Progrès de la Réformation – Les deux divorces – Instances auprès d’Anne – Les lettres du Vatican – Henri à Anne – Seconde lettre de Henri – Troisième – Quatrième – Effroi de Wolsey – Ses démarches infructueuses – Il tourne – La suette – Craintes de Henri – Nouvelles lettres à Anne – Anne malade ; sa paix – Henri lui écrit – Terreur de Wolsey – Campeggi n’arrive pas – Chacun dissimule à la cour
Tandis que l’Angleterre semblait se rattacher à la cour de Rome, la marche générale de l’Église et du monde faisait pressentir de plus en plus l’émancipation prochaine de la chrétienté. Le respect qui entourait depuis tant de siècles le pontife romain était partout ébranlé ; la Réforme, déjà solidement établie dans plusieurs États de l’Allemagne et de la Suisse, se propageait en France, dans les Pays-Bas, en Hongrie, et commençait en Suède, en Danemark, en Écosse. Le midi de l’Europe semblait, il est vrai, soumis au catholicisme romain ; mais l’Espagne se souciait peu, au fond, de l’infaillibilité pontificale, et l’Italie elle-même se demandait si la domination du pape n’était pas l’obstacle qui s’opposait à sa prospérité. L’Angleterre, malgré les apparences, allait aussi s’affranchir du joug des évêques du Tibre, et déjà des voix fidèles demandaient que la Parole de Dieu fût reconnue dans l’Église comme suprême autorité.
La conquête de la Bretagne chrétienne par la papauté remplit, nous l’avons vu, tout le septième siècle. Le seizième fut la contre-partie du septième. La lutte que l’Angleterre eut alors à soutenir pour s’émanciper de la puissance qui l’avait enchaînée pendant neuf cents ans, fut pleine de péripéties, comme celle des temps d’Augustin et d’Oswy. Cette lutte se retrouva sans doute dans chacune des contrées où l’Église se réforma ; mais nulle part elle ne peut être suivie dans ses diverses phases aussi distinctement que dans la Grande-Bretagne. L’œuvre positive de la Réforme, celle qui consista à retrouver la vérité et la vie si longtemps perdues, fut à peu près la même partout ; mais quant à l’œuvre négative (la lutte avec la papauté), on dirait que les autres peuples remirent à l’Angleterre le travail dont ils devaient tous profiter. Une piété peu éclairée regardera peut-être les rapports de la cour d’Angleterre avec la cour de Rome, à l’époque de la Réformation, comme sans intérêt pour la foi ; mais l’histoire ne pensera pas de même. L’essentiel dans cette lutte, on l’a trop oublié, ce n’est pas le divorce (il n’en est que l’occasion), c’est la lutte elle-même et ses graves conséquences. Le divorce de Henri Tudor et de Catherine d’Aragon est un événement secondaire ; mais le divorce de l’Angleterre et de la papauté est un événement premier, l’une des grandes évolutions de l’histoire, un acte pour ainsi dire créateur, qui exerce encore une influence normale sur les destinées de l’humanité.
Aussi tout ce qui s’y rapporte est-il à nos yeux plein d’instruction. Déjà un grand nombre d’hommes pieux s’étaient attachés à la grâce de Jésus-Christ ; mais le roi, et avec lui la partie de la nation étrangère à la foi évangélique, tenaient à Rome, qu’Henri avait si vaillamment défendue. La Parole de Dieu avait séparé spirituellement l’Angleterre de la papauté ; la grande affaire l’en sépara matériellement. Il y a entre les deux divorces que nous venons de rappeler, un rapport intime, qui donne au procès de Henri et de Catherine une extrême importance. Quand une grande révolution doit s’accomplir au sein d’un peuple (nous avons ici surtout en vue la Réformation), Dieu instruit la minorité par les saintes Écritures, et la majorité par les dispensations du gouvernement divin. Les faits se chargent de pousser en avant ceux que la voix plus spirituelle de la Parole laissait en arrière. L’Angleterre, profitant de ce grand enseignement des faits, a cru dès lors devoir éviter tout contact avec une puissance qui l’avait trompée ; elle a pensé que la papauté ne pouvait dominer sur un peuple sans porter atteinte à sa vie, et que ce n’était qu’en s’émancipant de cette dictature d’un prêtre, que les nations modernes pouvaient avancer sûrement dans les voies de la liberté, de l’ordre et de la grandeur.
