Rôle du Réveil dans l’apparition successive des diverses Sociétés. — Quelques-uns des fondateurs des Sociétés nouvelles. — Le marquis de Jaucourt. — L’amiral Ver-Huell. — Philippe-Albert Stapfer. — Le baron Auguste de Staël. — Le révérend Mark Wilks. — les Sociétés d’évangélisation. — Sociétés bibliques. — Société des missions. — Société des traites religieux. — Société évangélique de France. — Société centrale, etc. — L’Alliance évangélique. — Les Sociétés d’instruction. — Société pour l’encouragement de l’instruction primaire. — Société des écoles du dimanche. — Société des livres religieux, de Toulouse. — Les Sociétés charitables.
[Nous n’étudierons, dans ce dernier chapitre, que les œuvres françaises. Le Réveil de Genève a provoqué aussi, soit dans l’Église nationale, soit dans les Églises séparées, beaucoup d’œuvres chrétiennes : nous avons eu d’ailleurs l’occasion, dans la première partie de ce travail, de nommer quelques-unes d’entre elles.]
Avant d’examiner rapidement ces résultats du Réveil, nous devons faire une remarque. Au milieu de la multitude des Sociétés qui se sont organisées dans notre protestantisme français depuis le commencement du siècle, et dont le nombre s’élevait en 1864 à plus de 220, et en 1884, malgré la perte de l’Alsace-Lorraine, à plus de 400, quelles sont les œuvres nées sous l’influence directe du Réveil ? Il ne faut pas oublier, en effet, que le Réveil s’est accompli au moment où la situation matérielle des protestants français s’améliorait sensiblement. Aux siècles de persécutions et de luttes succédait une ère de paix ; partout les temples se rouvrent, des églises nouvelles se fondent, le nombre des pasteurs s’accroît : on n’a qu’à parcourir les trente premières années des Archives du Christianisme pour suivre les étapes de ce développement. Si parfois les luttes avec le catholicisme et le pouvoir civil paraissent se ranimer, c’est qu’elles sont, la plupart du temps, provoquées par des tentatives d’évangélisation en pays catholiques, ou par des actes isolés d’intolérance. En tous cas, nous sommes loin de la persécution systématique des jours d’autrefois, et à mesure que les années s’écoulent, nous voyons passer dans les mœurs et enfin dans la loi la reconnaissance de l’égalité absolue de tous les cultes.
Il y a donc eu, pour notre Église, dans la première moitié de ce siècle, un progrès matériel et un progrès spirituel. Sous leur double action sont nées les œuvres dont le protestantisme français s’honore à juste titre. Que plusieurs d’entre elles se fussent fondées, même si le souffle du Réveil n’était point passé sur nous, c’est incontestable. La preuve eu est, que nombre de pasteurs ou de laïques, qui ont pris à leur création ou à leur direction une part active, se sont tenus éloignés du Réveil, n’en ont adopté ni les doctrines, ni les méthodes.
Cependant on peut dire qu’ils ont subi indirectement l’influence de ce mouvement, et, pour les œuvres comme pour le culte, la vérité nous paraît être dans le jugement de Samuel Vincent, rapporté plus haut.
Ces réserves faites, jetons un coup d’œil sur cette activité chrétienne, en rappelant d’abord le souvenir de quelques hommes qui ont contribué à la fondation de presque toutes ces œuvres.
[Evidemment, nous ne pouvons parler de tous les fondateurs de toutes les œuvres. Nous voudrions simplement évoquer le souvenir de quelques personnalités qui se sont rencontrées à Paris à peu près dans tous les comités de 1815 à 1850.]
Nous ne reviendrons pas sur les pasteurs, tant réformés que luthériens, dont nous avons parlé ailleurs : à côté d’eux était un groupe de laïques dont le dévouement secondait et encourageait leurs efforts.
C’était d’abord le marquis de Jaucourt, le descendant de Duplessis-Mornay. Nous n’avons pas à retracer ici sa carrière politique : qu’il nous suffise de dire qu’il se montra le fervent défenseur du protestantisme auprès de tous les gouvernements. Chargé, en 1802, avec Lucien Bonaparte, de soutenir devant le Corps législatif la partie du Concordat afférente aux Églises protestantes, il constatait l’accroissement en France de la population protestante, résultat des dernières conquêtes, et s’écriait avec une légitime émotion : « La loi que vous allez rendre retentira dans toute l’Europe. Les descendants des réfugiés français portent encore des cœurs français. Ils rentreront dans cette patrie que l’on ne peut jamais oublier, et le dix-neuvième siècle acquittera les torts de Louis XIV !
Sénateur l’année suivante, il se consacra au rétablissement de l’Église Réformée, à l’organisation du consistoire de Paris, dont il fut un des premiers membres, aux intérêts généraux de ses coreligionnaires : dans toutes les circonstances difficiles, leurs réclamations étaient apportées à l’Empereur par celui que Napoléon regardait comme le représentant du protestantisme français. »
Plus tard, il travailla à apaiser les crises religieuses qui signalèrent les débuts de la Restauration : ce fut sur ses instances réitérées que les temples de Nîmes se rouvrirent après une clôture de six mois ; il s’occupa, avec Boissy d’Anglas, de l’affaire dite « des tentures, » et parvint, non sans peine, à faire insérer dans la loi sur le recrutement de l’armée une exemption pour les candidats au saint ministère.
« S’il appartenait par sa naissance à ce passé que rappelait la rare distinction de ses manières, il ne s’associait pas moins aux progrès du présent et devançait les lumières de l’avenir. A l’âge où tant d’autres pensent avoir droit au repos, il retrouvait l’ardeur de sa jeunesse pour jeter les semences d’œuvres bienfaisantes dont il n’espérait pas contempler les fruits : Dieu lui permit cependant de les voir s’affermir et se développer. »
Il fut président de la Société Biblique et de la Société pour l’encouragement de l’instruction primaire, qu’il fit reconnaître d’utilité publique. Ce fut encore lui qui détermina l’illustre Cuvier à se charger de la direction des cultes protestantsa.
a – Voir : Douen et de Schickler, Histoire de la Société biblique protestante de Paris. Paris, 1868, p. 369 et suiv.
