Où l’on continue de répondre à la même objection.
Il est remarquable que nos adversaires, et j’entends les plus habiles, traitant de cet argument, s’ôtent à eux-mêmes tout l’avantage qu’ils en peuvent tirer par les choses qu’ils nous accordent. Crellius avoue premièrement, que Jésus-Christ a prononcé ces paroles : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul vrai Dieu, etc., à l’occasion des dieux des gentils qui n’étaient que de faux dieux et des idoles vainesa. Le dessein de Jésus-Christ, dit-il, n’était point de nier que les idoles ou les dieux des païens ne fussent véritablement des idoles ou des dieux des païens, mais simplement de nier qu’ils ne fussent le vrai Dieu. Il reconnaît en second lieu, qu’à considérer la construction des paroles, il ne faut point joindre le pronom seul avec toi Pèreb. C’est pourquoi, dit-il, il ne faut pas que quelqu’un nous attribue ici de penser qu’à n’avoir égard qu’à la construction grammaticale des paroles, on doit joindre ce terme seul avec celui-ci, toi (ou toi Père, etc.) car l’article qui est mis devant le pronom seul s’y oppose ; et de cette façon il faudrait sous-entendre le verbe être. Car ce serait comme si Jésus-Christ eût dit, de connaître que toi seul es le vrai Dieu ; ce qui, bien qu’il soit vrai en soi, est éloigné du sens de ce passage, comme on le montrera bientôt.
a – De Deo uno patre, sect. I, cap. I, p. 15.
b – Ibid., p. 19.
Ces deux concessions d’un homme qui a tenu le premier rang parmi nos adversaires, sont tout à fait considérables, parce qu’elles suffisent pour décider la question en notre faveur ; car quand on cite un passage de l’Écriture pour prouver quelque chose, l’on raisonne ou par la force simple des paroles, ou par l’occasion qui les a fait prononcer. Si nous disputions ici par l’occasion, nos adversaires ne prouveront rien contre nous ; car ils demeurent d’accord que Jésus-Christ, dans cet endroit, oppose le vrai Dieu aux fausses divinités des païens : ce qui, à s’arrêter là précisément, exclut bien les idoles, mais non pas Jésus-Christ. Si nous considérons la force des paroles, ils n’en peuvent non plus tirer aucun avantage, parce qu’ils n’en peuvent conclure que le Père seul, et exclusivement à Jésus-Christ, est le vrai Dieu, à moins que de joindre le pronom seul avec toi Père : or, c’est ce que Crellius déclare qu’ils ne prétendent point.
Mais il n’est pas nécessaire de rien devoir à nos adversaires. Je dis donc en troisième lieu, qu’ils ne peuvent tirer aucun avantage de ces paroles jusqu’à ce que l’on soit demeuré d’accord de leur sens, et que l’on ne peut demeurer d’accord de leurs sens jusqu’à ce que l’on soit convenu de leur construction légitime : cela est incontestable.
Or, ces paroles de Jésus-Christ peuvent être construites en trois manières différentes. La première est celle-ci : C’est ici la vie éternelle, de connaître que toi seul es le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. La seconde est celle-ci : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te reconnaissent pour ce Dieu qui seul est le véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. La troisième est : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te reconnaissent, toi et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, être le seul vrai Dieu. On peut les examiner par ordre.
A l’égard de la première, je demande quel peut être le sens de ces paroles : C’est ici la vie éternelle, qu’ils connaissent que toi seul es le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Ces paroles, bien loin d’attribuer la divinité au Père exclusivement au Fils, l’attribuent visiblement à l’un et à l’autre ; car le second membre de cette proposition est équivalent à celui-ci : Qu’ils connaissent que celui que tu as envoyé est aussi le seul vrai Dieu ; et le sens du discours ne peut être que celui-ci : Qu’ils connaissent que toi seul es le vrai Dieu, avec celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Comme si quelqu’un parlait à l’empereur, et qu’il lui dît, c’est ici le salut de la Hongrie ; qu’ils connaissent que toi seul es le vrai roi, et celui que tu as établi sur eux, l’archiduc Joseph : cette proposition serait sans doute équivalente à celle-ci : Qu’ils te connaissent seul vrai roi, avec ton fils l’Archiduc Joseph. C’est le sens des paroles ; c’est là le langage de tous les hommes du monde : les exemples qu’on en pourrait trouver dans les auteurs profanes sont infinis ; nous nous contenterons d’en produire qui seront tirés de l’Écriture sainte. Lorsque Jésus-Christ dit à ses disciples, demeurez en moi, et moi en vous, il faut nécessairement rappeler le verbe demeurer, et le sous-entendre dans le second membre de la proposition ; de cette manière : Demeurez en moi et je demeurerai en vous. Et lorsque saint Paul dit aux Corinthiens : Quand vous auriez mille pédagogues en Christ (1 Corinthiens 4.15), non pas toute fois plusieurs pères (car ce sont les propres paroles de l’original), il faut rappeler de même, dans le second membre de la proposition, ce qui avait été exprimé dans le premier, de cette sorte : Quand vous auriez mille pédagogues en Christ, toutefois vous n’avez point plusieurs pères en Christ ; car c’est évidemment le véritable sens de ce passage. On peut dire de même que dans ces paroles, qu’ils connaissent que toi seul es le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, il faut rappeler dans le second membre de la proposition ce qui avait été dit dans le premier, de cette manière : Que toi seul es le vrai Dieu, et que celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, est le vrai Dieu avec toi seul.
