George Calixte, né le 14 décembre 1586, à Middelbye, dans le Sleswig, fit presque toutes ses études à Helmstedt, où il subit l’influence du grand philosophe Corneille Martini. Convaincu de la profonde vérité de l’affirmation de son maître, que la philosophie contemporaine n’avait qu’une très médiocre valeur et qu’il était surtout utile d’étudier les anciens, il appliqua ce principe aux violentes controverses théologiques de son temps, et se demanda si l’on ne pourrait pas trouver dans l’étude de l’histoire ecclésiastique un terrain neutre, favorable à la concorde et à la conciliation de tous les partis. Soutenu par cette conviction, il se livra avec ardeur à cette étude, dans laquelle il devint un maître. Après avoir parcouru les universités luthériennes, il visita, suivant une louable coutume de cette période, les contrées réformées et catholiques. Il passa l’hiver de 1612 à Cologne, « le cheval de Troie du catholicisme en Allemagne. » Il se rendit de là en Hollande, dont les nombreux savants pouvaient lui offrir comme un résumé de toutes les sciences humaines, et passa en Angleterre, où il se lia avec Casaubon, et par l’entremise de celui-ci avec de Thou. Peu de temps après son retour en Allemagne, il fut nommé professeur à Helmstedt, et occupa sa chaire pendant quarante-deux années. Il mourut le 19 mars 1656.
La largeur de vues, qu’il devait à ses études historiques et philosophiques ainsi qu’à l’expérience recueillie pendant ses voyages, l’amena à estimer que la foi et l’amour chrétien n’étaient pas l’apanage exclusif d’un seul parti religieux, mais que chaque secte mettait en lumière quelque élément important de la vérité négligé par les autres sectes. Il fut affermi dans son opinion par les horreurs de la guerre de Trente ans, qui exercèrent une grande influence sur sa carrière et qui lui révélèrent les tristes résultats de l’intolérance et de la polémique. Il prenait volontiers pour devise la parole de saint Jérôme : « Dieu n’est pas assez pauvre pour ne posséder d’Église qu’en Sardaigne ; la chrétienté tout entière lui appartient. » Il aimait à relever les éléments du christianisme qui se retrouvent dans toutes les sectes et que le catholicisme lui-même a conservés, et a laissé dans l’ombre les dogmes qui divisent entre eux luthériens, réformés et catholiques, pour relever l’esprit du vrai catholicisme sur les bases de l’enseignement primitif, conservé par toutes les Églises, bien que dissimulé en partie sous des additions postérieures[a]. Il voulait mettre un terme aux guerres civiles qui déchirent le sein de l’Église chrétienne, et voir les chrétiens, jusqu’alors absorbés par des querelles intestines, s’armer ensemble pour la défense de la vérité contre les ennemis du dehors, et s’unir pour la propagation d’un christianisme vivant chez les peuples idolâtres. Ces tentatives généreuses d’union furent la préoccupation constante de Calixte et jouèrent aussi un rôle important sur le développement de ses principes théologiques. Il eut des relations suivies et fraternelles avec le théologien Paréus de Heidelberg, et avec l’Ecossais Duræus, qui passa sa vie à voyager de contrée en contrée pour chercher à faire triompher ses idées iréniques[b]. A l’instigation du grand électeur palatin, il déploya aussi, bien qu’inutilement, le plus grand zèle dans le colloque, tenu en 1645, à Thorn, entre les catholiques et les deux communions protestantes.
[a] C’est l’esprit qui anime son introduction à l’Augustinus, De doctrina christiana, et au Commonitorium Vincentii Lirini, 1629. Voir aussi le traité de Tolerantia reformatorum, le Desiderium concordiæ ecclesiæ sarciendæ, 1656. De auctoritate antiquitati ecclesiasticæ, 1639.
[b] Iréniques, ou conciliatrices, d’Irénée, Père de l’Église, qui a le premier déployé dans ses écrits ces tendances pacifiques et modérées. (A. P.)
Calixte fut sans contredit le premier théologien allemand de son siècle après Jean Gerhard, et vit ses grandes capacités reconnues par ses adversaires comme par ses amis, et justement appréciées par des princes tels que le duc Auguste de Wolfenbüttel, le duc Ernest le Pieux de Saxe et le grand électeur palatin. C’était un homme supérieur, un théologien homme d’État, un sincère ami de la patrie allemande, enfin un ennemi inflexible de l’Italie et des jésuites. Son extérieur, qui révélait un mélange harmonieux de fermeté et de douceur, avait quelque chose d’imposant en même temps que de sympathique. Il consacra son éducation hors ligne et son érudition immense au service d’une cause sérieuse et saints, à laquelle il s’était livré tout entier et dont il ne s’écarta jamais. Sur plus d’un point il reproduit les tendances du génie de Mélanchthon, mais nous estimons que c’est au sein de l’Église anglicane qu’il aurait trouvé la sphère la plus sympathique et la plus favorable à son génie.
