La liberté de conscience, si ardemment réclamée, si vaillamment défendue en Bohême, n’a porté, sauf à de rares intervalles, que peu de fruits dans cette contrée malheureuse. L’arbre arrosé par tant de sang a disparu ; mais les tempêtes ont porté sa semence sur les plus lointains rivages.
On a vu combien l’ébranlement produit en Europe par le grand schisme avait contribué à préparer les esprits à la réforme du siècle suivant. L’émigration de tant de milliers de familles bohémiennes répandit dans les contrées étrangères la connaissance de la Bible, l’habitude de la lire et de la méditer, fondement de toute réaction sérieuse contre l’abus de l’autorité sacerdotale.
Six années avaient suffi, de 1621 à 1627, pour détruire en Bohême les derniers vestiges du culte extérieur de la religion évangélique. Les précurseurs des protestants furent abandonnés dans ce pays par ceux auxquels ils avaient frayé la voie et donné d’héroïques exemples ; ils ne recueillirent aucun avantage des traités qui, après la guerre de Trente-Ans, assurèrent aux réformés de l’Allemagne la liberté de conscience et l’exercice de leur culte. Ceux de Bohême, et surtout les Frères de l’Unité, continuèrent à vivre sous la plus dure oppression ; un de leurs pasteurs, l’évêque Comménius, gémit ainsi sur son église désolée : « Hélas ! que reste-t-il à ce pauvre peuple qui, pour avoir fidèlement suivi la doctrine des apôtres et l’exemple de la primitive Église, se voit persécuté, abandonné des siens ? Il ne lui reste que le recours au Dieu de miséricorde ; il est réduit à dire, comme autrefois le prophète : J’ai appelé mes amis, mais il m’ont trompé… Éternel, regarde et considère notre opprobre… Nous sommes devenus comme des orphelins qui sont sans père. Nous avons souffert la persécution, nous avons travaillé, et nous n’avons point eu de repos. Nos fêtes sont changées en deuil… O Éternel, nous oublieras-tu à jamais ? »
Comménius se retira en Pologne avec une partie de son troupeau. Prêt à quitter son pays pour toujours, il s’arrêta sur une haute montagne de la frontière, d’où ses regards embrassaient la Bohême et la Moravie. Là il se mit à genoux avec ses frères ; puis, éclatant en sanglots et en larmes : « O Dieu, dit-il, n’abandonne pas ce pays, ne le prive pas de ta parole, et conserves-y toujours une sainte semence. » Sa prière fut exaucée : jamais la religion pure de l’Évangile, le culte intérieur, en esprit et en vérité, ne disparut entièrement de ces contrées. Les églises des frères étaient tombées, mais Dieu s’y conserva, dans de nobles cœurs, des temples vivants. Il y eut là, dans les campagnes, au commencement du xviiie siècle, un réveil de la foi évangélique, et, de cette époque, date une ère nouvelle pour l’histoire des Frères de l’Unité. Il se forma des relations touchantes entre les descendants des anciens émigrés, libres sur la terre étrangère, et ceux qui leur étaient unis en Bohême par le lien d’une même foi et par les souvenirs traditionnels d’un culte commun. On vit alors de nouvelles émigrations. Plusieurs pauvres familles furent accueillies dans la Haute-Lusace par un homme pieux et charitable, le comte de Zinzendorf, et trouvèrent un refuge hospitalier sur ses domaines ; elles y fondèrent la ville d’Hernhouth, où se forma le principal établissement d’une des branches les plus respectables de la grande famille chrétienne. Cette société, qui étendit au loin ses rameaux, conserva le nom de l’Unité évangélique, et ses membres sont encore, de nos jours, généralement connus sous celui de Frères de Bohême ou de Frères moraves.
[Aucun homme n’a été plus indignement calomnié que le comte de Zinzendorf, Il eut sans doute le malheur de ne pas se préserver de tous les égarements du mysticisme ; mais ces taches disparaissent devant le bien qu’il a fait, et il a droit à la reconnaissance de tous les vrais chrétiens. Les dernières émigrations et la fondation d’Hernhouth sont un des intéressants épisodes de l’histoire du christianisme : le récit en a été fait, d’après les documents originaux, par M. le pasteur Bost. (Voy. Hist. de l’église des Frères de Bohême et de Moravie.)]
