Cinq sonnets de Ruben Saillens
pour servir d’introduction aux pages qui suivent
1. Les copistes
Gloire à ces travailleurs modestes
Qui gardaient le Livre de Dieu,
Lampe d’or brillant au saint lieu
En dépit des souffles funestes !
Ils déchiffraient les palimpsestes,
Puis, sur le vélin précieux,
Traçaient les paroles célestes
Avec un art religieux.
Et lorsque, au milieu d’une page,
La mort interrompait l’ouvrage,
Il s’achevait par d’autres mains.
Devant ces nobles parchemins,
S’incline, ouvriers anonymes,
Un fils de vos labeurs sublimes !
2. Les imprimeurs
Gutenberg, Elzévir, Estienne,
Inventeurs du plus noble outil,
Vos mains habiles ont serti
Dans l’or nouveau la perle ancienne.
Grâce à vous l’immortel Écrit,
Sans autre beauté que la sienne,
Redevint, pour l’âme chrétienne,
Le pur joyau du Saint-Esprit !
Son orient incomparable
Charma les yeux du misérable,
Éblouissant même les rois.
Dans leur indigence commune
Ce livre devint la fortune
De tous les peuples à la fois !
3. Les traducteurs
A l’humanité fut donnée
La parole, attribut de Dieu :
Par le péché, maître en tout lieu,
Au blasphème elle est condamnée.
La langue humaine est profanée
Et fait entendre, sous les cieux,
Non plus le verbe harmonieux,
Mais des cris de bête enchaînée.
Vous dont les patients travaux
Forcent à des accents nouveaux
Le langage le plus rebelle,
Vous faites du Livre divin
La grammaire où le genre humain
Apprend la langue universelle !
4. Les colporteurs
Debout, les vaillants serviteurs !
Pour vous la besogne commence ;
Les scribes et les traducteurs
Vous ont préparé la semence ;
Dans sa misère et sa démence,
La terre attend ses bienfaiteurs ;
Vous êtes peu, l’œuvre est immense :
En avant, hardis colporteurs !
Le sol où votre pied se lasse
Ne gardera pas votre trace,
Mais Dieu la suit avec amour.
Il rend sa Parole féconde :
Semeurs, ensemencez le monde,
Et vous moissonnerez un jour !
5. Le nerf de la guerre
Il n’est pas une pièce d’or
Qui soit nette du sang des hommes :
Au total de toutes les sommes
S’ajoute la honte ou la mort…
Ô toi qui sais comment se nomme
Celui qui venge tous les torts,
Sois, pour tout le reste, économe,
Mais prodigue pour ses trésors,
Afin qu’en tout lieu se répande
De Dieu la magnifique offrande :
Le sang précieux de Jésus,
Qui sauve, rachète et répare
Même les crimes de l’avare
Quand l’or ne le possède plus !
♱
Avant l’invention de l’imprimerie, tout nouvel exemplaire des livres saints devait être copié à la main. Or, il était impossible que dans la copie d’un long manuscrit il ne se glissât pas des erreurs, et que dans une copie de cette copie il ne s’en glissât pas de nouvelles. On comprend donc que les manuscrits du quinzième siècle devaient être passablement fautifs. Il est vrai que ces erreurs sont généralement insignifiantes. Mais pour avoir, le plus exactement possible, le texte sacré original, une révision du texte des Bibles imprimées d’après ces manuscrits du quinzième siècle est indispensable.
Comment cette révision est-elle possible ? On a trois sources d’information :
- Les manuscrits de la Bible dans les langues originales.
- Les anciennes versions de la Bible, dont l’une, les Septante, est antérieure à Jésus-Christ, dont d’autres sont de très peu postérieures aux temps apostoliques. Nous rejoignons ainsi par elles un texte très ancien.
- Les très abondantes citations des Écritures dans les écrits des Pères de l’Église, qui datent principalement des deuxième, troisième et quatrième siècles.
En comparant les données de ces trois sources d’information, inconnues, ou à peu près, au quinzième siècle, on peut arriver à établir un texte plus sûr que celui des manuscrits récents, où les erreurs ont pu s’accumuler, et d’après lesquels ont été imprimées nos premières Bibles protestantes.