Ses contemporains, bien loin d’adopter cette largeur chrétienne de vues et cette sympathie cordiale, étaient même pour la plupart incapables de le comprendre, et lui adressèrent jusqu’à sa mort les reproches les plus injustes. Calixte fit ses premières armes contre les jésuites, que nous pourrions considérer comme les représentants de cette tendance, qui a transformé de plus en plus dans les temps modernes le catholicisme romain en une secte. Le colloque de Hœmelschenburg entre lui et quelques théologiens catholiques roula sur l’Écriture sainte, et lui fournit l’occasion de déployer son érudition, sa puissance dialectique, et de recueillir ses premiers lauriers. Il engagea plus tard une polémique ardente avec le jésuite Erbermann, de Mayence, et son ancien condisciple et ami V. Neuhaus, devenu à Cologne apostat et jésuite, qui chercha dans ses écrits à provoquer le grand théologien évangélique par ses calomnies et ses insultes. Si Calixte, malgré son extrême modération, déploya à l’égard des jésuites une âpreté qui ne lui était pas habituelle, c’est qu’il les envisageait, en tant que défenseurs avoués de l’infaillibilité du saint-siège, comme les ennemis les plus dangereux de ses projets d’union. Vers 1640, à l’apogée de sa réputation, Calixte, après quelques escarmouches d’avant-poste avec Büscher, du Hanovre, dut engager une lutte ardente contre les chefs de l’orthodoxie régnante, Mathieu Hoë de Hoënegg, Hülsemann, Calov, Weller, Dannhauer, Dorsche, Scharf, Myslenta de Kœnigsberg et Höpfner lui-même, de Leipsig. Les trois premiers, en particulier, envisageaient ses opinions comme le bouleversement des principes fondamentaux de la vérité luthérienne. Ce furent eux qui donnèrent à son école l’épithète de syncrétiste ; ils allèrent jusqu’à emprunter aux jésuites un de leurs principaux arguments et à accuser Calixte d’ouvrir par sa neutralité coupable les voies à l’athéisme. Leur influence funeste et leur polémique aveugle ont fait échouer toutes les tentatives d’union de Calixte et, grâce aux divisions et aux haines qu’ils ont attisées entre les diverses communions protestantes, ils ont contribué pour beaucoup à la disparition des principes évangéliques d’un grand nombre de provinces allemandes dans le cours du dix-septième siècle. Mais à leur tour ils ne purent parvenir à chasser de l’Église luthérienne une tendance théologique, qui n’adorait pas à deux genoux la Formule de concorde, et à rédiger un nouveau symbole, capable de garantir l’Église luthérienne de l’hérésie et de l’hétérodoxie pour les siècles à venir.
Calixte a rendu à la théologie les services les plus éminents et les plus divers. Il a su conserver à Helmstedt la réputation qu’elle s’était acquise dans les sciences philologiques et philosophiques grâce aux travaux de Casélius et de Corneille Martini. Il s’efforça de rattacher la théologie toutes les branches de l’activité humaine, et de lui assurer le rôle prépondérant dans le développement intellectuel et moral de l’humanité. Calixte, du reste, était bien éloigné de vouloir placer la raison au-dessus de la révélation, mais, convaincu de leur commune et divine origine, il affirmait qu’elles ne doivent pas se contredire et qu’il y a entre elles un accord secret, que la science doit mettre en lumière.
[Calixte a cherché à établir ce principe dans ses deux traités de la vérité de la religion chrétienne (en latin, 1633) et dans son discours de la vraie religion, et de l’état de l’Église. Il reconnaît des éléments de la religion véritable dans le paganisme lui-même, et y puise des arguments en faveur de la nécessité historique du christianisme. C’est dans l’Évangile que l’on retrouve les principes cherchés ou dénaturés par le monde païen. Il existe une religion antique et éternelle. En étudiant à cette lumière son histoire, et les effets qu’elle a produits, on en arrive à démontrer, non pas directement la vérité de la religion chrétienne, mais la légèreté de ceux qui la repoussent sans avoir voulu se laisser guider par sa lumière. Au contraire, quiconque cherche avec sérieux la vérité, et lit avec droiture la Parole sainte, se sent tout pénétré d’une force divine, qui lui communique une foi certaine et inébranlable. Comme on le voit, si l’élément intellectuel l’emporte dans cette méthode, l’élément religieux ne fait certes pas défaut.]
Calixte assigne à la raison, outre les facultés qui sont indispensables pour la compréhension de tout principe, le pouvoir de reconnaître par ses seules forces la vérité, bien que cette intelligence de la vérité soit encore bien imparfaite, ou plutôt qu’elle ait besoin d’être vivifiée, soutenue et complétée par la révélation que Dieu nous offre dans la Parole sainte. Douloureusement frappé par le spectacle des désordres dont l’Allemagne était le théâtre, il consacra plusieurs écrits à l’exposition et à la défense de la méthode scientifique des études théologiques, dont il craignait la décadence rapide.
Son Apparitus theologicus constitue une sorte d’encyclopédie théologique, qui comprend aussi l’histoire littéraire et la méthodologie. Calixte commence par circonscrire les limites de la théologie, et ses rapports avec les autres sciences, historiques aussi bien que philosophiques. Il saisit cette occasion pour montrer la grandeur de l’œuvre assignée à la science théologique. Il considère la philosophie et la philologie comme les deux ailes, sans lesquelles personne ne peut, sans avoir le sort d’Icare, s’élever dans les hautes sphères de la théologie scientifique. Comme c’est dans l’Écriture sainte qu’elle est appelée à puiser les vérités fondamentales du salut, la théologie doit chercher à retracer avec méthode le contenu de la Bible, à l’exposer avec précision et à la défendre avec ses meilleures armes. Telles sont les bases de l’exégèse, de la dogmatique et de la polémique, à laquelle se rattache l’apologétique. Son histoire littéraire, sortant des bornes étroites de la confession luthérienne, aborde les écrits de toutes les autres Églises qui se partagent le monde chrétien. Calixte établit trois degrés de la science théologique, le catéchisme ou les loci, l’exégèse et enfin l’histoire ecclésiastique. C’est la base solide qui permet de comprendre les diverses controverses des partis religieux et les nombreux devoirs du ministère. Ces cinq degrés de l’éducation théologique, exégèse, histoire, dogmatique, polémique et apologétique (avec l’annexe des questions liturgiques), constituent l’enseignement de l’université. Calixte a traité en maître tout ce qui touche à l’histoire ecclésiastique. Il ne veut pas que l’historien se contente d’une chronique sèche et morte ; Thucydide et Tacite sont à ses yeux deux modèles du genre.
