1.[1] Comme le roi dédaignait ces discours de Moïse et n'y prêtait plus aucune attention, des fléaux terribles accablèrent les Égyptiens ; je les exposerai tous, d'abord parce que des malheurs inconnus jusque-là furent éprouvés par les Égyptiens, ensuite parce que Moïse voulait faire connaître qu'il n'y avait rien de mensonger dans ses prédictions et qu'il est utile aux hommes d'apprendre à se garder d’une conduite telle que Dieu s'en irrite et dans sa colère les punisse de leurs iniquités.
[1] Exode, VII, 13.
Le fleuve, sur l'ordre de Dieu, devint couleur de sang et roula des eaux qu'il était impossible de boire ; or, d'autres eaux potables, ils n’en avaient point, et ce n'était pas seulement par la couleur que le fleuve était devenu répugnant : quiconque tentait d'y boire était saisi de maladie et de cruelles souffrances. Tel était l'effet qu'il produisait sur les Égyptiens ; mais pour les Hébreux ses eaux étaient douces et potables et n'avaient pas changé de nature. Le roi, troublé par ce prodige et inquiet pour les Égyptiens, permit aux Hébreux de s'en aller ; mais, dès que le fléau s'apaisa, il changea d'idée et s'opposa à leur départ.
2. Dieu, voyant que l'ingrat, après qu'il est délivré de cette calamité[2] ne veut plus se montrer raisonnable, inflige une autre plaie aux Égyptiens : une multitude innombrable de grenouilles dévora leur pays ; le fleuve même en était plein, elles s'y entassaient et la boisson qu'on prenait se trouvait corrompue par le sang de ces bêtes qui mouraient et pourrissaient dans l'eau ; et le pays qui en était infesté devenait un affreux limon où elles se développaient et mouraient ; tous les vivres qu'on avait dans les maisons, elles les détruisaient ; on les trouvait dans tous les aliments solides et liquides ; elles se répandaient jusque sur les couches ; une odeur intolérable et fétide se dégageait de ces grenouilles, soit en vie, soit mourantes, soit en décomposition. Voyant les Égyptiens accablés par ces maux, le roi pria Moïse de s'en aller en emmenant les Hébreux, et, sitôt qu'il eut dit cela, cette multitude de grenouilles disparut et la terre et le fleuve reprirent leur aspect naturel. Mais Pharaôthès, dès que le pays est délivré de cette calamité, en oublie l'origine et retient les Hébreux, et, comme s'il eût voulu faire l’épreuve de plus grands maux encore, il ne permet plus à Moïse et aux siens de partir c'était par crainte plutôt que par raison qu'il le leur avait accordé.
3.[3] Alors la divinité envoie un autre fléau pour punir cette déloyauté. Une multitude infinie de vermine vint à se développer sur le corps des Égyptiens et fit périr misérablement ces misérables ; ni les baumes, ni les onguents ne pouvaient détruire ces bêtes. Effrayé par cet horrible fléau, craignant la perte de son peuple et songeant à l'ignominie d'une telle destruction, le roi des Égyptiens est forcé d'entendre raison, et encore, à moitié seulement, tant sa méchanceté était grande : il accorde bien aux Hébreux l'autorisation de partir, mais, comme aussitôt le fléau s'apaise, il exige[4] qu'ils laissent femmes et enfants comme gages de leur retour. Ainsi il ne fait qu'irriter Dieu davantage, en prétendant en imposer à sa sagesse, comme si c'était Moïse et non Dieu lui-même qui punissait les Égyptiens à cause des Hébreux. Dieu, envoyant toutes sortes d'animaux divers, qu'on n'avait jamais rencontrés auparavant, infesta leur pays, de sorte que les hommes périrent sous leurs dents et que la terre fut privée des soins des laboureurs, et tout ce qui échappait à leurs ravages était détruit par la maladie, encore que les hommes, eux, pussent la supporter.
[3] Exode, VIII, 12.
[4] Ce détail se trouve dans Ex., X, 11.
4.[5] Mais comme cela même ne fit pas céder Pharaôthès à la volonté divine, et que, tout en permettant que les femmes s'en allassent avec leurs maris, il voulut que les enfants lui fussent abandonnés, Dieu ne fut pas en peine de l'éprouver et de le poursuivre par des punitions plus variées et plus terribles que celles qu'il avait subies jusque-là ; leurs corps furent frappés d'horribles ulcères, les organes internes se décomposaient et la plupart des Égyptiens périrent ainsi[6]. Mais comme celle plaie elle-même n'assagissait pas le roi, une grêle, inconnue jusque-là au climat égyptien et qui ne ressemblait pas aux pluies d'hiver qui tombent ailleurs, une grêle plus considérable encore que celles des régions tournées vers le septentrion et l'Ourse s'abattit, au cœur du printemps, et brisa tous les fruits. Ensuite[7] une légion de sauterelles acheva de dévorer ce qui avait été laissé intact par la grêle, de façon à ruiner à la lettre toutes les espérances que pouvaient avoir les Égyptiens sur la récolte de leur pays.
