, il n’est nécessaire d’avoir aucune direction humaine, mais il faut simplement se mettre sous la direction du Saint-Esprit qui donnera à chacun ce qui est utile à l’édification de l’Église. La crainte du formalisme doit faire rejeter toute formule de prière, sans excepter l’Oraison dominicale.
En 1837, Darby vint à Genève, et fut reçu à bras ouverts par l’Église du Bourg-de-Four. Il demeura plusieurs années soit à Genève, soit à Lausanne, ou dans la Suisse allemande. Au commencement, il ne professait pas ouvertement ses principes. Il fut longtemps membre de l’Église du Bourg-de-Four, dont il reconnaissait les pasteurs comme les siens, et au culte de laquelle il participa souvent.
Mais bientôt ses théories ecclésiastiques ayant pris sur lui, paraît-il, un empire qu’elles n’avaient pas encore eu, il les manifesta plus clairement dans des entretiens particuliers. Le 3 mars 1842, un schisme se produisit dans l’Église ; une soixantaine de frères et de sœurs rompirent subitement la communion fraternelle, sans avertissement préalable quelconque, sans notification officielle. Ce schisme affaiblit considérablement l’Église et amena la chute de son Institutl.
l – Voir Guers, Le premier Réveil, p. 335 et suiv.
Le darbysme divisa encore les communautés fondées en France par les ouvriers de la Société évangélique de Genève, et troubla nombre d’Églises vivantes. « Il suivit pas à pas le Réveil, dit M. Krüger, semant partout la division. »
Il n’échappa pas lui-même aux crises intérieures, et en 1845 et 1847, la secte fut déchirée par des schismes que provoquèrent des hérésies dogmatiques ou ecclésiastiques.
Nous n’insisterons pas sur les points spéciaux de la théologie du darbysme, par exemple, sa tendance antinomienne. Nous ne relèverons pas davantage toutes les objections tirées soit des Écritures, soit de l’histoire, qui montrent à la fois que le but de l’institution de l’Église n’a pas été ce que prétend Darby, et que la bénédiction de Dieu ne s’est pas éloignée de cette Église. Nous remarquerons simplement, au point de vue du Réveil, que les darbystes, par leurs principes mêmes, n’attachant aucun intérêt à l’évangélisation, et condamnant toute entreprise de relever l’Église, niaient la possibilité et la nécessité du Réveil, et ne pouvaient, par conséquent, que compromettre gravement son développement.
[Voir G.-A. Krüger, Le darbysme étudié à la lumière de la parole de Dieu. Paris, 1877. — Herzog, Les frères de Plymouth et John Darby. Lausanne, 1845. — Monsell, Le plymouthisme en Suisse. Neuchâtel, 18i8. — Cart, Le mouvement ecclésiastique et religieux dans le canton de Vaud, t. V, p. 337 et suiv.]