Ce qu’il faut, c’est de bien saisir les traits généraux d’une époque, pour étudier et juger à leur lumière les faits particuliers. Son exemple et ses travaux ont donné droit de cité à l’histoire dans la théologie allemande. Calixte a aussi commencé une histoire de la liturgie ou du culte chrétien, qui dans son esprit devait établir l’accord existant entre le culte de l’Église primitive et celui de l’Église luthérienne.
Nous ne devons pas négliger de relever les grands services que ses deux épitomés de dogmatique et de morale ont rendus à la méthodologie. Son petit traité, court et succinct, mais plein d’idées fécondes, qui est le résumé de ses lectures sur la dogmatique recueillies par ses disciples, a créé la méthode analytique, qui repose sur la base de la Réforme et qui répond à la synthèse des véritables intérêts de la vie religieuse et intellectuelle. Calixte veut traiter les vérités de la religion chrétienne non comme des thèses discutables, mais comme des ; sources de sanctification et de vie. Aussi aborde-t-il en premier lieu les causes finales et traite-t-il dans son introduction générale du but : final de la théologie, qui est la vie éternelle, ou béatitude. La théologie se propose de conduire l’homme au but de sa destinée. La troisième section traite des moyens dont elle dispose, et qui sont, en tant que principes, le décret éternel de Dieu et Christ ; en tant que moyens, au point de vue objectif la Parole et les sacrements, au point de vue subjectif ou humain la repentance et la foi. Le ministère de la parole a pour mission et pour fonction de mettre en contact l’homme et les grâces objectives de Dieu. Tel est aussi le motif, pour lequel Jésus-Christ a fondé l’Église. La deuxième partie aborde les questions qui se rapportent à l’Église visible et militante. L’Église se compose de tous les peuples qui ont été appelés par Dieu à en faire partie. L’Église est une monarchie dont Jésus est le souverain, qui rassemble sous son ombre tous ceux qui participent en commun au saint sacrement de l’autel. Calixte aborde enfin les questions de la fondation, de la conservation et de la défense de l’Église. Sa méthode analytique fut suivie par plus d’un théologien en dehors de sa propre école.
[Cette division de la matière théologique, particulière à Calixte, place la question de Dieu dans la seconde partie, et fait servir les points, qui se rapportent à Dieu comme être et comme créateur, de base et d’appui pour la doctrine du sujet auquel s’adresse la théologie. La question de Dieu occupe ainsi une place singulière entra l’immortalité et l’homme. Les autres théologiens, qui ont suivi la méthode analytique, ont paré à cet inconvénient, en divisant le but final de la théologie en un but objectif, qui est Dieu, et en but subjectif, qui est la possession de Dieu, et ils ont ainsi replacé l’idée de Dieu en tête de toute la dogmatique. Hénichius, Institutio theol. dogm., 1655, a été le manuel dogmatique du Hanovre jusqu’au dix-huitième siècle. Schramm, De compendio Henichii, 1711. Joach. Hildebrandt appartient à la même école. Ab. Calov adopta lui aussi la méthode analytique.]
La théologie morale de Calixte a également une grande importance. Bien qu’il n’ait pas séparé la morale de la dogmatique dans son énumération encyclopédique des branches de la théologie, il n’en a pas moins retracé à grands traits, bien que d’une manière incomplète, l’esquisse de la théologie morale, et a imprimé ainsi une impulsion nouvelle et vigoureuse à une science, dont Mélanchthon, Chytræus, Thomas Venatorius et autres avaient posé les premiers jalons, mais qui avait été longtemps reléguée à l’arrière-plan, ou confondue avec la dogmatique. Il a cherché à assigner le rôle, qu’elle mérite, à la morale évangélique en face des prétentions de la morale philosophique, qui occupait toujours le premier rang dans les écoles et dans les systèmes. Ce qui distingue à ses yeux la morale chrétienne, c’est qu’elle s’adresse non pas à l’homme naturel et pécheur, pour lequel la morale philosophique est lettre morte, mais au chrétien régénéré et croyant, dont elle décrit les devoirs et auquel elle montre les conditions qui pourront, non pas lui assurer la vie éternelle, mais la lui conserver et l’affermir, après qu’il l’a reçue de la bonté de Dieu. Nous retrouvons les mêmes principes dans l’Institution morale de Buddæus (1711), et dans l’abrégé de théologie morale de Töllner (1762). Calixte examine successivement les questions du sujet et de l’objet de la morale théologique. Il entend par là non point les domaines du souverain bien, mais les lois, auxquelles doit obéir le chrétien régénéré. Il avait du reste abordé déjà dans la question de la nouvelle naissance non seulement l’état de grâce et les vertus intérieures du chrétien, mais encore ses rapports extérieurs avec l’Église et avec la vie civile. Comme le chrétien conserve les caractères fondamentaux de l’homme, communs à tous les chrétiens ou inconvertis, Calixte examine aussi à plusieurs reprises les questions qui s’y rapportent, sans pouvoir donner une forme définitive à sa conception théologique première, ce qui amène quelque confusion.
