Louis XIII avait commencé les hostilités, en faisant avancer son armée vers la Loire, dès le 24 avril, quinze jours avant la décision adoptée à La Rochelle. Quelques hommes sages du conseil avaient persisté à proposer des moyens d’accommodement. Ils représentaient que les huguenots tenaient deux cents places fortifiées, que leurs soldats étaient d’une bravoure à l’épreuve, que le désespoir les rendrait encore plus redoutables, qu’il y avait dans les Églises quatre cent mille hommes capables de porter les armes, et que les calvinistes, depuis soixante ans, avaient plus perdu par la paix que par la guerre. D’autres conseillaient, au contraire, de frapper un grand coup sur le parti calviniste, et Louis XIII se rangea de ce dernier avis.
Les Jésuites, ses premiers maîtres et ses directeurs spirituels, le poussaient sans relâche à la destruction des Églises, et inventaient des arguments pour lui faire violer en toute sûreté la parole qu’il avait donnée aux hérétiques. « Les promesses du roi, disait son confesseur Arnoux, sont ou de conscience ou d’Etat. Celles faites aux huguenots ne sont pas de conscience, car elles sont contre les préceptes de l’Église, et si elles sont d’Etat, elles doivent être renvoyées au conseil privé, qui est d’avis de ne les point tenir. C’est ainsi que raisonnait le contemporain et confrère d’Escobar. »
Le pape offrit deux cent mille écus, à condition que les huguenots fussent ramenés de gré ou de force dans l’Église de Rome. Il adressa aussi à Louis XIII un bref où il le louait d’avoir imité ses ancêtres qui avaient porté autant d’honneur aux excitations des papes qu’aux commandements de Dieu. Les cardinaux offrirent à la même condition deux cent mille écus, et les prêtres un million.
Dans les harangues prononcées par l’orateur du clergé, le roi était pressé de suivre l’exemple de Philippe-Auguste, aïeul de saint Louis, qui avait entièrement exterminé les Albigeois, ou du moins l’exemple de l’empereur Constance qui avait contraint les idolâtres à sortir des villes, et à s’en aller demeurer dans les villages, d’où leur était venu, disait ce prêtre, le nom de païens.
Les émissaires de l’Espagne, avec laquelle le double mariage avait fait contracter une étroite alliance, poussaient à la guerre pour des raisons de diverse nature. Chaque fois que la France était troublée, on se sentait plus fort à Madrid, et l’on y parlait plus haut.
Le roi se mit donc à la tête de son armée avec le connétable de Luynes, le duc de Lesdiguières qui s’était déclaré ouvertement pour la cour, le cardinal de Guise, une foule de seigneurs, et avec sa mère Marie de Médicis dont il se défiait. Son conseil avait eu soin de distinguer, avant l’entrée en campagne, entre les calvinistes paisibles et ceux qui ne l’étaient pas : distinction qui permettait aux gens timides ou vendus de rester chez eux, sans être accusés de trahison.
L’un des premiers exploits de Louis XIII fut de s’emparer de la ville et du château de Saumur par supercherie. Duplessis-Mornay en était gouverneur depuis le règne de Henri III. Il gardait la place comme une ville d’otage accordée par les édits, et elle était d’une grande importance pour le parti calviniste, parce qu’elle commande le cours de la Loire. Le connétable de Luynes en fit demander l’entrée au nom du roi, promettant qu’il ne serait pas plus touché aux immunités de Saumur qu’à la prunelle de l’œil du gouverneur, et il en donna sa parole, de même que Sa Majesté de sa propre bouche, ce qui fut aussi confirmé par M. de Lesdiguières. Mornay ouvrit les portes de la forteresse, et en fit sortir, selon l’usage, la garnison calviniste. Mais, à peine entré avec ses troupes, le roi déclara qu’il prenait possession définitive de Saumur.