La seconde construction est celle-ci : Qu’ils te connaissent pour ce Dieu qui est le seul véritable, et qu’ils connaissent celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Or il faudra répéter dans le second membre de la proposition ce qui a été exprimé dans le premier, de cette manière : Qu’ils te connaissent pour ce Dieu qui est le seul véritable, et qu’ils connaissent celui que tu as envoyé, Jésus-Christ pour ce seul vrai Dieu ; autrement, le sens des paroles de Jésus-Christ serait suspendu et incomplet, qu’ils te connaissent pour ce Dieu qui est le seul véritable. Voilà qui va bien jusques-là. Et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, quoi ? qu’ils le connaissent aussi pour être ce seul vrai Dieu.
Pour la troisième construction, elle favorise entièrement notre sentiment : Qu’ils te connaissent toi et celui que tu as envoyé, être le seul vrai Dieu, ou être ce Dieu qui seul est véritable ; cela ne souffre pas de difficulté. Enfin, soit que l’adjectif seul tombe sur toi Père, ou sur Dieu, ou sur vrai Dieu, la construction des paroles n’aura rien qui nous soit contraire.
Il ne sert de rien à ses auteurs de nous alléguer sur ce sujet le passage 1 Timothée 6.16, qui est conçu en ces termes : Lequel avènement montrera en son temps le bienheureux et seul puissant Roi des rois, et Seigneur des seigneurs, ὁ μὸνος ἔχων ἀθανασίαν, le seul ayant immortalité, mot à mot, mais les réduisant à une construction ordinaire, qui seul a l’immortalité. Car, comme dans ce passage ces paroles, le seul ayant immortalité, se réduisent à celles-ci, qui seul a immortalité, ils prétendent que celles-ci, τὸν μόνον ἀλητινὸν Θεόν, le seul vrai Dieu, se doivent réduire à celles-ci, qui seul est le vrai Dieu.
Car, premièrement, il est certain que nos adversaires ne pouvaient apporter d’exemple qui fût plus contre eux que celui-ci ; car, comme lorsque le Fils est appelé (et vous remarquerez que c’est de Jésus-Christ qu’il est fait mention dans ce passage) ; comme, dis-je, lorsque Jésus-Christ est appelé seul puissant, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, qui seul a immortalité, on n’exclut point le Père, qui possède incontestablement toutes ces qualités aussi bien que le Fils : aussi, quand le Père serait appelé celui qui seul est le vrai Dieu, il ne s’ensuivrait point que le Fils dût être exclus, lui qui porte ce nom dans l’Écriture, et auquel l’Écriture donne de plus grands éloges encore.
Mais, pour venir plus particulièrement au fait, je dis qu’il y a une très grande et très essentielle différence entre le passage que Crellius cite pour exemple, et le passage que nous examinons ; c’est que dans l’exemple qu’il cite, le seul ayant immortalité, est un nominatif qui ne dépend point du verbe, mais le verbe dépend de lui ; au lieu que dans le passage que nous examinons, le seul vrai Dieu, est un accusatif qui dépend de ce verbe, qu’ils connaissent ; un accusatif, dis-je, qui doit être joint non seulement à toi, mais aussi à cet autre accusatif qui suit, celui que tu as envoyé, Jésus-Christ son Fils ; ce qui change la chose entièrement.
D’ailleurs, je voudrais bien savoir comment cet auteur ose traduire qu’ils te connaissent, toi qui seul es le vrai Dieu, etc., lui qui a déclaré que le pronom seul ne se rapporte point à toi, et qui l’a dit expressément dans le passage que nous avons rapporté de lui.
Enfin, je demande à nos adversaires comment ils réduiraient cette proposition, qu’ils te connaissent pour le vrai Dieu, et Jésus-Christ. Je suis certain que, pour peu, qu’ils soient sincères, ils la réduiraient de cette manière : Qu’ils te connaissent pour le vrai Dieu, toi et Jésus-Christ ; autrement il faudrait renoncer à parler comme les autres hommes.