A côté du marquis de Jaucourt siégeait, dans ces deux comités, l’amiral Ver-Huell, marin intrépide, que sa carrière militaire et politique couvrit de gloire sous le premier Empire et la Restauration. Quand la paix lui permit de se livrer tout entier à son amour pour l’Évangile, aucun comité d’évangélisation ou de bienfaisance ne le trouva indifférent. « Il en suivait assidûment les travaux, en augmentait les ressources par ses inépuisables libéralités, et s’intéressait à toutes les améliorations, quand il ne les avait pas provoquées lui-mêmeb. » C’était surtout la Société des Missions, dont il était le président, qu’il entourait d’une sollicitude toute particulière. « Il aimait comme ses enfants les élèves de la Maison des Missions, et les suivait d’un regard paternel dans leur lointain et périlleux apostolat. »
b – Ibid., p. 385.
L’anniversaire des assemblées générales était un jour de fête pour lui : « Quelle joie pure et simple brillait dans ses yeux, dit un écrivain qui l’a bien connu, lorsque les députés des sociétés auxiliaires ou quelques amis des missions assuraient le Comité de leur sympathie pour l’œuvre, et lui adressaient des félicitations chrétiennes ! Combien était vrai et profondément senti le discours qu’il avait coutume de prononcer à l’ouverture de la séance ! Dix-huit fois, en vingt-trois ans, il a occupé le fauteuil à l’assemblée générale, et chaque fois il a lu dans cette circonstance un discours qui portait l’empreinte de son cœur pieux et de son âme énergique… » Le trait distinctif de son caractère était la bonté : « La bonté était chez lui dans les sentiments, dans le caractère, dans la vie tout entière ; elle faisait partie de lui ; elle était lui : bonté simple, franche, affectueuse, cordiale ; bonté inépuisable dans sa source et dans ses effets ; bonté désintéressée dans son principe et persévérante dans ses fruits ; bonté qui ne savait pas soupçonner le mal, et qui ne le voyait ni dans les hommes ni dans les chosesc. » Ses enfants adoptifs, les élèves de la Maison des Missions, le savaient bien, et l’un d’eux, revoyant par la pensée les membres de l’ancien comité, a écrit : « A leur tête était ce superbe vieillard, l’amiral Ver-Huell, qui nous aurait bien intimidés s’il n’eût été si bond. »
c – De Felice, Hist. des protestants, p. 667, 668.
d – Pédézert, Souvenirs et Etudes, p. 4. Voir aussi l’article nécrologique des Archives du christianisme sur l’amiral Ver-Huell, 8 novembre 1845.
Après les soldats, les diplomates. Philippe-Albert Stapfer, à la fois homme politique et théologien, est une des figures les plus sympathiques de ce commencement du siècle. Né à Berne en 1766, la vocation pastorale l’attira d’abord : il fit ses études théologiques à Berne et à Gœttingue, fut consacré en 1789, mais ne remplit point de fonctions pastorales. En 1792, il fut nommé professeur d’humanités, puis de philosophie à l’Institut politique de Berne, enfin il réunit à ces fonctions celles de professeur de théologie à l’Académie. « Il était en même temps membre des conseils chargés de la direction des écoles et des affaires ecclésiastiques. Il avait dû sa renommée naissante à deux cours écrits, l’un sur la résurrection de Christ et l’immortalité de l’âme, l’autre consacré à l’éloge de Socrate. Il prononça, à la séance d’inauguration de l’Institut politique de Berne, un admirable discours qui mit le sceau à sa réputation. En 1797 parut son livre de la République morale, où il examine comment l’humanité pourrait être délivrée de deux maux, la guerre et le mauvais exemple mutuel. Ce fut cette même année qu’il prêcha dans la cathédrale de Berne le seul sermon qu’il ait jamais composé, sur la divinité de Jésus-Christ déduite de son caractère… La révolution suisse le porta au pouvoir. Il fut nommé ministre de l’instruction publique et des cultes de la république helvétique. Un des meilleurs actes de son administration fut l’appui qu’il donna à Pestalozzi. C’est grâce à Stapfer que cet homme éminent put essayer sa méthode d’éducation et en répandre les bienfaitse. »
e – Encyclopédie des sciences religieuses, art. Stapfer.
En 1800, le gouvernement helvétique le désigna pour des fonctions plus hautes encore, et l’envoya à Paris pour le représenter auprès du premier Consul. D’abord simple chargé d’affaires de la légation suisse, il fut nommé bientôt ministre plénipotentiaire : dans cette nouvelle situation, il défendit avec vigueur son pays et s’opposa aux entreprises de Bonaparte qui voulait enlever le Valais à la Suisse ; quand, en 1803, celui-ci se constitua médiateur de la Confédération suisse, Stapfer donna sa démission et rentra dans la vie privée. « Il se fixa alors à Paris qu’il ne devait plus quitter. Il refusa toutes les fonctions publiques qui lui furent proposées dans la suite et, entre autres, une chaire de professeur à la Faculté de Montauban. Dans son salon de Paris se rencontraient chaque semaine des hommes comme Ampère, Humboldt, Suard, Maine de Biran, Benjamin Constant, et plus tard Cousin et Guizot. » Il était particulièrement lié avec Maine de Biran, et exerça sur lui et sur le développement de ses idées une réelle influence.