Depuis plus d’une année, les plaintes de Henri l’attestent, Anne Boleyn rejetait les hommages de Tudor. Le roi désolé comprit qu’il fallait faire jouer d’autres ressorts, et prenant à part lord Rocheford, il lui découvrit son dessein ; l’ambitieux Boleyn promit de tout faire pour décider sa fille. « Le divorce est une chose résolue, lui dit-il ; vous n’y pouvez rien. Il s’agit seulement de savoir si ce sera vous ou une autre qui donnerez un héritier à la couronne. Rappelez-vous que de terribles révolutions menacent l’Angleterre, si le roi n’a pas un fils. » Ainsi tout se réunissait pour ébranler cette jeune femme. La voix de son père, les intérêts de sa patrie, l’amour du roi et sans doute aussi quelque ambition secrète, la sollicitaient à saisir le sceptre qui lui était offert. Ces pensées la poursuivaient dans le monde, dans la solitude et jusque dans ses rêves. Elle se voyait tantôt sur un trône, distribuant au peuple ses bienfaits et la Parole de Dieu, tantôt dans quelque exil obscur, menant une vie inutile, dans les larmes et l’ignominie. Quand dans les jeux de son imagination la couronne d’Angleterre lui apparaissait resplendissante, elle la rejetait d’abord ; mais ensuite cet ornement royal lui semblait si beau et le pouvoir si digne d’envie, qu’elle les repoussait moins énergiquement. Cependant Anne se refusait encore à dire le oui si vivement sollicité.
Henri, contrarié par ses hésitations, lui écrivait souvent et presque toujours en français. La cour de Rome se servant de ses lettres, qu’elle garde au Vatican, pour inculper la Réformation, nous croyons devoir les citer. Le vol qu’en a fait un cardinal nous les a conservées ; on verra que loin de pouvoir être invoquées à l’appui des calomnies qu’on a répandues, elles sont propres à les réfuter. Nous sommes loin d’en approuver tout le contenu ; mais on ne saurait refuser à la jeune femme qui les a écrites des sentiments nobles et généreux.
Henri ne pouvant supporter les angoisses que lui causaient les refus d’Anne, lui écrivit, à ce que l’on suppose, en mai 1528w :
w – Lettres du Vatican. Pamphleteer, n° 43, p. 114. La date ci-dessus est indiquée par l’éditeur ; je crois cette lettre un peu plus ancienne.
« En débattant par devers moi le contenu de vos lettres, je me suis mis en grande agonie, ne sachant comment les entendre, ou à mon désavantage, comme quelques passages le montrent, ou à mon avantage comme je le concluerais de quelques autres. Je vous supplie donc de bien bon cœur, me vouloir certifier expressément votre intention entière, touchant l’amour entre nous deux. Car nécessité me contraint de pourchasser cette réponse, ayant été plus d'une année atteint du dard d’amour, sans être assuré si j’échouerais (faliere), ou si je trouverais une place certaine dans l’affection de votre cœur. Ce point m’a gardé depuis peu de temps en ça de ne vous point nommer ma maîtresse, parce que si vous ne m’aimez d’autre sorte que d’amour ordinaire, ce nom ne vous est point approprié, car il dénote une singularité qui est bien loin de l’ordinaire… Je vous supplie me faire entière réponse de cette ma rude lettre, en sorte que je puisse connaître à quoi et en quoi me puis fier. Et s’il ne vous plaît de me faire réponse par écrit, assignez-moi quelque lieu là où je la pourrai avoir de bouche, et je m’y trouverai de bien bon cœur. Je ne veux pas vous ennuyer davantage. Écrit de la main de celui qui volontiers demeurerait votre loyal serviteur et ami.