Et certainement quand je formerai ces propositions : qu’ils te connaissent seul sage et Jésus-Christ ton Fils ; qu’ils te connaissent seul immortel, et Jésus-Christ ton Fils ; seul roi, et Jésus-Christ ton Fils ; il n’y aura jamais personne qui s’avise de dire que dans ces propositions j’exclus Jésus-Christ de la sagesse, de l’immortalité, de la royauté. Au contraire, chacun verra d’abord que je comprends dans une même proposition de sagesse, l’immortalité et la royauté de l’un et celle de l’autre. Pourquoi donc ferait-on un autre jugement de cette proposition toute semblable : qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et Jésus-Christ ton Fils ? Car pour ces mots, celui que tu as envoyé, il est trop évident qu’ils ne changent point la nature de la proposition, comme n’étant qu’une simple épithète, ou un simple adjectif. Au reste, quand ils rendront les paroles de Jésus-Christ par celle-ci : qu’ils te connaissent, toi qui es, etc., il nous reste à voir si le terme de seul sera joint à toi Père, ou s’il sera uni à celui de Dieu. Cette question n’est pas petite. Car si le pronom seul est appliqué au Père, il dit que le Père seul est le vrai Dieu de cette sorte : qu’ils te connaissent toi qui seul est le vrai Dieu. Mais si le pronom seul est joint au nom de Dieu, il emporte seulement que le Père est ce Dieu qui seul est véritable. Pour voir laquelle de ces deux explications est la meilleure, il ne faut que consulter les termes de l’original. Car il est remarquable que l’article n’est point mis devant Dieu, ou devant vrai Dieu, mais devant ces trois termes seul vrai Dieu. S’il y avait σέ μόνον τὸν ἀληθινὸν Θεὸν cela voudrait dire, qu’ils te connaissent toi seul le vrai Dieu, proposition qui pourrait se réduire à celle-ci : qu’ils te connaissent toi qui seul es le vrai Dieu. Mais il y a dans l’original, σέ τὸν μόνον ἀληθινὸν Θεὸν, qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu : ce qui signifie qu’ils connaissent que tu es le seul vrai Dieu, ou qu’ils te connaissent toi seul qui es le Dieu qui seul est véritable. Or cette proposition, le Père, est le Dieu qui est seul véritable, ne fait absolument rien contre nous. Qui dit, le Père est Dieu, dit le Père est le Dieu seul véritable. En disant tout de même, que Jésus-Christ est Dieu, nous disons : Il est le Dieu seul véritable. Comme donc l’Écriture en disant que le Père est Dieu, ne fait aucun tort à la divinité de Jésus-Christ, aussi quand elle dit que le Père est le Dieu qui est seul véritable, elle ne fait aucun tort à la divinité de Jésus-Christ.
Mais il ne nous suffit point de répondre simplement à nos adversaires, il faut encore leur faire voir, il faut leur prouver, quoique nous n’y soyons pas obligés, que les paroles de Jésus-Christ en saint Jean n’excluent point le Fils de la véritable divinité. Pour cet effet, il ne faut que considérer 1. l’occasion qui fait prononcer ces paroles ; 2. les autres passages de l’Écriture qui peuvent être parallèles à celui-là ; 3. l’analogie de la foi ; 4. tous les termes et toutes les expressions de ce passage : car chacun a son sens, sa force et son énergie particulière.
1. A l’égard de l’occasion qui a fait dire à Jésus-Christ, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, c’est évidemment par opposition aux païens que Jésus-Christ a tenu ce langage. Son sens a été celui-ci : Les Gentils périssent, parce qu’ils ne connaissent que de faux dieux ; mais c’est ici la vie éternelle, de te connaître pour le vrai Dieu opposé aux idoles, et Jésus-Christ ton Fils. Ce sens nous est favorable ; car qui ne sait que l’occasion limite visiblement les paroles de ce texte ? Il est vrai que Crellius dit là-dessus, que l’occasion ne limite pas toujours le sens du discours, et qu’il arrive souvent que, dans une occasion particulière, nous prononçons des sentences générales ; mais il faut s’entendre. Si le sens de Crellius est, que cela arrive quelquefois, nous en demeurons d’accord. Si son sens est que cela arrive toujours, nous lui nions sa proposition. Cela arrive quelquefois. Vous en avez plusieurs exemples dans l’Évangile. Ainsi lorsque Jésus-Christ dit à propos de Lazare : Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, encore qu’il soit mort, vivra : ou lorsqu’il dit à l’occasion du temple que ses disciples lui montraient, ces paroles qui ne devaient s’entendre que de son corps : Abattez ce temple, et en trois jours je le relèverai : il est bien évident que dans une occasion particulière il prononce des sentences générales, et qui ne se limitent point par le sujet dont il parle. Mais si Crellius prétend que Jésus-Christ en use toujours de cette manière, il se trompe grossièrement. Dira-t-on, par exemple, que lorsque Jésus-Christ dit à saint Pierre : Tu es bienheureux, Simon fils de Jona, car la chair et le sang ne t’ont point révélé ces choses, etc., que ces paroles ne se limitent point par l’occasion qui les a mises en la bouche du Sauveur du monde, et que par ces choses il ne faut pas entendre la belle confession que saint Pierre venait de faire de Jésus-Christ ?
Ce principe demeurant certain, que tantôt l’occasion limite le sens du discours, et que tantôt elle ne le limite point, il faut voir dans quel nombre il faut mettre ces paroles de Jésus-Christ : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Or, je dis qu’il est évident que le sens de ces paroles doit être limité par l’occasion qui les a fait prononcer, ou si vous voulez, par les objets que Jésus-Christ avait devant les yeux, ou dans l’esprit, lorsqu’il les prononçait ; parce que ces paroles enferment une double allusion, qui marque qu’elles se rapportent à ces objets, ou à cette occasion. La première est cachée dans ces paroles : C’est ici la vie éternelle, etc. La seconde l’est dans celles-ci, seul vrai Dieu. Jésus-Christ parle du seul vrai Dieu par allusion aux fausses divinités païennes. Jésus-Christ fait consister la vie éternelle à connaître ce seul vrai Dieu, par allusion ou par opposition à l’état des païens, qui périssaient pour n’avoir que de faux objets de leur culte, et pour ne pas connaître le vrai Dieu. Une seule allusion à l’occasion qui aurait fait prononcer ces paroles, suffirait pour en limiter le sens à cette occasion. Qu’est-ce donc que deux allusions différentes ? Certainement il faut demeurer d’accord que ces paroles signifient, selon la force de la double allusion, qui en fait comme l’esprit : de sorte que cette double allusion limitant le sens de ces paroles, et nous les faisant ainsi expliquer, qu’ils te connaissent pour ce Dieu seul véritable opposé aux faux Dieux qui ont jeté les païens dans l’égarement de la mort, et dont la connaissance salutaire est le principe de la vie éternelle que nous attendons ; il est évident que Crellius s’était trompé lorsqu’il avait dit que le sens de ces paroles était plus étendu que l’occasion.
