Nous trouvons dans cette épître le cadre habituel des lettres de Paul parfaitement marqué :
- L’adresse et la mention de ses actions de grâces pour l’église, 1.1-9
- L’exposition des divers sujets que l’état de l’église l’appelait à traiter, 1.10 à 15.58
- La conclusion, renfermant les communications particulières ; ch. 16.
L’adresse (v. 1-3) se distingue par certains traits particuliers de celles des lettres précédentes. Dans les épîtres aux Thessaloniciens, l’église joue le principal rôle ; il suffit de signaler le fait de son existence : une église de Dieu en plein monde païen ! Quel spectacle nouveau ! Dans les Galates, où l’œuvre de Paul était en péril et son apostolat tenu pour suspect, le caractère divin de sa vocation est énergiquement revendiqué dès les premiers mots. A Corinthe, où l’œuvre divine est compromise par les divisions et par les vices de ceux-là mêmes qui en ont été les objets, Paul fait ressortir avec force la sainteté, qui est le caractère normal de tous les vrais chrétiens, et le lien que l’adoration commune de Jésus, comme Seigneur universel, établit entre tous les membres du corps, malgré leur dispersion locale. Tout en mettant cette lettre sous la garantie de son apostolat voulu de Dieu, Paul s’adjoint, comme auteur responsable de cet écrit, un simple frère, Sosthènes. Il me paraît bien probable que ce Sosthènes doit être le même personnage que le chef de la synagogue de Corinthe, qui portait aussi ce nom et qui fut maltraité par les Grecs devant le tribunal de Gallion. Cette identité explique la place importante que Paul accorde à ce frère à côté de lui dans l’adresse. Converti à l’Évangile après cette scène et devenu un membre considéré de l’église, comme il l’avait été de la synagogue, il pouvait mieux que personne appuyer en ce moment les instructions et les avertissements de l’apôtre et leur ôter toute apparence personnelle. Ce fait avait sans doute une valeur particulière au point, de vue des divisions intestines dont devait s’occuper l’apôtre ; comparez Galates 1.2. En l’absence de Timothée (16.10), il est possible que Sosthènes servît en même temps à Paul de secrétaire, quoique cela ne soit point dit et que la qualité en laquelle Paul joint ici son nom au sien soit bien supérieure à celle que lui conférerait cette fonction. Ce que Paul va dire à ses lecteurs comme représentant de l’apostolat, Sosthènes l’appuie, comme simple fidèle, auprès des Corinthiens, ses compatriotes.
En passant à la personne des lecteurs, Paul les désigne dès l’abord comme sanctifiés en Christ. C’est le caractère obligatoire du croyant en opposition à sa conduite précédente, celui en raison duquel Paul peut leur adresser cet écrit. Puis il relève une seconde fois ce caractère de la sainteté, non plus comme fait, mais comme but de l’appel divin adressé aux membres de l’Église chrétienne tout entière (κλητοῖς ἁγίοις σὺν πᾶσι τοῖς ἐπικαλουμένοις…), qui est répandue en tout lieu et dont tous les membres ont pour trait commun l’invocation de Jésus-Christ, comme leur Seigneur.
On comprend l’intention d’une telle adresse. Les lecteurs ne doivent pas retomber dans les vices dont l’appel divin les a tirés, ni déchirer par des divisions ce corps qui est un en Christ, l’unique Seigneur de tous.
Toute l’épître est comme résumée d’avance dans ces deux idées relevées avec tant de force dans l’adresse : sainteté des membres, unité du corps.
L’action de grâces (v. 4-9) n’est pas moins caractéristique. Elle manquait totalement, nous l’avons vu, dans les Galates ; dans les Thessaloniciens, elle portait sur les vertus excellentes par lesquelles se manifestait chez eux la vie nouvelle, la foi, la charité, l’espérance. Dans notre épître, Paul ne rend pas grâces pour la présence des fruits de l’Esprit, mais seulement pour la richesse des dons que l’Esprit communique à l’église, dons de parole et de connaissance. C’est sous cette forme spéciale, remarque Paul expressément, que Dieu a scellé parmi eux le témoignage qu’il a rendu à Christ, et qu’ils ont accueilli avec foi. La manière dont Paul s’exprime à ce sujet ne laisse pas que de suggérer l’idée d’un déficit fâcheux au fond de cet état spirituel si brillant. Paul fait même entendre à ses lecteurs que, s’ils étaient peut-être disposés à s’enorgueillir de cette richesse, ils ne doivent pas oublier qu’elle n’a qu’une valeur passagère et qu’elle n’est que le gage des biens infiniment supérieurs qu’apportera l’apparition du Seigneur. Puissent-ils seulement, ajoute-t-il comme par une sorte d’avertissement, être maintenus irréprochables dans la communion du Seigneur Jésus-Christ jusqu’à ce jour solennel ! On pressent déjà, en lisant avec attention cette action de grâces, tous les graves desiderata qu’elle suppose et que va faire ressortir l’épître.
L’apôtre a un grand nombre de sujets à traiter, et non pas un seul, comme dans les Galates. On peut en compter dix de natures très diverses. Et la question est de savoir comment il trouvera moyen de les grouper, afin de les traiter dans un certain ordre. Car il a l’esprit trop logique pour les laisser venir au hasard, selon qu’ils se présenteront à son esprit. Il commence avec beaucoup de sagesse par celui qui lui permettra de rétablir dans la conscience de l’église entière sa position apostolique, malheureusement ébranlée dans l’esprit de plusieurs. Cela fait, il pourra traiter avec espérance de succès les autres matières.
1er sujet : Les divisions dans l’église (1.10 à 4.21)
Sous forme d’exhortation à l’union, Paul constate le fâcheux état de division qui règne à Corinthe. Il en a été instruit, non par les députés de Corinthe qui sont en ce moment auprès de lui (16.17-18) et auxquels il ne voudrait pas qu’on attribuât le rôle d’accusateurs de l’église, mais par les membres de la maison d’une dame nommée Chloé. Était-ce une dame corinthienne actuellement en séjour à Éphèse, ou une dame éphésienne qui avait passé un certain temps à Corinthe ? Nous l’ignorons. — Voici ce dont il a été informé : On ne tient pas à Corinthe un même langage. Chacun a sa formule ; l’un dit appartenir à Paul, l’autre à Apollos, l’autre à Céphas, l’autre à Christ ; comme si Christ pouvait être partagé ! Comme si Paul ou quelqu’autre avait été associé à la mort de la croix ! Comme si un seul membre de l’église de Corinthe avait été baptisé en un autre nom que celui de Jésus ! Paul se réjouit de ce que les choses se soient passées de telle sorte qu’il n’ait été dans le cas de baptiser que deux à trois personnes, afin qu’on ne croie pas qu’il ait jamais baptisé en son propre nom (v. 10-16).
Comment s’était formée et en quoi consistait cette division ? Elle n’allait pas encore jusqu’à une rupture totale ; car il est parlé plusieurs fois des réunions de l’église entière (11.48 et 14.23) ; mais elle avait altéré l’union des cœurs et créé dans l’église une pluralité de partis disposés à se dénigrer mutuellement. Il n’est pas difficile de comprendre les trois premiers mots d’ordre. Si Paul met son propre parti en tête, il ne faut pas en conclure que la division eût commencé de ce côté-là ; mais c’est pour bien faire sentir qu’il n’approuve pas plus ce parti que les autres. Le mal avait commencé probablement par les partisans d’Apollos. Ce docteur nous est décrit (Actes 18.24 et suiv.) comme un Juif d’Alexandrie, orateur éloquent et fort instruit dans les Écritures. Après avoir été amené à la foi chrétienne par Priscille et Aquilas, il avait été envoyé par eux d’Éphèse à Corinthe, sans doute afin d’y remplacer Paul qui venait d’en partir avec eux. Il avait exercé une heureuse influence sur les croyants et avait agi puissamment sur la population juive. On peut ainsi aisément se représenter ce qui était arrivé. Plusieurs s’étaient engoués du nouveau venu, avaient fait des comparaisons, exalté son enseignement ingénieux et brillant aux dépens de celui, plus sobre et plus simple dans la forme, de l’apôtre Paul. Ainsi s’était formé autour d’Apollos, et sans qu’il y eût là de sa faute, un groupe d’admirateurs qui se réclamaient de lui comme de leur père spirituel. Il était inévitable qu’en face de cette préférence fortement accentuée, une autre partie de l’église revendiquât avec zèle les mérites de Paul, rappelât son travail de fondateur et déclarât qu’elle lui restait attachée, malgré tout, comme au vrai représentant de l’Évangile. Entre ces deux partis de Paul et d’Apollos, il ne pouvait pas y avoir de différence de fond ; car Apollos avait été instruit dans l’Évangile par Priscille et Aquilas, les amis intimes de Paul ; et Paul lui-même rend témoignage de sa parfaite unité d’esprit avec Apollos quand il le compare au jardinier qui a arrosé ce que lui, Paul, avait planté, et qu’il ajoute : « Celui qui a fait croître, c’est Dieu, et quant au planteur et à l’arroseur, ils ne sont qu’un » (3.6-8). Apollos paraît avoir été lui-même fort mécontent du rôle de rival qu’on lui faisait jouer vis-à-vis de Paul (voir 16.12-13). Pour toutes ces raisons, il nous est impossible d’accorder la moindre vraisemblance à l’opinion d’Heinrici qui attribue à Apollos des vues tout à fait étranges, empruntées par lui aux mystères grecs, sur le baptême, ou à celle de M. Farrar, qui fait du parti d’Apollos le précurseur du marcionisme et du gnosticisme antinomien du second siècle. Ce sont là des imaginations indiscutables, précisément parce qu’elles ne reposent sur aucun fondement réel dans les textesc. La différence entre les deux partis devait être celle-ci : ceux de Paul étaient les hommes les plus sérieux, qu’un travail de conscience, le besoin de pardon, la soif de sainteté avaient amenés à embrasser la croix que leur présentait Paul, tandis que ceux d’Apollos étaient plutôt des hommes dont l’intelligence avait été charmée par le bien dire de ce docteur et l’imagination captivée par ses ingénieuses explications et les brillantes allégories qu’il savait tirer de l’Ancien Testament.
c – Voir t. II, p. 52 à 53 tous les griefs dont Farrar charge le parti d’Apollos (l’émancipation des femmes, la licence morale, le mépris des faibles, le mauvais emploi des dons dans les assemblées).
Le parti de Pierre se distinguait plus profondément des deux précédents que ceux-ci l’un de l’autre. Il était sans doute composé de judéo-chrétiens et de prosélytes qui se rattachaient aux décisions du concile de Jérusalem, qui reconnaissaient l’apostolat et l’enseignement de Paul, mais qui persévéraient eux-mêmes dans les observances légales, pour autant qu’elles étaient compatibles avec la vie commune entre chrétiens. Enfin, il faut sans doute ajouter ici un dernier trait : l’attachement que pouvait inspirer à plusieurs pour cet apôtre le souvenir de ses relations personnelles avec le Seigneur, et le charme des récits d’un homme qui, quand il racontait les scènes de l’évangile, pouvait dire : « J’ai vu…, il m’a dit. » Ces vives impressions pouvaient surtout se rencontrer chez les Juifs croyants qui avaient vu et entendu Pierre dans les fêtes à Jérusalem. Ici se pose, du reste, une question que la plupart envisagent comme négativement résolue, mais qui me paraît discutable. Il s’agit de savoir si Pierre n’était point venu lui-même à Corinthe. Paul parle des voyages missionnaires de Pierre et de ceux des autres apôtres et des frères de Jésus (9.5). Le passage de Denys de Corinthe (au second siècle), dont on s’est tant moqué, d’après lequel Pierre aurait passé à Corinthe en allant fonder avec Paul l’église de Rome (Eus. Hist. eccl. II, 25), peut renfermer le souvenir d’un fait véritable. La mention de la fondation de l’église de Rome par le travail commun des deux apôtres n’est point si absurde qu’on le prétend ; car au point de vue de la fin du second siècle, le temps apostolique tout entier apparaissait comme l’époque des fondations. On doit avouer qu’à la suite des deux formules : « je suis de Paul, » et : « je suis d’Apollos, » qui impliquent une relation de dépendance personnelle, la troisième s’explique plus facilement si elle repose sur une relation du même genre. Mais il n’est pas possible de rien établir de certain à ce sujetd.
d – Voir Weiss, Einl., § 19, 4, note.
Reste la question la plus difficile : Qui étaient ceux qui disaient : « Et moi je suis de Christ » ? Il existe sur ce point une foule d’opinions.
On a essayé de donner à ces mots un sens très innocent. Selon les uns (Mayerhoff, Ebrard), ce serait la formule de Paul qu’il opposerait, comme la sienne propre, à celle des trois partis précédents ; ou bien, selon les Pères grecs, Calvin, Eichhorn, Bleek, etc., ce serait en général la vraie formule que tout chrétien doit adopter. Mais, dans les deux cas, elle aurait dû être opposée aux autres par une particule fortement adversative. Placée, comme elle l’est, parallèlement aux trois précédentes, elle tombe avec elles sous le coup du même reproche : « Chacun de vous dit. » Et en réalité, c’est celle que condamne le plus directement la question sévère qui suit : « Christ est-il divisé ? » Ces raisons nous empêchent également d’accepter l’opinion de Räbigere, qui voit dans cette formule celle que les trois partis précédents s’appropriaient, chacun pour son compte, en déniant aux autres le droit de s’en servir.
e – Krit, Untersuchungen über den Inhalt der beiden Br. an die Kor. Gem. 1847 ; 2e éd. 1886.