A sa science si vaste et si profonde se joignait une foi enfantine. Quand le Réveil se manifesta, il l’accueillit avec joie ; il s’associa aux œuvres qui se fondèrent alors, à la Société de la morale chrétienne qui a disparu depuis, et qui, sans caractère confessionnel (protestants et catholiques se rencontraient dans ses comités), poursuivait, comme son nom l’indique, la réalisation de la morale de l’Évangilef, — à la Société Biblique, à la Société des Missions, à celle des Traités religieux. « Les discours qu’il prononçait chaque année aux assemblées générales de ces Sociétés étaient des morceaux d’apologétique chrétienne longuement et savamment préparés, des études de philosophie religieuse destinées à survivre aux réunions en vue desquelles elles avaient été composées et qui, en effet, ont été conservées. Vinet, qui était bon juge en ces matières, cite telle partie de ses discours comme « les plus belles pages que le sentiment religieux ait inspirées aux écrivains de notre langueg. »
f – Voir, sur cette Société, Luginbühl, Stapfer, p. 337 et suiv.
g – Encyclopédie des sciences religieuses, même article.
Collaborateur des Archives du Christianisme et du Semeur, il prit une grande part à la lutte provoquée par la question des confessions de foi. Jusqu’à la fin de sa vie, il voulut se tenir au courant des questions de théologie et de philosophie qui agitaient les esprits en Allemagne et en France, eut des relations suivies avec Guillaume de Félice et Vinet, fit connaître au public français, par des analyses critiques, les meilleures productions théologiques d’outre Rhin, et laissa après lui le souvenir de la science la plus étendue jointe à la foi la plus humble : « Priez pour moi, cher ami, disait-il à son fils aîné, quelques jours avant de mourir ; je suis condamné devant le tribunal de Dieu, à cause de mes péchés, mais je suis sauvé par le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J’ai examiné tous les systèmes, et je n’ai trouvé que des citernes crevassées. » Il mourut le 27 mars 1840.
[V. Luginbühl, Philippe-Albert Stapfer, Paris, 1888 ; voir aussi la lettre d’Adolphe Monod à Vinet qui se termine par ces mots : « L’une des joies que j’espère dans le royaume du Seigneur, s’il me fait la grâce d’y parvenir, c’est d’y retrouver mon ami, mon frère, mon second père, Philippe-Albert Stapfer » (Lettres, p. 276 et suiv.).]
En pensant à Stapfer, on ne peut que penser aussi à son ami, le baron Auguste de Staël, le petit-fils de Necker, le fils de l’auteur de Corinne, le frère de la duchesse de Broglie. Né à Coppet, en 1790, il fut l’élève de Cellérier, et « nous ne doutons pas, dit son biographe, que M. de Staël n’ait dû une grande partie des idées justes sur la religion et des excellents sentiments qu’il manifesta de si bonne heure à ses rapports et à son intimité avec ce ministre aussi fidèle qu’éclairé. Ce que nous pouvons affirmer, c’est que l’élève garda le plus vif et le plus tendre souvenir de ses entretiens avec son maîtreh. » Après avoir traversé quelques années d’orageuses péripéties, exilé avec sa mère à Coppet, il revint en France en 1817, et entra aussitôt dans toutes les Sociétés qui se fondèrent alors, la Société biblique, la Société des Missions, la Société d’encouragement de l’instruction primaire, la Société de la morale chrétienne, la Société des Traités.
h – Arch. du christ., 1828, p. 241 et s. Voir une autre notice sur la vie de M. de Staël, en tête de ses œuvres diverses publiées en 1829. Voir aussi de Félice, Histoire des protestants, p. 640 et suiv.
« Dans un voyage qu’il fit en Angleterre, au printemps de 1822, il visita Wilberforce et d’autres chrétiens éminents, dont la parole et les exemples fortifièrent ses sentiments de piétéi. » Quelques années après, faisant, dans le midi de la France, un voyage pour stimuler le zèle des Églises en faveur des œuvres naissantes, il s’arrêta à Nantes, afin d’effectuer une enquête impartiale sur la traite des noirs. « Il y visita les bâtiments destinés à ce hideux trafic, recueillit les noms des armateurs, se procura des chaînes, barres, colliers, menottes qui servaient aux négriers. Pénétré d’une profonde horreur, il rapporta ces preuves palpables de la plus révoltante cruauté, les mit sous les yeux des princes, les fit présenter à la Chambre des pairs, les étala dans les assemblées de la Société de la morale chrétienne, et ne prit de repos qu’après avoir fait partager à l’opinion publique sa généreuse indignationj. »
i – De Félice, p. 641.
j – Douen. Hist. de la Société biblique, p. 405.
Quand le gouvernement du canton de Vaud persécuta les hommes du Réveil, il se fit leur défenseur et publia dans les Archives plusieurs articles où il réclamait vigoureusement la liberté religieuse.
Il aurait pu rendre à notre Église d’inappréciables services, si la mort n’était pas venu le frapper prématurément, le 17 novembre 1827.
Un de ses plus dévoués collaborateurs dans sa lutte contre l’esclavage avait été le révérend anglais Mark Wilks, dont nous avons déjà parlé, mais sur lequel on ne peut s’empêcher de revenir quand il s’agit des œuvres du Réveil. « On pouvait dire de lui, écrivait M. Juillerat, qu’il eût été capable de gouverner un empire, tant son caractère était fort et son esprit actif et entreprenant. Il m’apportait des secours de toute sorte : il fallait de l’argent, il en avait ; il fallait des brochures, des livres, nul n’en était mieux pourvu et ne s’entendait mieux aux choses qui se lient à l’impression et à la publication des journauxk. » Membre de la Société biblique, il provoquait à Paris la création d’associations bibliques particulières et s’occupait de l’extension de l’œuvre dans les départements ; en 1831, il faisait un don de 500 francs, destiné à pourvoir de Bibles toutes les familles protestantes de la Drôme, et, à la vue des difficultés sans nombre qu’entraînait cette recherche de nos coreligionnaires, il n’hésitait pas à les visiter et à s’enquérir lui-même de leurs besoins.
k – Guizot, Méditations sur l’état actuel de la religion chrétienne. Le réveil chrétien, p. 136-137.
