Notre foi est donc certaine, à l’égard du Créateur du monde, et nous n’attribuons qu’à lui seul cette création : cela ne nous empêche pas d’approfondir les motifs qui l’ont déterminé à suivre le plan qu’il a exécuté ; car la pensée de Dieu avait préparé à l’avance l’exécution de son dessein, et ce n’est certes ni à l’aide du vide ou des ténèbres qu’il l’a accompli. Mais enfin, quelle serait l’origine du vide ? A-t-il été produit par le producteur universel de toutes choses, et dans ce cas ne serait-il pas l’égal et même le proche parent des Æons, et peut-être même d’une plus antique origine qu’eux ? Mais, si le vide a pour père le Créateur, alors il doit être semblable à son père, et semblable à ses frères. Il faudra donc, de toute nécessité, que leur Bythus et leur Sigée soient frères du vide, et semblables au vide ; c’est-à-dire qu’ils soient eux-mêmes du vide, et que tous les autres Æons, en qualité de frères du vide, aient tous la même nature du vide. Ou bien, dans l’autre hypothèse, le vide n’aurait pas été engendré, mais il serait né de lui-même et il se serait engendré lui-même ; mais alors il est éternel, et il est égal à Bythus, le souverain créateur, selon ces hérésiarques ; alors encore il faudra conclure que le vide est égal en puissance et en perfection à celui qu’ils regardent comme le père universel des êtres. Car il n’y a pas de milieu, il faut que le vide ait été créé par quelqu’un, ou bien qu’il se soit créé lui-même. Si le vide a été créé, il n’est donc pas l’origine de tout, et Valentin et ses disciples, qui nous vantent le vide, se trouvent confondus. Et s’il n’a pas été engendré et qu’il se soit créé lui-même, dans ce cas il est semblable et égal en puissance au Bythus de Valentin, dont nous parlions tout à l’heure. Du reste, il se trouvera être plus ancien, plus puissant que les Æons du système de Ptolémée et d’Héracléon, et de leurs disciples.
Peut-être nos adversaires, n’ayant rien à répondre à ce que nous venons de dire, en viendront-ils à avouer que Dieu le père contient en lui toutes choses, et qu’en dehors du Plerum il n’y a plus rien ; et que dans leur système les termes de vérité et d’erreurs, dont ils se servent, n’ont pour objet que de signifier ce qui est dedans ou ce qui est en dehors du Plerum, sans égard pour les distances matérielles : et que dès lors le Plerum et la puissance du Père, dans leur circonférence infinie, contiennent toutes les choses créées, soit par Demiurgos, soit par les anges, à peu près comme le centre d’un cercle est renfermé dans sa circonférence, ou si l’on veut comme la tache d’une tunique fait partie de cette tunique même. Mais d’abord comment, dans cette hypothèse, concevoir que le Dieu souverain Bythus aurait laissé souiller d’une tache une partie même de son être ; ou comment il aurait permis que quelque être, étranger à lui-même, fût venu malgré lui modifier ou souiller son œuvre ; comment aurait-il laissé, dès le principe, souiller le Plerum, lorsqu’il était maître de l’empêcher ? Au lieu de détruire dans leur source toutes les funestes conséquences de cette antique souillure, devait-il permettre que le principe des créations fût ainsi altéré, souillé et défiguré par l’ignorance ou le péché ? Car celui qui a le pouvoir de purifier son être d’une tache avait à plus forte raison le pouvoir d’empêcher que cette souillure eût lieu. Ou bien, s’il a laissé faire cette souillure dès le commencement, c’est qu’il ne pouvait pas l’empêcher : on ne peut échapper à cette alternative. Comment les choses, qui dans leur principe ne peuvent être redressées, pourront-elles l’être plus tard ? Et comment l’humanité pourra-t-elle, comme ils le prétendent, arriver à la perfection, étant née du sein de l’imperfection et de la souillure, origine commune de Demiurgos et des anges qui, selon eux, auraient créé l’homme ? Et si l’auteur souverain de toutes choses a eu, à raison de sa volonté, enfin pitié de l’homme, dans la suite des temps, et l’a rendu perfectible, comment, à plus forte raison, n’aurait-il pas dû avoir pitié des créateurs de l’homme en les rendant d’abord parfaits et les préservant de l’atteinte de toute souillure ? Par ce moyen, l’homme créé par des êtres parfaits serait devenu aussitôt parfait, et toutes les conséquences funestes de ce long aveuglement n’auraient pas eu lieu.
Nos adversaires se tireront-ils d’embarras en disant que l’ombre et le vide, à qui ils attribuent l’œuvre de la création, ont pour auteur le Père, en qui toutes choses sont contenues ? Mais, s’ils confessent que la lumière du Père pénètre et éclaire toutes choses, comment supposer dès lors qu’il ait pu rester en quelque lieu de l’ombre et du vide ? Car, dans cette hypothèse, il faut que nos adversaires trouvent quelque espace, soit dans le Plerum, soit dans ce qui est contenu par le Propator, où la lumière n’eût pas pénétré, et dont les anges et Demiurgos se seraient emparé pour y opérer leurs créations ; et il faudrait même que cet espace fût immense, pour y avoir fait de si grandes choses ; il faut de toute nécessité qu’ils nous trouvent, dans l’intérieur du Plerum, cet espace, pour y placer leur vide et leurs ténèbres. Mais comment y parviendront-ils sans accuser d’impuissance ce qu’ils appellent la lumière du Père, puisque dans cette hypothèse il y aurait des parties dans le domaine du Père ou dans le Plerum qu’elle n’aurait pu ni atteindre ni éclairer ; et puis, s’ils veulent soutenir que la création a été causée par quelque souillure ou quelque erreur, il faudra qu’ils supposent que la souillure et l’erreur ont pénétré dans le Plerum et jusque dans le sein du Père.