Une explication plus naturelle est celle d’après laquelle le quatrième parti, irrité par les préférences exclusives des trois autres pour tel ou tel serviteur de Christ, se serait jeté dans l’exagération opposée et aurait déclaré, en prenant ce titre, qu’il s’inquiétait peu des serviteurs et ne voulait s’attacher qu’au Seigneur seul. Telle est l’explication que l’on trouve avec différentes nuances chez Rückert, Hofmann, Meyer, Heinrici et Renan (Saint Paul, p. 378). Elle est très simple, mais elle ne peut se soutenir qu’à la condition d’expliquer par quel lien particulier ceux qui se disaient « être de Christ » pensaient être en relation assez spéciale avec lui pour se déclarer siens à l’exclusion de tous les autres et même d’une manière tout à fait indépendante des apôtres Paul et Pierre ! Cette explication nous conduirait donc nécessairement à l’une ou l’autre des suppositions suivantes.
Schenkelf, auquel se sont joints de Wette, Grimm et d’autres, a pensé que ces gens prenaient cette position indépendante des apôtres en vertu des relations directes qu’ils prétendaient avoir avec le Christ glorifié par le moyen des visions et des révélations personnelles qu’ils recevaient de lui. Ce parti serait ainsi le précurseur des faux docteurs que nous rencontrerons plus tard dans l’église de Colosses ; leurs chefs auraient été, comme ceux-ci, des Juifs d’Asie-Mineure. — Schenkel s’appuie sur les révélations que s’attribue Paul dans la 2e aux Corinthiens, comme s’il avait voulu dire : Si vous avez des visions, j’en ai aussi. Mais ce n’est nullement là le sens dans lequel Paul cite le ravissement dont il a été l’objet, 2 Corinthiens ch. 12. Si telle eût été sa pensée, il l’eût exprimée sous la forme où nous trouvons une pensée semblable développée dans le passage 11.21-23. — Ces gens étaient venus à Corinthe avec des lettres de recommandation (2 Corinthiens 3.3) ; d’où provenaient-elles ? Plus probablement de Palestine que d’Asie Mineure. — Deux interprètes, Dähneg et Goldhornh, ont modifié cette manière de voir en substituant aux visions et extases dont parlait Schenkel, un alliage de philosophèmes alexandrins par lesquels ces docteurs cherchaient à donner à l’enseignement apostolique le relief qui lui manquait ; Ewaldi et Farrarj préfèrent expliquer le caractère particulier de ce parti par un mélange d’ascétisme essénien.
f – De Ecclesia Cor. primæva factionibus turbat, 1838.
g – Die Christus-Partei in d. apost. Kirche. 1841.
h – Dans Zeitschrift f. histor. Theol. 1840.
i – Sendschreiben d. Ap. Paulus.
j – T. II, p. 55. Il attribue à l’influence de ce parti les discussions relatives au mariage (1 Corinthiens ch. 7. VII).
Toutes les explications de ce genre ont l’inconvénient d’être purement hypothétiques.
On peut, en dire à peu près autant de l’explication de Néander (dans les premières éditions de son écrit sur le siècle apostolique), explication qu’ont adoptée Olshausen et Guericke. « Ceux de Christ » auraient été des païens cultivés qui se seraient joints à l’Église par admiration pour la morale sublime de l’Évangile, mais qui déploraient l’alliage judaïque par lequel les apôtres gâtaient la pure doctrine de Jésus dont ils avaient connaissance par quelque document authentique. C’était donc à Jésus qu’ils prétendaient revenir et de lui seul qu’ils voulaient dépendre. Il y avait, selon eux, dans ce Socrate à la seconde puissance de quoi régénérer le monde. — Mais n’est-il pas évident que de pareils païens auraient dit : Nous sommes de Jésus, et non : « Nous sommes de Christ » ? — Il y a un très grand rapport, au fond, entre cette manière de voir et l’explication d’Osianderk, qui voit dans ce parti, non pas des Grecs cultivés de Corinthe, mais des judéo-chrétiens, aux yeux desquels Christ n’était autre chose qu’un admirable docteur qui, par son exemple et par ses paroles, avait constamment recommandé l’observation fidèle de la loi ; ils prétendaient s’en tenir à lui seul, suivant la parole de Jésus lui-même : « Vous n’avez qu’un maître, le Christ. » Mais cette hypothèse d’une sorte de rationalisme juif est moins vraisemblable encore que celle d’un rationalisme corinthien.
k – Comm. über d. 1ste Sendschr. an d. Gem. in Kor. 1874. S. 28-31.
Baur le premier a rattaché l’explication de l’expression : « ceux de Christ. » à des textes positifs, et lui a par ce rapprochement donné une base historique solide. Dans la 2e aux Corinthiens, nous lisons ces mots (10.7) : « Vous regardez à l’extérieur ? Si quelqu’un prétend être de Christ, qu’il tienne aussi compte de ceci : que, comme il est de Christ, nous sommes aussi de lui. » Il est difficile de méconnaître une relation entre cette parole et la formule : « Et moi je suis de Christ. » Or, cette parole de la seconde épître a évidemment en vue les adversaires judaïsants les plus ardents et les plus opiniâtres de l’apôtre (comparez 11.22 et suiv.). « Sont-ils Hébreux ? moi aussi. Sont-ils Israélites ? moi aussi. Sont-ils postérité d’Abraham ? moi aussi. » Nous sommes forcément conduits par là à reconnaître dans « ceux de Christ » une branche de ce parti ultra qui, à Jérusalem, avait prétendu, contre le sentiment des apôtres eux-mêmes, imposer le mosaïsme aux païens.
Mais remarquons d’abord que ce rapprochement, imposait à Baur un problème difficile à résoudre, celui de la différence à établir, à son point, de vue, entre « ceux de Pierre » et « ceux de Christ, » Comment, si Pierre était judaïsant an point où le prétend Baur, pouvait-il encore y avoir une différence marquée entre sa manière de voir et celle de ces ultra ? Baur a résolu celle difficulté en disant que, comme les gens d’Apollos étaient foncièrement d’accord avec ceux de Paul, ainsi ceux de Pierre l’étaient aussi avec ceux de Christ. Il n’y avait en réalité que deux partis, celui de Paul et d’Apollos, d’une part, et celui de Pierre et de Christ, de l’autre. Si l’on se servait de deux noms différents pour désigner ce dernier, c’était uniquement pour le caractériser d’abord au point de vue de son chef humain et ensuite en considération de son chef divin. — Cette réponse n’était évidemment qu’un expédient destiné à sauver le système de Baur relativement à l’opposition de principe entre Paul et les Douze (y compris Pierre).
Reuss, Weiss, Klöpper, tout en acceptant le rapprochement entre ce nom : « ceux de Christ, » et les expressions dont se sert Paul dans les passages que nous venons de citer de la seconde épître, reconnaissent sans hésitation la différence entre les deux partis de Pierre et de Christ. Les premiers représentent le judéo-christianisme mitigé, qui ne maintenait le mosaïsme que pour les chrétiens d’origine juive, tandis que « ceux de Christ » sont les représentants de la tendance qui voulait imposer le joug légal même aux païens. Farrar les appelle à tort : les partisans de Jacques, car Jacques ne prétendait point imposer la loi aux chrétiens d’origine païenne.
Storr, Hug, Bertholdt ont pensé qu’ils prenaient ce titre parce qu’ils prétendaient être les disciples et les délégués de Jacques, le frère du Christ. Mais on ne se désigne pas comme disciple d’un maître parce qu’on est le disciple de son frère. Ils devaient prétendre à une certaine relation avec Christ lui-même et s’attribuer la qualité de ses disciples immédiats ; c’est l’opinion de Thiersch, Beyschlag, Hilgenfeld, Holsten, etc. D’après ces deux derniers, ils appartenaient même au nombre des septante disciples, ou aussi à celui des frères de Jésus, qui voyageaient comme évangélistes (1 Corinthiens 9.5) ; et en opposition à Paul, qui n’avait point connu Jésus, ils se donnaient comme les dépositaires authentiques de la doctrine du Seigneur. — Parmi les savants très nombreux qui admettent ce point de vue, il faut distinguer ceux qui envisagent ces chefs du parti opposé à Paul comme plus ou moins d’accord avec les apôtres et délégués par eux (Hilgenfeld, Holsten) et ceux qui les envisagent comme agissant de leur propre chef (Klöpper, Beyschlag). Sous l’une comme sous l’autre de ces formes, cette explication est inadmissible. On comprend comment, en face de Paul, qui n’avait pas connu Jésus, d’anciens membres de l’église de Jérusalem, qui avaient vu et entendu le Seigneur, auraient pu se croire autorisés à se désigner comme « ceux de Christ. » Mais pouvaient-ils raisonnablement se désigner ainsi en opposition à « ceux de Pierre, » du chef des apôtres, du disciple par excellence de Jésus durant son ministère terrestre ? Le contraste entre Pierre et Christ dans ces deux dénominations exclut cette explication non moins que celle de Baur qui identifie les partis. Il me paraît donc qu’avec tout cela nous ne sommes point encore arrivés à une solution satisfaisante.
Déjà C. Schmidt avait supposé que « ceux de Christ » se désignaient ainsi en tant que partisans du Christ juif, dans ce sens qu’en imposant la circoncision aux païens, ils faisaient d’eux les sujets du Roi-Messie. Il expliquait par là comment il se faisait qu’ils s’appelassent « ceux de Christ » plutôt que « ceux de Jésus ; » ce dernier nom, en effet, eût mieux convenu dans plusieurs des explications précédentes. Nous devons, me paraît-il, faire un pas de plus sur cette voie qui était la bonne. Dans la seconde aux Corinthiens dont les quatre derniers chapitres ont trait, comme l’a bien vu Baur, au parti de « ceux de Christ, » se trouve un passage très important pour la question qui nous occupe. Paul écrit 11.3-4 : « Je crains que, comme le serpent séduisit Eve par sa ruse, ainsi vos pensées ne se corrompent en se détournant de la simplicité envers le Christ. Car si le nouvel arrivant vous annonce un autre Jésus que nous ne vous avons pas prêché, ou que vous receviez un autre esprit que vous n’avez point reçu, ou un autre évangile que vous n’avez point embrassé, vous le supporteriez fort bien. » L’expression « un autre évangile » pourrait sans doute désigner simplement l’enseignement judaïsant, comme dans Galates 1.6 ; mais le terme « un autre esprit » nous ouvre déjà un autre horizon, et surtout l’expression « un autre Jésus » nous transporte dans un domaine absolument différent. Ces deux termes réunis rappellent d’une manière frappante cette parole de la première lettre 12.3 : « C’est pourquoi je vous fais savoir que personne parlant par l’Esprit de Dieu, ne dit : Jésus maudit ! » Il existait donc une certaine conception de la personne historique de Jésus — non pas seulement de sa fonction de Christ — en vertu de laquelle on pouvait prononcer sur lui l’anathème. Comment comprendre dans une assemblée chrétienne une exclamation pareille ? D’une seule manière, me paraît-il : au moyen d’une distinction que l’on essayait de faire entre la personne de Jésus et celle du Christ. Nous trouvons dans la primitive église une doctrine qui fait comprendre la voie sur laquelle un prétendu inspiré pouvait arriver à prononcer dans l’assemblée une pareille parole. C’est la doctrine de Cérinthe, qui distinguait entre le Christ, être divin descendu du ciel sur Jésus à son baptême, et Jésus, simple Juif, fils de Joseph, qui avait reçu, par la venue de ce Christ céleste, une puissance miraculeuse et une lumière supérieure, mais qui, après que cet être divin s’était retiré de lui, s’était trouvé abandonné seul aux tortures et à la malédiction de la croix. Nous savons que Cérinthe était un chrétien de couleur judaïsante ; l’unique évangile dont il se servait était un Matthieu mutilé ; il réclamait le maintien dans l’Église du régime mosaïque et identifiait le vrai Évangile avec le judaïsme. Épiphane rapporte — certainement sur le fondement de quelque ancien témoignage — que Cérinthe était l’un de ces faux apôtres qui étaient venus à Antioche et qui avaient voulu exiger la circoncision de Tite au concile de Jérusalem. Il croit que notre épître a été écrite contre lui. En est-il ainsi ? Dans ce cas la formule : « Je suis de Christ, » prend une gravité beaucoup plus considérable. Le terme, de Christ n’y est pas seulement employé par opposition aux noms de Paul, d’Apollos et de Céphas ; il fait contraste avec celui de Jésus lui-même. Et l’on comprend comment, à ce cri de malédiction jeté par des fanatiques à la face du misérable crucifié, en le distinguant du Christ d’en-haut, l’apôtre, indigné, peut répondre par 1 Corinthiens 16.23 : Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit maudit lui-même ! L’on comprend aussi l’insistance avec laquelle il parle au ch. 1 de la folie de la croix, l’opposant à cette sagesse du siècle, folie devant Dieu, « qui renverse la maison de Dieu » (1 Corinthiens 3.16-20). Kniewell a donc bien caractérisé « ceux de Christ, » quand il les a appelés « des gnostiques avant le gnosticismel » Il y avait réellement là non seulement un autre Évangile, mais un autre Jésus et un autre esprit.
l – Ecclesiæ Corinthiacæ vetustissimæ dissensiones, 1842. Voir aussi W. F. Slater : Faith and Life of the early Church, 1892, p. 356-387.
Après avoir donné, dans les v. 13-16, une réfutation ; sommaire de ces formules différentes qui portent également atteinte à la position de Jésus comme seul Sauveur et comme seul Seigneur, Paul remonte jusqu’à la racine du mal et montre qu’elle consiste dans une fausse manière d’envisager l’Évangile. On en fait une sagesse, au lieu d’un salut; on voit dans la croix un système destiné à satisfaire l’intelligence, et non un fait divin propre à nous tirer de la ruine.
Cette pensée fondamentale, formulée dans les v. 17 et 18, est développée et appliquée jusqu’à 2.5. Nous verrons que ce premier morceau, où Paul exclut la sagesse, est complété ensuite par le morceau 2.6 à 3.4, où il lui assigne sa véritable place.
