Cette crainte nous élève donc vers le repentir et vers l’espérance. L’espérance est l’attente d’un bien ou le bon espoir d’entrer en possession d’un bien absent. On passe par des épreuves pour arriver au bon espoir qui semble nous conduire par la main vers la charité. La charité est l’observance de ce qui est selon la raison, la vie et les usages, ou, en un mot, la doctrine sociale de la vie ; ou bien encore une amitié, une communauté d’affections, droite, sage et persévérante, entre soi et ses compagnons. Car l’étymologie du mot etairos, compagnon, est dans ces deux mots, eteros ego ; un autre moi-même ; c’est ainsi que nous appelons frères ceux qui ont été régénérés par le même Verbe. À la charité se rattache aussi l’hospitalité, espèce d’amitié qui s’exerce envers les étrangers ; or, ceux-là sont étrangers pour lesquels les choses terrestres sont étrangères ; car nous entendons par mondains ceux qui n’espèrent que dans la terre et dans les passions charnelles.
« Ne vous conformez point, dit l’apôtre, au siècle présent ; mais qu’il se fasse en vous une transformation par le renouvellement de votre esprit, afin que vous reconnaissiez quelle est la volonté de Dieu, et ce qui est bon, agréable à ses yeux, et parfait. »
L’hospitalité s’occupera donc de ce qui est utile aux étrangers ; or, ceux qui reçoivent l’hospitalité sont des hôtes ; les hôtes sont des amis, et les amis sont des frères.
« Ô frère ! ô ami, dit Homère. »
L’humanité, mère de l’affection, qui, à son tour, consiste dans un commerce d’amitié avec les hommes, et l’affection qui nous unit à ce que chérissent nos amis et nos proches, l’humanité, dis-je, et l’affection sont les compagnes inséparables de la charité. Or, si réellement l’homme qui est en nous procède de l’esprit, l’affection est une fraternité pour ceux qui participent du même esprit. L’affection est donc l’exercice persévérant de la bienveillance ou de la dilection. La dilection est une démonstration complète d’affection. Être aimé, c’est plaire aux autres par son naturel, conduit soi-même à les aimer par une influence réciproque. On arrive à s’identifier l’un à l’autre par l’unanimité, qui est la science des biens communs ; car le mot grec omognomosuné signifie littéralement l’action dépenser ensemble.
« Que votre charité, dit l’apôtre, soit sincère et sans déguisement. Ayez horreur du mal, et attachez-vous constamment au bien. Aimez-vous les uns les autres. »
Il poursuit dans les mêmes termes jusqu’à ces mots :
« Vivez en paix, si cela se peut, et autant qu’il est en vous, avec tous les hommes. »
Il ajoute :
Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien. »
Le même apôtre confesse que les Juifs ont du zèle pour Dieu, mais que leur zèle n’est point selon la science, parce que, ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir la leur propre, ils ne se sont point humiliés sous la justice de Dieu. En effet, ils n’ont ni connu ni fait la volonté de la loi ; ce qu’ils ont pensé, ils ont cru que la loi le voulait. Ainsi ils n’ont pas cru à la loi en tant que parole prophétique, ils n’ont vu en elle qu’une parole stérile. C’est par crainte, non par affection ni par foi qu’ils lui ont été fidèles ; car Jésus-Christ, dont l’avènement a été prédit par la loi, est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront. C’est pourquoi Moïse dit aux Juifs :
« Et moi je les provoquerai avec un peuple qui n’est pas le mien, et je les irriterai avec un peuple insensé, c’est-à-dire contre un peuple prêt à obéir. »
Isaïe ajoute :
« J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, et je me suis manifesté à ceux qui ne demandaient point à me connaître ; »
c’est-à-dire avant la venue du Seigneur, après laquelle les reproches du prophète s’adressent avec raison à Israël :
« J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle âmes paroles. »
Voyez-vous comme le prophète attribue clairement la cause de la vocation des gentils à l’incrédulité et à la rébellion du peuple de Dieu ? Ce n’est pas tout : là se manifeste aussi la bonté de Dieu ; car l’apôtre dit :
« Mais la chute des Juifs est devenue une occasion de salut aux gentils, afin que cet exemple leur inspirât une émulation salutaire, et les excitât au repentir. »
Le Pasteur, parlant de ceux qui dormaient déjà leur sommeil, reconnut que parmi les gentils et les Juifs, non-seulement avant la venue du Seigneur, mais encore avant la loi ancienne, plusieurs justes avaient trouvé grâce devant Dieu, tels qu’Abel, Noé, et d’autres encore. Suivant lui,
« les apôtres et les docteurs qui avaient prêché le nom du fils de Dieu, étant morts dans sa foi, et revêtus de sa puissance, avaient prêché à ceux qui étaient morts avant eux. »
Puis il ajoute :
« Et à ces derniers ils donnèrent le sceau de la prédication. Ils sont donc descendus avec eux dans l’eau sainte, et en sont sortis de nouveau. Mais, descendus vivants, ils sont remontés vivants. Et quant à ceux qui étaient morts auparavant, à la vérité ils y sont entrés morts, mais ils en sont sortis vivants. Ainsi c’est par les apôtres qu’ils ont reçu la vie et connu le Fils de Dieu. Figurés par ces pierres, ils ont été élevés avec eux de ce lieu profond, et sont entrés dans la structure de la tour tout entiers, et sans avoir été taillés, parce qu’ils étaient morts dans une grande chasteté et une parfaite justice. Il n’y avait que ce sceau qui leur manquât. »
« En effet, dit l’apôtre, lorsque les gentils qui n’ont point de loi font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi. »
Les vertus se trouvant donc ainsi tour-à-tour subordonnées les unes aux autres, est-il besoin de dire ce que nous avons déjà prouvé, que la foi espère par le repentir, et la piété par la foi; et que la persévérance et l’exercice de ces vertus viennent avec la discipline aboutir ensemble dans la charité, qui elle-même se perfectionne par la connaissance. Or, il faut nécessairement se souvenir qu’à Dieu seul appartient la sagesse par nature ; en conséquence, la sagesse, la vertu de Dieu qui a enseigné la vérité, se trouve aussi être la perfection de la connaissance. Le philosophe aime et chérit la vérité ; de serviteur fidèle, l’amour le transforme en ami.
« Le commencement de la vérité est l’admiration »,
dit Platon dans le Théétète. Et Mathias, en nous disant dans ses traditions
« Admirez ce qui est devant vous, »
établit que l’admiration est le premier degré pour atteindre ensuite à la connaissance; c’est pourquoi il est écrit pareillement dans l’Évangile selon les Hébreux :
« Celui qui aura admiré régnera, et celui qui aura régné se reposera. »
Impossible donc que celui qui ne sait pas s’applique à la philosophie, tant que durera son ignorance, non plus que celui qui n’a reçu aucune notion de la sagesse, puisque la philosophie est le désir de ce qui est réellement, et des études qui ont la vérité pour objet. Quand même on serait exercé au bien par une pratique habituelle, il faudrait encore travailler à en acquérir la science et l’application. Ainsi l’on s’assimile à Dieu, j’entends à Dieu notre Sauveur, eu servant le Dieu de toutes choses par l’intermédiaire de son grand-pontife, le Verbe, par qui on distingue ce qui est juste et honnête selon la vérité ; car la piété est la pratique des désirs qui nous attachent au service de Dieu.