Etudions avec quelques détails à quel point de vue Calixte envisage le principe matériel et le principe formel. Sa théorie, après tout, ne se distingue pas essentiellement de la théorie officielle. Il assigne le premier rang à la Parole de Dieu, et lui reconnaît la puissance intrinsèque d’attester la certitude divine de ses enseignements. Il l’appelle aussi le dernier principe, qui possède en lui-même la certitude, la crédibilité et l’autorité. Calixte, aussi bien que les scolastiques luthériens, reconnaît à l’Écriture sainte les caractères de ανυποδεικτός, αὐτόπιστος (c’est-à-dire indémontrable, et qui se justifie elle-même). Toutefois l’argument, auquel il attache le plus de prix, repose sur l’autorité divine inhérente à l’Écriture sainte. Calixte a fait une étude approfondie de ce dernier principe. Il veut que l’on donne le nom d’autorité à la puissance, que toute nature raisonnable, qu’il s’agisse de Dieu, des anges ou de l’homme, exerce, en faisant usage de son intelligence ou de sa volonté, pour se concilier au dehors l’adhésion des intelligences ou l’obéissance des volontés. Cette puissance attractive est due à une vertu intérieure de celui qui la déploie. L’autorité de Dieu est absolue et souveraine, et toute autre autorité n’a d’efficace que dans la mesure de sa communion avec le souverain principe. Seule l’Écriture sainte peut prétendre ici-bas à l’infaillibilité et à la certitude, parce que seule elle possède la puissance divine de convaincre et de toucher les âmes, et que cette puissance elle la doit à la volonté de Celui qui l’a donnée par amour à la terre. L’efficace de l’Écriture procède de Dieu, et a pour effet de communiquer au croyant les biens dont elle est le gage.
Comme on le voit, Calixte reconnaît aux enseignements de l’Écriture sainte la faculté de se rendre témoignage à eux-mêmes ; ce témoignage présente chez lui aussi un caractère presque exclusivement intellectualiste, car il s’applique plus à convaincre la raison, qu’à communiquer à l’âme, comme Luther, la certitude personnelle de son salut et de sa justification par la foi. On est d’autant plus surpris de voir Calixte déduire directement du témoignage personnel, que les enseignements scripturaires se rendent à eux-mêmes, l’autorité divine de la forme elle-même qu’a revêtue la Bible dans le cours de son développement historique, qu’il ne l’identifie nulle part avec la parole même de Dieu. L’Église elle-même possède une parole de Dieu, qui est renfermée dans l’Écriture sainte, non pas sous une forme littérale, mais en fait et en principe, d’après le sens général de ses déclarations. Calixte retrouve la parole de Dieu non seulement dans les textes originaux et dans les traductions de la Bible, mais aussi dans le symbole des apôtres, et jusque dans les canons des conciles œcuméniques des cinq premiers siècles. Ces canons n’auraient assurément aucune autorité, s’ils étaient contredits par les enseignements de l’Écriture sainte, et ils n’ajoutent rien à son contenu, car celle-ci suffit à elle seule pour le salut des croyants.
Calixte attache aussi une grande importance aux traditions dogmatiques de l’Église primitive, qu’il estime avec raison trop négligées par ses contemporains. Il ne veut nullement recourir à la méthode romaine et suppléer aux obscurités de l’Écriture par une tradition, qui a besoin, au contraire, de s’appuyer sur le témoignage de la Parole de Dieu, mais veut simplement obtenir par là une certitude absolue et objective des éléments fondamentaux de la vérité, renfermés dans les innombrables déclarations de la Bible, qui constituent dans leur ensemble la doctrine chrétienne essentielle, élevée au-dessus des Églises et des sectes. L’essentiel dans l’Évangile c’est ce qui a été enseigné et cru toujours, partout, et dans tous les temps. Tous les enseignements, que le cours des siècles est venu ajouter à ce fonds commun, sont ou condamnables, ou inutiles pour le salut.
La communauté des hommes sur la terre, à laquelle nous donnons le nom d’Église, renferme dans son sein les éléments les plus purs et les plus parfaits de l’humanité. C’est elle qui possède tous les trésors de la sagesse humaine, et c’est aussi à elle, que Dieu a accordé la grâce précieuse de ne jamais dans son ensemble tomber dans l’erreur absolue et irréparable. L’existence d’une Église infaillible de Dieu sur la terre nous est garantie par son témoignage, et surtout par les affirmations positives de l’Écriture sainte, que Calixte appelle l’école et la citadelle de la vérité. Sans doute les controverses, les hérésies, les enseignements humains ont singulièrement ébranlé son prestige et mélangé le vrai avec le faux dans le cours des âges, mais toutes ces perturbations ont contribué aussi à mettre plus en lumière cette infaillibilité de l’Église, telle qu’elle nous est attestée par les écrits et par les monuments des premiers âges, qui nous montrent l’unité qu’elle possédait à l’origine, avant d’avoir été dénaturée par toutes ces additions successives, c’est-à-dire pendant les cinq premiers siècles. Aussi le Consensus quinquesæcularis possède-t-il une autorité, qui ne le cède qu’à celle de l’Écriture sainte. L’Église romaine, en proclamant par l’organe des jésuites l’infaillibilité du pape, a gravement compromis la véritable catholicité de l’Église.