1. L’Évangile un salut, non une sagesse ; 1.17 à 2.5
a) 1.17-25 Paul passe au développement de cette idée en opposant à la fonction de baptiser, qu’il n’a remplie que temporairement, celle qui est proprement la sienne, la fonction d’évangéliser, c’est-à-dire d’annoncer une nouvelle. Or, une nouvelle a son prix dans le fait heureux annoncé, et non dans les ornements de pensée ou de parole avec lesquels on l’annonce. Il en est surtout ainsi du grand fait qui forme le contenu de l’Évangile et qui renferme pour l’homme le secret de sa vie ou de sa mort. La nouvelle d’un tel fait ne saurait être affaire de sagesse pour personne, ni pour ceux qui se condamnent à périr en le repoussant et le taxant de folie, ni pour ceux qui y trouvent la puissance de Dieu pour les sauver ; car pour ceux-ci il est autre chose et mieux qu’une sagesse. Ésaïe avait déjà annoncé que la sagesse serait mise de côté dans l’accomplissement du salut divin. Et certes, elle a mérité ce rejet par le mauvais usage que l’homme en a fait. La saine raison, en effet, la sagesse naturelle aurait dû discerner Dieu dans les merveilles de sagesse que lui offre le spectacle de la nature. Elle s’y est refusée et s’est livrée à toutes les folies du paganisme. Eh bien ! puisque la sagesse humaine a refusé de remplir sa tâche préparatoire, qui était de conduire l’homme à la connaissance et à l’adoration du Créateur (Romains 1.19-23), Dieu a trouvé bon de lui refuser toute part dans son œuvre définitivem. Il a écarté la sagesse par la nature même du moyen de salut qu’il a employé et par lequel il fait appel uniquement à l’organe de la foi, sans tenir compte des postulats de la raison. L’Évangile se trouve en présence et des exigences des juifs qui voudraient contempler le divin sous la forme des prodiges extérieurs, et de celles des Grecs qui cherchent surtout un système bien lié, rendant un compte satisfaisant de l’univers. Et voici que Dieu leur offre le salut en la personne d’un crucifié qui leur apporte en apparence aux uns et aux autres le contraire de ce qu’ils réclament, mais qui néanmoins, pour les croyants d’entre les uns et les autres, renferme précisément la satisfaction de ce qu’il y a de fondé dans ces deux sortes de postulats : une divine force pour les uns et une divine sagesse pour les autres !
m – Voir dans mon Commentaire l’explication du v. 21.
b) 1.26-31. Cette exclusion que Dieu a prononcée contre la sagesse dans l’œuvre du salut divin est confirmée par le mode de composition de l’église de Corinthe. Il suffit d’ouvrir les yeux : ceux que Dieu a élevés en Christ par la foi à la position de sages, de justes, de saints, de puissants selon Dieu, en un mot de futurs glorifiés, c’est parmi les classes ignorantes et pauvres de la grande ville qu’ils ont presque tous été recrutés.
c) 2.1-5. Et enfin, l’instrument de cette œuvre de salut au milieu d’eux, qu’a-t-il été ? Puissant par son éloquence et sa sagesse ? Non, sa tenue est restée conforme à la nature humble de son message. Rien que faiblesse et tremblement chez le prédicateur ! Mais force de Dieu, « éblouissement de véritén » dans son message ! Voilà comment s’est accomplie chez eux l’œuvre de leur salut. Il ne faudrait pas croire, cependant, que parce que Dieu a si décidément rejeté, dans l’accomplissement et dans la prédication du salut, le concours de la sagesse humaine, l’Évangile soit pour cela antipathique à la vraie sagesse. La sagesse, dans la pensée de l’apôtre, est un trop grand bien pour rester en dehors de l’Evangile. Ici commence le second morceau, qui forme le complément du premier : si l’Évangile n’est pas une sagesse, il n’en renferme pas moins la plus haute sagesse, 2.6 à 3.4.
n – Expression de M. Faguet très propre à reproduire l’énergie de celle de l’apôtre : « une démonstration d’esprit et de puissance. »
2. La vraie sagesse contenue dans l’Évangile ; 2.6 à 3.4
a) 2.6-9. Cette sagesse est l’intelligence du plan divin arrêté avant les siècles et qui a pour but d’élever l’homme à la gloire que Dieu lui a destinée. Ce plan, aucune intelligence humaine n’aurait pu le concevoir ; il a été méconnu par les hommes qui sont à la tête de la pensée du siècle et qui ont crucifié celui par qui Dieu voulait le réaliser.
b) 2.10-13. Si nous connaissons et publions cette sagesse, c’est que Dieu nous l’a révélée par son Esprit qui sonde les plus profonds desseins de Dieu, comme notre esprit sonde les plus intimes profondeurs de notre propre cœur. Et ce même Esprit, après nous avoir révélé la sagesse, nous donne pour l’exposer aux autres des paroles inspirées d’En-haut et appropriées au contenu d’une telle révélation.
c) 2.14-16 Seulement nous nous gardons d’annoncer une sagesse si élevée aux hommes chez qui le sens spirituel n’est pas encore formé ; car l’homme qui n’a que l’intelligence naturelle ne possède point les prémisses nécessaires pour saisir le plan divin ; il ne pourrait que le fouler aux pieds avec dédain, ainsi que les vues nouvelles qui en découlent sur l’ensemble des choseso.
o – Ainsi se trouvent développées les trois idées renfermées dans la première propos, du v. 6, qui était le thème de ce qui allait suivre (2.6-16) : une sagesse ; nous annonçons ; parmi les parfaits.
d) 3.1-4 C’est là la raison pour laquelle Paul n’a pas pu non plus exposer à Corinthe le contenu de cette vraie sagesse. Paul fait ici l’application à son ministère de la vérité qu’il vient d’exposer. On voit qu’on lui avait reproché la sobriété, la simplicité élémentaire de son enseignement. Il a agi en cela avec réflexion et sagesse : ce n’était pas encore le moment de chercher à gagner et à charmer leur intelligence. Il fallait avant tout convertir leur cœur et les laisser s’enraciner dans la vie nouvelle. Après cela seulement on peut initier utilement un homme aux horizons nouveaux qu’ouvre l’Évangile et donner en pâture à son esprit une philosophie chrétienne. Paul, sans faire le moins du monde la critique de l’enseignement d’Apollos, pensait peut-être ici aux comparaisons qui avaient été faites par plusieurs entre son enseignement tout simple de la croix de Christ et celui de ce docteur. Ce court passage d’application, 3.1-4, correspond exactement à celui qui terminait le premier morceau, 2.1-5 ; comparez le κ’ᾳγώ et le καὶ ἐγώ 2.1 et 3.1.
Jusqu’ici Paul a exposé la vraie nature de l’Évangile et montré que si, d’une part, il exclut la sagesse, de l’autre, il renferme la suprême sagesse. De là il déduit maintenant le vrai caractère du ministère qui a mission de prêcher cet Évangile. C’est le sujet du troisième morceau, 3.5 à 4.5.
3. La nature du ministère chrétien ; 3.5 à 4.5
a) 3.5-25. On semblait croire à Corinthe que les prédicateurs chrétiens étaient des chefs d’école, semblables aux rhéteurs et aux philosophes grecs qui débitaient chacun, avec toute l’éloquence dont ils étaient capables, leur propre système, afin de se créer un cercle d’adeptes. Mais tout cela tombe en face de la vraie conception de l’Évangile. Comme il s’agit d’un salut et non d’un système, que peuvent être les prédicateurs, par exemple Apollos et lui, dans de telles conditions ? Ils ne sont plus que des instruments par le moyen de qui l’on croit, mais nullement des êtres en qui l’on croit. Car l’objet de la foi ne peut plus être que l’auteur même du salut. En conséquence, il est absurde de les opposer l’un à l’autre comme des chefs d’école. Leurs dons, leur fonction, l’œuvre accomplie par eux peuvent différer ; mais le but de leur travail est un, et ce n’est pas à l’homme, mais à Dieu seul qu’il appartient d’en taxer la valeur. Car c’est du bien de Dieu qu’il s’agit, de son champ à cultiver, de sa demeure à construire (5-9).
b) 3.10-20. De là résulte la grave responsabilité de ceux qui remplissent la tâche de prédicateur ; c’est ce que montre maintenant l’apôtre. Le morceau suivant est destiné à faire réfléchir les hommes qui dirigeaient en ce moment l’église de Corinthe. La fonction assignée à Paul a été celle de poser à Corinthe le fondement de l’édifice, et il croit l’avoir remplie conformément à la volonté de Dieu. Après cela a commencé la tache de ceux qui sont appelés à édifier la maison sur le fondement posé et bien posé. Cette tâche est plus délicate et plus difficile que celle de fonder. Celle-ci, en effet, consiste à poser dans les cœurs le fondement posé une fois pour toutes par Dieu lui-même, tandis que l’édification de la demeure divine exige un choix, plein de tact et de circonspection, des matériaux à faire entrer dans un tel édifice. Il est plus difficile de diriger le développement de la vie spirituelle que de la faire naître. On peut travailler de manière à toucher, charmer, intéresser les croyants, et avec tout cela ne pas alimenter sainement leur vie intérieure et ne pas resserrer réellement leur communion avec Christ. Un jour viendra où l’œuvre accomplie par chacun d’eux dans tous les cœurs qui les auront écoutés, sera soumise à l’épreuve du feu, au jugement de l’Esprit divin. Quelle joie pour celui, qui verra ce qu’il a édifié tenir bon, son travail accepté et payé. Mais quelle désolation pour celui qui verra le fruit de son travail s’en aller en fumée ! Périra-t-il lui-même avec son œuvre ? Non, puisqu’il a travaillé sur le fondement ; mais pour son cœur quelle torture (v. 10-15) !
Bien pire encore sera le sort de ceux qui non seulement ont mal édifié, mais qui auront porté atteinte à ce qui était déjà construit ! Ruiner la maison de Dieu, c’est préparer sa propre ruine, et c’est ce que l’on fait lorsque l’on s’abuse soi-même en prêchant sa propre sagesse, au lieu de se faire l’organe de celle de Dieu (v. 16-20). — Paul pense ici à ces nombreux ouvriers qu’il nous montrera à l’œuvre dans l’exercice de leurs dons spirituels, dans les ch. 12 à 15. Dans 4.15, il parle des dix mille maîtres des Corinthiens, qu’il oppose à leur unique père spirituel. Ceux qui ne faisaient que toucher, intéresser, charmer (v. 10-15) étaient peut-être les sectateurs d’Apollos. Ceux qui portaient atteinte à l’édifice et qui détruisaient au lieu de bâtir (v. 16-20), étaient tous les fauteurs de divisions et probablement plus spécialement le parti de « ceux de Christ. »
A cet exposé didactique sur la nature du ministère se rattache un morceau d’application (3.21 à 4.5) concernant la position de l’Eglise par rapport au ministère en général, et par rapport à celui de Paul en particulier.
4. La position de l’Église par rapport à ses prédicateurs ; 3.21 à 4.5
3.21-28. Vous semblez vous faire un honneur de vous ranger sous le drapeau de tel ou tel docteur ou apôtre. Honte à vous ! Ce n’est pas vous qui êtes à eux ; c’est eux qui sont à vous ; chacun avec ses dons particuliers vous appartient, ainsi que toutes choses, par le fait que vous appartenez à Christ, qui appartient à Dieu, le Maître de tout.
Il ne faudrait pas voir dans les mots : « Et vous êtes à Christ, » une approbation de la formule : « Et moi, je suis à Christ, » prise comme mot d’ordre d’un parti. Au contraire, en appliquant ces mots à l’église entière, Paul condamne l’usage exclusif qu’un parti se permet de faire de cette dénomination, non moins qu’en disant : « Paul, Apollos, Céphas sont à vous, il condamne nettement les trois autres mots d’ordre.
Les versets suivants, 4.1-5, renferment l’application particulière de cette vérité à la personne de Paul. Il sait qu’on le juge à Corinthe ; il prie qu’on s’en abstienne. Même si ses dons étaient inférieurs à ceux de tel autre, peu importerait ; tout ce que l’on peut demander à un administrateur, c’est la fidélité dans l’emploi de ce qu’il a reçu. Or, sur ce point, Paul s’inquiète peu de quelque tribunal humain que ce soit, à la barre duquel il pourrait être traduit. C’est du Seigneur qu’il attend sa sentence ; car c’est lui seul dont le regard pénètre jusqu’au fond, jusqu’à ce fond dernier que sa propre conscience ne peut complètement sonder. Qu’ils veuillent donc suspendre leur jugement jusqu’au moment où le juge seul infaillible distribuera lui-même à chacun l’éloge définitivement valable !
De la vraie nature de l’Évangile, Paul a déduit la vraie nature du ministère chrétien, et il a fait occasionnellement de ces vérités certaines applications particulières en rapport avec les jugements dont son propre ministère était l’objet à Corinthe. Il dévoile maintenant la cause cachée de cette fausse manière de comprendre l’Évangile et le ministère, le péché qui a été le principe du déplorable état de désunion dans lequel se trouve cette église : c’est un ridicule orgueil (v. 6-21).
5. L’orgueil, principe des dissensions ; 4.6-21
En désignant nommément Apollos et lui, comme il l’a fait (3.4 et suiv.), Paul n’a voulu que donner des exemples. Ce qu’il a dit à leur égard s’applique en réalité à tous ceux qui enseignent dans l’Église. Nul n’a rien qui ne lui ait été donné ; c’est donc une grave erreur que de s’engouer de l’un et de dénigrer l’autre, et un vrai aveuglement que de s’élever l’un au-dessus de l’autre, comme si quelqu’un était lui-même la source de ce qu’il possède.
