Nous avons maintenant en main ce que nous croyons être la donnée libératrice du problème : une solidarité qui est un fait ou une loi à la fois morale et naturelle, et qui se justifie et s’explique par l’unité et la réalité de l’espèce humaine.
Cette donnée était précisément celle qui nous manquait. Il ne sera peut-être point inutile de rappeler brièvement ici :
Ce qui démoralisait et stérilisait la théorie de l’expiation morale, si juste et si vraie à tant d’égards (dans son affirmation, entre autres, de la nécessité d’une expiation réelle dans l’individu lui-même) — ce qui la stérilisait, c’était son individualisme radical qui l’empêchait de saisir la solidarité, la relation entre la mort de Jésus et celle de l’individu (chapitre 5).
Ce qui démoralisait la théorie juridique de l’expiation, c’était la compensation d’une faute humaine par une souffrance divine, c’est-à-dire l’affirmation sans doute d’une solidarité, mais d’une solidarité faible, artificielle et arbitraire entre la mort de Jésus et le pardon du péché (chapitre 4).
Ce qui était réclamé par le besoin d’expiation qui sommeille au fond de toute conscience coupable, c’était, dans l’incapacité de la fournir (autrement que par un repentir absolu entraînant une mort totale), le besoin de la fournir sous la conduite et avec le secours d’une autre conscience, d’une conscience sainte, initiatrice de ce repentir et de cette mort, c’est-à-dire encore et de nouveau une solidarité effective, et réelle avec la mort de Jésus (chapitre 3).
Enfin, c’était encore cette même et constante solidarité que Jésus postulait, sur laquelle il s’appuyait, en instituant la Cène. Car il est évident que si la Cène n’est pas une communion de Jésus et des siens, si son sacrifice n’est pas le leur, s’ils ne s’associent point à sa mort, elle ne veut plus rien dire elle n’est qu’un rite sans portée morale comme sans signification, (chapitre 2).
De toutes parts, donc, c’était la solidarité qui manquait ou qui était réclamée ; une solidarité réelle, effective, naturelle, légitime, qui existât dans les faits et que la conscience pût approuver. Or cette solidarité, nous venons de la constater et de l’étudier en elle-même, indépendamment de tout a priori, dans le vaste champ des faits dont l’histoire est couverte. Elle y est affirmée, confirmée et justifiée. Il ne s’agit donc plus pour nous que de l’appliquer maintenant à l’objet de notre étude ; de la sortir de la sphère profane où seule nous l’avions considérée jusqu’ici, de lui accorder l’exercice de ses droits dans l’ordre de la rédemption et de tirer là, c’est-à-dire dans son application chrétienne, toutes les conséquences et tous les résultats qu’elle entraîne ailleurs.