Tels étaient les termes affectueux, et l’on peut dire (si l’on pense au temps et à l’homme) respectueux qu’employait Henri, en écrivant à Anne. Celle-ci, sans rien promettre, laissa voir quelque affection pour le roi et joignit à sa réponse un bijou emblématique, représentant « une jeune fille seule dans une nacelle battue par la tempête, » voulant ainsi faire comprendre à ce prince les grands dangers auxquels l’exposait son amour. Henri fut ravi et répondit aussitôt :
« Je vous remercie très cordialement du présent si beau que rien ne le dépasse, non seulement pour le beau diamant et navire dans lequel la seulette demoiselle est tourmentée, mais principalement pour la belle interprétation et trop humble soumission dont votre bénignité en ce cas use. Mon immuable intention est selon ma devise : Aut illic, aut nullibi, ou ici, ou nulle part. » Les belles mots de votre lettre sont si cordialement couchés, qu’ils m’obligent à tout jamais de vous honorer, aimer et servir. Je vous supplie de vouloir continuer en ce même ferme et constant propos, vous assurant que de ma part je l’augmenterai plutôt que de le faire rétrograder (restiproche), tant est grande la loyauté du cœur, qui désire de vous complaire.
Je vous prie aussi que si aucunement vous ai par ci-devant offensé, vous me donniez la même absolution que vous demandez, vous assurant que dorénavant à vous seule mon cœur sera dédié ; et je désire fort que le corps ainsi pouvait, comme Dieu le peut faire s’il lui plaît ; à qui je supplie une fois le jour pour cela faire, espérant que à la longue ma prière sera ouïe, désirant le temps bref, le pensant long. Jusqu’au revoir d’entre nous deux. Écrite de la main du secrétaire qui en cœur, corps et volonté est
Votre loyal et plus assuré serviteurx.
x – Lettres du Vatican. Pamphleteer, n° 48, p. 115. Après la signature vient la devise suivante : Nulle autre que ♡AB♡ ne cherche H. T.
Henri était passionné, et l’histoire n’est pas appelée à réhabiliter ce prince cruel ; mais on ne peut reconnaître dans cette lettre la parole d’un séducteur. Il est impossible d’imaginer Tudor demandant à Dieu une fois le jour autre chose qu’une union légitime. Ces prières journalières du roi semblent présenter cette affaire sous un aspect différent de celui que les écrivains romains ont imaginé. Henri s’était cru plus avancé qu’il ne l’était. Anne fit alors un pas en arrière ; embarrassée de la position qu’elle occupait à la cour, elle en demanda une plus modeste. Le roi, d’abord fort contrarié, se soumit : « Néanmoins qu’il n’appartienne pas à un gentilhomme, lui écrivit-il, de prendre sa dame en place deservante, toutefois en suivant vos désirs, volontiers je vous octroierais, si par cela vous pusse trouver moins ingrate en la place que vous choisissez, que vous avez été en la place par moi donnée. Je vous remercie très cordialement qu’il vous plaise encore avoir quelque souvenance de moi. »
Pressée par son père, par ses oncles, par Henri, Anne fut ébranlée. Cette couronne, repoussée par Renée et par Marguerite, éblouissait la jeune Anglaise ; chaque jour elle y trouvait un charme nouveau. Elle se familiarisa peu à peu avec ce nouvel avenir, et dit enfin : « Si le roi devient libre, je consens à l’épouser. » Ce fut une grande faute ; mais Henri fut au comble de la joie, et Anne, s’étant rendue en mai au château de Hever, dans le Kent, résidence de son père, le roi lui écrivit :
« Ma maîtresse et amie, moi et mon cœur s’en remettent en vos mains, vous suppliant les avoir pour recommandés à votre bonne grâce. Ce serait grande pitié que d’augmenter leur peine, car l’absence leur fait assez, et plus que jamais j’eusse pensé. Cela nous fait rementevoir un point d’astronomie qui est tel, que tant plus longs les jours sont, tant plus est éloigné le soleil, et nonobstant sa chaleur est plus fervente. Ainsi est-il de notre amour ; par absence nous sommes éloignés, et néanmoins il garde sa ferveur, au moins de notre côté, et j’ai en espoir du vôtre. L’ennui que par force il faut que je souffre m’est presque intolérable, si ce n’était le ferme espoir que j’ai de votre indissoluble affection vers moi. Pour vous rappeler cela quelquefois et voyant que personnellement je ne puis être en votre présence, je vous envoye la chose la plus approchant possible, c’est-à-dire ma peinture mise en bracelet avec la devise que vous connaissez déjày. Me souhaitant en leur place quand il vous plaira.
y – Sans doute Aut illic, aunt nullibi. Voir pour cette lettre Pamphleteer, n° 42, p. 346.