Le Comité des Missions, celui des Traités religieux, la Société de la morale chrétienne, le comptaient aussi parmi leurs membres, et partout il déployait une même activité et un même dévouement.
Et à côté de tous ces chrétiens, que d’autres qui se sont associés à leurs travaux et qui ont un droit égal à la reconnaissance de notre Église : M. Guizot, qui est assez connu pour qu’il soit inutile de parler de lui ici ; les Delessert, dont le nom reste lié à la fondation des caisses d’épargne et des Sociétés de secours mutuels ; Victor de Pressensé, « un homme d’affaires qui était aussi un homme de Dieul ; » le comte Delaborde, MM. de Gasparin, Lutteroth, de Valcourt, Waddington, le docteur Lamouroux, les frères Hollard, tous les soutiens de l’Église Taitbout, et tant d’autres, dévoués à la cause de l’Évangile, « prouvant leur foi par leurs œuvres, » et maintenant recueillis là-haut, au sein de cette nuée de témoins qui, suivant la parole biblique, environne l’Église de Jésus-Christ !
l – Pédézert, Souvenirs et Etudes, p. 4.
Il nous reste à présent à examiner rapidement les diverses formes de l’activité chrétienne qu’ils ont déployée.
D’abord les Sociétés d’évangélisation. — Sous ce titre nous comprenons toutes les Sociétés qui ont contribué à répandre la connaissance de l’Évangile, Sociétés bibliques, Société des traités religieux, Société des missions, Sociétés d’évangélisation proprement dites, et l’institution qui en est comme le centre, l’Alliance évangélique.
La première en date est la Société biblique de Paris, fondée en 1818. Jusqu’à cette époque, nos Églises étaient obligées de demander les exemplaires des saintes Écritures à des Sociétés étrangères. En 1792 avait été fondée à Londres la Société biblique française « établie, disait son prospectus, dans le but de répandre la connaissance du pur christianisme en France, par la distribution des saintes Écritures en langue française. » Elle était en correspondance « avec quelques personnes à Paris (notamment le pasteur Marron), qui approuvaient ce projet, et avaient exprimé l’intention de former dans cette ville une Société pareille. » Mais lors des guerres de la Révolution toutes les communications se trouvèrent interrompues entre la France et l’Angleterre ; puis, quand en 1801 elles furent rétablies, divers embarras survinrent, la Société, découragée par de nombreuses difficultés, renonça à sou dessein, et peu après prit la résolution de se dissoudre.
En 1802, la Société des missions de Londres reprit le projet de faire circuler la Bible en France et rassembla un certain nombre de Bibles françaises dont la distribution fut confiée à un comité, sous la surveillance du consistoire de l’Église réformée de Paris ; les hostilités entre la France et l’Angleterre entravèrent encore ces généreuses tentatives. En 1805 parut à Paris, avec le nom de Stone, la Bible in-12 d’Ostervald, la plus remarquable et la plus fidèle de toutes les réimpressions du texte. Il est possible que ce soit à la Société des missions de Londres que revienne encore l’honneur de cette publication : toujours est-il que cette Société devint propriétaire des cinq mille exemplaires de l’édition, dont le plus grand nombre fut répandu en France sous le couvert de la Société biblique de Bâle (fondée en 1804), afin de ne pas exciter les soupçons qu’aurait fait peser sur les protestants la moindre relation avouée avec l’Angleterre.
En 1804 s’était fondée la Société biblique, britannique et étrangère, qui fut dès l’origine en rapport avec Oberlin ; ce fut à Waldbach que s’organisa la première Société biblique française ; c’était un petit comité composé d’Oberlin, de son fils Henri et de M. Daniel Legrand : il devint bientôt le principal centre de la distribution des saintes Écritures en France, et, comme nous l’avons dit ailleurs, il avait mis en circulation plus de dix mille Bibles et Nouveaux Testaments avant que la Société biblique de Paris fût fondée.
Peu à peu des associations semblables à celles de Londres s’établirent à Berlin, à Stockholm, etc., et notamment à Bâle. « Grâce aux subsides et aux sollicitations de la Société de Londres, la Société bâloise ne tarda pas à s’occuper de fournir un aliment aux besoins religieux des protestants de notre pays… Elle envoya, en 1808 et 1809, trois mille exemplaires du Nouveau Testament dans nos départements du midi pour y être vendus à bas prix ou donnés gratuitement. Les pasteurs les reçurent avec une vive reconnaissance. Pendant les années suivantes, les envois se multiplièrent, tant ceux de la Société de Bâle que ceux de la Société de Londres ; plusieurs pasteurs entrèrent en relations avec ces Sociétés, Soulier, ancien pasteur, résidant à Paris, Rabaut, Larchevêque, pasteur à Walincourt, Colany, de Lemé, Peyran, de Sedan, Vergé, de Saverdun, Gachon, Lissignol, Chabrand, Ami Bost, Encontre, Bonnard, etc., et peu à peu la Bible se répandit parmi nos coreligionnaires que les anciennes persécutions en avaient si douloureusement dépouillés.
En 1813, sur l’initiative d’un généreux étranger, M. Frédéric Léo, eut lieu une nouvelle distribution des saintes Écritures. Grâce à des souscriptions qu’il recueillit lui-même, il publia, chez Firmin Didot, une édition du Nouveau Testament : ce fut le premier cliché qui servit en France à l’impression de la Bible. Il fut renouvelé en 1836, et ces deux clichés ont fourni au protestantisme français un très grand nombre de Nouveaux Testaments. D’ailleurs les fonds souscrits pour cette œuvre ont été administrés par une commission spéciale et c’est une véritable Société qui a pris en main la fondation Léo. M. Léo voulut faire pour les catholiques ce qu’il avait fait pour les protestants, et, toujours grâce à des souscriptions, il put éditer en 1816 le Nouveau Testament, de Sacy, dont plusieurs prélats autoriseront la distribution et la vente.