Mais, dit cet auteur, si quelqu’un s’avisait de s’imaginer que Pierre, Jacques ou Jean sont d’une même essence et d’une même nature que le Père éternel, ne nous serait-il point permis de le redresser et de le convaincre par ces paroles : c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ? Et pourrait-on bien éluder la force de ce passage, en disant que le dessein de Jésus-Christ en cet endroit, n’a été que d’exclure les fausses divinités et les idoles païennes ? Je réponds, 1. que cet exemple est tout à fait mal allégué, par trois raisons. La première est, que Pierre n’est point dans le même cas que Jésus-Christ. Pierre n’est point Dieu, Pierre n’est point nommé le vrai Dieu dans l’Écriture : et nos adversaires reconnaissent tout cela de Jésus-Christ. Pierre n’est point revêtu de tous les noms, de tous les droits, de tous les attributs et de toutes les perfections de Jésus-Christ, au lieu que nous avons justifié tout cela de Jésus-Christ. La seconde est, que ces paroles de saint Jean sont dites du Père et de Jésus-Christ qui est son Fils, et ne le sont point du Père et de saint Pierre. Jésus-Christ est là participant de la gloire du vrai Dieu. Nous l’avons prouvé par la juste construction de ces paroles, qu’ils te connaissent pour le Dieu seul véritable, toi et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ton Fils. La troisième est qu’il n’est pas nécessaire que ces paroles, c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent, etc. détruisent tous les sentiments bizarres et monstrueux que l’on pourrait avoir sur le sujet de la Divinité. Car si Pierre s’avisait, par exemple, de s’imaginer qu’il est le Père qui seul est le vrai Dieu, selon nos adversaires, je leur demande, pourraient-ils bien le convaincre par ces paroles : c’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent, ô Père seul vrai Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt là le moyen de confirmer cet homme dans son égarement ? C’est moi, dirait-il, qui suis le Père ; et ce passage m’attribue d’être le vrai Dieu.
Enfin, je réponds directement à l’objection, et je soutiens que si l’on suppose Pierre dans les mêmes circonstances dans lesquelles nous supposons Jésus-Christ, que Pierre soit avant sa naissance, qu’il soit le créateur du ciel et de la terre, et qu’il ait fait le temps et les siècles, qu’il soit et la fin et le principe des choses visibles et invisibles, qu’il soit Dieu, vrai Dieu, le grand Dieu, le Dieu tout-puissant, un avec son Père, égal avec son Père, le même que son Père : nous ne pourrons sans extravagance lui refuser le titre de vrai Dieu.
2. On peut convaincre nos adversaires en comparant ce passage avec un autre passage tout parallèle à celui-là qui se lit 1 Jean 5.21, en ces mots : Mais nous savons que le Fils de Dieu est véritable, et nous a donné entendement pour connaître Celui qui est véritable, et nous sommes au véritable, à savoir en son Fils Jésus-Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle. Nous ne nous arrêterons pas maintenant à réfuter la critique de quelques-uns de nos adversaires, qui ont osé soutenir que ces paroles : Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle, ne doivent pas être rapportées à Jésus-Christ qui précède immédiatement, mais bien à Dieu dont il est parlé dans le verset précédent en ces termes :Nous savons que nous sommes de Dieu. Il n’y a qu’un désir extrême de défendre sa cause à quelque prix que ce soit, qui puisse faire dire une pareille chose. Il est évident, en effet, que celui qui est appelé le vrai Dieu et la vie éternelle, est le même que celui qui est appelé le véritable, et duquel il est dit : Nous sommes au véritable, à savoir en son Fils Jésus-Christ. Socin n’a osé le nier, et non seulement il avoue que c’est Jésus-Christ qui est appelé en cet endroit le vrai Dieu et la vie éternelle, mais il convient que ce dernier passage est parallèle à celui-ci, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ; quoique, dit-il, je me réduise facilement à cette opinion, que d’autant que le sens de ce passage paraît être entièrement le même que celui de Jésus-Christ lui-même en saint Jean, cette petite clause (celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle) doit être rapportée non seulement au Père de notre Seigneur Jésus-Christ, mais aussi à Jésus-Christ lui-même, autant qu’elle peut et qu’elle doit y être rapportée, etc. C’est ici que cet auteur tombe dans une manifeste contradiction. Car si ces deux passages ne sont point parallèles, comment dit-il que le sens de l’un est celui de l’autre ? Et s’ils sont parallèles, comment pourront-ils soutenir que l’un de ces-passages dit que Jésus-Christ est le vrai Dieu, et que l’autre emporte que Jésus-Christ n’est pas le vrai Dieu.