Pour donner à cet acte de mauvaise foi l’apparence d’un arrangement conclu à l’amiable, on offrit à Mornay, outre le paiement des arrérages de sa charge, cent mille écus et le bâton de maréchal. Il répondit avec indignation que s’il avait aimé l’argent, il aurait gagné des millions sous les précédents règnes, et que pour les dignités, il avait toujours plus désiré de s’en rendre digne que de les obtenir. « Je ne puis en conscience ni honneur, ajouta-t-il, vendre la liberté et la sécurité des autres. »
Il alla demeurer dans sa propre maison, où il mourut le 11 novembre 1623. Ses dernières heures furent pleines de sérénité. « Nous vîmes clairement l’Évangile du Fils de Dieu gravé en son cœur par le Saint-Esprit, » dit l’aumônier de sa famille, Jean Daillé ; « nous le vîmes au milieu de la mort posséder fermement la vie, et jouir d’un plein contentement là où tous les hommes s’effraient d’ordinaire. Et était cette leçon si vive et si efficacieuse, que ceux-là même qui avaient le plus de part en sa perte cueillaient de la joie et de l’édification. » Il fit sa confession de foi, avouant qu’il avait beaucoup reçu et peu profité. Et comme on lui répondait qu’il avait fidèlement employé son talent : « Eh ! qu’y a-t-il du mien ? s’écria-t-il ; ne dites pas moi, mais Dieu par moi. »
Philippe de Mornay était le dernier représentant de cette génération grande et forte qui avait reçu les leçons de Calvin et les exemples de Coligny. Il a montré qu’il est possible de garder pendant un demi-siècle, même dans les guerres de religion, les pires des guerres, un nom sans tâche, un caractère irréprochable, une conduite toujours égale, un caractère humain et généreux. C’est la plus belle gloire à laquelle l’homme puisse atteindre.
Au delà de Saumur, l’armée royale ne rencontra de résistance sérieuse qu’en arrivant au portes de Saint-Jean-d’Angély, où commandait le duc de Soubise. Le siège, commencé le 31 mai 1621, dura vingt-six jours. Au nombre des volontaires on remarquait le cardinal de Guise, qui s’acquitta du métier de soldat mieux qu’il ne faisait de celui de prêtre. Il y mit tant d’ardeur qu’il en mourut de fatigue, peu de jours après, dans la ville de Saintes.
Le roi se porta ensuite dans la basse Guyenne, et toutes les villes se hâtèrent de lui ouvrir leurs portes, excepté la petite place de Clairac, qui se qualifiait de ville sans roi, défendue par des soldats sans peur. Elle fut prise après douze jours de siège. Un pasteur nommé La Fargue, son père et son gendre furent condamnés au dernier supplice.
Le 18 août, l’armée royale commença l’attaque de Montauban. Ce siège est célèbre dans les annales de la Réforme française. La ville de Montauban jouissait de franchises municipales qui avaient inspiré à ses habitants un grand esprit d’indépendance. Elle avait pour conseillers des gens de tête et d’action, et la fermeté de leur foi redoublait leur énergie. Le marquis de La Force y commandait. Le duc de Rohan avait son quartier général à peu de distance, et y fit passer des secours d’hommes et de munitions.
Louis XIII se présenta devant les murs de Montauban avec le connétable, les ducs de Mayenne, d’Angoulême, de Montmorency, le comte de Bassompierre et l’élite de la noblesse du royaume. Il recruta aussi pendant le siège un auxiliaire d’espèce toute différente. C’était un Carme espagnol, le père Dominique de Jésu-Maria, qui avait fait, disait-on, beaucoup de miracles l’année précédente, pendant la guerre de l’empereur d’Allemagne contre la Bohême. Il passait pour grand prophète : les soldats l’appelaient le Père bienheureux. Comme il retournait en son couvent d’Espagne, il visita le camp du roi, qui lui demanda conseil. Le moine ordonna de tirer quatre cents coups de canon contre la ville, après quoi elle se rendrait infailliblement. Les quatre cents coups furent tirés, mais la ville ne se rendit point.