En 1816 fut fondée la Société biblique de Strasbourg ; en 1817, celle de Mulhouse ; en 1817 aussi, celle de Toulouse et Montauban : on sait que celle-ci s’occupait de la réimpression de la Bible de Martin, avec le concours de la Société de Londres.
Enfin, en 1818, nous assistons à la fondation de la Société Biblique protestante de Paris.
Il n’entre pas dans notre plan d’en retracer l’histoire : rappelons simplement que deux schismes ont éclaté dans le sein de son comité. Le premier, en 1833, fut provoqué par un dissentiment au sujet des livres apocryphes que la Société de Londres (qui aidait pécuniairement la Société de Paris) demandait de supprimer. La majorité de la Société de Paris refusa ; la minorité se sépara alors du comité et fonda la Société biblique française et étrangère de Paris qui, en 1865, fusionna avec la Société biblique de France. En 1863 fut discutée la question des diverses versions de la Bible ; la minorité du comité, ne pouvant accepter que toutes les traductions de la Bible indistinctement fussent distribuées, se sépara et fonda la Société biblique de France. La Société de Londres a appuyé les deux Sociétés nouvelles établies à la suite de ces schismes.
Ajoutons que de nombreuses Sociétés auxiliaires se sont constituées dans les villes des départements pour seconder et faciliter l’œuvre des Sociétés parisiennesm.
m – Voir, pour tous ces détails, Douen, Histoire de la Société biblique de Paris.
Comme la Société biblique de Paris, la Société des missions naquit au commencement du siècle : déjà, en 1786, s’était fondée la Société des Missions méthodistes d’Angleterre ; en 1792, celle des chrétiens baptistes ; en 1795, celle des Missions de Londres ; en 1796, celle de l’Église établie d’Écosse ; en 1797, celle des Missions néerlandaises ; en 1797, celle de l’Église épiscopale d’Angleterre ; en 1814, celle des Missions baptistes des États-Unis ; en 1816, celle de Bâle ; en 1817, celle de l’Église presbytérienne d’Amérique ; en 1819, celle de l’Église méthodiste du même pays. Au milieu de ce merveilleux élan pour l’évangélisation des peuples païens, notre Église ne devait pas rester inactive, et dès que le calme se fut rétabli, après les orages de la Révolution et les guerres de l’Empire, le protestantisme français tint à honneur d’apporter son concours à la grande conquête du monde barbare par l’Évangile. En 1820, une petite Société des Missions se fonda à Toulouse, sous l’initiative de ces pasteurs fidèles et modestes, d’autant plus dignes d’être aujourd’hui entourés de vénération qu’ils accomplissaient alors leur œuvre dans l’obscurité et le silence : « Le pasteur Chabrand, toujours plein du désir de voir toutes les âmes soumises au joug du Seigneur, se plaisait à entretenir fréquemment les fidèles de l’état déplorable des païens et du devoir imposé à chaque chrétien de leur envoyer des missionnaires évangéliques. Tandis que ce bon ouvrier plantait et arrosait, il plut au Seigneur de donner l’accroissement. Plusieurs sentirent la haute importance des Missions, et délièrent leurs bourses. Le produit des collectes fut immédiatement envoyé à l’Institut des Missions de Bâle. » « Telle était la disposition des chrétiens évangéliques de Toulouse, dit le rapporteur de cette œuvre, lorsque nous reçûmes de Paris une circulaire en date du 2 décembre 1822, qui nous annonçait l’organisation, dans cette capitale, d’une Société des Missions chez les peuples non chrétiens. Nos âmes reconnaissantes s’élevèrent en actions de grâces vers « Celui qui donne le vouloir et le faire selon son bon plaisir. » Nous sentîmes qu’il était de notre devoir de nous affilier à la Société de Paris. »
Les Églises de Besançon, Montpellier, Nîmes, Strasbourg, dans lesquelles existaient des associations analogues, suivirent immédiatement l’exemple de Toulouse, et, en 1823, la Société de Paris groupait autour d’elle douze associations auxiliaires de plus. Le comité parisien se constitua ; les adhésions des Églises devinrent de plus en plus nombreusesn ; on résolut d’abandonner le premier projet, qui avait été de fonder simplement en France une grande Société auxiliaire de celle de Bâle ; on décida qu’il fallait donner à notre Église une œuvre spéciale, et on organisa la première Maison des Missions, celle du boulevard Montparnasse, n° 41. Pour la diriger, on appela d’abord le pasteur Galland, de Genève, auquel succéda M. Grandpierre. On sait que cette Maison des Missions fut en quelque sorte le berceau du Réveil à Paris ; peu à peu l’œuvre grandit ; après les élèves étrangers, parmi lesquels Gobat, que la Société de Bâle envoya dès l’origine pour profiter des facilités que présentait Paris pour l’acquisition de certaines sciences, vinrent les élèves français ; les premiers inscrits devaient leur piété et leur vocation aux enseignements, aux exhortations et surtout aux prières du pieux pasteur Colany, de Lemé.
n – Le premier don mentionné a été envoyé à la Société à peine formée par Oberlin. On sait qu’il s’intéressait beaucoup aux missions.
Dès lors, l’œuvre fut définitivement fondée ; elle eut son organe, le Journal des missions, et la bénédiction de Dieu n’a cessé de reposer sur elle. Lors du jubilé cinquantenaire, le 23 avril 1874, le vénérable Eugène Casalis a pu intituler le coup d’œil rétrospectif qu’il jetait sur le passé : Les voies providentielles de Dieu envers la Société des missions évangéliques de Pariso.
o – Paris, 1874. Voir aussi une Notice sur la Société des missions évangéliques établie à Paris. Paris, 1839.