3. Une des considérations qui devraient le plus ouvrir les yeux à nos adversaires, est cette espèce de parallèle qui est ici entre le Père et le Fils, qui sont mis dans un même rang, et qui sont un objet salutaire de notre foi et de la connaissance du salut. Nos adversaires prétendent que Jésus-Christ a dû parler très modestement en priant son Père. Crellius remarque qu’il n’était point convenable que Jésus-Christ dît dans cette occasion, qu’il était un seul vrai Dieu avec son Pèrec ; en partie, dit-il, parce qu’il prie son Père, et que, par conséquent, il doit parler avec une extrême modestie ; en partie, parce qu’il se considère comme l’Envoyé de son Père. Car on ne doit point croire qu’en priant son Père, il s’égale à son Père, en s’attribuant un titre si grand, que le Père lui-même n’a rien de plus élevé. D’ailleurs, comme il se considère ici comme l’Envoyé de son Père, il ne faut pas croire qu’il s’attribue la gloire et la majesté de Celui qui l’a envoyé, qui consiste en ce qu’il est le seul vrai Dieu. Certainement si Jésus-Christ n’est point le seul vrai Dieu avec son Père, ce n’est point une modestie à lui de ne point se dire le seul vrai Dieu avec lui, bien loin que ce soit là une extrême modestie. Ce serait une extravagante modestie à un sujet de dire qu’il n’est pas le monarque ou le souverain de l’État. Belle modestie ! qui empêcherait un peu de poudre et de cendre de se dire le créateur de toutes choses, Dieu béni éternellement. Mais je crois pouvoir dire que jamais la modestie ne fut plus choquée par personne qu’elle le serait par Jésus-Christ dans cette rencontre, si Jésus-Christ n’était qu’un simple homme ou une simple créature : et pour rendre à Crellius ses propres paroles, je soutiens que ni la modestie, ni la qualité d’envoyé, ne permettaient point à Jésus-Christ de se joindre au Père, et de se nommer après lui comme un objet qui fait la béatitude des hommes, si Jésus-Christ n’était qu’une simple créature. La modestie ne le souffrirait point ; car si Jésus-Christ est une simple créature, il n’est pas à l’égard du Dieu souverain ce qu’est un grain de poudre auprès du firmament, ce qu’est une bougie auprès du soleil, ce que serait le plus petit ver auprès du Maître du monde. Dira-t-on donc que le firmament et un grain de poudre soutiennent le monde ? que le soleil et une bougie nous éclairent ? que le Maître du monde et un ver font les révolutions de la société ? Cela serait tout à fait choquant.
c – Crell., de uno Deo patre, p. 24.
La qualité d’envoyé s’y opposerait encore ; car, je vous prie, dans quel empire, dans quel royaume vit-on jamais le serviteur se nommer avec le maître, et attribuer tout à lui et au souverain ? Si un officier d’un roi avait osé dire que tout doit se faire dans le royaume au nom du roi, et en son nom ; s’il avait la hardiesse de faire graver son nom avec celui de son maître dans la monnaie et sur les édifices publics ; si les grâces s’expédiaient en son nom, ce serait là un crime de lèse-majesté qui ne pourrait être expié que par une mort bien cruelle. Comment donc Jésus-Christ ose-t-il dire aujourd’hui que la vie éternelle consiste à connaître le Dieu souverain, et à le connaître lui-même ? Comment ose-t-il instituer des sacrements avec ce formulaire : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? Comment osons-nous dire : Je crois en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son Fils ? etc.
4. La quatrième considération qui nous montre que le Fils ne doit pas être exclus de la divinité du Père, c’est celle du terme connaître qui est ici employé : Qu’ils te connaissent, etc. Car ou par connaître il faut entendre une connaissance simple, nue et théorique ; auquel cas ce passage est faux. Car il n’est pas véritable que la vie éternelle consiste à connaître Dieu et Jésus-Christ de cette manière nue, simple et théorique. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont nos adversaires eux-mêmes. D’ailleurs, il est faux, dit Crelliusd, que la vie éternelle, ou le moyen de l’obtenir, consiste à connaître que le Père et Jésus-Christ son Fils sont ce seul et vrai Dieu. Cela ne peut subsister étant pris à la lettre ; autrement, il serait nécessaire, et il suffirait pour obtenir la vie éternelle, de reconnaître le Père et le Fils pour le seul vrai Dieu. Ainsi, de cette manière, tous ceux qui sont de ce sentiment obtiendraient la vie éternelle, quoique avec cette persuasion ils puissent avoir des vices, qui, selon la déclaration expresse de l’Écriture, excluent du royaume des cieux. Vous direz donc que tout cela doit être pris dans un sens impropre, d’une telle sorte que cette connaissance comprenne en soi la foi en Jésus-Christ, et une foi agissante par la charité, et par toutes sortes de vertus, etc.
d – Ibid., p. 21.
