Les Basilidiens interprètent ainsi l’oracle qui précède :
« L’archon suprême, à la voix de l’Esprit-Saint, qui le servait, fut frappé de stupéfaction de ce qu’il voyait et entendait, parce que l’Évangile lui était annoncé contre son attente. Cette stupéfaction fut appelée crainte et devint le commencement de la sagesse qui, après avoir divisé les genres, les distingua, les perfectionna, les rétablit. Car l’archon, qui commande à a toutes choses, n’envoya devant lui sa création que quand il eut arrêté dans ses desseins, non-seulement le plan du monde, mais encore le choix qu’il méditait. »
Valentin paraît avoir eu les mêmes idées, dans l’épître où il écrit :
« Les anges furent saisis de crainte lorsque cette argile humaine, qu’ils avaient pétrie, fit entendre des sons dont elle ne paraissait pas capable, merveilleux effet de la semence invisible de l’essence divine que l’homme avait reçue d’en haut, et qui lui donnait la faculté de la parole ; de même, parmi les générations païennes, les statues, les images, et tous les simulacres que fabriquèrent les mains humaines, en la forme de Dieu, devin mit des objets d’épouvanté à ceux-là même qui les avaient produits. Adam, ayant été fait en la forme de l’homme préexistant, inspira de la crainte aux anges, comme si le type primitif revivait dans l’imitation. Frappés d’étonnement, ils voulurent anéantir leur œuvre. »
Voilà ce que disent les Valentiniens. Mais il n’y a qu’un seul principe, comme nous le prouverons bientôt, d’où l’on verra clairement que ces hérétiques ne sont que des visionnaires et des rêveurs. Dieu ayant trouvé bon d’instruire son peuple par la loi et par les prophètes, avant de lui envoyer le Verbe, la crainte du Seigneur a été appelée le commencement de la sagesse, crainte proclamée par Moïse, pour les indociles et les cœurs durs. Car, ceux que ne subjugue pas la loi, la crainte les assouplit. Le Verbe qui enseigne et châtie avait bien prévu d’avance l’indocilité et la dureté du cœur. Il voulut les purifier de l’une et de l’autre manière ; et monta l’instrument à la piété. La stupéfaction nait donc d’une chose qui se présente à nous, terrible ou inattendue, comme, par exemple, une nouvelle ou une vision subite ; la crainte, au contraire, est une admiration exagérée pour ce qui naît ou ce qui est.
Les Basilidiens ne remarquent donc pas qu’en soumettant à la stupéfaction ce grand Dieu qu’ils célèbrent eux-mêmes, ils le livrent également aux agitations de l’âme, et le font esclave de l’ignorance avant la stupéfaction ; puisque l’ignorance précède la stupéfaction. Mais si la stupéfaction et la crainte, commencement de la sagesse, furent la crainte de Dieu, prenez-y garde, voilà l’ignorance érigée en cause première, précédant la sagesse de Dieu, précédant la création, et même le choix et la distinction des genres ? Est-ce l’ignorance du bien? Est-ce l’ignorance du mal ? Ignorance du bien! pourquoi cesse-t-elle après la stupéfaction ? Et dès lors à quoi bon le céleste envoyé, et la prédication et le baptême ? Ignorance du mal ! comment le mal peut-il enfanter le bien ? Si l’ignorance n’eut pas tout précédé, un envoyé fût-il descendu du ciel ? La stupéfaction n’eût pas frappé l’archon suprême, comme ils l’appellent. La crainte n’eût pas été le commencement de la sagesse, pour guider sou Choix dans l’ordre et le gouvernement des choses terrestres. Mais si la crainte de l’homme préexistant a poussé les anges à tenter la perte de leur propre ouvrage, parce que cet ouvrage avait reçu d’en-haut l’influence invisible de l’essence divine, de trois choses l’une ; ou, par une fausse opinion, les anges, ce qui est inadmissible, jaloux de la créature dont ils étaient comme les pères, ont lutté contre elle pour en devenir maîtres ; dès lors il faut les supposer condamnés à une ignorance complète. Ou bien ils ont agi sous l’impulsion de la prescience. Mais, avec la prescience de ce que devait être la créature, ils ne lui auraient pas laborieusement dressé des embûches. D’autre part, ils n’auraient pas été frappés de stupéfaction à l’aspect de leur propre ouvrage, puisque la prescience leur révélait le mystère de la semence divine, que la créature avait reçue d’en-haut. Ou bien en dernier lieu, forts de la connaissance, ils n’ont pas craint de tendre des embûches à l’homme ; ce qui est également impossible, puisqu’ils auraient connu l’excellence de la consommation (Pleroma). La tradition leur aurait appris d’ailleurs que l’homme est à l’image de son archétype, que cet archétype est reproduit dans l’empreinte, et qu’enfin l’âme humaine est impérissable, comme le reste de la connaissance (Gnose).
C’est à ces hérétiques, à quelques autres encore, et surtout aux Marcionites, que l’Écriture crie, mais à des oreilles qui sont sourdes :
« Celui qui m’écoute habitera dans la joie ; libre de crainte, il vivra en paix. »
Que veulent-ils donc faire de la loi ? La déclarer mauvaise ? Ils ne le diront pas. Ils sont obligés d’avouer qu’elle est juste, puisqu’ils établissent une différence entre le bon et le juste. Quand le Seigneur prescrit de craindre le mal, il n’éloigne pas le mal du mal, mais il sépare deux contraires. Le mal est le contraire du bien, comme le juste de l’injuste. Si donc le Seigneur a dit que le commencement de la crainte est l’éloignement du mal qu’amène la crainte do Seigneur, la crainte est donc un bien ; la crainte de la loi n’est pas seulement juste, elle est encore bonne, puisqu’elle nous délivre du vice. En nous conduisant ainsi par la crainte a la délivrance de la crainte, ce n’est pas par les troubles de l’âme que le Seigneur produit le calme dans notre âme, c’est par la discipline qu’il établit en elle l’empire sur les passions. C’est pourquoi lorsque Salomon nous dit :
« Honore le Seigneur et tu seras fort ; mais ne crains personne autre que moi, »
la conclusion est que, craindre le péché et obéir aux préceptes donnés par Dieu même, c’est honorer Dieu. La crainte, née du respect, voilà la crainte de Dieu. Mais, quoique la crainte soit un mouvement de l’âme, comme il en est qui le veulent, toute crainte n’est pas un trouble de l’âme : la crainte des démons est de cette nature, les démons n’étant que trouble au dedans et au dehors. Au contraire, Dieu étant impassible, la crainte qu’il inspire est aussi libre de troubles que lui-même. Ce n’est pas Dieu que je crains, je crains seulement d’être précipité du sein de Dieu. L’homme qui redoute de tomber dans le vice, craint le vice et le redoute. Celui qui redoute la chute veut être incorruptible et sans passions. Que dit l’Écriture ?
« Le sage craint, et se détourne du mal ; l’insensé, dans sa folle confiance, s’attaque à Dieu. »
Et plus loin :
« Dans la crainte du Seigneur réside l’espérance de la force. »