Comme on le voit, ces études historiques ont pour but de justifier les tentatives d’union de Calixte, qui aurait voulu voir l’Église revenir à une période d’unité vivante et sainte, antérieure à toutes les controverses et à tous les schismes. Elles ont aussi puissamment contribué au libre épanouissement des sciences théologiques. Si l’on établit, en effet, que le symbole des apôtres renferme les vérités fondamentales de l’Évangile, et que les siècles les plus pieux et les plus fidèles n’ont pas exigé du chrétien une profession plus étendue de sa foi, si, de son côté, l’Église ne demande rien au delà des symboles œcuméniques professés par l’Église une et vivante des cinq premiers siècles, la science voit s’entr’ouvrir pour son activité une carrière aussi vaste que féconde. Remarquons, en outre, avec Henke (qui a le premier relevé le fait), que Calixte est bien éloigné (comme on l’en a si souvent accusé), de se proposer pour but de ses tentatives généreuses d’union une réconciliation impossible avec le catholicisme tel quel, et surtout avec la théorie jésuite de l’infaillibilité absolue du pape. Tout au contraire, sa théorie large et féconde a rendu plus facile et plus puissante l’œuvre de l’apologétique et de la polémique protestantes. Les adversaires catholiques de la Réforme lui reprochaient surtout d’être une nouveauté ; ils ne voulaient voir dans l’assertion évangélique de la clarté des saintes Écritures qu’une affirmation vide de sens, réfutée par le simple fait des interprétations contradictoires des mêmes passages. L’Écriture devait démontrer l’évidence, qu’elle renferme ; les jésuites en concluaient à la nécessité en matière de foi d’un juge suprême, visible et vivant. Déjà les théologiens antérieurs à Calixte, Flacius, les auteurs des centuries de Magdebourg, et Jean Gerhard, avaient invoqué en faveur de leur thèse le témoignage d’explications empruntées à tous les docteurs et à tous les siècles, et conformes au véritable enseignement évangélique. Ces citations isolées pouvaient être repoussées par les catholiques au nom du témoignage de l’Église tout entière, supérieur à quelques opinions particulières.
Calixte s’est proposé de réfuter à l’avance cette objection et d’en ébranler la portée. Grâce à son immense érudition patristique, il a démontré que la doctrine des Églises évangéliques, conforme au véritable sens des Écritures, avait été dans ses traits principaux, et qui se rapportent à l’économie du salut, professée sans interruption et pendant cinq siècles consécutifs par l’Église primitive. La clarté des saintes Écritures repose sur la base immuable d’une tradition constante et respectée, qui s’étend jusqu’au concile d’Orange de 529. Calixte en tira cet argument précieux, que les théologiens catholiques, sur les points débattus entre eux et l’Église évangélique, n’ont le droit de s’appuyer ni sur l’Écriture sainte, ni sur la tradition primitive, et doivent reconnaître, en vertu du principe absolu posé par eux-mêmes que l’Église véritable repose sur une foi constante et immuable, que toutes les additions dogmatiques, postérieures au sixième siècle, sont, sinon fausses et condamnables, tout au moins inutiles et superflues pour l’économie générale du salut. Calixte a établi par les arguments les plus rigoureux et les plus solides de l’érudition historique que l’Église romaine professe des idées nouvelles, inconnues à la tradition primitive, et souvent même repoussées par elle. C’est ce qu’il a fait pour les dogmes romains de l’infaillibilité du pape, du célibat des prêtres (bien qu’il lui reconnaisse une certaine supériorité morale), de la suppression de la coupe, du sacrifice de la messe et de la transsubstantiation.
Ces divers travaux permirent à l’Église luthérienne de se rapprocher sur le terrain de la science historique des travaux d’un Daillé, d’un Blondel, des Basnage, et de quelques autres théologiens anglais. Calixte n’a pas écrit une histoire complète de l’Église. Les théologiens de cette époque se contentaient de puiser dans les documents immenses rassemblés dans les centuries de Magdebourg, et disposés par ordre de matières. On publia à plusieurs reprises des abrégés des centuries, mais on se borna à reproduire leurs jugements historiques, pendant la période ascendante de l’orthodoxie luthérienne, et seule l’école de Caliste se permit des jugements plus modérés et plus impartiaux sur plusieurs points. Nous pouvons résumer en quelques traits le point de vue adopté dans les centuries de Magdebourg. L’Église primitive a reproduit fidèlement l’idéal de l’Église, grâce au don absolu du Saint-Esprit, qui lui a assuré la possession de la pure doctrine, et en particulier du trésor inappréciable de la justification par la foi. L’Église évangélique, qui a reproduit fidèlement ce pur enseignement de l’Église primitive, se voit forcée de soutenir contre l’Église romaine une lutte pleine d’amertume et d’acharnement, parce que celle-ci a corrompu la voie des premiers jours. C’est là l’œuvre de l’antechrist, qui a conçu le plan de séduire l’Église par l’institution de la papauté et par ses rêves de monarchie universelle, et qui l’a pénétrée jusqu’à la moelle de son venin. Ce sont les puissances sombres et invisibles, qui ont entraîné par de faux miracles l’Église dans des abîmes toujours plus profonds, et dont la malice et la puissance se concentrent dans l’institution de la papauté. Ce sont ces puissances des abîmes et du péché, qui ont corrompu l’enseignement d’hommes aussi pieux qu’Augustin et qu’Athanase. Toutefois les témoins n’ont pas fait entièrement défaut à la vérité dans le cours des âges et la Réformation a remis en lumière la vérité éternelle. D’après cette théorie la vérité n’a pas d’histoire ; c’est l’erreur, qui se développe et qui grandit au dedans et au dehors. La vérité est une, indivisible. Réalisée déjà typiquement par l’Église primitive, elle n’a pas à progresser ; le rôle de l’Église de Dieu doit être simplement de la maintenir pure, et en dehors des atteintes du mal.