Pour réprimer une si incroyable présomption, l’apôtre, comme on est en pareil cas contraint de le faire, emploie l’arme du sarcasme : O Corinthiens ! vous voilà déjà parvenus, au faîte ! Vous vivez en plein triomphe, vous portez la royale couronne ! Nous n’en sommes pas encore là, nous autres apôtres, destinés, paraît-il, à régner les derniers ! Nous sommes encore là, aux yeux du monde entier, comme des condamnés à mort traînés ignominieusement dans le cirque, en spectacle aux anges et aux hommes. On nous traite de fous ; vous êtes vantés comme des sages ! A nous la faiblesse, à vous la force ! A vous la gloire, à nous les opprobres, la faim, la soif, la nudité, les verges, la vie errante, le travail de nos propres mains, nous, la balayure du monde jusqu’à cette heure (v. 6-13) ! Paul s’arrête. S’il les humilie, ce n’est pas pour le plaisir de le faire, c’est pour les reprendre comme un père reprend ses enfants bien-aimés. Et en effet, ils ont beau avoir dix mille pédagogues, ils n’ont pourtant qu’un père, celui qui les a engendrés à la vie nouvelle (v. 14-16). Puis il leur annonce la prochaine visite de Timothée qui les remettra sur le droit chemin, tel que Paul le trace à toutes les églises ; et lui-même ne tardera pas à le suivre, si le Seigneur le veut. « Mais que trouverai-je chez vous ? la puissance de la vie ou seulement l’enflure des paroles ? »
Se représente-t-on bien l’effet que dut produire sur l’assemblée cette remontrance semblable à une fustigation, et de quel œil durent se regarder mutuellement les meneurs en entendant devant toute l’église la lecture de ces lignes qui les stigmatisaient ! Nous croyons avoir déjà montré que, si dans les quatre premiers chapitres maintes observations se rapportent au parti d’Apollos, c’est une erreur grave de croire que Paul ait voulu inculper l’enseignement et la personne d’Apollos lui-même. Les passages 3.5-9 ; 4.6 et 16.12 prouvent le contraire.
Deuxième sujet : La discipline (Ch. 5)
L’apôtre a reconquis sa position auprès de la communauté tout entière. Il n’est point un simple chef de parti ; il est l’envoyé du Christ auquel est due la fondation de l’église et auquel appartient la direction de l’œuvre commencée. Après avoir ainsi rétabli son autorité, il l’exerce, et d’abord au sujet de la discipline intérieure du troupeau.
1. L’occasion de cette intervention de l’apôtre est un inceste qui souille l’église. 5.15.
Pas un de ces beaux parleurs, ni la communauté elle-même, ne se sont élevés contre un pareil scandale : ils n’ont songé ni à faire rentrer le coupable en lui-même, ni à dégager du moins la responsabilité de l’église ! Ils auraient dû se réunir, mener deuil tous ensemble et agir de telle sorte que cette tache disparût du milieu d’eux ! Paul, lui absent, a déjà agi. On pense souvent que les mots : « J’ai déjà décidé de livrer, » signifient : « J’ai décidé que, dans une assemblée convoquée dans ce but, vous et moi, spirituellement réunis, nous livrerions… » Mais si c’eût été là sa pensée, l’apôtre l’eût exprimée plus distinctement. Ces mots me paraissent plutôt signifier qu’il a déjà, lui, accompli cet acte. Il n’a pas prononcé seul cette sentence, il est vrai ; les prenant non tels qu’ils sont, mais tels qu’ils devraient être, il a prononcé en leur nom, comme église, en même temps qu’au sien propre, comme apôtre, la condamnation du coupable à la peine la plus sévère. Il l’a fait, non dans un sentiment de haine et pour la perte de cet homme, mais, au contraire, dans un sentiment d’amour et afin que, par sa destruction corporelle, son esprit soit arraché à la perdition au jour où le Seigneur reviendra. Satan est envisagé ici comme l’instrument de Dieu pour infliger, ainsi que dans le cas de Job, la maladie et la mort. Paul agit comme une mère qui, voyant son enfant se perdre et ne trouvant plus d’autre ressource, prierait Dieu de le frapper, même, s’il le faut, jusqu’à la mort, pourvu que son âme soit sauvée. On a souvent cru que la peine infligée ici était uniquement celle de l’excommunication. Mais comment l’exclusion de la table sainte eût-elle pu amener la mort du coupable (c’est là ce que doit signifier l’expression : la chair qui périt, en opposition à l’esprit sauvé) ? Et comment Paul aurait-il écrit, au v. 2 : « Vous n’avez pas mené deuil, afin que cet homme fût retranché du milieu de vous, » au lieu de dire nettement : « Vous ne l’avez pas retranché ?… » Il ne s’agit pas d’une mesure humaine, mais de l’action de Dieu qui aurait été provoquée par l’appel douloureux de l’église si celle-ci avait fait son devoir.
2. Une église aussi indifférente envers le mal qui éclate dans son sein, n’a aucun motif d’être fière de son état. 5.6-8.
Cette lâche tolérance, qu’ils ne se reprochent point, révèle un manque général de pureté et de droiture. C’est là un mauvais levain que l’immolation du Christ devrait à jamais bannir de l’Église, de même qu’à l’occasion de l’immolation de l’agneau pascal disparaît toute particule de levain des maisons Israélites. Il est possible que Paul fasse ici allusion à la fête de Pâques, qui se célébrait à ce moment dans l’Église ; comparez 16.8.
3. Les Corinthiens avaient conclu de sa lettre précédente que Paul leur enjoignait de rompre toute relation avec les vicieux en général. 5.9-13.
Paul n’a pas songé à cela ; car ce serait les forcer à sortir du monde ; il a voulu parler de la rupture avec les vicieux qui prétendent porter le titre de frères. Il faut protester contre cette union monstrueuse entre vice et foi chrétienne, en rompant toute relation intime avec de pareils professants. Nous ne sommes pas responsables des vicieux du dehors ; mais nous sommes tenus de faire sentir à ceux du dedans qu’ils n’appartiennent pas véritablement à l’Église de Christ. — Il est clair qu’il ne peut s’agir ici que de la rupture des relations personnelles, et non de l’excommunication ecclésiastique. Comment, d’ailleurs, appliquer cette dernière peine à des vices tels que la médisance ou la cupidité (v. 10-11) ? L’appel suppliant et douloureux à l’intervention divine (v. 1-5) et la rupture des relations privées (v. 9-12) : voilà les deux moyens disciplinaires permanents qui, dans la nouvelle alliance, correspondent à la lapidation des malfaiteurs ordonnée dans l’ancienne (v. 13).
Le sujet de la discipline forme la transition aux questions de nature morale que l’épître a à traiter. Il y en a quatre : les procès, l’impureté, le mariage et l’usage des viandes sacrifiées. Les deux premiers sujets se l’apportent à la dignité, les deux autres à la liberté chrétienne.
Troisième sujet : Les procès (6.1-11)
Il y a des chrétiens à Corinthe qui ne rougissent pas de faire juger les contestations qu’ils ont entre eux par les tribunaux païens. Eux, membres de l’Église qui doit un jour juger le monde, juger des anges, eux qui se croient si sages, ils ne trouvent pas parmi eux des arbitres capables de trancher sommairement de misérables questions de tien et de mien ! C’est déjà une honte pour des chrétiens d’avoir des contestations sur de tels sujets ; mieux vaudrait se laisser dépouiller. Et parmi eux il s’en trouve qui dépouillent les autres ! Le royaume de Dieu sera fermé à tous ceux qui agissent de la sorte, quelle que soit leur profession de foi. Le baptême, qui a scellé leur foi et par lequel ils ont été consacrés et déclarés justes, doit avoir mis fin dans leur vie à de pareilles souillures.
Quatrième sujet : L’impureté (6.13-20)
Le sujet de l’impureté n’avait point, comme on se le figure souvent, été traité au ch. 5. Un acte d’impureté avait été accidentellement pour l’apôtre l’occasion de traiter de la discipline. Mais c’est maintenant seulement qu’il s’occupe directement de ce vice. On paraît l’avoir envisagé à Corinthe d’une manière tout à fait légère, à peu près comme une chose indifférente. On y appliquait l’adage souvent prononcé par Paul relativement aux aliments purs ou impurs : Toutes choses me sont permises. Paul combat ici cette pernicieuse confusion : il distingue entre les organes du corps servant à la nutrition, et qui n’appartiennent qu’à la partie passagère et terrestre du corps humain, et le corps proprement dit, organe essentiel de l’esprit et de la personnalité et qui est destiné à participer à la résurrection du Seigneur ; car le corps du fidèle lui appartient par suite de sa communion spirituelle avec lui. C’est ce corps que l’impur profane en en faisant celui d’une prostituée (v. 12-17). — Les autres péchés atteignent les parties externes du corps ; l’impureté atteint le corps lui-même dans sa nature intime et le prive de sa dignité de temple de l’Esprit divin (v. 18-20).
A ce sujet se lie naturellement celui du chapitre suivant.
Cinquième sujet : Le mariage (ch. 7)
Paul aborde ce sujet en disant : A l’égard des choses au sujet desquelles vous m’avez écrit. Plusieurs concluent de là qu’ici commence la seconde partie de la lettre, où Paul répond aux questions des Corinthiens ; comparez les expressions 8.1 : « Au sujet des choses sacrifiées, » et 12.1 : « Au sujet des dons spirituels, » formules qui semblent indiquer qu’il reprend successivement les sujets sur lesquels il avait été interrogé. Mais il traite aussi dans ce qui suit quelques sujets qui ne sont point introduits de la même manière (comparez 11.2,17 et 15.1) ; d’où il faut conclure que c’est la nature même des sujets, et non une circonstance extérieure, comme celle que l’on suppose, qui détermine l’ordre dans lequel ils sont traités. On avait demandé à l’apôtre si le célibat n’était pas préférable au mariage ? Cette pensée pouvait provenir du dégoût causé par l’affreux désordre de mœurs qui régnait à Corinthe.
1. La règle doit être l’état de mariage, en raison des dangers qu’entraînerait le célibat. 7.1-9.
Cependant, si quelqu’un a, par exception, le don particulier de rester pur dans l’état de célibat, la direction qui précède ne s’applique pas à lui. L’opinion de Paul est donc qu’il est honorable et avantageux pour les non mariés (jeunes gens ou veufs) et pour les veuves, de rester tels, comme il l’a fait lui-même, mais que le mariage est préférable à un état de constante lutte intérieure.
2. Quant aux mariés, il ne peut être question de séparation, la parole du Seigneur est positive sur ce point. 7.10-16
Que si, malgré cela, elle avait lieu, une autre union contractée dans cet état de séparation serait un adultère (v. 10-11). On avait encore demandé à Paul ce que doivent faire un mari ou une femme croyants, qui se trouvent unis à une femme ou à un mari non croyants ? Doivent-ils se séparer d’eux ? Paul donne sa réponse non comme un commandement du Seigneur, puisque Jésus n’a jamais rien enseigné à ce sujet, mais comme une solution tirée de sa sagesse apostolique. Il distingue deux cas : celui où la partie non croyante consent à demeurer avec la partie croyante, et celui où elle s’y refuse. Dans le premier, le conjoint chrétien doit continuer la vie commune. Car le conjoint non croyant reçoit par son consentement à rester uni au conjoint croyant un sceau de sainte consécration. Si on ne voulait pas l’admettre, il faudrait nier aussi que les enfants provenant d’un mariage chrétien soient arrachés par la relation filiale avec leurs parents à leur impureté naturelle, ce que l’Église ne saurait faire. Résulte-t-il de là qu’au moment où parlait Paul les enfants de parents chrétiens eussent été baptisés ? Assurément non ; car la conclusion tirée à l’égard du conjoint non croyant, mais non baptisé, cesserait par là d’être valable. Mais on peut bien supposer que c’est de ce caractère de sainteté revendiqué par Paul pour les enfants des chrétiens qu’est provenu l’usage du baptême des enfants. — Dans le second cas, le conjoint chrétien ne doit pas s’obstiner à maintenir la vie commune au prix de la paix domestique ; car la paix est aussi un devoir, et un devoir qui ne doit pas être sacrifié à un espoir peut-être chimérique (v. 12-16).
3. A cette occasion, l’apôtre pose un principe général qui est à ses yeux de la plus haute importance. 7.17-24.
Car il le répète trois fois dans ce peu de lignes : c’est que chacun doit demeurer, une fois converti, dans la position dans laquelle l’appel divin l’a trouvé. Ainsi le circoncis et l’incirconcis ne doivent pas chercher à changer quoi que ce soit à leur état extérieur ; car ce qui importe seul, c’est l’accomplissement des commandements divins. Ainsi l’esclave ne doit point se tourmenter de sa position, car par sa relation avec le Seigneur, il est libre ; toutefois, si l’occasion de devenir libre se présente, il doit plutôt en user ; car si, esclave, il est l’affranchi de Christ, libre, il est son esclave. Rien n’est donc changé dans la relation qui l’attache à luia.
a – Il est à mes yeux complètement inadmissible d’appliquer l’expression uses-en plutôt au fait de demeurer dans l’esclavage et non à l’occasion offerte d’acquérir la liberté. L’épître à Philémon est d’ailleurs décisive à cet égard.
L’apôtre a traité les questions relatives à la formation du lien conjugal pour les hommes non mariés et les veuves ; puis celles qui se rapportent au maintien du lien conjugal déjà formé. Il restait un point dont il n’avait pas encore parlé ; c’est ce qui concerne les jeunes filles. Elles étaient dans une position particulière, puisque, d’après les coutumes de l’époque, c’était le père qui décidait de leur sort. Il aborde maintenant ce sujet. Mais il ne se permet de donner à cet égard qu’un simple avis personnel.
4. C’est un temps de lutte et d’angoisse que celui que l’Église a à traverser jusqu’au retour de Christ, 7.25-38 ; c’est, pourquoi la jeune chrétienne non mariée aura moins de tribulations, dans cet intervalle qu’il reste à franchir, que celle qui entre dans la vie de famille (v. 25-31). De plus, si elle est animée du désir de servir le Seigneur, non mariée elle n’aura pas à compter à chaque instant avec la volonté d’un mari et pourra se vouer avec une assiduité non partagée au service du Seigneur (v. 32-35). Voilà les deux raisons qui pourront décider un père, s’il est libre de sa volonté et n’est pas disposé à marier sa fille, à tenir bon dans cette résolution. En tout cas, si ce second parti vaut mieux que le premier, il n’y a pas péché dans l’autre.