C’est de la main de votre loyal serviteur et ami,
Les courtisans suivaient d’un œil attentif ces développements de l’affection du roi, et préparaient déjà les hommages dont ils se proposaient d’entourer Anne Boleyn. Mais il y avait à la cour un homme que la résolution de Henri remplissait de douleur ; c’était Wolsey. Le premier il avait suggéré au roi l’idée de se séparer de Catherine ; mais si Anne doit lui succéder, plus de divorce ! Il avait d’abord aliéné le parti de Catherine ; maintenant il allait irriter celui des Boleyns ; aussi commençait-il à craindre que quelle que fût l’issue de cette affaire, elle n’amenât sa ruine. Il se promenait souvent dans le parc de Hampton-Court avec l’ambassadeur de France, confident de ses douleurs : « Je voudrais qu’on me coupât un doigt de la main, lui disait-il, pourvu qu’on me permît de parler deux heures seulement au roi de France. » Un autre jour, se croyant poursuivi par toute l’Angleterre : « Le roi mon maître et tous ses sujets crieront au meurtre contre moi, disait-il avec effroi ; ils me courront sus plus qu’à un Turc, et toute la chrétienté s’élèvera contre moi !… » Le lendemain Wolsey, pour gagner l’ambassadeur français, lui faisait une longue histoire de ce qu’il avait fait pour la France, contre le vouloir de toute l'Angleterre : Il me faut, ajoutait il, beaucoup de dextérité en mes affaires, et user d’une terrible alchimiez. » Mais l’alchimie ne devait pas le sauver. Rarement tant d’angoisses s’étaient cachées sous tant de grandeurs. Du Bellay était ému de pitié à la vue des souffrances de ce malheureux. « Quand il s’y met, écrivait-il à Montmorency, c’est pour un jour entier ; — il crie toujours et à toute heure. — De toutes les passions que vîtes onc en un homme, vous n’en avez vu la pareillea. »
z – Alquemie. (Le Grand, preuves, p. 157.)
a – Le Grand, preuves (26 avril 1528), p. 93.
En effet, Wolsey perdait la tête. Cette fatale idée du divorce était la cause de tous ses malheurs, et il eut donné pour la retirer, non pas un doigt, mais un bras, et peut-être davantage. Il était trop tard ; Henri avait lancé son char à la descente, et celui qui aurait voulu l’arrêter aurait été broyé sous ses roues. Toutefois le cardinal essaya d’obtenir quelque chose. François Ier avait intercepté une lettre de Charles-Quint, où l’Empereur parlait du divorce comme devant soulever le peuple anglais. Wolsey fit lire cette lettre au roi, dans l’espoir qu’elle lui donnerait quelque appréhension sérieuse ; mais Henri s'en renfrogna fort, et Du Bellay, à qui le prince attribua le rapport sur ces troubles supposés par Charles, en reçut quelque petit coup de fouetb. Ce fut tout l’effet de cette manœuvre.
b – Du Bellay à Montmorency, 24 mai 1528. (Le Grand, preuves, p. 102.)
Alors Wolsey résolut d’aborder sans détours ce sujet important. Sa démarche pouvait le perdre ; mais s’il réussissait, il était sauvé, et la papauté avec lui. Un jour donc (c’était un peu avant la suette, dit Du Bellay, probablement en juin 1528), Wolsey demanda ouvertement au roi de renoncer à son dessein ; sa propre réputation, lui dit-il, la prospérité de l’Angleterre, la paix de l’Europe, le salut de l’Église, tout l’exigeait ; d’ailleurs le pape n’accorderait jamais le divorce. Pendant que le cardinal parlait, le visage de Henri se rembrunissait. A peine le discours fut-il achevé, que la colère royale éclata. « Le roi usa de terribles termes, » dit Du Bellay. Il eût donné mille Wolseys pour Anne Boleyn. « Autre que Dieu ne me la saura ôter, » telle était son inébranlable résolution.