Cette théorie de l’immobilité absolue aboutit à une grande monotonie, résultat de l’absence d’assimilation progressive de la vérité, et à des critiques injustes contre l’Église romaine, qui possède quelques éléments de vérité, en dépit de ses nombreuses imperfections. Les historiens catholiques, de leur coté, considèrent la vérité elle-même comme immobile, mais se développant et progressant dans les âmes fidèles. La mission de l’Église est de maintenir intacte sa perfection contre les hérétiques, qui attaquent ses frontières. Baronius, l’adversaire savant des centuries de Magdebourg, voit dans la papauté la plus grande bénédiction de Dieu, et envisage comme l’œuvre de Satan toute attaque dirigée contre elle. Il fut énergiquement combattu, non seulement par les Basnage, mais encore par les gallicans Natalis, Fleury et Tillemont, qui considèrent l’épiscopat comme la seule institution capable d’affermir et de défendre l’Église. Calixte, bien qu’il attaque avec énergie la papauté, est plus modéré dans les jugements qu’il porte sur l’ancienne Église catholique. Il admet la présence dans une Église d’éléments étrangers aux principes fondamentaux du christianisme, pourvu que l’Église particulière, qui les admet, ne cherche pas à les imposer tyranniquement aux autres Églises. Il est vrai que ce trésor commun de l’humanité chrétienne ne répond pas strictement à la conception évangélique. Cela tient à ce que Calixte ne met pas assez en lumière le principe de la justification par la foi, qu’il n’avait pas vu universellement professé par l’Église des cinq premiers siècles. Les historiens catholiques et luthériens traitaient l’histoire au point de vue pratique, ecclésiastique et polémique, Calixte fait preuve de plus d’impartialité et de tact historique.
Quelque remarquables que fussent les travaux dogmatiques du maître et créateur de l’histoire des dogmes, on doit reconnaître les résultats peu satisfaisants de ses travaux apologétiques et historiques sur la question des éléments essentiels et fondamentaux du christianisme. Il ne parvint à contenter ni les luthériens, ni les catholiques, bien qu’il considérât ceux-ci comme faisant partie, dans la mesure de leur fidélité au symbole des apôtres et aux conciles des cinq premiers siècles, de cette Église universelle, qui affirme encore son unité au sein des Églises particulières. Les théologiens catholiques n’en persistèrent pas moins dans leur affirmation, que les enseignements les plus récents de leur Église étaient renfermés virtuellement dans la foi commune des chrétiens, et que seule l’Église visible et infaillible avait reçu de Dieu le privilège de dégager le dogme renfermé en principe dans l’Écriture sainte, ou dans la foi. Ils observèrent, en outre, que les évangéliques et les catholiques donnent des divers articles du symbole des interprétations différentes, et que, quand même le plan de Calixte se réaliserait, l’unité ainsi obtenue serait factice et extérieure. En fait Calixte avait laissé l’ardeur de ses espérances l’emporter sur le tact habituel de son esprit pratique, quand il avait pu croire un seul moment que les catholiques jetteraient par-dessus bord toutes les innovations antiévangéliques du moyen âge.
Les jésuites, contre lesquels Calixte eut surtout à lutter, avaient fait de l’infaillibilité du pape leur dogme favori et comme leur cheval de bataille, et la considéraient comme la seule base sérieuse de l’unité de l’Église. Aussi ajoutèrent-ils cet axiome : c’est celui qui est vivant et en possession, du côté duquel est le droit, au vieil argument de leur Église emprunté à la tradition historique, argument, dont Calixte avait voulu faire la base fondamentale de son œuvre d’union. Calixte ne devait pas avoir plus de succès du côté d’un grand nombre de théologiens luthériens, que les controverses syncrétistes lui rendaient de plus en plus hostiles. Les théologiens de la Saxe électorale, qui s’étaient assigné depuis longtemps une sorte d’autorité épiscopale sur l’Église luthérienne, et qui voulaient faire tourner à leur avantage la haute position politique de leur souverain, envoyèrent une répréhension paternelle à Calixte, qui la repoussa fièrement avec la conscience d’un homme supérieur, d’un savant et d’un chrétien.
Il se vit dès lors assailli, avec quelques-uns de ses disciples, entre autres Latermann de Kœnigsberg et Hornéius d’Helmstedt, par une nuée de pamphlets remplis d’injures. Exaspérés par l’insuccès de leur tentative, provoqués en outre par la noble attitude de Calixte et par le concours énergique que lui prêtèrent les théologiens de Brunswick et d’Helmstedt, les théologiens luthériens songèrent à organiser des associations secrètes, pour arrêter le fléau de l’hérésie, qui faisait des progrès si rapides. Les théologiens de Wittemberg, unis au début à ceux de Leipzig, proposèrent un colloque théologique pour apaiser les esprits (1652). Cette nouvelle tentative ayant échoué, ils demandèrent la rédaction d’une nouvelle confession de foi, et formulèrent un Consensus repetitus fidei vere lutheranæ (1635), qui devait résoudre dans l’esprit de la Formule de concorde toutes les controverses, qui avaient éclaté depuis lors au sein de l’Église luthérienne, étouffer l’hérésie de l’école de Calixte (à laquelle on reprochait quatre-vingt-huit opinions erronées) en rendant obligatoire la signature de la confession de foi pour tous les professeurs des universités luthériennes, mettre enfin un terme au scandale, que l’université d’Helmstedt donnait depuis longtemps à l’Allemagne évangélique par son refus d’accepter l’autorité des livres symboliques.
On doit observer, il est vrai, qu’Helmstedt était soutenu par le Concours moral du Sleswig-Holstein, du Danemark, de la Suède, de Nuremberg et d’Altdorf. Cette dernière démarche échoua. Plusieurs princes, ceux de Brunswick, Ernest le Pieux, les ducs de Saxe, sans parler du grand palatin, avaient en horreur les controverses interminables et passionnées des théologiens, et voyaient avec terreur les passions religieuses prêtes à se déchaîner sur l’Allemagne, à peine rendue à la paix et à la tranquillité par le traité de Westphalie. Le peuple allemand, épuisé par trente années de désastres, avait besoin d’autres pensées, et d’autres consolations que de celles du Consensus repetitus. Néanmoins ce qui contribua surtout à l’échec des vieux luthériens, ce fut l’opposition calme, mais décidée des théologiens d’Iéna, Musæus à leur tête, qui n’aimaient pas l’étroitesse et l’injustice de ce nouveau manifeste, et qui y voyaient une source nouvelle de discussions et de schismes. Or l’université d’Iéna prenait en Allemagne un rang des plus éminents, grâce à l’influence de Jean Gerhard, qui apprit à connaître et à estimer Calixte, après lui avoir été longtemps défavorable. L’échec de cette tentative de relever le drapeau de la Formule de concorde, tentative, dont le succès eût été pour l’Allemagne le point de départ de nouvelles divisions religieuses, fut la première atteinte portée au prestige de la vieille orthodoxie, et en particulier de Wittemberg. Déjà les tubingiens avaient en 1624 déclaré aux théologiens de Giessen, qu’ils n’avaient nullement l’intention de les prendre pour arbitres dans les questions de pure doctrine. Aussi les théologiens de Wittemberg durent-ils comprendre, en 1655, que leur déclin allait bientôt commencer.