Que si, par cette connaissance, il faut entendre une connaissance efficace et pratique, alors par connaître le vrai Dieu il faut manifestement entendre le servir, et par le servir il faut entendre et le culte qui lui est dû, et l’obéissance que nous lui rendons, et la foi et la charité, et toutes sortes de vertus qui se rapportent au service de Dieu. Ce sont les paroles de Crellius. Or, comme le terme de connaître ne s’applique pas seulement au Père, mais aussi au Fils ; car le texte ne porte pas simplement qu’ils te connaissent toi, Père, mais, qu’ils te connaissent et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ton Fils, ce seul et même verbe étant appliqué à ces deux différents sujets, il s’ensuit que la vie éternelle ne consiste pas seulement à servir Dieu par la foi, la charité, le culte religieux, et toutes sortes d’autres vertus ; mais qu’elle consiste, aussi à rendre tous ces mêmes devoirs à Jésus-Christ. Que si nous devons connaître Jésus-Christ en l’adorant, en lui obéissant, en croyant en lui, en exerçant la charité pour l’amour de lui, je soutiens que Jésus-Christ doit être nécessairement le vrai Dieu, puisqu’il n’y a que le vrai Dieu à qui nous devions cette sorte d’hommage. Il n’y a que le vrai Dieu que nous devions adorer, et que nous devions servir religieusement. Tu adoreras, dit le législateur commenté parle docteur venu de Dieu, tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu serviras. On ne peut glorifier que le vrai Dieu par l’obéissance, par la foi, par la charité, et par toutes sortes de vertus, parce qu’il n’y a que l’Être infini qui mérite les sacrifices divers que toutes ces différentes vertus lui présentent.
5. Cette réflexion peut et doit être soutenue par une autre réflexion que nous ferons sur le terme de la vie éternelle. Il n’y a qu’un Être infini qui puisse faire la vie éternelle de ses créatures. Jésus-Christ n’est point un Être infini s’il n’est point le vrai Dieu avec son Père ; il ne peut donc pas faire notre vie éternelle s’il n’est pas le vrai Dieu avec son Père. En effet, lorsque l’Écriture nous dit que la connaissance de Dieu est la vie éternelle, et que la connaissance de Jésus-Christ est la vie éternelle, ou elle entend que la connaissance de Jésus-Christ est la vie éternelle dans le même sens que celle de Dieu, ou elle l’entend dans un sens différent. Si elle l’entend dans un sens tout différent, il n’y a rien de plus captieux que ces paroles de l’Écriture ; elles sont équivoques et inintelligibles. Si elle l’entend dans le même sens, il s’ensuit que Jésus-Christ connu nous donne la vie éternelle, ou fait la vie éternelle en nous de la même manière que le Père connu. Or, le Père ne fait la vie éternelle que parce qu’il est le vrai Dieu ; le texte le dit expressément : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul vrai Dieu. Il s’ensuit donc que Jésus-Christ ne fait la vie éternelle qu’en tant qu’il est le vrai Dieu. D’ailleurs, ou la connaissance de Jésus-Christ fait la vie éternelle, parce que la vie éternelle consiste dans cette connaissance, ou parce que cette connaissance est le principe de la vie éternelle. Si c’est parce que la vie éternelle consiste formellement dans celle connaissance, il faut que Jésus-Christ soit le souverain bien ; car la vie éternelle ne consiste formellement que dans la possession du souverain bien. Si c’est parce que la connaissance de Jésus-Christ, est le principe de la vie éternelle, je demande encore, cette connaissance est-elle le principe de la vie éternelle, parce qu’elle en est la cause efficiente, ou simplement parce que cette connaissance est un moyen pour parvenir à la possession de la vie éternelle ? Si c’est parce que cette connaissance est un principe proprement dit, une cause efficiente, une source de la vie éternelle, il s’ensuit que l’objet de cette connaissance doit être le vrai Dieu ; car il n’y a que le vrai Dieu dont la connaissance nous humilie, nous sanctifie, et produise et le bonheur et la sainteté, qui sont les deux parties de la vie éternelle. Si c’est seulement parce que cette connaissance est ou une simple condition, ou un simple moyen pour avoir la vie éternelle, je dis qu’alors on ne peut pas mieux dire : C’est ici la vie éternelle, de connaître Jésus-Christ, que c’est ici la vie éternelle, de connaître la loi, de connaître l’Écriture, de connaître le ciel et l’éternité. C’est ici la vie éternelle pour les Israélites, de connaître Moïse. C’est la vie éternelle pour les Juifs prosélytes, et pour les païens qui se convertissaient à l’Évangile, de connaître les apôtres. Car il est certain que la connaissance des apôtres pour vrais apôtres, était une condition sans laquelle les nouveaux chrétiens ne pouvaient parvenir à la vie ; comme la connaissance de Moïse pour le ministre et l’envoyé de Dieu était une condition sans laquelle les Israélites ne pouvaient obéir à Dieu, ni par conséquent avoir la vie éternelle. Ou, si vous voulez, la connaissance des apôtres et la connaissance de Moïse, étaient des moyens pour amener les hommes à Dieu, ont aussi été des moyens pour avoir la vie éternelle. Je veux qu’ils n’aient pas été de si grands moyens ; il suffit qu’ils aient été des moyens, nous n’en demandons pas davantage. Cependant il faut demeurer d’accord que c’aurait été une impiété et un blasphème que de parler ainsi : C’est ici la vie éternelle, de connaître Moïse. C’est ici la vie éternelle, de connaître les apôtres. Mais c’aurait été le comble de l’impiété si l’on avait appelé Moïse et les apôtres la vie éternelle, comme l’Écriture appelle Jésus-Christ la vie éternelle. C’est ici, dit saint Jean, le vrai Dieu, la vie éternelle.