Dans un ouvrage dont le but principal est de revendiquer les droits de la conscience, de montrer, dans la sincère manifestation des convictions, le premier devoir du chrétien, il convient d’étudier un des traits distinctifs d’une société aimée et admirée de tous ceux qui l’ont bien connue. Voici ce que disait, il y a trente ans, de la société des frères de Bohême ou moraves, un homme qui a su l’appréciera :
a – M. le pasteur Chabrand. — (Voir l’Elève de l’Évangile, par Boniface Laroque, t. I, liv, 1, ch. 4.)
« Leur établissement prospéra par la bénédiction du Seigneur, mais non sans éprouver beaucoup de traverses. Ils furent calomniés et diffamés par plusieurs ecclésiastiques et par des lettres de l’Allemagne : on les traitait de novateurs. Obligés de réfuter ce que l’on avait publié contre eux, ils montrèrent que leur église était antérieure de tout un siècle à la réforme de Luther, que leur foi était conforme à celle des protestants, et ils mirent au jour les règlements de leur discipline. Ces écrits attirèrent l’attention de beaucoup de personnes sur la petite ville d’Hernhouth ; plusieurs même s’y rendirent exprès pour voir de leurs propres yeux si des règlements aussi particuliers et aussi sages y étaient réellement en vigueur, et furent très édifiés du bon ordre, de la simplicité de la foi, de la pureté des mœurs et de la charité qu’ils y remarquèrent. Dès lors, en plusieurs lieux de l’Allemagne, on souhaita de former des établissements semblables. Des luthériens et des réformés adoptèrent les règlements de ces Moraves et entrèrent en relation avec eux. Ceux-ci, qui les avaient considérés comme des frères ne s’y refusèrent point, et n’exigèrent jamais qu’aucun d’eux renoncât à la religion dans laquelle il était né. Il est à remarquer qu’ils n’ont entrepris nulle part de s’établir sans l’aveu des gouvernements, et que plusieurs souverains, après s’être informés de leurs principes et de leurs actions, les ont favorisés dans leurs États. On vit dès lors cette société religieuse, composée de trois branches parfaitement unies ensemble par la charité, par la même discipline et le même culte public, quoique différant en plusieurs choses par le dogme. En bannissant du milieu d’eux toute vaine dispute, ils ont opéré heureusement la réunion des principales branches du protestantisme ; c’est pour cela que cette société a pris le nom d’église des Frères de l’Unité évangélique. Ils ne prétendent point, en prenant ce titre, se regarder comme les seuls bons chrétiens ; ils aiment, ils estiment et regardent comme frère en Jésus-Christ quiconque aime sincèrement le Sauveur, quelle que soit d’ailleurs la communion extérieure à laquelle il appartienne. Ils sont persuadés que Jésus-Christ est le véritable centre d’unité vers lequel tendent les vrais fidèles de toutes les communions, et ils se sont mis sous la protection puissante et sous la direction de ce chef éternel et unique de l’Église universelle. »
[Il n’est pas sans intérêt de rapprocher de ce tableau, tracé par un auteur protestant, le témoignage rendu aux Moraves par un auteur catholique dont le nom est le meilleur garant de l’autorité de ses paroles. « La misère, dit Joseph Droz, est chez eux inconnue ; tous vivent paisibles, unis ; ils prospèrent sur des points nombreux de l’Europe et de l’Amérique ; ils ont pénétré en Asie, en Afrique et dans les îles lointaines ; partout un même esprit les anime. J’ai désiré savoir comment ils sont parvenus à réaliser leurs vues bienfaisantes, et je les ai visités au village de Zeist, près d’Utrecht. Leur société, sous le rapport moral, diffère beaucoup de la nôtre, et cependant ses fondateurs n’ont rien changé aux bases ordinaires de l’ordre social. Quelques voyageurs croient le contraire… Ils supposent que chacun des frères travaille pour tous et que les produits de leur industrie sont mis en commun : cette idée n’a rien de réel. Chaque frère dispose de ce qu’il possède. Une famille bien unie étant le modèle de la société des Moraves, ils aiment à se rapprocher les uns des autres ; cependant ils ne vivent point en commun… Ce n’est ni par des institutions étranges, ni par des coutumes extraordinaires que celte société a réalisé ses vues. Quelle est donc la source de l’union, de la paix, du bonheur dont ces hommes jouissent, et qu’annonce leur physionomie sereine presque toujours animée d’une douce gaieté ? La source de tous ces biens est le sentiment religieux qui domine leur âme… L’importante affaire pour le Morave est son salut, et il a la conviction profonde qu’il ne peut l’obtenir qu’en pratiquant l’amour de Dieu et des hommes, avec la médiation du Christ… Les Moraves sont fidèles observateurs des lois de tout pays qui les admet. Ils sont libres d’invoquer la protection de ces lois, de recourir entre eux à la justice du pays ; mais les anciens se hâtent de prévenir le scandale d’un frère appelant son frère devant les tribunaux, et les différends s’arrangent à l’amiable. » Interrogé par l’auteur de ces lignes sur le moyen de porter la paix parmi les hommes, un de leurs pasteurs (M. Raillard) répondit : « Il y en a deux : la foi en Jésus-Christ, et la pratique de ses maximes. Avec ces deux moyens tout est facile, mais rien ne peut y suppléer. » — Pensées sur le Christianisme, 1 vol. In-12, 1844.]