Quoi qu’il en soit le système de Calixte ne fut point plus heureux, et ne pouvait d’ailleurs réussir, sans ébranler profondément l’existence de l’Église évangélique. Nous devons reconnaître que Calixte n’est à aucun titre un génie créateur, et ses principes, quelle que soit l’excellence de leurs intentions, tiennent plus de l’école que de la vie pratique. Les modifications qu’il voulut faire subir au dogme, n’ont pas une très grande importance, et ont plus contribué à adoucir quelques aspérités de l’ancienne théologie, qu’à déposer dans le mouvement dogmatique des principes féconds pour l’avenir. S’il a refusé de reconnaître la communication réelle des attributs divins à l’humanité du Christ et l’ubiquité de son corps, il n’en a pas moins maintenu la manducatio oralis dans la sainte cène. Il envisage le libre arbitre comme un attribut divin de l’homme, il nie que le péché originel l’ait fait complètement disparaître, et ait contraint l’homme à pécher malgré lui, il enseigne aussi que l’homme naturel peut par ses propres forces éviter certains péchés particuliers, mais il déclare en même temps l’ensemble des forces humaines paralysé pour le bien, il proclame la nécessité d’une grâce divine, qui rétablit en l’homme les puissances de sa nature originelle, telle qu’elle est sortie des mains du Créateur. Toute son attention est concentrée dans le passé de l’humanité et de l’Église, qui constitue pour lui le type idéal de perfection que Dieu exige de nous, et il est amené par là à méconnaître la nécessité d’un progrès et d’un développement historiques ou tout au moins à ne point en tenir assez compte. Dans son traité des alliances, où il émet des opinions assez semblables à celles de Coccéius, il cherche à appliquer sa méthode historique à l’histoire religieuse. Il admet que l’homme reçut dans le paradis, outre les dons inhérents à sa nature et à sa vocation providentielles, et en particulier la liberté, des grâces surnaturelles, qui lui communiquèrent la perfection absolue, et qu’il devait seulement conserver intactes dans le cours de son développement historique. L’Église luthérienne, qui voulait faire de l’image divine et de la justice primitive l’essence de l’homme, lui a reproché sur ce point de tomber dans l’erreur du catholicisme.
Reconnaissons, toutefois, que cette théorie particulière n’a pas abouti chez lui à une conception superficielle du péché originel. Il considère plutôt, à l’exemple de Bellarmin, les dons surnaturels, bien qu’amissibles, comme appartenant à la notion complète de l’homme, de telle sorte que sans eux l’homme serait bientôt devenu la victime d’une anarchie complète. Par contre il ne craint pas d’enseigner une perfection réelle de l’homme dès le début, ce qui le met dans l’impossibilité d’admettre que l’incarnation de Jésus-Christ a plus enrichi l’humanité, que le péché d’Adam ne l’avait appauvrie. Le christianisme et la Réforme ne sont à ses yeux qu’un retour vers le passé. Reconnaissons, pour être juste, que les opinions de ses adversaires aboutissent à la même conséquence. Calixte, dans son traité, adopta aussi l’opinion traditionnelle, qui fait remonter l’histoire de l’Église jusqu’aux origines de l’Ancien Testament, et il s’appuie sur ce fait, que c’est la même foi, que de tous temps Dieu réclame de tous ceux qui doivent être sauvés. Or comme son tact exégétique ne lui permet pas de retrouver la Trinité nettement formulée dans l’Ancien Testament, il semblerait devoir en résulter qu’elle n’est pas nécessaire au salut, bien que clairement enseignée dans les livres de la nouvelle alliance. Calixte n’ose pas aller si loin, et, pas plus que Coccéius, il ne veut admettre une supériorité des hommes du Nouveau sur ceux de l’Ancien Testament dans leur participation à l’économie du salut. Il évite d’employer la formule de son collègue Hornéius, que les bonnes œuvres sont nécessaires au salut, mais il déclare qu’elles en sont la conditio sine qua non, et que certains péchés graves, qu’il qualifie de péchés mortels, peuvent faire déchoir l’homme de l’état de grâce. Tout en admirant ce souffle moral qui traverse tout le système de Calixte, nous devons en même temps constater, qu’il n’établit que des rapports extérieurs et sans pénétration entre la grâce et la liberté, entre l’homme et Dieu. Selon lui, la grâce soutient et assiste simplement la liberté humaine. Tout en débarrassant sa doctrine de l’inspiration des exagérations étranges d’une théopneustie littérale, et en n’y voyant qu’un secours divin, qui préserve de l’erreur les écrivains sacrés demeurés des hommes dans le sens vrai de ce mot, Calixte n’a pas su acquérir une notion satisfaisante de l’union de l’Esprit de Dieu avec l’âme humaine. Assurément, l’orthodoxie rigide, qui transforme les hommes inspirés en de simples machines, laisse, elle aussi, l’homme et Dieu étrangers l’un à l’autre.