Le siège dura deux mois et demi, et l’armée royale tenta sans succès plusieurs assauts. Enfin, après des pertes considérables, la mauvaise saison étant arrivée, Louis XIII découragé, les larmes aux yeux, fut forcé de se retirer ; il leva le siège le 2 novembre. « Ceux de Montauban, dit un historien, furent avertis du prochain délogement de l’armée par un soldat de la religion, qui, le soir avant la levée du siège, se mit à jouer sur la flûte le commencement du psaume soixante-huitième. Les assiégés prirent cela pour le signal de leur délivrance, et ne s’y trompèrent pas[a]. »
[a] Elie Benoît, t. II, p. 177.
La guerre fut reprise en 1622, et conduite avec une rigueur inouïe. Les prisonniers étaient traités comme des rebelles ; on exécutait les uns sur place, et l’on envoyait les autres aux galères. Le marquis de La Force, effrayé des dangers qui menaçaient sa personne et sa maison, fit avec la cour un traité particulier par lequel il livrait Sainte-Foy et la basse Guyenne. Beaucoup de chefs calvinistes se laissèrent intimider ou gagner comme lui, tellement que les défections causèrent encore plus de mal aux huguenots que les défaites.
La petite ville de Négrepelisse, voisine de Montauban, fut l’objet d’horribles représailles. Tous les habitants furent passés au fil de l’épée ; on les accusait d’avoir massacré, dans l’hiver précédent, la garnison catholique. « Les mères tenant leurs enfants, s’étant sauvées au travers de la rivière, ne purent obtenir aucune miséricorde du soldat qui les attendait à l’autre bord et les tuait. En demi-heure tout fut exterminé dans la ville, et les rues étaient si pleines de morts et de sang qu’on marchait avec peine. Ceux qui se sauvèrent dans le château furent contraints le lendemain de se rendre à discrétion, et furent tous pendus[b]. »
[b] Le Mercure de France, t. VIII, p. 637.
Une autre bourgade de la même contrée, Saint-Antonin, essaya de se défendre ; les femmes mêmes s’étaient armées de faux et de hallebardes. Mais la place ne pouvait résister longtemps à l’armée royale. On permit à la garnison de sortir de la ville, un bâton blanc à la main. Dix bourgeois furent pendus avec le pasteur, ancien moine de l’ordre des Cordeliers. La population se racheta du pillage par une contribution (les historiens du temps exagèrent probablement le chiffre de cinquante mille écus).
Pour sanctifier cette guerre, si pleine à la fois de cruautés et de trahisons, les seigneurs et capitaines de l’armée du roi firent de grandes dévotions à Toulouse. Le prince de Condé, le duc de Vendôme, le duc de Chevreuse allèrent à confesse, et communièrent avec six cents gentilshommes de leurs amis. Quelques-uns s’affilièrent à la confrérie des pénitents bleus : « laquelle, dit une chronique, a cela de bon que, n’obligeant à rien, elle fait gagner de grandes indulgences, même en l’article de la mort. »
L’armée arriva, le 30 août 1622, sous les murs de Montpellier qui avait une forte garnison de huguenots. Le siège traîna en longueur ; et Louis XIII, craignant un échec semblable à celui qu’il avait éprouvé devant les remparts de Montauban, consentit à traiter avec le duc de Rohan d’une paix générale. Les articles en furent convenus vers le milieu du mois d’octobre.
Le roi confirma l’édit de Nantes, ordonna le rétablissement des deux religions dans les endroits où elles se pratiquaient auparavant, autorisa les réunions des consistoires, colloques et synodes pour les affaires purement ecclésiastiques, mais défendit de tenir aucune assemblée politique sans son expresse permission. Les fortifications de Montpellier devaient être démolies, et la ville administrée par quatre consuls dont la nomination appartiendrait au roi. Les calvinistes conservaient deux places de sûreté, Montauban et La Rochelle.
Cette dernière ville avait été plusieurs fois attaquée durant les guerres, et s’était vigoureusement défendue. Elle continua encore quelque temps la lutte après le nouvel édit de paix ; cependant elle finit par l’accepter en stipulant le maintien de ses franchises. Ainsi, après avoir versé des flots de sang et désolé plusieurs provinces du royaume, on en revenait à peu près au point d’où l’on était parti.