5. L’apôtre ajoute, comme appendice, un mot sur les veuves, 7.39-40 : Qu’elles se remarient, si elles le jugent bon, pourvu que ce soit avec un chrétien ; mais elles feront mieux de rester ce qu’elles sont, selon l’avis de l’apôtre qui a bien aussi part à l’Esprit de Dieu.
Ce chapitre remarquable a été bien souvent mal compris et mal présenté. Nous croyons en avoir rendu fidèlement le sens. Il ne dit nulle part, que le célibat soit plus saint que le mariage ; il parle uniquement au point de vue de la facilité plus ou moins grande de réaliser la vie chrétienne. Tout est dominé par cette pensée exprimée aussi par Jésus lui-même (Matthieu 19.12) : « L’un a son don d’une manière, l’autre d’une autre. » Paul voit sans doute la fin de l’économie actuelle plus rapprochée qu’elle ne devait l’être. Mais ce qu’il dit de la difficulté pour une femme mariée de réaliser la consécration complète au Seigneur dans les liens de la famille reste vrai en tout temps, dans le cours de l’économie d’attente où nous vivons en l’absence du Christ. On a reproché à l’apôtre, à l’occasion du premier morceau, de n’avoir qu’une notion grossière du mariage. Cette critique est suffisamment réfutée par le passage 11.3,7, où l’union conjugale est représentée comme l’image visible de celle de Christ et du fidèle, qui est elle-même l’image de la relation entre Dieu et Christ. Est-il possible d’élever plus haut la notion du lien conjugal ? Il ne faut pas oublier que, dans les neuf premiers versets, Paul traite la question, non de front, mais au point de vue spécial où elle lui avait sans doute été présentée dans la lettre des Corinthiens.
Sixième sujet : Le manger des viandes sacrifiées (ch. 8 à 10)
Une partie de la viande des victimes offertes aux divinités païennes était soit mangée dans un banquet de fête par la famille qui offrait le sacrifice, soit vendue au marché. Par l’effet de ces deux circonstances, un chrétien pouvait, se trouver dans le cas d’en manger. Or, certains fidèles, soit juifs, soit païens, sous l’empire de la croyance superstitieuse à une souillure contractée par l’aliment ainsi consacré, éprouvaient des scrupules à en user. D’autres, élevés au-dessus de cette crainte, non seulement en mangeaient librement, mais acceptaient même des invitations à ces repas célébrés dans les temples des faux dieux, s’envisageant comme assez forts pour résister à toutes les tentations de sensualité et d’impureté au devant desquelles ils couraient ainsi. On verra par ce qui suit combien cette liberté poussée jusqu’à la dernière limite leur tenait à cœur.
C’est à ceux qui se nomment les forts que Paul s’adresse. Il leur rappelle, en premier lieu, les égards dus à la conscience des faibles (8.1 à 9.22), puis ce qu’ils se doivent à eux-mêmes et au soin de leur propre salut (9.23 à 10.22) ; il conclut par quelques règles simples et pratiques résultant de tout l’enseignement précédent (10.23-33).
1. le devoir de la charité envers les frères plus faibles ; 8.1 à 9.22
8.1-13. La connaissance qui n’est pas au service de la charité n’est qu’enflure. Tous les chrétiens savent certainement qu’il n’y a qu’un Dieu et qu’un Seigneur, et que les autres que l’on appelle dieux et seigneurs ne sont rien (quoique derrière toute cette fantasmagorie mythologique il y ait certainement une réalité). Mais cette connaissance monothéiste n’a pas encore pénétré jusqu’au fond de toutes les consciences, de sorte qu’il y a encore des frères qui se croiraient souillés par le manger d’une viande sacrifiée sur l’autel d’une fausse divinité. Que les forts prennent donc garde d’engager par leur exemple ces faibles à faire ce qui est encore contraire à leur conscience. Quelle triste édification que le scandale qu’éprouve un de ces faibles à vous voir, vous forts, assis à un banquet sacré dans un temple d’idoles ! L’entraîner par votre exemple à user, lui aussi, d’une liberté que sa conscience n’autorise point, c’est faire périr un être que Christ a voulu sauver en mourant pour lui, c’est pécher contre Christ lui-même. Quant à l’apôtre, il aimerait mieux renoncer pour toute sa vie à manger de la viande que d’en manger une seule fois en se chargeant d’une si grande responsabilité.
9.1-22. Cette parole amène l’apôtre à présenter aux forts l’exemple de son propre ministère, pour leur montrer comment on doit savoir renoncer à ses droits au service de l’amour. Il serait libre de se faire entretenir par les églises qu’il fonde, puisqu’il a été appelé par le Seigneur à l’apostolat. Les autres apôtres et les frères du Seigneur se font entretenir par les églises, eux et leurs familles, et ils en ont le droit. Paul le prouve par les analogies humaines, par la loi, par l’exemple des sacrificateurs juifs, par un ordre positif du Seigneur. Eh bien ! toutes ces raisons de droit, il ne les a point fait valoir pour sa propre personne, et il préférerait mourir à ce qu’il en fût autrement à l’avenir. Car s’il prêche l’Évangile, ce n’est pas, comme les autres apôtres, de son plein gré ; il y a été forcé, et s’il veut mettre quelque libre amour dans ce ministère, il n’y a pour lui qu’un moyen de le faire, c’est de renoncer à un privilège dont usent ceux qui se sont librement donnés à Christ, et de gagner lui-même de ses mains son entretien, afin de rendre gratuit et par là même plus profitable pour l’Église son travail de prédicateur. Et cet esprit d’abnégation il l’applique à son ministère tout entier, adaptant dans les choses extérieures sa manière de faire à l’état de ceux qu’il désire gagner et sauver, Juifs, païens ou faibles.
Jusqu’ici l’apôtre n’a rien demandé aux Corinthiens qu’au nom de la charité et des égards dus au salut de leurs frères. Dès maintenant, il passe à une considération plus sérieuse encore, l’intérêt de leur propre salut qui est plus profondément engagé qu’ils ne semblent le croire, dans cette question.
2. A l’inverse du morceau précédent, il commence celui-ci, 9.23 à 10.22, par son exemple personnel : « Afin, dit-il, que je devienne moi-même participant des bienfaits de l’Évangile avec ceux à qui je le prêche. » Parmi tous ceux qui courent dans l’arène, un seul obtient le prix, et dans ce but quelles privations et fatigues ne s’impose-il pas ! Ainsi dans la lutte de la vie chrétienne, un petit nombre seulement réussiront, ceux qui, comme je suis moi-même obligé de le faire incessamment, mâteront leur corps et l’assujettiront aux exigences de la vocation céleste (v. 23-27).
Après avoir ainsi introduit le sévère avertissement qui doit suivre, l’apôtre le prépare encore par l’exemple des Israélites, qui n’ont pas su dominer leurs convoitises et qui se sont fait exclure de la Terre promise et condamner à une mort ignominieuse dans le désert. Cependant ils avaient participé à de hauts privilèges, types de ceux dont sont rendus participants les membres de l’alliance nouvelle, à un baptême, à une sainte Cène ! Celui qui les conduisait du sein de la nuée était le Christ lui-même. Tout cela ne les a pourtant pas préservés des coups de la mort. Que les Corinthiens prennent garde à un tel exemple ! Qu’ils n’aillent pas s’exposer de gaieté de cœur à des tentations d’une nature diabolique, qui dépasseraient la mesure de force qu’ils ont reçue jusqu’ici, et pour l’heureuse issue desquelles ils ne pourraient plus compter sur la délivrance divine (10.1-13) !
L’apôtre s’approche ainsi graduellement du grand mot qu’il a à leur dire et qu’il sait bien être ce qu’il y aura pour eux de plus dur à accepter : l’interdiction de toute participation aux banquets offerts par des parents et des amis dans les temples païens. Fuyez, dit-il, non l’idolâtrie — cela allait de soi, — mais loin, bien loin (ἀπό) de l’idolâtrie, loin de tout ce qui y peut conduire. Ici, il fait appel à leur propre jugement : Le christianisme a sa cérémonie sacrée, la sainte Cène par laquelle chaque croyant s’unit à Christ, et à ses frères en mangeant avec eux d’un seul et même pain ; le judaïsme a aussi ses repas de sacrifice par lesquels l’Israélite se lie à l’autel, c’est-à-dire au culte de Jéhova ; le paganisme a également ses repas sacrés, par lesquels l’adorateur se place sous l’influence des divinités auxquelles ce culte est rendu, divinités qui ne sont point seulement ces êtres imaginaires auxquels l’idolâtrie a donné des noms, mais sous lesquelles se déguise une réalité diabolique, les puissances malfaisantes qui sont les vrais auteurs et objets de ces cultes impurs et cruels. Est-il admissible de la part d’hommes qui, en communiant, ont fait acte de s’unir à Christ et à son Église, de participer à des banquets donnés en l’honneur de pareilles divinités et de s’exposer à subir de semblables influences ? Le Seigneur est un Dieu jaloux et il serait dangereux de braver ainsi son pouvoir !
3. Après cette interdiction décisive, si longuement et si prudemment préparée, il ne reste plus à l’apôtre qu’à donner, comme il le fait d’ordinaire en terminant, quelques règles pratiques, résultant de la discussion précédente, 10.23 à 11.1. Il ne revient pas sur le dernier point traité ; à cet égard tout est fini. Le non, non ! a été catégorique et sans réserve. Quant au simple manger des viandes sacrifiées, en soi, voici le résultat pratique de la discussion : liberté complète pour la conscience affranchie ; car rien n’est impur de ce que Dieu a créé. En cas d’invitation dans la maison d’un païen, même liberté, à moins cependant qu’un convive ne fasse une observation trahissant un scrupule ; dans ce cas, abstention ; car la règle suprême pour le chrétien, même dans le manger et dans le boire, est d’éviter tout scandale donné et de glorifier Dieu. C’est là l’exemple que Paul leur a donné, en suivant lui-même celui de Christ.
Paul passe maintenant à une nouvelle classe de sujets, ceux qui se rapportent au culte dans les assemblées de l’église. Il y en a trois : la tenue des femmes (11.2-15), les profanations dans la célébration de la Cène (11.16-34), l’usage des dons du Saint-Esprit (ch. 12 à 14).
Septième sujet : Le parler des femmes dans les assemblées (11.2-15)
L’apôtre commence par celui des trois sujets indiqués dans lequel la liberté chrétienne a encore la plus grande place. La femme en Grèce, comme dans tout l’Orient, ne remplissait aucune fonction publique. Sur la scène même, les rôles de femmes étaient joués par des hommes. Il paraît qu’à Corinthe, par un esprit d’émancipation, naturel sans doute au caractère grec, mais favorisé par le principe chrétien de l’égalité des sexes dans le salut, elles s’étaient mises à prendre la parole dans les assemblées.
11.2-7. L’apôtre ne s’y oppose pas, s’il ne s’agit que de la prière dans laquelle on parle à Dieu ou de l’essor donné par une parole prophétique à une révélation et au mouvement subit de l’Esprit. Il réclame seulement dans ce cas une tenue pleine de décence, la tête couverte du voile, propre à rappeler à la femme, dans ce moment où elle sort en quelque manière de la réserve naturelle qui lui est imposée, l’état de dépendance dont elle ne doit jamais se départir. Il en appelle, pour justifier cette règle, à de sublimes analogies, à la relation de l’homme avec Christ et de Christ avec Dieu, dans lesquelles nous voyons également un rapport d’égalité joint à une relation de subordination. Si l’homme, image et gloire de Dieu, doit honorer Dieu, en dressant vers le ciel sa tête découverte, la femme, gloire de l’homme par l’amour qu’elle lui voue, doit l’honorer en maintenant sur sa tête le signe de sa dépendance par rapport à lui
11.8-12. L’origine de la femme est la preuve de cette position subordonnée : tirée de l’homme, elle a été créée pour lui ; ce qui n’empêche pas, ajoute Paul, pour tempérer les conséquences de ce fait pris exclusivement, que cette subordination d’origine ne soit compensée par le fait que l’homme à son tour reçoit l’existence par l’intermédiaire de la femme. Revenant au fait principal, il y découvre un principe moral qui ne doit pas être froissé, sous peine d’exclure de l’assemblée des fidèles des témoins célestes et invisibles, les anges, qui s’y associent à leur culte et qu’en éloignerait cette violation du divin décorum.
11.13-16. Par la constitution même de la femme, Dieu a donné l’indice de sa destination à une vie cachée. Tandis que la chevelure de l’homme ressemble à une couronne, ornant son front, la longue chevelure de la femme ressemble à un péplum naturel qui enveloppe toute sa personne, comme un symbole de pudeur et de destination à une vie cachée. Mais Paul sait parfaitement que ces raisons ne seront pas comprises ou admises par tous et ne fermeront pas la bouche aux discuteurs. Il termine brusquement en en appelant à l’usage des églises qu’il a fondées et même de toutes les églises de la chrétienté.
Mais il se passait dans les assemblées de l’église de Corinthe des choses plus graves encore.
Huitième sujet : Les désordres dans la sainte Cène (11.17-34)
La sainte Cène se célébrait à la fin des repas nommés agapes, qui terminaient les assemblées plénières de l’église. Les mets du banquet commun étaient fournis par les communiants eux-mêmes et, selon que la fraternité l’exigeait, auraient dû être mangés en commun. Mais la légèreté grecque avait amené un abus révoltant. Quand le moment du repas était arrivé, chacun se hâtait de manger et de boire ce qu’il avait apporté, sans s’inquiéter des frères auxquels leur indigence n’avait pas permis de se pourvoir aussi abondamment, de sorte qu’il y avait manque d’un côté et parfois excès de l’autre. Cette conduite renfermait un outrage à l’église entière et un affront particulier à ses membres pauvres.