Le principe fondamental lui-même, auquel Calixte a attaché son nom et consacré sa vie, l’union des diverses Églises évangéliques sur le terrain commun de l’Église primitive, n’est pas absolument vrai et renferme quelques erreurs sérieuses. Certainement c’est bien à l’amour du chrétien, qu’il appartient de rechercher ce qui unit, plutôt que ce qui divise, et la Réforme elle-même a pris pour devise le rétablissement de l’Église évangélique dans sa pureté primitive. Mais aussi on ne peut pas admettre que l’esprit chrétien retrempe ses forces aux sources mêmes de la vie, sans y puiser des convictions, et sans y recueillir des trésors demeurés inconnus jusqu’à lui aux générations antérieures. Le simple retour d’un siècle aux errements du passé quelque respectable qu’il soit, est chose moralement et spirituellement impossible, et, à supposer qu’il pût être réalisé, il entraînerait pour l’esprit humain et pour le développement historique de l’Église des pertes sérieuses et irréparables.
On ne peut le méconnaître. Calixte croit avoir trouvé le remède aux âpres controverses de son temps dans le simple retour aux formules indécises d’un passé disparu depuis quinze siècles. Tout en ayant été inspiré par le pressentiment des différences réelles, qui existent entre l’Église et l’école, entre la foi et la théologie, il a aussi affaibli la religion sur plusieurs points importants. En effet, comme il ne retrouve pas la justification par la foi nettement formulée dans le symbole des apôtres, il n’a pas su saisir son importance capitale pour le salut de l’âme et l’unité de l’Église. Nous devons ajouter que son symbole d’union ne précise pas, et ne reproduit pas toujours avec la même netteté les anciens symboles, auxquels il veut donner force de loi. Dans la plupart de ses écrits il réclame les cannons des conciles, qui se sont prononcés sur les questions de la Trinité, de la christologie, de l’antiprédestinatianisme et de l’antipélagianisme (Milève et Orange).
Cela tient à ce que Calixte s’attache plus à restreindre la quantité, qu’à modifier la qualité des dogmes nécessaires au salut, et professe le même intellectualisme que ses adversaires orthodoxes. En fait, la formule dogmatique n’est pas l’essentiel en religion, ce n’est qu’une, image, une ombre de la vérité elle-même, et l’on peut dire qu’il s’agit avant tout pour l’âme, dans l’intérêt de sa sanctification intérieure, d’entrer en communion intime et directe avec la vérité elle-même, c’est-à-dire avec Jésus-Christ. C’est là précisément la grande lacune de la piété de Calixte, et l’on peut dire aussi de sa méthode historique, qu’elle n’a pas su aboutir à une conception vivante et intime de la personne historique du Rédempteur.
Calixte a compté un grand nombre de disciples enthousiastes et d’amis fidèles parmi ses contemporains. Nous devons mentionner au premier rang l’ami et le collègue de son long professorat, Hornéius, mort en 1649 ; son successeur Titius, Schrader, Scheurl, l’éminent Gonring, Dœtrius, Hénichius, Paul Müller. Helmstedt était le centre de l’école de Calixte, qui fut aussi représentée à Kœnigsberg par Latermann et par les deux Behm ; à Rinteln, la seconde université du landgraviat de Hesse, par Hénichius, Pierre Musæus, et Eckart ; à Altdorf par Hackspan, Dürr, Deyling, etc. En outre, Calixte avait des disciples dans le Holstein, le Danemark, la Suède, et jouissait d’une réputation vraiment européenne. Son fils, Frédérich-UIrich, qui lui était inférieur sous le double rapport du talent et du caractère, a publié un grand nombre de ses manuscrits et continué la controverse syncrétiste.
Ses disciples ont cultivé tout particulièrement l’histoire ecclésiastique et l’exégèse ; tous sont restés fidèles aux idées d’union du maître. On comptait au seizième siècle trois articles fondamentaux, qui séparaient les luthériens des calvinistes, à savoir la sainte cène, la personne de Christ, et à partir de 1600 la prédestination. Les théologiens de Rinteln, lors du colloque de Cassel (1661), avec les théologiens de Marbourg, en citèrent un quatrième, le baptême, et surent formuler les points controversés par les deux communions avec une telle netteté et une telle précision, que les luthériens rigides ne purent y trouver rien à redire. Ils conclurent, après une discussion sérieuse et profonde, que les deux Églises pouvaient néanmoins se tendre la main d’association, sans que l’Église luthérienne se rendit coupable du péché contre le Saint-Esprit. Les concessions extrêmes faites au catholicisme par Calixte, qui reconnaissait dans son système la présence de toutes les vérités nécessaires au salut, entraînèrent l’abjuration d’un certain nombre de princes allemands ou tout au moins leur servirent de prétexte. Calixte n’avait pas compris combien ce fond évangélique se trouvait étouffé sous une masse d’erreurs antichrétiennes, et combien dans l’Église romaine l’erreur l’emportait sur la vérité et en avait paralysé l’essor dans ses disciples les plus sérieux. L’école de Calixte prit Kœnigsberg une attitude de plus en plus sympathique au catholicisme. Fabricius, d’Helmstedt, favorisa par ses conseils peu évangéliques l’abjuration d’une princesse de la maison régnante. En somme, l’école de Calixte a été surtout une pépinière d’érudite, pour lesquels la littérature et la vie sociale et politique avaient plus de prix que les grands intérêts de la vie morale et religieuse. Aussi la verrons-nous s’associer aux luttes de l’orthodoxie luthérienne contre le piétisme de Spener. Nous devons toutefois signaler comme de nobles exceptions des hommes tels que le pieux théologien Juste Gésénius, disciple et ami de Calixte.