Il est doux à l’historien de Jean Hus de retrouver dans les descendants de ses premiers disciples la société qui présente un des plus beaux modèles de la vie chrétienne, et qui, mieux qu’aucune autre peut-être, a mis en pratique le grand principe pour lequel Jean Hus est mort, le respect sincère des droits de la conscienceb. Les Moraves ne sont, il est vrai, qu’une société exceptionnelle, qu’une faible fraction de la grande société chrétienne ; l’application uniforme et universelle des idées sur lesquelles repose leur institution serait une chimère : mais à nos yeux il importe beaucoup moins de multiplier partout certaines institutions réputées excellentes que d’en faire reconnaître et admettre le principe par tous les esprits grands, élevés, vraiment chrétiens, sauf à en tirer des conséquences pratiques appropriées au temps, aux lieux, aux circonstances. Or, le principe que nous avons montré comme formant le trait distinctif des Frères de l’Unité évangélique, c’est le respect des convictions religieuses, non seulement en soi, mais en tout homme qui cherche Dieu dans l’Évangile et dans son cœur ; c’est la liberté de conscience et de culte dans son sens le plus élevé, le plus général, étendue à toute manifestation qui ne blesse aucune des lois gardiennes de la morale et de l’ordrec. Mais quoi ! cette liberté est née dans le sang ! elle a grandi au milieu d’effroyables convulsions ! Un principe qui a bouleversé le monde est-il donc si y a beaucoup de bonne foi dans ces reproches, il s’y rencontre aussi de grandes erreurs. Gardons-nous de prendre les effets pour les causes. S’il est vrai, et personne ne le nie, que la sincérité soit le premier devoir que la religion impose à l’homme, s’il est vrai que chacun soit tenu d’honorer son Dieu selon sa conscience, il s’ensuit que le droit d’offrir au Créateur l’hommage que, dans le fond de son âme, chacun juge le plus digne de lui être offert, est un droit naturel, et si la négation, si la violation de ce droit amène d’effroyables résultats, à qui seront-ils imputés ? qui sera responsable, ceux qui le revendiquent, ou ceux qui le nient et le violent ? Et si l’arbre écrase en tombant ceux qui ont hâté sa chute, la faute est-elle à la main qui le cultivait ou à celle qui a témérairement porté le fer et le feu dans ses racines ? Lorsque Jean Hus défendait avec tant d’intrépidité devant ses juges les droits de la conscience, qui donc plaidait la cause de la justice éternelle, les accusateurs ou l’accusé ? Lorsque par l’édit terrible rendu à Constance le pape plaçait une nation entière entre le parjure ou la révolte, qui préparait l’œuvre de sang, le pontife ou le peuple ? La perfection chrétienne eût consisté peut-être à se laisser égorger en silence ; qui oserait dire cependant que tout un peuple, à qui l’on prescrit le mensonge sous peine de mort, doive se résoudre à mentir ou à mourir ? La guerre était donc inévitable ; mais lorsque les meilleurs ont échoué en défendant leurs principes, ou sont morts avant d’en avoir assuré le pacifique triomphe, si la guerre éclate, avec elle les hommes violents se montrent ; on voit apparaître alors ceux qui pensent avoir rallumé le flambeau de la foi quand ils ont éteint celui de la raison, et ceux qui parlent de réformer et qui ne savent que ravager et détruire. De là, tant de nouveaux formulaires tumultueusement proclamés, un alliage trop souvent impur, un déplorable mélange de bien et de mal, dont s’épouvantent les hommes pieux et sages, jusqu’à ce qu’avec le temps la part du bien et de la vérité l’emporte sur celles des passions humaines dans les réformes accomplies. Tel est le spectacle qui s’offrit en Europe après les terribles guerres du xve et du xvie siècle.