1. L’apôtre rappelle aux Corinthiens que de tels banquets ne sont pas des repas alimentaires, mais des solennités religieuses ; 11.17-22.
2. Il le prouve en rappelant l’institution positive de la sainte Cène par le Seigneur, par où l’on voit qu’il s’agit, non d’un banquet de société, mais d’une cérémonie sacrée, qui doit être célébrée dans l’esprit dans lequel elle a été instituée ; 11.23-25. L’apôtre se réfère ici, si je ne me trompe, non à la tradition apostolique (il dit : J’ai reçu, non : Nous avons reçu), mais à une communication qu’il a reçue personnellement du Seigneur lui-même ; et c’est là ce qui justifie les différences qui distinguent son récit de celui des deux premiers évangiles. La position apostolique de Paul réclamait son indépendance quant à la connaissance de ce fait capital de la vie du Christ.
3. Qu’est donc pour les fidèles la sainte Cène ? 11.26-34. Non pas seulement un moment de joyeuse conversation, mais la profession publique et solennelle de notre salut dû à la mort douloureuse du Christ. Malheur donc à qui célèbre cet acte dans un esprit léger ! Il attire par là un jugement sur lui-même. On peut le voir en ce moment même à Corinthe où des maladies et des morts nombreuses sont le signe du mécontentement du Seigneur. Si les Corinthiens se jugeaient eux-mêmes, ils n’auraient pas besoin d’être jugés de la sorte. Puis, comme d’ordinaire, l’apôtre finit par une courte conclusion pratique : qu’ils s’attendent désormais réciproquement quand on en vient au moment du repas. Pour les autres points à régler, l’apôtre s’en occupera dans son prochain séjour.
Neuvième sujet : L’usage des dons spirituels (ch. 12 à 14)
Restait la question la plus difficile et la plus délicate dans cette classe des sujets relatifs au culte, celle de l’usage des dons spirituels que la vie nouvelle faisait éclater dans l’Église. C’est ici l’une des parties les plus intéressantes de notre épître ; elle rend témoignage de la puissance du mouvement spirituel qui était procédé de la Pentecôte et qui maintenant étendait son action jusques au sein du monde païen.
Les dons de l’Esprit étaient des forces surnaturelles communiquées au fidèle, non sans relation avec les aptitudes naturelles de ceux chez qui elles se manifestaient. A mesure que la vie nouvelle apparaissait chez ceux qui avaient cru, elle s’emparait de leur personne tout entière, et, imprimant un nouvel élan et une consécration supérieure à leurs talents divers, elle faisait de ceux-ci ce que l’apôtre appelle des dons spirituels. Mais l’abus n’était pas loin, car le péché contamine tout, même les dons divins. Le désir de se faire valoir, d’exciter la surprise et l’admiration et de dominer peut aisément fausser l’exercice de ces dons. Et c’est là ce qui arrivait à Corinthe où ces manifestations spirituelles s’étaient développées avec une richesse extraordinaire (1.4-7). L’erreur principale des Corinthiens paraît avoir été de se figurer que, plus l’homme était ravi à lui-même et jeté dans un état d’inconscience extatique, en quelque sorte comme une sibylle, par l’action de l’Esprit, plus cette action était sublime et rapprochait l’homme de Dieu. On comprend sans peine à quels abus devait conduire un tel mode d’appréciation. Comment ramener ces esprits surexcités à une manière de voir plus saine et plus pratique ? C’était la tâche qui, d’après les rapports faits à l’apôtre, s’imposait maintenant à lui ; et il avait besoin pour la remplir de toute la mesure de sagesse et d’habileté qui lui avait été départie par le don apostolique dont il avait été revêtu lui-même pour le gouvernement de l’Église.
- Il commence premièrement par exposer au ch. 12 les principes généraux qui dominent cette matière mystérieuse.
- Puis deuxièmement au ch. 13, il montre ce qui vaut mieux que tous les dons et ce qui seul peut, leur donner une valeur pour celui qui les possède et pour l’Église.
- Enfin, troisièmement au ch. 14 il fait voir la supériorité de la prophétie, où l’homme reste conscient de lui-même, sur le don des langues, où il est plongé dans l’extase, et règle par quelques prescriptions précises l’exercice de ces forces surnaturelles dans les assemblées.
A. Ch. 12. Principes généraux.
Les v. 1-3 sont un préambule destiné à délimiter le domaine dont Paul va s’occuper. C’est ce qu’il fait en l’opposant d’abord à l’état précédent de mutisme servile auquel les adorateurs étaient réduits dans le paganisme : ils étaient muets comme leurs idoles ; aujourd’hui ils parlent. Puis il indique le caractère auquel on peut discerner dans les discours pneumatiques les manifestations antidivines — ce sont celles qui aboutissent à maudire Jésus — et reconnaître celles qui procèdent réellement de l’Esprit de Dieu — ce sont celles qui se résument dans ce cri d’adoration : Jésus Seigneur !
Le domaine ainsi délimité, l’apôtre fixe les principes qui le dominent tout entier et qui sont propres à régler l’exercice de ces forces toutes nouvelles.
12.4-11. L’unité dans la diversité.
Quant aux dons eux-mêmes, quelque divers qu’ils soient, ils n’en ont pas moins une même et unique source, l’Esprit ; quant aux fonctions qui en résultent, elles ont beau être variées, elles ne s’en rapportent pas moins à un seul et même service, celui du Seigneur; enfin, quant aux effets produits, tout divers qu’ils soient, ils n’en sont pas moins tous également l’œuvre du même Dieu souverain, de qui tout procède (v. 4-6).
Après cela, l’apôtre s’occupe plus spécialement des dons et proclame la règle qui peut seule sauvegarder dans la pratique leur unité d’action : c’est leur destination non à la satisfaction de l’individu qui les possède, mais au bien de l’ensemble. Et il en énumère neuf qui, communiqués par le même Esprit, ont tous ce but commun : d’abord ceux qui se rapportent à la connaissance et par là même à l’enseignement ; il y en a deux ; puis cinq qui exercent leur action sur la volonté et conduisent par là même à des activités pratiques ; enfin deux qui se rapportent à la faculté du sentiment, à l’extase pneumatique. Parmi les cinq de la seconde classe, Paul place au point culminant la prophétie, comme destinée à exercer une action fortifiante et entraînante sur l’auditeur. La troisième classe comprend le parler en langues et le don d’interprétation qui en est le complément ; on comprend pourquoi il les place ainsi au dernier rang : on leur accordait à Corinthe une valeur excessive et une place exagérée dans le culte.
12.12-30. La diversité dans l’unité.
Comme dans le corps humain la vie commune et unique se déploie dans des organes divers, ainsi les fidèles, abreuvés à la source du même Esprit, y ont puisé chacun un don différent (v. 12-13). Or, dans le corps, les membres d’ordre inférieur ne se croient pas superflus parce qu’il en est d’autres qui jouent un rôle plus apparent que le leur (v. 14-17) ; et d’autre part, ces derniers ne méprisent pas les premiers comme s’ils n’avaient pas besoin d’eux, mais au contraire, on les honore en en prenant soin et les vêtissant, et il est ainsi pourvu à la décence et à l’harmonie du corps entier ; car chaque membre d’un corps souffrirait de la honte d’un autre, comme aussi tous les membres participent à l’honneur fait à l’un d’eux (v. 18-26).
Il doit en être de même dans l’église de Corinthe qui participe à la dignité du corps de Christ (v. 27). Les fonctions les plus élevées, comme celles d’apôtre et de prophète, etc., ne doivent point entraver l’activité des offices inférieurs (guérisons, assistances, administrations, langues, v. 28) ; et d’autre part, ceux qui possèdent les dons et offices inférieurs doivent se contenter de leur position et ne point aspirer à exercer aussi les activités les plus éminentes, comme si chacun devait jouer tous les rôles (v. 29-30). Chacun doit, d’une part, sentir le besoin qu’il a du don des autres et, d’autre part, faire valoir le sien propre, si humble soit-il, pour le bien de l’ensembleb. Que nul ne s’envisage donc comme inutile, ni non plus comme seul nécessaire.
b – Si je ne me trompe, l’énumération v. 28 répond dans l’image du corps, à v. 18-26 : et l’énumération 29-30 à v. 14-17.
Ces principes généraux sur l’unité et sur la diversité des dons une fois posés, Paul eût pu passer directement à leur application pratique, telle qu’il la développe au ch. 15. Mais il s’interrompt pour rappeler aux Corinthiens ce qui leur manquait surtout, ce qui, s’ils l’eussent, possédé, eût suffi pour les éclairer sur la vraie appréciation et le sain exercice des dons, la charité.
Le v. 31 forme la transition à cet admirable chapitre qui n’est pas un simple épisode, mais qui domine, au contraire, tout ce grand morceau.
B. La charité ; ch. 13
L’apôtre a établi la légitimité et la nécessité de l’emploi de tous les dons pour le service de l’ensemble. Dans les derniers versets (29 et 80), il a fait allusion à certaines aspirations ambitieuses qui peuvent se produire dans ce domaine. Ce n’est pourtant pas qu’il veuille bannir toute aspiration à l’égard des dons ; seulement il demande qu’elle se porte, non vers ce qui brille et frappe, mais vers ce qui est vraiment utile. Il expliquera 14.1 ce qu’il entend par là ; mais auparavant, il expose le point de vue duquel il faut juger toute cette question.
Il y a une vertu qui est au-dessus de tous les dons, qui est le don par excellence, parce que, sans elle, tous les dons ne sont rien, ne servent à rien, n’ont qu’un éclat passager. C’est à ce sentiment sublime, qui s’appelle la charitéc, qu’il faut avant tout aspirer.
c – Je préfère ici ce terme à celui d’amour, parce qu’il me paraît mieux répondre au mot grec ἀγαπή, qui désigne non l’amour de désir, mais la contemplation affectueuse et pleine d’intérêt (ἄγαμαι).
Dans v. 1-3, Paul montre la nécessité de cette vertu. Il le fait en proclamant l’inutilité, le néant réel de tous les dons, du don des langues, même sous sa forme la plus élevée, de la prophétie, de la connaissance atteignant aussi haut qu’elle peut atteindre, de la foi opérant miraculeusement, de la bienfaisance poussée aux dernières limites, de l’héroïsme allant jusqu’au martyre, si tout cela n’a pas pour âme la charité.
Les v. 4-7 montrent la fécondité admirable de la charité. En énumérant les vices qu’elle bannit, Paul trace indirectement le tableau de ceux qui sévissent à Corinthe et qui empoisonnent la vie de l’église, et en décrivant les fruits savoureux qu’elle produit, il met le doigt sur le déficit spirituel qui se fait si tristement sentir dans cette église.
Enfin dans un troisième développement, v. 8-13, il insiste sur la durée éternelle de la charité. Le moment vient où les dons, en particulier les langues, la prophétie et la connaissance, s’évanouiront quand luira le grand jour de la perfection. Comme le langage, les aspirations et les réflexions de l’enfance disparaissent peu à peu chez l’homme pour faire place au langage, aux conceptions, aux raisonnements de l’âge mûr, ainsi à ce moment s’évanouiront les dons et ne subsisteront que ces trois choses, qui sont les éléments de la perfection elle-même, la foi, l’espérance et, par dessus tout, la charité.
Rien donc n’est bien sans cette charité qui manque aux Corinthiens ; et avec elle disparaîtrait tout le mal qui se montre chez eux. Comprennent-ils que le jour de Christ mettra fin à ce qu’ils sont si fiers de posséder, et ne laissera subsister que ce qu’ils négligent d’acquérir ?
De cette hauteur, l’apôtre revient à la question compliquée de l’usage des dons, ayant maintenant en main le fil qui peut guider l’église dans ce labyrinthe.
C. Ch. 14. L’application des principes posés.
Et d’abord l’appréciation comparative du don des langues (ou glossolalie) et de la prophétie (v. 1-25) ; puis les prescriptions pratiques relatives à l’usage de ces deux dons (v. 26-33) ; enfin une question particulière relative au culte, et la conclusion (v. 34-40).
1°) 14.1-25. Supériorité de la prophétie sur la glossolalie :
Et d’abord en vue de l’église elle-même (1-20) ; puis en vue des étrangers qui assistent à son culte (21-25).
a) En vue de l’église (1-20).
14.1-5. La prophétie, intelligible pour tous et propre à encourager et à édifier, est préférable à la glossolalie dans laquelle celui qui parle exprime les douceurs ineffables de sa communion avec Dieu, mais en un langage inintelligible pour ses auditeurs. Au point de vue de la charité, la première est donc supérieure à la seconde.
Nous apprenons ici ce qu’était le parler en langues à Corinthe. Ce n’était nullement un parler en langues étrangères (latin, arabe, persan ou autre langue existante) ; c’était un langage ayant quelque analogie avec le chant, exprimant non des idées, mais des sensations intimes. Paul appelle le contenu de ce langage des mystères, parce qu’il reste un secret entre Dieu et le glossolale, à moins qu’un frère, mis avec celui ci en rapport spirituel, n’interprète sa parole.
14.6-15. L’apôtre déclare même la glossolalie complètement inutile si la condition d’une interprétation n’est pas remplie. Il le montre d’abord par son exemple. Ce séjour à Corinthe qu’il leur promet, il y aurait, pour lui un moyen de le rendre parfaitement stérile, ce serait de se mettre, lui qui possède plus qu’eux tous ce don, à l’exercer simplement, sans y ajouter ni la prophétie, ni l’enseignement. Comme seconde preuve, il emploie une comparaison : A quoi servirait le jeu des instruments, le signal de la trompette, par exemple, si ce jeu n’avait ni modulation, ni rythme ? — Enfin, la langue humaine elle-même, à quoi servirait-elle si elle était inarticulée ? Elle ne serait point comprise. Celui qui prie ou psalmodie dans l’assemblée doit donc le faire, non dans un état d’extase qui ne s’exprime que par des sons inintelligibles, mais avec son intelligence et de manière à parler à l’intelligence des autres.
