Dans ces deux mots gît la notion de service, mais de service limité et spécial quant au second mot comparé au premier. Λατρεύειν, associé à λάτρις, « serviteur loué », λάτρον, « louage », se rend proprement par « servir à gages ». Mais déjà, chez les auteurs classiques, λατρεύειν et λατρεία passent, à l’occasion, du service de l’homme, à celui des puissances plus élevées ; comme dans Platon, Apol. 23 c : ἡ τοῦ Θεοῦ λατρεία : cf. Phœdr. 244e ; où le philosophe anticipe en partie sur tel sens qui est le seul que connaisse l’Écriture. Dans les Septante, λατρεύειν n’exprime jamais d’autre service que celui du vrai Dieu, ou des fausses divinités du paganisme ; Deutéronome 28.48, semble faire exception, mais au fond, il n’en est rien ; et Augustin a parfaitement raison quand il dit (De Civ. Dei, x, 1, 2) : « Λατρεία secundum consuetudinem qua locuti sunt qui nobis divina eloquia condiderunt, aut semper, aut tam frequenter ut pæne semper, ea dicitur servitus quæ pertinet ad colendum Deum. »
Λειτουργεῖν se vante en quelque sorte d’une plus noble origine ; il vient de λεῖτος (δημόσιος) et d’ἔργον : et signifie ainsi εἰς τὸ δημόσιον ἐργάζεσθαι, servir l’État dans un emploi public. Comme λατρεύειν, de temps à autre, λειτουργεῖν s’est élevé aux charges les plus hautes de toutes, au ministère des dieux (Diodore de Sicile, 1.21). Quand l’Église chrétienne forma sa terminologie, — ce qu’elle fit, partie en façonnant de nouveaux termes, partie aussi en élevant les vieux à de plus nobles emplois que ceux qu’ils exerçaient, — elle adopta plus volontiers ceux de ces derniers vocables qui servaient dans la vie civile et politique que ceux qui avaient joué un rôle dans les affaires religieuses ; et cela même lorsque l’Église cherchait à exprimer une vérité de l’ordre religieux. Les mêmes causes étaient ici à l’œuvre qui avaient induit l’Église à transformer en temples les basiliques (c’est-à-dire les bâtiments qui avaient servi à la vie civile), plutôt que les sanctuaires, parce qu’à la basilique ne se rattachait pas une telle association d’idées païennes. Quant au fait lui-même, nous en avons un exemple notable dans les mots λειτουργός, λειτουργία, λειτουργεῖν, et dans la place distinguée que leur a faite le langage ecclésiastique. De leur côté, les Septante avaient frayé le chemin à l’avancement de nos vocables dans leur carrière, car chez eux, λειτουργεῖν (שֵׁרֵת) est toujours le mot qui désigne des fonctions sacerdotales ou ministérielles (Exode 28.39 ; Ézéchiel 40.46) ; voir encore Philon (De Prof. 464). Mais, ni ceux-ci ni même les écrivains chrétiens qui les suivirent, ne détournèrent nos vocables de leur sens primitif au même degré qu’on l’avait fait pour λατρεία et λατρεύειν, employés encore quelquefois pour désigner le ministère envers les hommes (2 Samuel 13.18 ; 1 Rois 10.5 ; 2 Rois 4.43 ; Romains 15.27 ; Philippiens 2.25, 30).
D’après la distinction qui existait déjà entre les mots, avant que l’Église eût eu quelque chose à faire avec eux (à savoir que λατρεύειν signifiait « servir » et λειτουργεῖν, « servir dans une charge, dans un ministère »), on doit expliquer les différents emplois auxquels on les a séparément soumis dans le N. T., comme antérieurement chez les Septante. Servir Dieu est le devoir de tout homme ; donc λατρεύειν et λατρεία sont des devoirs imposés à tout le peuple (Exode 4.23 ; Deutéronome 10.12 ; Josué 24.31 ; Matthieu 4.10 ; Actes 7.7 ; Romains 9.4) ; mais servir Dieu, par des fonctions spéciales, par un ministère particulier, cela ne peut être le devoir et le privilège que de quelques-uns qui sont consacrés à ces fonctions, et c’est ainsi que dans l’A. T. le λειτουργεῖν et la λειτουργία ne sont attribués qu’aux prêtres et aux lévites mis à part pour servir en choses saintes ; eux seuls sont des λειτουργοί (Nombres 4.24 ; 1 Samuel 2.11 ; Néhémie 10.39 ; Ézéchiel 44.27).
Ce langage, mutatis mutandis, reparaît dans le N. T. où le mot désigne non seulement la prêtrise et le ministère sous l’ancienne Alliance (Luc 1.23 ; Hébreux 9.21 ; 10.11), mais le ministère des apôtres, des prophètes et des docteurs dans l’Église (Actes 13.2 ; Romains 15.16 ; Philippiens 2.17), aussi bien que la charge du souverain Sacricateur de notre profession, τῶν ἁγίων λειτουργός (Hébreux 7.2). L’Église, dans l’usage qu’elle a fait plus tard de ce terme, a quelquefois essayé de faire une application spéciale de λειτουργία et d’en limiter l’emploi à ces prières et à ces offices qui sont en rapport plus immédiat avec la sainte Eucharistie.
On peut objecter à la distinction que nous établissons ici que λατρεύειν et λατρεία servent quelquefois à désigner des services officiels, comme dans Hébreux 9.1,6. Il va sans dire que cela est vrai, précisément comme lorsque deux cercles ont le même centre, le plus grand renferme nécessairement le plus petit. L’idée de service est ce centre ; dans λειτουργεῖν ce service trouve une certaine limitation, en tant qu’il désigne le service par rapport à une charge ; il s’ensuit que toute λειτουργία sera de nécessité une λατρεία, mais non l’inverse, car toute λατρεία n’est pas une λειτουργία. Il n’y a point de citation qui fasse mieux ressortir la distinction entre ces deux mots que celle de l’Ecclésiastique (4.14) : οἱ λατρεύοντες αὐτῇ (i. e. τῇ Σοφίᾳ) λειτουργήσουσιν Ἀγίῳ « Ceux qui la servent serviront le Dieu saint. » (« They that serve her, shall minister to the Holy one. »)