La sollicitude pour les païens du Lessouto ou de Taïti ne faisait pas oublier ces autres païens, bien près de nous ceux-là, qui s’appellent les chrétiens ignorants, indifférents ou incrédules.
La Société biblique, en répandant la Parole sainte, était bien qualifiée pour les amener à la source des eaux vives ; mais elle avait besoin d’un auxiliaire : il fallait propager les appels divins sous une forme plus populaire, plus moderne, s’il est permis de s’exprimer ainsi. On fonda la Société des Traités religieux. Elle venait aussi, comme la Société biblique et la Société des missions, après des Sociétés semblables établies en Angleterre ou en Suisse, et s’inspirait de leurs exemples.
Sa fondation remonte à l’année 1822. Après les traités, qui furent sa première publication, vint, en 1825, l’Almanach des bons conseils, puis l’Ami de la jeunesse. La Bibliothèque des familles, la Bibliothèque des écoles firent successivement leur apparition, et nul ne peut dire jusqu’à quel point la Société des Traités a contribué à l’avancement du règne de Dieu dans notre patrie. Un seul exemple suffira. On sait que la conversion de John Bost, et, par suite, indirectement mais réellement, la création des œuvres de Laforce, est due à la lecture d’un de ses traité, le Berger de la plaine de Salisburyp.
p – Voir La Société des traités religieux de Paris, par Arbousse-Bastide, brochure. Paris, 1883.
Pour répandre ces traités et ces Bibles, il fallait des agents, des colporteurs, des évangélistes. Aussi, en 1833, voyons-nous se fonder la Société évangélique de France.
Le 9 mars 1833 paraissait, dans les colonnes des Archives du Christianisme, une lettre en date du 28 février, signée C. S. « L’auteur invoquait l’exemple des États-Unis, de l’Angleterre, de la Suisse, où les chrétiens créaient des Sociétés d’évangélisation. Il disait les difficultés que les pasteurs éprouvaient à suffire à leur tâche, la nécessité d’apporter la bonne nouvelle du salut dans mainte localité négligée ; il montrait la liberté religieuse appelant et facilitant le travail de l’évangélisation ; il signalait les inconvénients de l’invasion des prédicateurs étrangers portés à accentuer des points de vue secondaires, par où ils semaient des divisions ; il proposait la fondation d’une association nationale dont le but serait la prédication de l’Évangile, la distribution des livres saints, des traités, l’établissement d’écoles pour former des instituteurs et des évangélistes. » Un don de cinq cents francs accompagnait la proposition : c’était la création de la caisse de la future Société. Deux mois après, la Société évangélique de France se constituaitq.
q – Voir Cinquantenaire de la Société évangélique de France. Paris, 1883.
« Plusieurs chrétiens de Paris, ayant pensé que le moment est venu de former en France une Société française pour répandre les vérités de l’Évangile, se sont réunis à cet effet en comité préparatoire ce jour, 24 avril 1833. » Telles sont les origines de la Société.
L’allusion que fait le correspondant des Archives aux influences étrangères ou aux « points secondaires » trop accentués vise les évangélistes de la Société continentale. « Un des reproches les plus constants que le Réveil avait à subir, même de la part d’esprits prévenus en sa faveur, c’était qu’il trahissait une influence étrangère et que les idées et l’argent des Anglais y jouaient un beaucoup trop grand rôler. » D’autre part, le darbysme ou d’autres théories nouvelles faisaient des adhérents parmi les ouvriers de la Société continentale ; aussi la Société évangélique de Paris s’établit-elle en opposition ouverte avec la Société de Londres ; malgré les efforts de Pyt, alors agent de la Société continentale, une conciliation ne put avoir lieu, et la Société continentale finit par remettre toutes ses stations entre les mains de la Société française.
r – De Goltz, op. cit., p. 235.
La Société évangélique de Genève, fondée à peu près sous l’influence des mêmes circonstances, transmit à la nouvelle Société le témoignage de sa fraternelle sympathie : « Nous vous tendons la main d’association… Nous comptons sur vous comme vous pouvez compter sur nous. » Des félicitations semblables furent envoyées des Îles de la Manche, de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et de l’Amérique. « En France, des hauts plateaux de l’Ardèche jusqu’aux forêts de la Bretagne, de la plaine du Rhin jusqu’aux collines du Midi, ce fut un concert de vœux et de demandes d’évangélistess. »
s – Cinquantenaire, etc., p. 11.
Des sociétés auxiliaires se fondèrent à Toulouse, à Saverdun, à Orthez, etc., et l’œuvre se développa rapidement. Les difficultés ne lui manquèrent pas. C’est surtout la Société évangélique qui a eu à lutter contre le mauvais vouloir et l’intolérance des autorités ; quand elle s’est tournée vers les populations catholiques, elle s’est heurtée à tous les obstacles que le cléricalisme a pu dresser sur son chemin. Mais aussi elle s’assurait le concours de controversistes de première force : Napoléon Roussel, à Ville-favard, à Balledent, etc. ; Léon Pilatte, à Limoges ; Puaux, à Angers. « A Angoulême, à Mansle et ailleurs dans la Saintonge, les auditeurs d’un ancien et digne prêtre, M. Trivier, se comptaient par milliers. Sens, où la sainte Cène n’avait plus été distribuée depuis 1561, s’ébranlait sous l’aiguillon de ce puissant missionnaire : Bertholet-Bridelt. »
t – Voir, sur Bertholet-Bridel, Revue chrétienne, 1865, p. 557.