Certainement celui qui considérera bien ces dernières paroles, trouvera que, selon la pensée du Saint-Esprit, il y a de l’affinité entre ces paroles, le vrai Dieu, et celles-ci, la vie éternelle, et que le Saint-Esprit a voulu nous faire comprendre que c’est parce que Jésus-Christ est le vrai Dieu, qu’il est la vie éternelle, et qu’en tant qu’il est la vie éternelle, il est le vrai Dieu. Ainsi, dans ces paroles de Jésus-Christ qui sont parallèles à ce passage : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ, il paraît très raisonnable de penser que Jésus-Christ ne fait la vie éternelle par sa connaissance, que parce qu’il est le vrai Dieu.
Au reste, ces deux vérités nous paraissent certaines sur ce sujet. La première est que lorsque Jésus-Christ est appelé la vie éternelle, ou lorsqu’il est dit que la vie éternelle consiste à connaître Jésus-Christ, cette expression ne veut pas dire simplement que Jésus-Christ promet la vie éternelle, ou que Jésus-Christ donne la vie éternelle. Car, par exemple, Moïse promettait aux Israélites la terre de Canaan, et cependant il n’est point appelé la terre de Canaan. Josué introduisit les Israélites dans la terre de Canaan, mais il n’est point appelé la terre de Canaan ; et ces expressions seraient regardées comme absurdes et extravagantes si quelqu’un s’en servait. Jésus-Christ est donc appelé la vie éternelle, et il est dit que la vie éternelle consiste dans la connaissance de Jésus-Christ pour nous apprendre non seulement que Jésus-Christ la promet, non seulement qu’il la donne, mais que cet objet la fait naître ; que Jésus-Christ en est la source, qu’il ne faut que bien connaître Jésus-Christ, pour être saint et pour être heureux, c’est-à-dire pour avoir les deux parties de la vie éternelle. La seconde chose qui nous paraît incontestable, est que tout objet qui fait la vie éternelle dans ce dernier sens, doit être nécessairement un objet infini. Car si c’est une simple créature, on ne peut lui donner un tel éloge sans impiété, puisque cet éloge est l’éloge du vrai Dieu : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul Dieu, etc. C’est ici le vrai Dieu et la vie éternelle.
6. Après cela nous avons à considérer le nom de Dieu. Nos adversaires disputent fortement pour nous persuader que le nom de Dieu n’est pas un nom propre, mais un nom appellatif. Ils ont fait des traités entiers sur cette matière. Il ne faut pas s’en étonner. Car s’il est une fois constant que le nom de Dieu est le nom propre de l’Être souverain, ils ne peuvent plus s’empêcher de reconnaître Jésus-Christ pour Être suprême, puisqu’ils demeurent d’accord que le nom de Dieu lui est donné assez souvent dans l’Écriture, et même dans des endroits qui ne sont nullement suspects ni de figure, ni d’exagération. Ils prétendent donc que le nom de Dieu est un nom appellatif, qui est donné souvent à d’autres qu’au vrai et souverain Dieu, quoiqu’il soit aussi donné quelquefois à ce dernier. En cet endroit nous raisonnerons par leur principe, sans entrer avec eux dans cette contestation, et nous dirons que, puisque le nom de Dieu est un nom appellatif, on en doit faire à peu près le même jugement que de celui de roi, qui l’est aussi, qui est donné à Dieu par excellence, mais qui peut aussi convenir à d’autres qu’à Dieu. Je demande donc à nos adversaires si, supposé que les paroles du texte fussent : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul vrai roi, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ton Fils, s’ils croiraient que dans ces paroles cette expression, seul vrai roi, convient au Père exclusivement au Fils, ou s’ils penseraient qu’elle convient au Père et au Fils en même temps. Certainement ils entendraient ces paroles de cette manière : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul vrai Roi, toi, Père, avec celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ton Fils. Or est-il que le nom de Dieu n’est pas moins appellatif que celui de Roi, selon leur principe. Il s’ensuit donc qu’ils ne doivent pas faire difficulté de rendre les paroles de Jésus-Christ, en saint Jean par celles-ci : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent être le vrai Dieu, toi, Père, avec celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
7. Le terme de vrai nous fournira la septième preuve. Nos adversaires entendent par le vrai Dieu, en cet endroit, le grand Dieu par excellence, le Dieu souverain κατ’ ἐξοχὴν. Mais il sera bon d’ôter ici l’équivoque qu’ils font naître. On demeure d’accord que le vrai Dieu est le Dieu souverain, et que le Dieu souverain est le vrai Dieu. Si nos adversaires ne veulent dire que cela, nous sommes d’accord avec eux. Mais nous prétendons que l’idée de vrai Dieu et celle de l’Être souverain sont deux idées différentes qui représentent le même objet, ou deux manières assez diverses de concevoir le même Dieu. L’idée de vrai Dieu oppose cet objet à ceux qui portent faussement le nom de Dieu, c’est-à-dire aux idoles. L’idée de Dieu souverain ou d’Être souverain l’oppose à tous les autres êtres qui lui sont nécessairement inférieurs. On peut donc bien confondre l’objet qui est exprimé par le terme de vrai Dieu, avec celui qui est exprimé par le terme de Dieu souverain : mais il n’est pourtant point permis de confondre l’idée de Dieu souverain avec celle de vrai Dieu ; et c’est pourtant ce que font toujours nos adversaires lorsqu’ils raisonnent contre nous par ce passage. Il ne sert de rien de dire ici que le terme de vrai Dieu est employé quelquefois pour exprimer quelque chose de noble et d’excellent, comme lorsqu’on dit : Constantin était un vrai empereur ; Alexandre était un vrai héros, pour dire, Constantin avait toutes les qualités que doit avoir un empereur ; Alexandre était un grand héros. J’avoue, que quelquefois le terme de vrai est employé pour marquer l’excellence du sujet dont on parle ; mais quelquefois aussi cette expression n’en signifie que la vérité, et c’est ici un fait incontestable. On dit : Henri IV était le vrai roi de France, lorsqu’il combattait contre la Ligue après la mort de Henri III ; et cela signifie seulement qu’il n’usurpait point la couronne. Or, dans cet endroit on ne peut nier que le seul vrai Dieu enfermant une manifeste allusion à la multitude des divinités païennes qui portaient faussement ce nom, et cette allusion n’étant pas même contestée par nos adversaires, le terme de vrai ne signifie pas plutôt la simple vérité de la chose, que son excellence. Le sens donc de ces paroles est celui-ci : Les païens ne connaissent que de faux dieux, et c’est ce qui fait qu’ils périssent ; mais toi, tu es seul vrai Dieu avec ton Fils, et cette connaissance donne la vie éternelle.