Alors Wolsey ne doutant plus de sa disgrâce, commença à prendre ses mesures. Il bâtissait en plusieurs lieux, afin de s’attirer l’amitié du peuple ; il prenait grand soin de ses évêchés, qui pouvaient lui assurer une belle retraite ; il faisait bonne mine aux courtisans ; il couvrait ainsi le terrain de fleurs, pour amortir sa chute. Puis il poussait des soupirs comme s’il eût été dégoûté des honneurs, et il célébrait les douceurs de la solitudec. Il fit plus encore. Comprenant que le meilleur moyen de regagner la faveur du roi était de se concilier celle d’Anne Boleyn, il lui envoya de superbes présentsd, et l’assura que tous ses efforts tendraient maintenant à la porter sur le trône d’Angleterre. Anne, croyant à ces déclarations, répondit à Wolsey qu’elle le servirait à son tour, tant qu’il lui resterait un souffle de viee. Henri même ne douta plus que le cardinal n’eût profité de la leçon.
c – Du Bellay à Montmorency, 20 août 1528. (Le Grand, preuves, p. 165.)
d – Your rich and goodly present. (Pamphleteer, n° 43, p. 150.)
e – As long as any breath is in my body. (Ibid.)
Ainsi tous les partis s’agitaient, Henri voulait épouser lady Anne, les courtisans se débarrasser de Wolsey, et celui-ci demeurer au pouvoir, quand un grave événement sembla mettre tout le monde d’accord. Vers le milieu de juin, la terrible suette éclata en Angleterre. Les bourgeois de Londres, « dru comme mouches, » dit Du Bellayf, sentaient tout à coup un mal à la tête et au cœur, se jetaient des rues et des boutiques dans leurs appartements, commençaient à transpirer, et se mettaient au lit. Bientôt le mal faisait des progrès effrayants, une chaleur brûlante dévorait les malades ; s’il leur arrivait de se découvrir, la transpiration s’arrêtait, le délire survenait, et en quatre heures on était mort et « roide comme un pan de mur, » dit l’ambassadeur de France. Toutes les familles étaient dans le deuil. Thomas More, à genoux devant un lit, fondait en larmesg, et criait à Dieu de sauver sa fille, sa bien-aimée Marguerite. Wolsey, qui était à Hampton-Court, ne se doutant de rien, arriva à Londres, pour présider comme d’habitude la cour de chancellerie ; mais aussitôt, il fit rebrider ses chevaux et se sauva. En quatre jours, deux mille personnes moururent à Londres.
f – Le Grand, preuves, p. 138
g – Upon his knees, with many tears. (More's Life, p. 186)
La cour fut d’abord à l’abri de la contagion ; mais le quatrième jour, une des dames d’Anne Boleyn fut atteinte ; ce fut comme si la foudre était tombée sur le palais. A grande hâte le roi délogea et se rendit à douze milles de là, car il n’était pas disposé à mourir. Il ordonna à Anne d’aller chez son père, fit venir la reine près de lui et s’établit à Waltham. Sa véritable conscience se réveillait en présence de la mort. Quatre de ses gens et un moine, confesseur d’Anne Boleyn, à ce qu’il paraîth, étant tombés malades, le roi partit pour Hemsden. Il n’y était que depuis deux jours, quand Powis, Carew, Carton et d’autres hommes de sa cour furent enlevés en deux ou trois heures ; Henri a rencontré un ennemi qu’il ne peut vaincre. Il quitte le lieu que le mal a frappé ; il se transporte ailleurs ; et quand la suette vient atteindre quelqu’un des siens dans sa nouvelle retraite, il la quitte encore. La terreur le glace ; il erre poursuivi par la faux terrible dont le coup va peut-être l’atteindre ; il se prive de toute communication, même avec ses serviteurs ; il s’enferme dans une chambre, au haut d’une tour isolée ; il y mange tout seul et ne voit que son médecini ; il prie, il jeûne, il se confesse, il se réconcilie avec la reine ; il communie tous les dimanches et jours de fête ; il reçoit son Créateur, selon l’expression d’un gentilhomme de sa chambrej, et la reine et Wolsey font de même. Ce n’est pas assez : son conseiller, sir Brian Tuke, était malade en Essex ; n’importe ; le roi lui ordonne de se rendre auprès de lui, fût-ce en litière ; et le 20 juin, Henri, ayant entendu trois messes (il n’avait jamais tant fait en un jour), il dit à Tuke : C’est pour écrire mon testament. » — Il n’était pas seul à prendre cette précaution : Il s’en était fait cent mille, » dit Du Bellay.