Lorsque la Société évangélique termina, en 1858, les vingt-cinq premières années de son existence, elle n’avait établi aucun poste dans une localité où se trouvait une autre Église. Les postes d’Angers, de Cherbourg, de Saumur, de Senneville, de Siouville, de Saint-Jean-d’Angély, de Tours, de Troyes s’étaient rattachés à des consistoires. Elle avait fourni des ministres de l’Évangile, des instituteurs et des évangélistes à vingt paroisses. Son activité avait stimulé l’Église réformée où se créa, en 1846, la Société centrale protestante d’évangélisation, à qui la Société évangélique céda les sept postes d’Angoulême, de Blois, de Dunkerque, de Mansle, de Rennes, de Saint-Lô et de Tarbes. En dehors du protestantisme officiel, elle avait fondé les églises de Breuillac, de Boulogne-sur-Mer, de Gaubert, de Limoges, de Thiat, du Riou, de Nancy, de Pau ; celles du faubourg du Temple et du faubourg Saint-Antoine à Paris ; celles de Saint-Etienne et de Saint-Denis. Elle avait travaillé dans cinquante-huit départements (y compris la Corse) et en Algérie ; compté 331 collaborateurs (72 pasteurs, 81 évangélistes, 178 instituteurs et institutrices) ; reçu 3 150 415 francs. L’École normale, qui allait, il est vrai, se fermer à cause de la persécution, avait compté 168 élèves, dont 28 seulement n’avaient pas obtenu leur diplôme. Il avait été pourvu aux frais des études théologiques de dix jeunes gens.
Une école d’évangélistes avait été fondée, mais les événements politiques de 1848 avaient amené sa fermetureu.
u – Voir Delapierre, Napoléon Roussel, p. 207 et suiv.
En 1846 s’était, en effet, établie à Paris la Société centrale protestante d’évangélisation qui doit son origine à la fusion de plusieurs Sociétés locales d’évangélisation, telles que celle de Bordeaux, établie en 1835 ; la Société chrétienne protestante de France, qui exerça son action d’abord dans les départements de la Dordogne et de la Charente, au moyen de colporteurs et par la fondation d’écoles primaires, et qui étendit cette action à Angoulême, Mussidan, Monpont, Amiens, Lille et Poitiers ; la Société chrétienne du Nord, fondée en 1843, à Lille, en qualité d’auxiliaire de la précédente, et qui évangélisa le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l’Aisne ; la Société chrétienne protestante du Centre ; la Société chrétienne protestante de Normandie.
Seule la Société de Bordeaux ne voulut pas fusionner avec les autres, à cause de quelques divergences de vue sur certains points d’organisation.
La Société se divisa en quatre sections : celle de Paris, celle de Normandie, celle du Centre et celle du Nord : cette dernière entretenait à Lille une école où des jeunes gens faisaient leurs études en vue du ministère. Elle fut transportée à Paris et est devenue l’école des Batignolles.
M. Ph. Boucher a été pendant quelque temps agent général de la Société centrale.
Telles sont les principales Sociétés d’évangélisation créées de 1815 à 1850 ; à côté d’elles se sont fondées d’autres œuvres, plus ou moins analogues, la Société genevoise de secours religieux pour les protestants disséminés (1842), la Société pour les protestants disséminés du Midi, établie à Nîmes en 1836 ; la Société des protestants disséminés des départements de l’Est (Strasbourg, 1842), beaucoup d’œuvres fondées à Strasbourg, notamment celle des Amis d’Israël (1835) destinée à évangéliser les Juifs, et qui est une auxiliaire de la Société de Londres établie dans ce but ; l’œuvre d’évangélisation de l’Église libre de Lyon ; l’œuvre protestante des prisons de femmes, fondée à la suite du voyage en France, en 1839, d’Elisabeth Fry ; la Société du Sou protestant (1846), etc.v.
v – Pour la nomenclature complète de ces œuvres, voir Borel, Les associations protestantes religieuses et charitables de France. Paris, 1884.
Toutes ces œuvres d’évangélisation se rattachent par des liens fraternels aux œuvres semblables existant dans d’autres pays : l’Alliance évangélique groupe tous les chrétiens protestants du globe, qui s’unissent dans des conférences périodiques pour s’occuper des progrès du règne de Dieu dans le monde.
Déjà en 1844, à Lyon, il y avait des assemblées fraternelles de chrétiens appartenant à diverses Églises ; à la même époque, en Suisse, en Allemagne, en Amérique et en Angleterre diverses tentatives avaient été faites dans le même sens.
Enfin au mois d’août 1846, douze cents frères, pasteurs et laïques, venus de différentes contrées, se réunirent à Londres pour constater et affirmer la grande unité de la famille protestante au-dessus de ses diversités et de ses différences locales. La Conférence s’ouvrit le 19 août 1846 et se termina le 2 septembre. « Ce fut dans la troisième séance publique, celle du 20 août, qu’on vota avec une émouvante solennité l’article III qui fondait l’Alliance évangélique. Le président, avant de passer au vote sur cet article, invita tous les membres à se recueillir devant Dieu, par la prière. Un silence de quelques minutes plana aussitôt sur l’assemblée, et mille cœurs s’élevèrent en ardentes supplications vers le trône de grâce. Après ce moment solennel, l’assemblée reprit le cours de la délibération, et vota comme un seul homme l’article constitutif de l’Alliance. »
« A l’issue de la Conférence de 1846, à Londres, les membres de l’Alliance évangélique, appartenant à la langue française, se réunirent pour nommer un comité qu’ils chargèrent du soin d’organiser une section ou branche spéciale. Voici les noms des membres de ce comité : MM. A. Vermeil ; W. Toase, pasteur méthodiste à Paris ; J.-J. Keller ; Adolphe Monod ; G. Fisch, pasteur à Lyon ; E. Panchaud, pasteur à Bruxelles, et Ch. Baup, pasteur à Vevey. Ce comité chargea Adolphe Monod de rédiger un appel, qui fut publié au commencement de 1847 et qui convoqua les amis de l’Alliance évangélique à Paris, pour le 24 avril de la même année ; une Conférence eut lieu, en effet, ce jour-là dans la chapelle wesleyenne de la rue Montholon, et les bases de la branche française y furent arrêtéesw. »
w – Decoppet, Paris protestant, p. 251 et suiv. Voir aussi les Rapports des assemblées de l’alliance évangélique et l’article Alliance évangélique de l’Encyclopédie des sciences religieuses.