La science qui étudie ces données s’appelle la critique du texte, ou « basse critique », comme on dit dans d’autres pays, par opposition à la « haute critique » qui s’occupe des questions, plus importantes, d’auteur, de date, d’authenticité.
Arrêtons-nous un peu sur la première de ces sources d’information.
La valeur d’un manuscrit est généralement en proportion de son âge. Comment cet âge peut-il se déterminer ? La question est très complexe. Toutefois, le guide principal, c’est la forme des lettres. Les manuscrits les plus anciens sont écrits en lettres onciales, c’est-à-dire en lettres majuscules, environ de la dimension de l’épaisseur du pouce (uncia, en latin, signifie pouce), sans ponctuation, sans accents, sans division entre les mots. On économisait ainsi de l’espace, ce qui était nécessaire, vu la cherté des matériaux. De plus, les abréviations sont nombreuses.
Les manuscrits plus modernes sont écrits en écriture cursive.
Parmi les manuscrits anciens, il y en a trois qui dépassent tous les autres en importance : ce sont le Vaticanus, du quatrième siècle, le Sinaïticus, du quatrième ou cinquième siècle et l’Alexandrinus, du cinquième siècle. Chose assez curieuse, la possession de ces trois manuscrits se trouve partagée entre les trois grandes branches de l’Église chrétienne. Le Vaticanus est entre les mains de l’Église catholique : il est conservé à la Bibliothèque du Vatican, à Rome. L’Alexandrinus appartient à la protestante Angleterre il est conservé au Musée britannique. Le Sinaïticus appartient à l’Église grecque : il est conservé à Saint-Pétersbourg.
Le Codex Vaticanus
Le Codex Vaticanus (codex est le nom technique de ces anciens manuscrits) est donc la plus vieille Bible du monde. Il a dû être placé dans la bibliothèque du Vatican lors de sa fondation, en 1448, par le pape Nicolas V. Les autorités du Vatican l’ont pendant longtemps gardé d’une manière un peu trop jalouse. L’accès en était interdit, même aux savants. L’un d’eux, pourtant, le Dr Tregelles, put pénétrer jusqu’à lui, mais tout d’abord on fouilla ses poches, on lui enleva plume, encre, papier. Deux prêtres chargés de le surveiller cherchaient à le distraire s’il paraissait trop occupé à examiner un passage, et même allaient jusqu’à lui enlever le livre. Depuis, le pape Pie IX a fait faire de ce manuscrit d’excellents fac-similés que l’on peut trouver dans les principales bibliothèques de l’Europe.
Le manuscrit n’est pas complet. Il y manque Genèse i-xlvi, les psaumes 105 à 137, et la fin du Nouveau Testament à partir de Hébreux 11.14 (où le manuscrit s’arrête au milieu du mot « purifiera »). Tout le reste manque (ou est d’une écriture plus récente). Marc 16.9-20 est omis. Mais un espace blanc est réservé, à cet endroit, ce qui montre que le copiste connaissait le passage, mais ne savait s’il devait l’insérer ou non. Le Sinaïticus l’omet également. C’est pour cela que ce passage est entre crochets dans les éditions modernes du Nouveau Testament, « comme manquant dans les plus anciens manuscrits », ainsi que s’exprime la version révisée anglaise.
L’écriture est délicate et belle. Malheureusement, un copiste du dixième siècle, de crainte, probablement, que l’écriture ne s’altérât, a tout repassé grossièrement avec une encre fraîche. Sa crainte était vaine, car ici et là des mots qu’il a laissés tels quels, parce qu’ils étaient écrits en double, sont restés clairs et lisibles malgré les quinze cents ans écoulés.
Le Vaticanus a probablement été écrit en Égypte, dans le cercle d’Athanase.
Le Codex Sinaïticus
Ce manuscrit doit son nom à l’endroit où il a été découvert d’une façon tout inattendue, presque dramatique, par le grand savant Tischendorf. Ce dernier se trouvait, en 1844, en quête d’anciens manuscrits de la Bible, au couvent de Sainte-Catherine, au pied du mont Sinaï. Il n’y avait rien trouvé, quand il aperçut au milieu de la grande salle un panier plein de vieux parchemins. Le bibliothécaire lui dit qu’on avait déjà employé pour allumer le feu deux paniers de ces vieux papiers. Quelle ne fut pas la surprise de Tischendorf en trouvant dans ce panier une quantité de pages d’un manuscrit de la version des Septante ! Il n’avait jamais rien vu qui eût un cachet si prononcé d’antiquité. On lui permit de prendre une quarantaine de feuilles, mais il ne sut pas déguiser sa joie, et les moines, soupçonnant la valeur du manuscrit, refusèrent de lui en donner davantage.