b – Voyez Note U.
c – Il ne s’ensuit pas que toutes les interprétations consciencieuses de la parole aient à nos yeux une égale valeur ; mais dans toutes, les droits de la conscience doivent être respectés.
On a jusqu’à présent beaucoup trop argué de la lutte des diverses sectes entre elles et de leur nombre contre les partisans de la liberté de conscience. « Les orages de l’atmosphère, dit un éloquent écrivain religieuxd, ne sont pas plus nécessaires à l’économie de notre globe que ne le sont à la société humaine les orages de la pensée. Là, comme ailleurs, c’est le mouvement qui conserve, c’est le repos qui détruit. Oter de la vie des peuples l’obstination de la pensée et l’opiniâtreté des consciences, c’est refuser à la société son lendemain, c’est ouvrir à la civilisation un profond et silencieux tombeau… Il faut dire à ceux pour qui le silence est la paix, pour qui la mort est l’ordre, que les vrais protecteurs de la société sont ceux-là mêmes au nom desquels se rattachent, dans l’histoire, des souvenirs de lutte, de persécution, de martyre. Chacun de leurs sacrifices nous a valu un des biens de la civilisation, chacun de leurs combats un des gages de notre paix. » « Il faut se fier, dans le christianisme, dit plus loin le même auteur, au principe secret et puissant d’unité. »
d – Vinet, Essai sur la manifestation des convictions religieuses, page 62.
[Quel pays, depuis vingt ans, a rendu plus que l’Ecosse témoignage à cette vérité ? Les plus magnifiques triomphes de l’ancienne Rome n’offrent rien de comparable en grandeur à ce simple et pieux cortège de ministres presbytériens qui, en 1843, traversa paisiblement Edimbourg, mettant toute leur confiance en Dieu, après avoir sacrifié, avec leur emploi, leur bien-être et celui de leur famille à leur conscience. — Le petit canton de Vaud a donné à l’Europe chrétienne un spectacle semblable en 1845, lorsque la majorité des pasteurs vaudois a volontairement renoncé à une position salariée par l’État, et où ils n’ont pas cru trouver des garanties suffisantes d’indépendance spirituelle. — Etranger, je ne décide pas la question en elle-même, je n’examine point si la séparation était un devoir : il suffit que des chrétiens l’aient regardée comme telle pour qu’ils fussent tenus de l’accomplir.]
En jugeant les diverses communions chrétiennes sur les points apparents qui les divisent, on n’a pas donné assez d’attention, on n’a point fait une part assez large aux grands principes qui peuvent les unir, et dont le premier de tous doit être le respect des droits de la conscience dans l’interprétation de la parole divine. Ce principe forme comme un lien invisible et sacré entre les martyrs de toutes les croyances chrétiennes, et il eut à Constance sa manifestation la plus éclatante. La cause de Jean Hus est celle de tous ceux pour qui la religion est moins une affaire de forme et d’habitude que de conscience et de conviction. Jean Hus a défendu cette noble cause à Constance, il est mort pour elle, et c’est pour cela qu’il est grand.
Le voyageur, en visitant cette cité célèbre, y trouve partout le vivant souvenir de ce drame immortel ; Jean Hus et Jérôme s’y présentent de toutes parts à sa pensée ; il demande, il cherche où ils ont protesté, où ils ont souffert, où ils sont morts. Parmi les reliques fameuses que la la ville conserve du grand concile, ce ne sont pas celles qui ont appartenu aux puissants qui attirent tous les regards : on passe rapidement devant le fauteuil où trôna l’empereur, devant l’autel où officia Jean XXIII et près de la mitre qu’il a souillée avant de l’avoir perdue ; mais on s’arrête devant la Bible de Jean Hus, livre précieux, annoté de sa main, où il puisa l’espérance qui soutint son courage ; on examine avec un mélange d’admiration et d’effroi la fidèle image de la cellule étroite et sombre où l’amour de la vérité l’emporta, dans une âme héroïque, sur les rigueurs de la plus affreuse prison et sur les terreurs de la mort ; on interroge enfin cette brique grossière sur laquelle la main du grand martyr traça dans les ténèbres des caractères maintenant illisibles pour des yeux de chair, mais où les yeux de l’âme liront toujours une éloquente protestation contre les oppresseurs de la conscience. On ne trouve à Constance, ville catholique, aucun monument élevé à Jean Hus et à son ami ; mais la ville entière, théâtre de leurs souffrances et toute remplie de leur souvenir, est l’impérissable monument de leur gloire.