14.16-20. Il y a même de l’inconvenance à entretenir ses frères d’une manière inintelligible pour eux. Car c’est là faire jouer à l’église un rôle indigne d’elle. C’est la mettre dans la position d’un de ces hommes du dehors, qui viennent parfois assister au culte sans y rien comprendre, et l’obliger à dire amen ! à une action de grâces dont le contenu lui est resté étranger. Quant à Paul, il aimerait mieux ne dire que cinq paroles intelligibles que de briller par son don de parler en langues, en imposant à l’Église l’obligation d’écouter ce qu’elle ne comprend pas. Le bon sens de ses lecteurs devrait suffire pour leur faire comprendre l’inconvenance de ce procédé.
b) 14.21-25. Ce n’est pas seulement aux croyants que les glossolales font du tort en usant de leur don de cette manière ; c’est aussi aux auditeurs non croyants qui viennent parfois assister au culte pour se mettre au fait de la religion nouvelle. Ce langage inintelligible ne saurait les édifier. Quand Dieu a-t-il parlé en langues étrangères à son peuple d’Israël ? Quand ce peuple écoutait avec docilité le langage des prophètes ? Nullement : c’est quand ils l’avaient méprisé, que Dieu les châtiait en envoyant contre eux ces peuples étrangers qui les asservissaient en apportant avec eux leurs langues inintelligibles. Un tel langage est donc de la part de Dieu un signe de châtiment et de rupture ; qu’a-t-il à faire dans les assemblées de l’Église de Dieu ! Le nouveau venu non encore croyant le sentira bien ; son bon sens le lui dira. S’il les entend tous parler en langues, il dira : Ces gens sont fous ! tandis que si un prophète se lève et lui dévoile les secrets de sa vie et les honteuses dispositions de son cœur, il tombera sur sa face en s’écriant : Dieu est véritablement au milieu de ces gens-là !d
d – Il est étrange que jusque dans les derniers commentaires on ait pu méconnaître, comme on l’a fait, le vrai sens des passages v. 16-17 et 21-22.
2°) 14.26-40. Règles pratiques pour l’usage de ces dons dans le culte.
La règle commune : Chacun (de ceux qui ont un don) doit venir au culte avec ce qui lui est donné, un cantique, ou un enseignement, ou une prophétie, ou une langue, ou une interprétation, et y associer l’assemblée en visant uniquement au bien de celle-ci et sans aucun désir de se faire valoir (v. 26).
Pour l’usage de la glossolalie : deux ou au plus trois discours en langues, toujours l’un après l’autre et avec interprétation. Si cette dernière condition ne peut être remplie, le parler en langues ne doit pas avoir lieu (v. 27-28).
Quant aux prophéties : deux ou trois, avec appréciation de la part des autres prophètes. Car il peut se mêler de l’alliage à de telles allocutions. Comme mesure d’ordre : silence immédiat chez le prophète qui parle, si un autre prophète, en se levant, témoigne d’une révélation venue sur lui. La parole toute fraîche de celui que saisit l’Esprit aura certainement l’avantage sur celle de celui qui parle déjà depuis un certain temps. De cette manière, tous ceux qui ont le don pourront arriver à parler, de telle sorte que les besoins de tous les auditeurs soient satisfaits (v. 29-33a).
Enfin un point spécial : la question du parler des femmes. Sauf le cas exceptionnel prévu 11.5 et sous réserve de la condition indiquée dans ce passage, interdiction complète aux femmes de parler dans les assemblées, fût-ce même simplement dans le but d’interroger. Il y aurait là une infraction à l’état de subordination que leur impose la loi. — En vue de l’esprit d’insubordination dont cette église est atteinte, l’apôtre lui rappelle qu’elle n’est ni la première, ni la seule, et qu’elle doit marcher d’accord avec toutes les autres ; or, l’usage de celles-ci à cet égard est très arrêté. L’apôtre en tout ceci ne parle point de son chef ; il ne fait qu’énoncer la volonté du Seigneur. Si quelqu’un parmi eux possède, comme prophète ou comme fidèle, l’Esprit du Seigneur, qu’il le montre en reconnaissant ce même Esprit dans les directions précédentes. Mais s’il veut l’ignorer, qu’il l’ignore ! Ce sera à ses risques et périls (33b -38).
Le résultat final, v. 39 et 40, est annoncé, comme d’ordinaire, par un ὥστε, de sorte que. Paul le formule en trois mots : travailler à développer le don de prophétie ; ne pas empêcher les discours en langues ; tout faire avec ordre et décence.
L’apôtre arrive enfin au sujet dogmatique qu’il a à traiter. La doctrine est comme le sang dont se nourrit l’Église ; toute altération doctrinale ne peut que nuire au corps de Christ. C’est sans doute la raison pour laquelle il a réservé ce sujet pour le couronnement de l’épître.
Dixième sujet : La résurrection des corps (ch. 15)
Rien n’indique que le sujet de la résurrection des corps n’eût été soumis à l’apôtre dans la lettre des Corinthiens. Je pense donc que les discours des quelques-uns (τινές), dont il est fait mention au v. 12, avaient été rapportés à Paul par les délégués de l’église. On a supposé que ces quelques-uns étaient d’anciens Sadducéens qui avaient importé dans le christianisme les restes de leurs opinions précédentes. Mais ce parti ne paraît pas avoir été répandu hors de Palestine, et en se convertissant au christianisme, de tels hommes auraient subi un changement trop radical pour qu’un pareil mélange d’opinions hétérogènes eût pu se produire. Il est plus probable que la négation de la résurrection du corps résultait dans ce milieu hellénique de la tendance philosophique à envisager le corps comme la source de tout mal. Cette manière de voir avait même gagné les penseurs juifs d’Alexandrie, tels que Philon et l’auteur de la Sapience. A ce point de vue, quel avantage pouvait-il y avoir pour l’âme, une fois affranchie du corps, à retomber, par la résurrection de celui-ci, sous l’empire de la matière ? C’était probablement là le point de vue de ces deux hérétiques qui, d’après 2 Timothée 2.18, enseignaient que « la résurrection des morts était déjà accomplie. » Ils l’identifiaient avec la régénération spirituelle. Quelques passages de notre chapitre, en particulier v. 32-34, pourraient faire supposer que ceux qui niaient la résurrection du corps à Corinthe niaient en même temps la survivance de l’âme. Mais des hommes de cette trempe se seraient-ils convertis au christianisme ? Que leur importait le salut ? Voir sur cette question à l’exposé de ce passage.
L’apôtre traite le fait de la résurrection du corps, premièrement au point de vue de sa certitude (v. 1-34), secondement au point de vue du mode de sa réalisation ou de sa possibilité (v. 35-52) ; puis il entonne le chant de triomphe sur les ruines du règne de la mort (v. 53-58).
A. 15.1-34. Certitude du fait de la résurrection des corps ; sa place dans l’ensemble du salut.
La supposition tacite de l’argumentation suivante est que le salut doit se réaliser chez les croyants de la même manière qu’il s’est réalisé en Christ. Car notre salut n’est que l’assimilation de ce que Jésus a été et a fait lui-même. A ce point de vue, la question de notre résurrection dépend entièrement de celle de la résurrection de Jésus.
a) 15.1-11. La tradition apostolique, reposant sur une série de témoignages certains, déclare que Jésus est corporellement ressuscité le troisième jour après avoir expié nos péchés et avoir été déposé dans le sépulcre ; Paul lui-même, à la suite des apôtres, l’a contemplé vivant.
b) 15.12-19. Or, nier notre résurrection, c’est nier celle de Jésus. C’est, par conséquent, faire des apôtres de faux témoins et des faux témoins de la pire espèce. Bien plus, c’est nier le salut lui-même, puisque si Christ n’est pas ressuscité, l’expiation de nos péchés n’a pas été accomplie par sa mort ; notre condamnation subsiste par conséquent, et nous qui comptons sur la vie éternelle et qui, dans cet espoir, faisons le sacrifice de tout bien-être terrestre, nous nous trouverons avoir été les victimes de la plus cruelle illusion et aboutirons à la perdition, tout comme les autres. Otez à l’Évangile ce fondement, la résurrection du Christ, il s’écroule et toute l’espérance chrétienne avec lui.
c) 15.20-28. Mais non ! Le fondement est ferme et l’édifice de notre espérance se relève fièrement jusqu’au faîte. — Dans le drame de la résurrection, trois actes : le premier, la résurrection du Christ, les prémices de la moisson ; le second, la résurrection des fidèles au moment de l’avènement visible de Christ ; le troisième, la résurrection universelle, après une période de victoire sur les ennemis du salut, entre lesquels le dernier vaincu sera la mort, quand la résurrection universelle lui arrachera sa proie tout entière et la rendra pour jamais impuissante. Ce sera là en même temps la fin du règne spécial du Messie, destiné à conduire la création à son but glorieux, après quoi la vie de Dieu éclatera parfaite dans tous les croyants glorifiés.
d) 15.29-34. Essayons de supposer qu’il en fût autrement ! A quoi servirait le baptême reçu en vue de l’Église invisible, le martyre en face duquel Paul vit lui-même journellement ? Vivons pour jouir des biens de ce monde, puisque tout finit avec la mort ! — Rougissez ! Réveillez-vous de l’ivresse qui vous a gagnés !
Au v. 32, Paul mentionne un fait que nous laisse ignorer le récit des Actes. Car il est impossible d’appliquer ces mots au tumulte de Démétrius qui n’avait pas encore eu lieu. Ce fait inconnu fait penser à ce qu’écrit Paul Romains 16.3 d’Aquilas et Priscille qui lui avaient sauvé la vie en exposant la leur propre, et, en effet, ils étaient alors avec lui à Éphèse. Nous n’en savons pas davantage sur ce point. Mais ce qui étonne le plus dans ce passage, c’est que Paul semble confondre la négation de la résurrection du corps avec celle de l’immortalité de l’âme. On pourrait supposer qu’il envisage la première comme la seule garantie solide de la réalité de la seconde. Car un esprit fini, sans organe d’activité, ne se conçoit pas. Mais la vraie réponse est, je pense, celle-ci : A supposer que la résurrection de Christ et des fidèles fût une illusion, la survivance de l’âme ne garantirait point le bonheur à venir, puisque la condamnation serait toujours là menaçante, certaine ; et la conclusion : « Mangeons et buvons…, » resterait par conséquent la seule rationnelle.
B. 15.35-52. Le mode de la résurrection du corps.
Notre résurrection est certaine ; mais comment se représenter le mode et la possibilité d’un tel fait ? Dissous par la mort, le corps pourra-t-il se reconstituer ? Et-que pourra-t-il être à la suite de ce renouvellement ?
a) 15.35-41. Sur le premier de ces deux points, la raillerie profane a beau jeu, surtout lorsqu’elle se place en face de l’idée grossière que l’on se forme souvent de ce fait et spécialement de la manière dont il était compris par les rabbins. A celui qui présente la résurrection comme une restauration de l’ancien corps par la réunion de toutes les particules matérielles dont il avait été composé et qui tourne en ridicule le fait ainsi compris, Paul répond : Insensé, toi qui te crois sage ! Ce que tu envisages comme un obstacle insurmontable à la résurrection, la dissolution du corps par la mort, est au contraire le moyen par lequel Dieu l’accomplit. La semence que nous jetons en terre ne germe et ne s’épanouit en une plante luxuriante qu’à la condition que ses enveloppes se dissolvent dans la terre. L’humidité et la chaleur du sol, en faisant pourrir ces parties extérieures, affranchissent le germe impalpable qu’elles recèlent et le font éclater en un nouvel et bel organisme. Ainsi, dans la résurrection du corps. L’organisme nouveau qui apparaîtra ne sera pas la réapparition de l’ancien, mais le déploiement d’un germe vivant, déposé dans celui-ci. Autant est grande la différence entre ce pauvre et nu grain de semence que tu déposes dans le sol et cet arbre magnifique qui bientôt en sortira, autant est grande la différence entre notre corps actuel et le corps futur qui en doit sortir. N’y a-t-il pas une variété infinie de corps ? Corps d’hommes et d’animaux, corps terrestres et corps célestes, avec variétés infinies de beauté, d’éclat ?
b) 15.42-49. L’apôtre passe ici à la seconde question du v. 35 : Que sera le corps nouveau ? Le corps actuel est soumis à la corruption, au déshonneur, à la faiblesse ; il a été donné comme agent à une âme, à un simple souffle de vie ; l’autre sera doué d’incorruptibilité, de gloire, de force ; il servira d’organe à un esprit, qui non seulement vit, mais qui est capable de faire vivre. Le premier a dû précéder, comme aussi l’Adam terrestre est venu le premier ; le second suivra, comme le Christ est aussi venu en second. De même que nous avons porté l’image de l’Adam terrestre, de même nous porterons celle du céleste. Ces derniers mots ne peuvent se rapporter, comme le veut l’école de Tubingue, au Christ préexistant dont nous ne porterons jamais l’imagee. Paul veut parler du Christ fait homme, revenant, au moment de sa Parousie, dans ce corps glorifié dans lequel il l’avait contemplé. C’est à ce corps ressuscité et glorifié qu’il assimilera le nôtre par une résurrection semblable à la sienne. Le passage Philippiens 3.21 ne devrait pas laisser de doute à cet égard, non plus que le contexte de tout notre chapitre qui est exclusivement eschatologique.
e – L’intention de cette interprétation est claire : Il s’agit de tirer de ce passage la preuve que Paul a envisagé le Christ préexistant non comme un être divin, mais comme l’homme céleste, prototypique.
c) 15.50-52. Mais il y a une classe de fidèles à laquelle ne saurait s’appliquer ce qui vient d’être dit, ce sont ceux qui vivront au moment de la Parousie et n’auront pas encore passé par la mort. Le corps de ceux-ci, déclare l’apôtre en vertu d’une révélation spéciale, subira une transformation soudaine ; car le corps, composé de chair et de sang, que nous portons actuellement, n’est pas propre à être revêtu de la gloire du royaume divin.