Tischendorf retourna en Allemagne, où il fit avec sa découverte grande sensation dans le monde savant. Il prit soin, toutefois, de ne pas dire où il l’avait faite, car il espérait encore mettre la main sur le reste du manuscrit. Bien lui en prit, car le gouvernement anglais chargea immédiatement un savant de visiter l’Orient et d’acquérir tout manuscrit grec de valeur sur lequel il mettrait la main. Tischendorf avait grand peur que le savant anglais ne découvrît le vieux parchemin du mont Sinaï, mais l’autre ne découvrit rien.
Tischendorf essaya, par l’entremise d’un ami influent qu’il avait à la cour d’Égypte, de se procurer le reste du manuscrit, mais sans succès. « Les moines, lui écrivit son ami, connaissent maintenant la valeur de ces parchemins, et ils ne s’en déferont à aucun prix ». Tischendorf retourna au couvent, mais n’y put trouver qu’une seule feuille avec onze lignes de la Genèse, par où il vit que le manuscrit avait contenu tout l’Ancien Testament.
Quinze ans s’écoulèrent, pendant lesquels Tischendorf sut éveiller l’intérêt et se concilier la sympathie de l’empereur de Russie. En 1859, il est de nouveau au couvent, cette fois avec une commission de l’Empereur. Toutefois il ne trouve presque rien qui ait de la valeur, et il a pris toutes ses dispositions pour repartir, quand survient un événement inattendu.
La veille même de son départ, il faisait dans les jardins du couvent une promenade avec l’économe, et, celui-ci, en rentrant, l’invitait à entrer dans sa cellule pour lui offrir quelques rafraîchissements. A peine étaient-ils entrés que le moine lui dit : « Moi aussi, j’ai lu un exemplaire de ces Septante ». Et, ce disant, il descendit d’une étagère un gros paquet enveloppé d’un drap rouge, qu’il plaça sur la table. Tischendorf ouvrit le paquet, et, à sa grande surprise, y trouva non seulement les fragments du manuscrit des Septante qu’il avait vus quinze ans auparavant, mais aussi des fragments étendus de l’Ancien Testament, le Nouveau Testament tout entier, une partie des Apocryphes et deux écrits des Pères de l’Église (l’épître de Barnabas et une partie du pasteur d’Hermas).
Plein de joie, mais d’une joie que, cette fois, il eut assez d’empire sur lui-même pour dissimuler, il demanda, d’un ton indifférent, la permission d’emporter le paquet dans sa chambre pour l’examiner à loisir. « Et là, dit-il, seul avec moi-même, je m’abandonnai aux transports de ma joie. Je savais que je tenais entre les mains un des plus précieux trésors bibliques qui existassent, un document qui, en antiquité et en importance, dépassait tout ce que j’avais vu pendant vingt années d’études ».
Grâce à l’influence de l’empereur de Russie, il réussit à obtenir le précieux manuscrit. La générosité du souverain permit d’en publier, en 1862, un élégant fac-similé en quatre volumes in-folio. Trois cents exemplaires furent tirés, dont cent furent donnés à Tischendorf, qui en vendit la plupart, tandis que les deux cents autres furent distribués comme cadeaux par le gouvernement russe. On trouve de ces fac-similés dans les grandes bibliothèques de l’Europe[a]. L’original est conservé, comme un trésor littéraire sans prix, à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.
[a] La Société biblique protestante de Paris en possède un dans son inestimable collection de Bibles. Cet exemplaire lui a été offert par l’empereur de Russie Alexandre II.
Le Codex Alexandrinus
Le Codex Alexandrinus a été donné à Charles Ier d’Angleterre, en 1628, par Cyrille Lucar, patriarche de Constantinople, qui l’avait probablement rapporté d’Alexandrie. Sur la première page se trouvent écrits en arabe ces mots : « Écrit par Thekla, le martyr. Il manque Matthieu i-xxv et Jean 6.50-8.52 ».
Ce manuscrit a été écrit en Égypte ou en Palestine.
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