Note T.
Confession de foi des Thaborites, telle qu’elle fut présentée, en 1442, dans le synode de Kultemberg.
- Comme l’Écriture est la parole du Dieu véritable et éternel, qu’elle a été écrite par l’inspiration du Saint-Esprit dans les livres des prophètes et des apôtres, et confirmée par des miracles tout divins, et que personne en âge de discrétion ne peut sans elle parvenir à Dieu, il s’ensuit de là qu’il faut la traduire en langue vulgaire et maternelle, selon le commandement de saint Paul, et qu’il faut la suivre avec la plus grande vénération. A l’égard de la doctrine des Pères, il faut la recevoir quand elle est conforme aux livres canoniques, et la rejeter quand elle est contraire.
- Il n’y a qu’un seul Dieu en trois personnes, comme cela est enseigné dans l’Écriture sainte, et dans les symboles de Nicée et d’Athanase ; il faut l’aimer de toute la force de notre âme et de tout notre pouvoir.
- Après avoir bien connu Dieu, il faut que l’homme se connaisse lui-même ; qu’il sache qu’avant la chute d’Adam il était dans l’innocence, mais qu’après qu’Adam fut tombé, par la ruse du diable, il est devenu sujet au péché, et qu’il a été conçu et engendré d’une semence criminelle ; qu’à cette faute originelle il a ajouté des péchés actuels qui l’ont engagé dans une peine éternelle, dont il ne peut se relever par ses propres forces.
- L’homme, réveillé par le moyen de la parole divine et par le sentiment des peines temporelles, lorsqu’il reconnaît ses péchés par la grâce du Saint-Esprit, s’il en a une amère douleur, s’il les évite autant qu’il peut, s’il se confie en la miséricorde de Dieu le Père et au précieux mérite de Jésus-Christ, si enfin il ne résiste pas au Saint-Esprit, qui, par la parole, enflamme et augmente sa foi ; un tel homme doit savoir que tous ses péchés lui sont pardonnés par le mérite de Jésus-Christ, sans lequel personne ne peut être sauvé, parce qu’il est l’unique propitiation entre Dieu et les hommes, comme l’ont montré les types de l’Ancien Testament.
- Et cette foi salutaire ne pouvant être sans les œuvres, selon saint Jacques, justifie toute seule, selon saint Paul, Romains 3.4-5 ; Galates 3 ; Éphésiens 2, en sorte que le fidèle peut approcher en toute confiance du trône de la grâce de Jésus-Christ, notre grand pontife, Hébreux 4, et posséder la tranquillité de sa conscience avec une espérance inébranlable du salut, Romains 8.
- Quoique les commandements du Décalogue contiennent toutes les bonnes œuvres que nous sommes obligés de faire, on ne les accomplit pourtant pas si parfaitement, à cause de l’infirmité humaine, que l’on puisse espérer le salut par l’observation de ces commandements, beaucoup moins par celle des ordonnances humaines. Or, les raisons pour lesquelles la foi doit être accompagnée des œuvres, sont : 1° la reconnaissance envers Dieu ; 2° elles rendent témoignage à la foi ; 3° l’édification du prochain ; 4° les progrès dans la sainteté ; 5° la récompense de la vie temporelle et éternelle.
- Partout où s’enseigne celte doctrine, là est l’Église chrétienne, dont Jésus-Christ est le chef, et, quoiqu’il se trouve au milieu d’elle des membres morts, quiconque cependant tient cette confession, et y règle sa vie, appartient à cette Église, et hors d’elle il n’y a point de salut. La succession apostolique des ministres de l’Église, qui sans doute mérite beaucoup d’égards, n’est pas attachée à certaines personnes et à un certain lieu ; mais elle est fondée sur la pureté de la doctrine salutaire enseignée dans l’Écriture sainte, ce qui est confirmé par l’autorité de saint Jérôme, de saint Ambroise, de Pænit., lib. i, cap. 6, et de Tertullien, lib. de Præscript.