C. 15.53-58. Ici commence l’hymne d’action de grâces pour la pleine victoire qui nous est donnée en Jésus-Christ. Que nous soyons morts ou encore vivants et simplement mortels, il faut que nous soyons revêtus d’un organe immortel et incorruptible. C’est ainsi seulement que sera accomplie pour les uns et pour les autres la parole prophétique : « La mort est engloutie à toujours. » — L’empire de la mort était fondé sur le fait du péché et le péché empruntait sa puissance meurtrière à la loi. Jésus a vaincu le péché, satisfait la loi : il a ainsi miné les bases du trône de la mort et l’a fait crouler par sa résurrection. Grâces lui soient rendues ! Que notre travail ici-bas ne se relâche point ; nous ne travaillons pas en vain. Ce que nous faisons pour lui demeure à jamais fécond en lui.
Le dernier mot de cet admirable chapitre est introduit, comme toutes les autres conclusions semblables, par un simple ὥστε, de sorte que.
Nous pouvons maintenant discerner l’ordre dans lequel l’esprit logique de Paul avait décidé à l’avance de classer et de traiter toutes ces matières hétérogènes. Par la raison que nous avons dite, il a placé en premier lieu les questions ecclésiastiques (divisions et discipline) auxquelles se rattachait le rétablissement de son autorité apostolique ; car c’était là ce qui importait avant tout. Puis il a fait suivre ce premier groupe d’un second comprenant les sujets relatifs à la vie morale des membres de l’Eglise (procès, impureté, mariage, viandes sacrifiées). Il a placé en troisième lieu les questions liturgiques, les sujets relatifs au culte des assemblées (tenue des femmes, sainte Cène, dons spirituels). Enfin, pour couronnement, l’apôtre a gardé une question dogmatique (résurrection des corps), la doctrine étant à ses yeux ce qu’il y a de plus important, de plus vital, l’aliment de la foi. On voit aisément que, dans cet arrangement, le progrès va de l’extérieur à l’intérieur.
La conclusion de la lettre est renfermée dans le ch. 16 ; elle renferme des commissions, des nouvelles et les salutations finales.
A. 16.1-4. L’apôtre donne quelques directions relatives à l’exécution de la grande collecte qui se faisait à ce moment-là, en faveur des chrétiens pauvres de Jérusalem, dans les églises qu’il avait fondées en Asie et en Grèce. L’élévation habituelle des pensées ne nuisait point chez lui à l’esprit pratique. Nous en avons une preuve dans la mesure qu’il propose ici aux Corinthiens pour que leur collecte soit abondante, et cela sans peser sur eux d’une manière trop sensible. — Il semble que le premier jour de la semaine fût déjà alors solennisé en quelque manière, sans doute en mémoire de la résurrection. Il ne résulte pas cependant des termes de Paul que ce fût dans le culte commun que les offrandes dussent être déposées par chacun. Il s’agit plutôt, d’après les termes employés par l’apôtre, d’un acte que chacun devait accomplir dans sa propre maison, afin que, quand il arriverait, on n’eût plus qu’à recueillir chez les fidèles les sommes toutes préparées. On peut s’étonner de ce que Paul, mentionnant les églises de Galatie, ne parle pas aussi de leurs voisines, celles de Pisidie et de Lycaonie, qui avaient été fondées dans le premier voyage. La raison en est sans doute le fait qu’il n’avait donné une telle direction qu’aux premières. Du reste, elles prenaient aussi part à la collecte (Actes 20.4 : Gaïus de Derbe et Timothée). — Si Paul ne se rend pas lui-même à Jérusalem avec la députation des églises, ce qui est encore incertain, il remettra aux délégués une lettre d’envoi accompagnant cet hommage offert à l’église mère. Que si la somme à offrir en est digne, il conduira lui-même la députation. Il ne dit pas qu’il ira avec les députés, mais : « Ils viendront avec moi. » Quels que soient, les égards que Paul ait toujours pour ses compagnons d’œuvre, il n’oublie point ce qui est dû à sa dignité apostolique. Il n’est pas, comme les délégués, envoyé d’une église à une autre église ; il est l’envoyé de Christ à l’Église.
B. 16.5-9. Le second sujet dont Paul entretient les Corinthiens, c’est sa prochaine arrivée chez eux, à laquelle il vient déjà de faire allusion. Il paraît que, dans une lettre précédente, il leur avait annoncé qu’il comptait se rendre d’abord d’Éphèse à Corinthe, puis de là en Macédoine, d’où il reviendrait pour un long séjour à Corinthe. Maintenant, il leur écrit qu’il a modifié son plan. Il passera d’abord par la Macédoine, puis se rendra de là chez eux. La raison qu’il donne de ce changement est celle-ci : D’après son ancien projet, il n’aurait pu les voir dans sa première visite qu’en passant. Or, il s’est passé des choses qui ne lui permettent plus d’en agir ainsi et qui lui font désirer de les voir plus longuement quand il les reverra pour la première fois. Un grand nombre d’interprètes voient dans les premiers mots du v. 7 une allusion à un court séjour que Paul aurait fait précédemment à Corinthe, avant cette lettre : « Je ne veux pas vous voir maintenant en passant (comme je l’ai fait une fois déjà précédemment). » Mais rien absolument ne justifie ce contraste, que l’on met dans le ἄρτι, entre maintenant et précédemment. Le sens que nous venons d’exposer convient parfaitement à l’expression et au contexte, et nous indiquerons bientôt les raisons qui nous empêchent d’admettre une visite quelconque, longue ou courte, faite par Paul à Corinthe avant notre lettre. — L’apôtre dit ensuite qu’il demeurera à Éphèse jusqu’à la Pentecôte (v. 8). La notice qui se trouve dans la souscription de l’épître, d’après laquelle Paul aurait expédié cette lettre de Macédoine, repose donc sur une erreur. Les anciens interprètes desquels elle procède ont pris à la lettre les mots : « Je passe par la Macédoine » (v. 5), tandis qu’ils indiquent simplement son nouveau plan de voyage. Puis ils ont appliqué ces mots du v. 8 : « Je resterai à Éphèse jusqu’à…, » à un séjour postérieur à cette lettre.
C. 15.10-12. De sa propre visite, Paul passe à celle de Timothée, déjà annoncée au ch. 4, puis à la visite qu’il avait demandée lui-même pour eux à Apollos, visite que plusieurs d’entre eux attendaient sans doute avec impatience. De la manière dont, il recommande Timothée au bon accueil de l’église, on doit conclure à une certaine inquiétude que Paul éprouvait touchant ce séjour de son jeune et timide compagnon d’œuvre ; comparez à ce sujet ce qui ressort de 2 Timothée 1.6-7 sur le caractère de Tïmothée. Et la tâche était grande en ce moment pour un si jeune homme auprès d’une telle église si engouée d’elle-même. Il avait à appuyer les sévères remontrances de l’apôtre et à faire prévaloir ses directions sur celles d’opposants hautains et hardis (voir 4.18-20). — Paul ne partira pour la Grèce que quand Timothée sera revenu à Éphèse. Il l’attend, dit-il, avec les frères. Ces frères ne sont pas, me paraît-il, des frères revenant avec Timothée. Il n’avait pas d’autre compagnon de voyage qu’Éraste, et nous ignorons si celui-ci n’était pas resté en Macédoine. Ce sont bien plutôt les trois députés de Corinthe qui attendaient avec Paul l’arrivée de Timothée pour s’entretenir avec l’apôtre des nouvelles qu’il rapporterait de l’effet produit par sa lettre. Ainsi ce détail, oiseux dans le premier sens, prend une signification particulière.
Quant à Apollos, Paul désire que les Corinthiens sachent non seulement qu’il n’a mis aucun obstacle à sa visite à Corinthe, mais qu’il l’a, au contraire, encouragée de tout son pouvoir. Les frères avec lesquels il devait se rendre à Corinthe sont les mêmes que ceux du v. 14, les trois délégués. Apollos s’est obstinément refusé à ce projet, quoi que Paul ait pu lui dire (comparez le πάντως, absolument), non pas, comme le dit Meyer, parce qu’il n’en avait pas le temps, mais parce que cela ne lui convenait pas en ce moment (εὐκαιρεῖν), et on le comprend. Il ressentait évidemment une sorte de dégoût pour le rôle qu’on lui avait fait jouer à Corinthe comme rival de l’apôtre.
De tout ce passage il résulte que la souscription de l’épître renferme une seconde erreur, partagée par plusieurs modernes de Wette, Mangold, etc.), quand elle dit que notre lettre a été portée par les trois délégués de Corinthe. L’arrivée de cette lettre à Corinthe devait, au contraire, d’après le v. 10, précéder l’arrivée de Timothée dans cette ville, et par conséquent le départ des trois députés pour Corinthe, puisqu’ils l’attendaient à Éphèse.
D. 16.13-18. Suivent deux recommandations, l’une générale, l’autre spéciale. La première est conçue en termes énergiques et pour ainsi dire militaires : veiller au poste, ne pas lâcher pied, s’armer d’un courage viril, déployer de la force ; mais tout cela dans l’esprit de charité qui doit pénétrer chaque acte. Il est aisé de rattacher à ces différents termes les nombreux défauts reprochés aux lecteurs dans le cours de la lettre. La recommandation spéciale se rapporte à la déférence respectueuse que doivent les membres de l’Église à tous ceux d’entre eux qui s’occupent avec dévouement des intérêts du corps de Christ. On nie aujourd’hui l’existence de certaines charges ecclésiastiques à Corinthe. Mais nous avons vu, à l’occasion de 12.29-30, combien cette manière de voir est peu fondée. Les derniers mots du v. 16 (καὶ παντὶ τῷ…) font allusion à ceux qui sont chargés de pareils offices. Quant à la première partie de cette recommandation, elle s’applique évidemment aux trois députés qui se sont mis au service de l’église pour faire ce long voyage et qui ont par là contribué à réjouir directement le cœur de Paul et indirectement celui de l’église elle-même à laquelle ils reporteront les encouragements de l’apôtre. Weizsæcker a supposé que Fortunat et Achaïque étaient deux esclaves de Stéphanas ; ce qui n’a rien d’invraisemblable. Les lignes dans lesquelles Paul traite ce sujet sont empreintes d’une exquise délicatesse, elles trahissent la préoccupation que lui causait l’esprit d’insubordination et de légèreté qu’il remarquait avec douleur chez ses lecteurs. On dirait que Paul prévoyait les troubles ecclésiastiques qui se produiraient plus tard dans cette église et à l’occasion desquels l’église de Rome lui adressa, trente ans après, par la plume de Clément, l’un de ses évêques, une lettre de remontrances. Chose singulière, cette lettre eut pour porteur un chrétien nommé Fortunatus.
E. 16.19-24. Salutations.
On s’étonne de trouver en tête des salutations celles des églises d’Asie. Comment avaient-elles pu charger Paul de cette commission ? Sans doute, quelques-uns de leurs membres venaient visiter l’apôtre à Éphèse et contempler dans cette grande métropole les succès de l’Évangile. — La salutation d’Aquilas et de Priscille à l’église de Corinthe est toute naturelle, puisqu’ils avaient partagé avec Paul tout le séjour de celui-ci dans cette ville et qu’ils l’avaient ensuite accompagné à Éphèse (Actes 18.18). — Le baiser fraternel était un usage reçu parmi les premiers chrétiens ; ce rite se célébrait simultanément, du côté des frères et du côté des sœurs ; on le plaçait, parfois entre la prière finale et la sainte Cène.
Paul écrit sa propre salutation de sa main, comme d’ordinaire ; comparez 2 Thessaloniciens 3.17. Mais on est étonné de la voir suivie — c’est ici un cas unique — d’une parole d’imprécation à l’adresse de « ceux qui n’aiment pas le Seigneur Jésus-Christ. » Nous l’avons dit déjà : cet anathème est, à nos yeux, une réponse à ceux qui osaient, en jeter un à la face de Jésus. Dans tout le cours de l’épître, Paul s’est contenu, même en parlant de ceux dont la conduite témoignait d’une révoltante indifférence envers la personne du Seigneur Jésus. Il avait même mentionné, sans éclater, des gens qui allaient, jusqu’à prononcer sur cet être divin une malédiction. Au moment de poser la plume, il éclate en un saint anathème, qui doit en quelque sorte effacer celui qu’on n’aurait jamais cru pouvoir être prononcé dans l’Église. Le terme de Maranatha est tiré de la langue araméenne ; on le traduit ordinairement dans ce sens : « Le Seigneur vient. » Grammaticalement rien n’empêche de lui donner plutôt ce sens : « Seigneur, viensf, » qui, comme invocation, se rattache mieux à l’imprécation qui précède. Ce terme, qui est le dernier mot de l’Apocalypse et qui se retrouve dans la Doctrine des douze apôtres, à la fin de la liturgie de la sainte Cène (ch. 10), n’aurait-il point été une espèce de mot d’ordre usité entre chrétiens qui, par son caractère étranger et mystérieux, devait faire une impression plus grande qu’une simple expression grecque ? Et n’aurait-il point servi d’exergue au sceau par lequel l’apôtre confirmait sa signature ? Ne pouvant reproduire le sceau, les premiers copistes en auraient au moins conservé en toute lettre cette devise. — A la bénédiction qu’il appelle sur l’église par la grâce du Seigneur Jésus, Paul ajoute l’assurance de son amour personnel pour eux tons, et non point seulement pour ceux qui disent : « Je suis de Paul. »
f – Voir mon Commentaire sur 16.21.