h – Votre frère maître Jesonere est tombé malade. (Henri à Anne, Pamphleteer, n° 42, p. 347.)
i – With his physician, in a chamber, within a tower, to suppe a parte. (State Pap., I, p. 296.)
j – Hath received his Maker. (Ibid., I, 290.)
Pendant ce temps, Anne, retirée dans le château de son père, était calme et recueillie et priait beaucoup, surtout pour Henri VIII et pour Wolseyk. Mais Henri, beaucoup moins soumis, était dans de vives inquiétudes. « L’ennui que j’avais du doute de votre santé me troubla et égara beaucoup, lui écrivit-il ; mais puisque encore n’avez rien senti, j’espère qu’il se passera de vous comme de nous… Je vous supplie, ma entière aimée, de n’avoir point de peur, ni de notre absence vous trop ennuyer, car où que je sois, vôtre suis. Nonobstant il faut aucune fois à telle fortune obéir, car qui contre fortune veut lutter en tel endroit, en est bien souvent tant plus éloigné. C’est pourquoi réconfortez-vous et soyez hardie et évitez le mal tant que vous pourrezl … »
k – I thank our Lord that them that I desired and prayed for are escaped, and that is the king and you. (Anne to Wolsey, Pamphl., n° 43, p. 150.)
l – Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 42, p. 347.
Ne recevant point de nouvelles, l’inquiétude de Henri augmenta ; il envoya à Anne un messager avec une lettre : « Pour m’acquitter de l’office du vrai serviteur, disait-il, je vous envoye cette lettre, vous suppliant de m’avertir de votre prospérité, laquelle je prie à Dieu qu’elle soit aussi longue comme je voudrais la mienne. » Les craintes de Henri étaient fondées ; la maladie redoublait ; en quatre heures dix-huit personnes moururent chez l’archevêque de Cantorbéry ; Anne Boleyn elle-même et bientôt son frère furent atteints. Le roi fut fort alarmé ; Anne seule paraissait tranquille, la force de son caractère l’élevait au-dessus de craintes exagérées ; mais ses ennemis attribuaient son calme à d’autres motifs : « Son ambition est plus forte que la mort, disaient-ils. Le roi, la reine, le cardinal tremblent pour leur vie, mais elle… elle mourrait contente, pourvu qu’elle mourût reine. » Henri changea de nouveau de demeure. Tous les gentilshommes de sa chambre étaient atteints, sauf un ; « il resta seul se tenant sevré, » dit Du Bellay, et se confessa chaque jour. Il écrivit de nouveau à Anne, en lui envoyant son médecinm. « Nouvelles me sont cette nuit soudainement venues, les plus déplaisantes qui me pourraient à venir, car pour trois causes touchant icelles faut-il que je lamente. La première pour entendre la maladie de ma maîtresse, laquelle j’estime plus que tout le monde, et voudrais volontiers porter la moitié de votre souffrance pour vous avoir guérie. La seconde, pour la crainte que j’ai d’être encore plus longuement pressé de mon ennuyeuse absence, qui jusqu’ici m’a fait tout l’ennui à elle possible, et quand je puis délibérer de faire pis, alors je prie Dieu qu’il me défasse de pensée si importune et si rebelle. La troisième, que le médecin à qui plus me fie est absent. Néanmoins, en faute de lui, je vous envoye le second, priant Dieu que bientôt il vous puisse rendre saine ; et adoncque je l’aimerai plus que jamais. Je vous prie d’être gouvernée par ses avis touchant votre maladie, en quoi fesant, j’espère bientôt vous revoir ; ce qui me sera plus grand cordial que toutes les pierres précieuses du monde. »
m – Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 43, p. 120.