- De peur que l’Église visible ne tombe dans des doutes et dans l’infidélité, Dieu lui a donné la parole et les sacrements, qui ne sauraient tromper. La parole surpasse en excellence les sacrements, parce qu’elle doit les précéder.
- Les sacrements sont les signes visibles d’une grâce spirituelle invisible et de la participation aux biens célestes qu’ils signifient ; il y en a deux : le Baptême et la sainte Cène.
- Le Baptême est le signe extérieur de l’ablution interne du péché ; les enfants y peuvent aussi être initiés, à condition pourtant que, parvenus à un âge plus avancé, ils feront une confession publique de leur foi.
- Le sacrement de la sainte Cène, qui consiste dans le simple pain et dans le simple vin, sans nul changement, est le signe du corps et du sang de Jésus-Christ, demeurant dans le ciel, lequel la foi s’attribue et s’applique, et sans cette foi personne ne peut recevoir les choses signifiées par le sacrement, c’est-à-dire les choses spirituelles et célestes, qui sont le corps et le sang de Jésus-Christ.
- Le sacrement de l’autel n’est que du pain et du vin, qui sont un signe du corps et du sang de Jésus-Christ, qui est au ciel, et qui est appliqué à chacun par la foi : sans cette foi personne ne peut recevoir la réalité du sacrement, rem sacramenti.
- Comme le sacrement n’est que du pain et du vin, il faut manger l’un et boire l’autre selon l’institution de Jésus-Christ ; mais il n’est pas permis de l’offrir pour les vivants et pour les morts, ni de l’enfermer dans une châsse, comme s’il était un Dieu, ni de le porter de lieu en lieu, et d’en abuser, contre la défense expresse de Dieu au premier commandement de la loi.
- Quoique nous tolérions les ornements des églises, quand il n’y a ni scandale ni superstition, et qu’ils soient indifférents, cependant, si on y attachait une vertu propre et sanctifiante, il faudrait les retrancher et les défendre : ce qui regarde particulièrement les images, auxquelles, contre le commandement de Dieu, on rend un culte divin ; car, si, selon Ésaïe 6, il n’est pas permis d’adorer les morts, beaucoup moins l’est-il d’adorer les images, ce qui concerne indirectement l’invocation des saints.
Dans le quinzième et dernier article, le purgatoire était mis au rang des fables.
On exhortait les ministres de l’Église à prêcher avec zèle la doctrine exposée dans cette confession de foi, les magistrats à la maintenir, tous les chrétiens à en faire profession pour obtenir la vie éternelle et pour éviter une éternelle condamnatione.
e – Lenfant, Histoire de la guerre des Hussites et du concile de Bâle, t. II, liv. xx.
Note U.
L’esprit de charité, de paix et d’union qui distingue l’église des Frères dans ses rapports avec les autres églises chrétiennes, se retrouve tout entier dans une belle exhortation que leur adresse, de Hollande où il s’était réfugié vers la fin du xviie siècle, le vénérable Comménius, et dont nous extrairons ici quelques passages :
« Vos ancêtres furent un peuple pénétré de la crainte de Dieu, fuyant l’idolâtrie et la superstition, livré tout entier avec une vive ardeur pour son salut à l’étude des choses célestes, et qui, assis avec Marie aux pieds du Christ, et attentif à ses paroles, oubliait tout pour n’écouter que lui. Supportant, à cause de cela, le mépris, l’outrage et les persécutions du monde, et laissant à Dieu seul le soin de le défendre, ce peuple s’était proposé de ne se séparer d’aucun membre de la société chrétienne, de n’établir, de ne favoriser aucune secte, de réunir plutôt tous ceux qui, en tous lieux, invoquent Jésus-Christ d’un cœur pur, et servent Dieu en esprit.