[5] Exode, IX, 8.
[6] Josèphe omet de parler d'une des dix plaies, la peste (Ex., IX, 18). Ce qui suit correspond à Ex., IX, 8.
[7] Exode, X, 1.
5. Il eût suffi de tous ces malheurs pour ramener à la raison et à l'intelligence de ses intérêts un insensé dénué de méchanceté, mais Pharaôthès, moins insensé que scélérat — car sachant le motif de tout cela, il ne s'en posait pas moins en rival de Dieu et trahissait de gaîté de cœur le bon parti — ordonne bien à Moïse d'emmener les Hébreux, y compris les femmes et les enfants, mais il veut qu'ils laissent leur butin[8] aux Égyptiens dont les biens étaient détruits. Moïse déclare qu'il ne trouve pas cette prétention légitime, car il leur fallait offrir à Dieu des sacrifices[9] avec ce butin, et tandis que les choses traînent là-dessus, une nuit profonde, dénuée de toute clarté, se répand sur les Égyptiens ; l'épaisseur en est telle qu'ils en ont les yeux aveuglés et les voies respiratoires obstruées ; ils périssent d'une mort lamentable et chacun craint d'être étouffé par ces nuées. Elles se dissipent après trois jours et autant de nuits, et comme Pharaôthès ne changeait pas d'avis, relativement au départ des Hébreux, Moïse s'avance et lui dit : « Jusqu'à quand vas-tu résister à la volonté de Dieu ? Il te commande de laisser aller les Hébreux ; vous ne pourrez être délivrés de vos maux qu'en agissant ainsi ». Le roi, furieux de ce langage, menace de lui faire trancher la tête s'il revient encore le troubler à ce propos. Moïse répond qu'il cessera, quant à lui, d’en parler et que c'est le roi lui-même, avec les premiers des Égyptiens, qui priera les Hébreux de s'en aller. Cela dit, il se retire.
[8] A savoir leur bétail (Ex., X, 24).
[9] Exode, X, 25.
6. Dieu montra encore par une plaie qu'il obligerait les Égyptiens à libérer les Hébreux. Il ordonne à Moïse d'avertir le peuple de tenir prêt un sacrifice dès le dix[10] du mois de Xanthicos pour le quatorzième jour (ce mois s'appelle Pharmouthi chez les Égyptiens, Nisan chez les hébreux ; les Macédoniens l'appellent Xanthicos) et d'emmener les Hébreux munis de tous leurs biens. Moïse, tenant les Hébreux prêts au départ, les range en phratries et les réunit tous ensemble ; quand se lève le quatorzième jour, tout le monde est en état de partir ; ils sacrifient ; avec le sang, ils purifient les maisons en y joignant des touffes d'hysope et, après le repas, ils brûlent le reste des viandes, en gens qui sont sur leur départ. De là vient qu'encore aujourd'hui nous avons coutume de faire ainsi ce sacrifice ; nous appelons la fête Pascha[11], ce qui veut dire passage par-dessus, car, ce jour-là, Dieu passa par-dessus les Hébreux et accabla les Égyptiens de la maladie. La mort sévit sur les premiers-nés des Égyptiens durant cette nuit-là, de sorte que beaucoup de ceux qui habitaient autour du palais du roi vinrent conseiller à Pharaôthès de laisser partir les Hébreux. Celui-ci, ayant mandé Moïse, lui ordonne de partir, pensant que, s'ils quittaient le pays, l'Égypte cesserait de souffrir ; ils gratifient même les Hébreux de présents, les uns, par impatience de les voir partir, les autres, à cause des relations de voisinage qu'ils avaient entretenues avec eux[12].
[10] Exode, XII, 3.
[11] Même transcription que dans les LXX du mot Péçah.
[12] L’expression assez obscure de l'Écriture (Ex., XII, 36) « ils leur prêtèrent » a donné lieu dans l'exégèse agadique à diverses interprétations. Dans la Mechilta (14 b), R. Natan (Tanna du IIIe siècle) explique que les Égyptiens donnèrent beaucoup d'objets aux Israélites, sans en avoir été priés. Dans Berachot, 9 b, R. Ammi (Amora palestinien du commencement du IVe siècle ap. J.-C.) déduit du verset que les Égyptiens ont été contraints de se dépouiller.