Cela étant, il est bien facile de faire voir que le terme de seul vrai Dieu doit être rapporté au Fils aussi bien qu’au Père. Car si le terme de vrai Dieu doit être restreint au Père, ou c’est parce que ce titre n’est point répété dans le second membre de la proposition, ou c’est parce que ce titre est trop excellent pour convenir au Fils. Ce n’est point parce que ce titre n’est point répété, puisque nous avons déjà fait voir que l’analogie du langage demande que ce titre soit sous-entendu aussi bien que le verbe connaître. Ce n’est point aussi parce que ce titre est trop excellent pour Jésus-Christ ; car ce titre ne signifie autre chose, si ce n’est un Dieu qui n’est pas inventé, mais qui existe réellement. Et qui peut douter que si Jésus-Christ est Dieu, comme nos adversaires le reconnaissent, il ne soit un vrai Dieu dans ce sens ?
En un mot, voici le Dieu qui est opposé aux idoles ; c’est un Dieu qui n’existe pas seulement dans l’imagination des hommes, mais qui existe réellement et véritablement : et je demande si cette épithète convient à Jésus-Christ, ou si elle ne lui convient pas. Si elle ne lui convient pas, il s’ensuit que Jésus-Christ, qui très certainement est Dieu, selon l’aveu même de nos adversaires, est un Dieu faux et imaginaire. Si cette épithète convient à Jésus-Christ, il s’ensuit que Jésus-Christ est ce seul vrai Dieu.
8. Mais peut-être que cet adjectif seul joint à vrai Dieu, donne à ce titre une excellence qui fait qu’il ne convient qu’au Père. Cela ne peut être, pour plusieurs raisons. Premièrement, comme le terme de seul détermine celui de vrai, on peut dire aussi que le terme de vrai détermine celui de seul : seul vrai Dieu est opposé à la multitude des faux dieux. D’ailleurs, seul vrai Dieu n’est pas l’épithète du Père, mais celle du Père et du Fils, comme dans ce passage : Ou moi seul et Barnabas, n’avons-nous point la puissance de ne point travailler ? Le terme seul, qui, dans la construction, n’est l’épithète que de Paul, est l’épithète de Paul et de Barnabas dans le véritable sens de ces paroles. En troisième lieu, quand le terme seul serait l’épithète, non de Dieu, convenant au Père et au Fils, mais l’épithète du Père ; quand il y aurait dans le texte, qu’ils connaissent le Père seul pour être le vrai Dieu, etc., il ne faudrait point trop presser ce terme de seul, qu’il n’exclut pas toujours autant qu’il semble exclure, comme nous pouvons le justifier par un exemple tout à fait propre et incontestable. Je demande de qui est-ce que l’Écriture parle lorsqu’elle dit : Seul Puissant, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, qui seul a l’immortalité. Nous prétendons que c’est de Jésus-Christ : mais nous nous trompons, si l’on veut. Qu’on attribue toutes ces épithètes au Père, ou bien au Fils, il ne nous importe ; on trouvera toujours la vérité de ce que nous avons avancé : c’est que le pronom seul ne limite pas autant qu’il semble limiter. Car peut-on dire du Père qu’il est seul puissant, qu’il a seul l’immortalité ? Non, sans doute ; ces deux qualités conviennent aussi au Fils. Peut-on dire du Fils qu’il est seul puissant, seul immortel ? Non assurément ; ces deux titres conviennent aussi au Père. Si donc le pronom seul exclut bien les autres sujets, mais n’exclut point le Fils, appliqué au Père, il s’ensuit que dans le passage que nous examinons, le terme seul, quand même il serait appliqué au Père, ne devrait pas être censé exclure le Fils pour cela, vu surtout que le Fils est appelé et le Dieu, et le vrai Dieu aussi bien que le Père, et qu’il dit lui-même, je suis en mon Père, et mon Père est en moi. Ainsi nous ne répondons pas seulement aux plus spécieuses de leurs objections, mais encore nous faisons voir qu’elles nous deviennent favorables, et que les passages qu’ils citent contre nous avec le plus d’ostentations, établissent eux-mêmes notre sentiment.