Notre devoir, mes bien-aimés, est de chérir tous les hommes, de souhaiter du bien à tous, de les aider tous autant qu’il dépend de nous. Quant à ceux qui nous paraissent divisés par un malheureux schisme, si nous ne pouvons les ramener à l’union, du moins devons-nous vivre dans un esprit de concorde avec eux, à l’exemple de nos pères, qui aimaient mieux vivre selon la foi que disputer touchant la foi. Quelques-uns nous reprochent d’avoir dévié des traces de nos aïeux, et de n’être plus ceux à qui Luther a donné la main en signe de fraternité ; nous l’avouons et nous le déplorons. Ce n’est pas toutefois, comme on nous en accuse, parce que nous refusons, comme nos aïeux, de poursuivre avec haine ceux qui reconnaissent le même Évangile que nous, mais c’est parce que le zèle de la piété s’est refroidi parmi nous… Oh ! ne nous écartons pas de l’exemple et des traces de nos pères au point de nous établir juges de la science et de la conscience d’autrui. Ne nous mêlons donc point aux controverses et aux disputes, j’entends à ces disputes qui s’élèvent entre les disciples de l’Évangile, car ce sont choses inutiles, défendues et nuisibles.
La divine sagesse a posé les trois portes, les trois fondements très-chrétiens de l’Église, qui sont la foi, la charité et l’espérance, elle exige ces trois choses pour le salut, et rien de plus.
La vraie philosophie chrétienne est de recevoir la parole révélée avec une foi simple ; la vraie religion est de la vénérer avec un cœur pur ; la piété consiste à tendre par elle à la méditation de la vie céleste ; la victoire est d’y persévérer ; le suprême bonheur est de vaincre par elle. »
Comménius a montré l’inutilité, le danger des disputes sur les questions insolubles pour l’homme, touchant la personne du Christ, l’élection, la prédestination, la grâce ; puis il ajoute :
« Pour nous, mes bien-aimés, continuons à montrer par notre exemple à nos frères, disciples du même Évangile, que la perfection évangélique n’existe pas dans la profondeur des explications, dans la variété des questions ou dans l’adresse à les traiter ; car (comme dit saint Hilaire) ce n’est point par des arguments subtils que Dieu nous appelle à la possession de son royaume céleste ; mais par cette charité sainte, qui est patiente, douce, bienfaisante, qui n’est pas envieuse, qui ne s’enfle pas d’orgueil, qui ne s’irrite ni ne s’aigrit, qui ne rêve point l’injustice, qui souffre tout, croit tout, espère tout, supporte tout. (1 Corinthiens 13)
Il vaut mieux ignorer humblement certaines choses que savoir orgueilleusement, ou croire avec timidité qu’affirmer avec témérité ou avec violence, dans cette vie présente où nous ne voyons et ne prophétisons maintenant que d’une manière imparfaite.
Attachons-nous de tout notre cœur aux choses qui sont de la paix, et qui peuvent nous édifier les uns les autres avec tous ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur. (Romains 14.19 ; 2 Timothée 2.22) »
Luther fit imprimer lui-même à Wittenberg la confession de foi des Frères de l’unité évangélique, et, dans une préface qu’il y joignit, il leur accorda ce beau témoignage : « Aussi longtemps, dit-il, que j’ai été papiste, j’ai ressenti, par zèle de religion, une haine très violente pour les Frères ; j’ai reconnu, à la vérité, de bonne heure, que Jean Hus a expliqué l’Écriture avec tant de force et de pureté que je n’ai pu concevoir sans une extrême surprise comment le pape et le concile de Constance ont pu condamner au feu un homme si grand et si admirable. Cependant, je l’avoue, par une déférence aveugle pour le pontife et pour le concile, j’ai abandonné sans hésitation la lecture des livres de Hus, parce que je me défiais de moi-même ; mais aujourd’hui j’ai changé de sentiment à l’égard de ces hommes que le pape a condamnés comme des hérétiques, et je ne puis que les regarder et les admirer comme des saints et des martyrs de la vérité. J’ai trouvé chez eux ce fait, extraordinaire pour le temps, que, laissant là les traditions des hommes, ils s’occupaient à méditer jour et nuit la loi du Seigneur, et qu’ils étaient très versés dans l’Écriture sainte. Réjouissons-nous donc avec ces frères de ce qu’après nous être regardés les uns les autres comme des hérétiques, nous sommes revenus de cette injuste prévention, et nous trouvons réunis dans un même bercail sous la conduite du seul pasteur et évêque des âmes. »