Bientôt la suette redoubla autour de Henri ; il s’enfuit effrayé à Hatfield, ne prenant avec lui que les gentilshommes de sa chambre ; puis il quitta ce nouveau séjour pour Tittenhanger, maison qui appartenait à Wolsey, et d’où il ordonna des processions générales dans tout le royaume, afin de détourner le fléau de Dieun. En même temps il écrivait à Wolsey : « Aussitôt que quelqu’un tombe malade dans l’endroit où vous êtes, courez dans un autre ; allez ainsi de lieu en lieu. » Le pauvre cardinal était encore plus épouvanté que Henri. Il ne lui survenait pas la plus légère sueur, sans qu’il se crût mort. « Je supplie Votre Altesse, écrivait-il tout tremblant au roi le 5 juillet, de se montrer pleine de commisération pour mon âme ; c’est peut-être la dernière parole que je lui adresse… Le monde entier verra par mon testament que ce n’est pas à un ingrat que vous avez accordé votre faveur… » Le roi, s’apercevant que Wolsey avait l’esprit frappé, lui fit répondre de chasser les fantômes de son imaginationo, et d’avoir l’humeur gaie au milieu de la mort.
n – General procession to be made, universally through the realme. (State Papers, p. 308.)
o – Put apart fear and fantasies. » (Ibid., p. 314.)
Enfin la suette commença à diminuer, et aussitôt le désir de revoir Anne se réveilla chez Henri ; le 18 août elle reparut à la cour, et le roi ne pensa plus qu’au divorce.
Mais cette affaire semblait aller en raison inverse de ses désirs. On ne savait rien de Campeggi ; s’était-il perdu dans les Alpes ou sur la mer ? Sa goutte le retenait-elle dans quelque village, ou l’annonce de son voyage n’était-elle qu’une feinte ? Anne Boleyn elle-même s’inquiétait, car elle attachait une grande importance à la venue de Campeggi. Si l’Église annulait le premier mariage du roi, Anne voyant les plus grands obstacles écartés, croirait pouvoir accepter la main de Henri. Elle écrivit donc à Wolsey : « Je désire savoir de vous des nouvelles du légat, et j’espère que venant de vous, elles seront très bonnes. » Le roi ajouta en post scriptum : N’apprenant rien de l’arrivée du légat en France, cela nous donne à penser. Cependant nous espérons que par votre diligence et votre vigilance, avec l’assistance du Dieu tout puissant, nous serons bientôt sortis de ce troublep. »
p – Pamphleteer, n° 43, p. 149.
Mais toujours point de nouvelles. En attendant cet ambassadeur si désiré, chacun à la cour d’Angleterre jouait son rôle le mieux qu’il pouvait. Anne, soit conscience, soit prudence, soit modestie, refusait les honneurs dont le roi eût voulu la combler, et ne s’approchait de Catherine qu’avec les marques d’un profond respect. Wolsey avait l’air de désirer un divorce qu’en réalité il avait en horreur, comme devant entraîner sa ruine et celle de la papauté. Henri s’efforçait de cacher les motifs qui le portaient à se séparer de la reine ; aux évêques, il parlait de sa conscience, aux nobles d’un héritier, à tous de la triste obligation où il se voyait d’éloigner une princesse si justement aimée. En attendant, il semblait vivre avec elle dans la meilleure harmonie, à ce que dit Du Bellayq. Mais Catherine était celle qui dissimulait le mieux ses sentiments ; elle était avec le roi comme lors de ses plus beaux jours, avait pour Anne toutes sortes d’égards, adoptait un costume élégant, encourageait autour d’elle la musique et la danse, se montrait souvent en public, et paraissait vouloir capter par ses gracieux sourires la bienveillance de l’Angleterre. Triste comédie, qui devait finir par une tragédie pleine d’angoisse et de larmes !
q – Du Bellay à Montmorency, 16 octobre 1528. (Le Grand, preuves p. 170.)