Exemple singulier du combat d’un cœur fidèle contre le désespoir et l’impatience.
| — 1 — | |
| 2 | Je m’étais dit : je veillerai de près À ma conduite désormais. Je ne veux pas dire un mot de travers En face de l’homme pervers. Et, s’il le faut, j’aime mieux bâillonner Ma bouche plutôt que parler. | 
| — 2 — | |
| 3 | Je me suis tu. Plus un seul mot sur rien, Ni sur le mal ni sur le bien. Mais je nʼai fait quʼaugmenter ma douleur, | 
| 4 | Cʼétait comme un feu dans mon cœur ; Plus je pensais, et plus jʼétais brûlé, Alors il mʼa fallu parler : | 
| — 3 — | |
| 5 | Ô Éternel, révèle-moi ma fin Et le temps qui me reste, afin Dʼen apprécier plus sagement le cours. | 
| 6 | Voici, tu mʼas taillé des jours De la largeur de la main ; tout mon temps Devant le tien nʼest quʼun instant. | 
| — 4 — | |
| Lʼhomme, il est vrai, nʼest rien que vanité Apparence et fragilité, | |
| 7 | Et comme un ombre il passe en sʼeffaçant. Il court toujours après le vent, En amassant des trésors sans savoir Quel héritier doit les avoir. | 
| (Pause) — 5 — | |
| 8 | Quʼattends-je donc, ô Seigneur, et en quoi Puis-je espérer, sinon en Toi ? | 
| 9 | Délivre-moi du mal que jʼai commis ; Préserve-moi dʼêtre soumis Aux quolibets des insensés, contents Que je serve de passe-tempsa. | 
| — 6 — | |
| 10 | Je suis resté muet dans ma douleur, Bouche close au jour du malheur, Car cʼest de Toi que me vient tout ceci. | 
| 11 | Tu peux me délivrer aussi, Épargne-moi ; je sens fondre mon cœur Quand ta main frappe avec rigueur. | 
| — 7 — | |
| 12 | Si le péché tʼamène à le punir, Lʼhomme au néant doit revenir. On voit périr la beauté du pervers Comme un habit rongé de vers. Nous lʼavouons, tout homme en vérité Nʼest quʼun souffle de vanité. | 
| — 8 — | |
| 13 | Entends mes cris, ma prière, Seigneur, Et ne méprise pas mes pleurs. Car émigrant, étranger tu me vois Comme mes pères autrefois. | 
| 14 | Jʼattends la pause, un moment pour souffler Avant quʼil faille mʼen aller. | 
a Passe-temps : objet de dérision, d'amusement.