La branche française, comme l’Alliance évangélique elle-même, repose sur une déclaration de foi orthodoxe.
Les Sociétés d’instruction. — On sait avec quelle sollicitude le protestantisme s’est toujours occupé de l’instruction. Au dix-neuvième siècle, comme dans les siècles précédents, il n’a pas failli à ce qu’il considérait comme une partie de sa mission : nous avons eu déjà l’occasion de parler des efforts individuels tentés par Oberlin et par Félix Neff dans leurs champs de travail, et ce n’étaient pas les seuls. Le 31 décembre 1817, le Consistoire de Paris ouvrait sa première école avec trois élèves ; en 1819, le pasteur Brun, de Dieulefit, fondait un établissement d’instruction ; le 27 juillet 1820, le gouvernement accordait un aumônier aux élèves protestants du lycée Louis-le-Grandx. En 1818 s’était établie l’école normale et pension de jeunes filles de Sainte-Foy.
x – Encyclopédie des sciences religieuses, art. France protestante.
Enfin, en 1829, fut créée la Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France ; en 1844, elle eut son école normale d’instituteurs, à Courbevoie ; en 1856, celle d’institutrices, à Boissy-Saint-Léger. Dans les départements elle a aidé, par de larges subventions, les écoles normales de Glay, de Montbéliard, de Mens, de Dieulefit, et l’école normale d’institutrices de Nîmes. « Nous voudrions, disait un de ses rapports (1843), faire de l’Évangile le bréviaire de l’enfancey. »
y – Encyclopédie des sciences religieuses, art. Ecoles primaires protestantes.
Tel était aussi le but des écoles du dimanche : nous n’avons pas à parler de la création de cette institution et de son développement en Angleterre et en Amérique. Disons seulement que son importation en France fut assez lente. La première école fut établie par le pasteur Martin, de Bordeaux, en 1815.
[Voir Vie de Charles Cook, p. 16. Nous trouvons, d’autre part, dans les Archives du christianisme (1818, p. 360), les lignes suivantes : « M. Petzi (Fleury), décédé jeune encore, en novembre 1817, pasteur à Lagarde, près Montauban, est le premier qui ait établi en France une école du dimanche. M. Chabrand, pasteur à Toulouse, a publié une notice intéressante sur l’importance de ces Ecoles et sur la manière de les diriger. Bientôt on en a vu s’élever dans la plupart des Églises réformées du midi de la France. La petite ville des Vans, département de l’Ardèche, en doit une depuis quelque temps au zèle de son pasteur, M. Pascal, dans laquelle on compte environ vingt-cinq jeunes garçons et autant du jeunes filles divisés en deux classes, et qui, par leurs heureux progrès dans l’instruction élémentaire et dans la religion, répondent aux soins assidus et aux pieuses espérances de leurs pasteurs. Cette école est une source d’instruction et d’édification pour les fidèles de tout âge et de tout sexe qui en suivent les leçons avec un vif intérêt. »]
Chabrand suivit cet exemple ; en 1822, Frédéric Monod fonda la première école du dimanche de Paris. les Archives du christianisme publièrent de nombreux articles pour démontrer leur utilité ; un comité se forma pour encourager leur fondation, sous la présidence du baron de Staëlz ; mais ce ne fut que vers le milieu du siècle qu’elles se multiplièrent ; en 1849, J.-P. Cook fonda le Magasin des écoles du dimanche, qui devint comme le lien des efforts individuels. Enfin en 1852 fut établie la Société des écoles du dimanche.
z – Archives du christianisme, 1831, p. 379.
A côté de ces Sociétés, il faut mentionner une œuvre qui est à la fois une œuvre d’instruction et une œuvre d’évangélisation, la Société des livres religieux, de Toulouse, fondée en 1831.
Notons aussi les nombreuses Sociétés d’apprentissage et de patronage, les bibliothèques, et enfin, quoique sa fondation soit postérieure à la date que nous nous sommes fixée, la Société de l’histoire du protestantisme français (1852).
Les Sociétés charitables. — Ici nous ne pouvons essayer une énumération, même incomplète : qu’il nous suffise de dire que, dans la première moitié de ce siècle, nous voyons se fonder plus de trente institutions où l’on recueille les déshérités de la vie, soit les orphelins, soit les vieillards, soit les malades ou infirmes ; en 1845, John Bost inaugure l’admirable série des œuvres de Laforce ; en 1842, sur l’autre rive de la Dordogne, s’était fondée la Colonie agricole de Sainte-Foy, en 1843, l’Institution des diaconesses de Paris, sous l’initiative du pasteur Vermeil, secondé par Elisabeth Fry.
Enfin, mentionnons les Caisses d’épargne, les Sociétés de secours mutuels, les Sociétés des amis des pauvres, les Sociétés de bienfaisance de toute nature, dans lesquelles la charité chrétienne s’est efforcée, suivant l’exemple du divin Maître, de soulager les misères matérielles, tout en apportant la suprême délivrance et l’Évangile du salut.
[Il nous semble que M. le professeur Sabatier aurait pu tenir compte de ces œuvres quand, dans un remarquable article qui abonde en observations pleines de pénétration, il représente le Réveil comme ayant absolument négligé le soulagement des souffrances terrestres et n’ayant songé qu’à sauver les âmes sans se soucier des misères du corps (Revue chrétienne, 1er janvier 1891. Deux conceptions du ministère évangélique).]